jeudi 27 avril 2006

Le Tableau

Le petit jeu de RACONTARS.


La photo a été sortie de son cadre douillet, où depuis le 23 septembre 2005 elle se montrait à tous les passants passant chez
Alain Bachellier

Le jeu consiste à raconter un racontar à partir de cette photo. L’auteur de la photo a un blogue dont l’adresse est précisée, j’espère que mes liens fonctionnent, je ne sais jamais quand ils fonctionnent et quand ils ne fonctionnent pas.


Décidément, je ne comprends rien à ce qui m’arrive. Asseyez-vous là, m’ont-ils dit, vous avez une heure pour prendre votre décision. Une heure. Comme si une heure suffisait pour une décision pareille. On la prend en trois secondes ou on ne la prend jamais, cette décision. Et comme ne rien décider est un des deux côtés de la décision, il va falloir que je décide si je décide ou si je ne décide pas.

Une heure n’a aucun sens. Mais je le sais, dans une heure ils vont venir et me demander ce que j’aurai décidé. Et je devrai répondre. Va pour une heure, les mains crispées sur le coton bleu, à attendre.

Le médecin n’avait pas été long à établir le diagnostic. Il m’avait allongée comme d’habitude, comme d’habitude il s’était penché son observatoire à la main, il avait un peu palpé, il m’avait fait relever. Il était sûr de lui, hormis peut-être cette lueur d’incrédulité dans son regard. Mais je sais déjà malgré ma jeunesse, ils disent tous que je suis jeune alors que je me sens déjà Mathusalem, je sais déjà qu’on ne voit dans le regard des autres que ce qu’on y met, non ce qui y est.

Il m’a demandé : vous avez rencontré quelqu’un ? J’ai été agacée, ma mère m’avait posé la question le matin même. J’ai répondu comme à ma mère, non personne. A la différence de ma mère, ma réponse ne l’a pas autrement surpris. Je finis par me demander si ce n’est pas son diagnostic qui l’étonne, bien qu’il ait l’air sûr de ne pas se tromper.

J’ai seize ans, je ne suis pas idiote, je sais bien ce qu’on veut dire quand on demande si j’ai rencontré quelqu’un, je sais bien ce qu’on me demande, en réalité. C’est pourquoi je réponds non à cette question, parce que je n’ai jamais couché. De cela aussi je suis sûre, comme l’est le médecin de son diagnostic. Je ne vais pas raconter ce qui m’est arrivé il y a huit semaines, personne ne me croirait, et j’entends déjà les ricanement étouffés ou les airs dubitatifs qui suivraient. Quand je me le raconte à moi-même, je n’y crois pas non plus.

J’étais sur la terrase comme souvent. J’aime y traîner, sur cette terrasse, à l’abri du portique en pierres aux doux arrondis voûtés. Ma mère le supporte mal et fait s’effondrer mes rêves en me criant de finir la vaisselle ou la poussière ou tout ce qui lui passe par la tête. Elle était à Sienne pour les courses, ce jour là, je pouvais à loisir contempler le paysage de collines et de crêtes, ponctué de vignes et d’arbustes selon un savant hasard qui le faisait ressembler à un tableau de Léonard de Vinci.

Soudain il était là devant moi, le beau jeune homme. Il m’a saluée, il m’a dit gracieuse. Mais je vous le jure, il n’a pas franchi le seuil du portique, il est resté dans le jardin à me regarder de ses yeux transparents et moi je suis restée dans ma chaise longue posée sur le carrelage. En dire plus serait de l’invention pure et simple et je n’ai aucune imagination. Ma mère me le dit toujours, à quoi rêves-tu, toi qui n’as aucune imagination ? Si pourtant. Un petit rien, un rien du tout, mais que je ne comprends toujours pas.

Une étrange impression de flottement, sans savoir qui flottait. Moi, déjà séduite par ces yeux de cristal, ma chaise, qui pourrait s’être décollée du sol mais je n’ai pas vérifié, ou alors tout ce qui était devant moi juste au delà de la ligne du portique, bien matérialisée par le bord du carrelage. Même que ma mère s’était fâchée pour toujours avec le carreleur qui ne voulait pas refaire l’alignement parfait qu’il avait raté ; du coup on ne l’a jamais payé. Etait-ce tout le paysage là devant qui flottait, qui contenait Sienne au fond, les vignes du seigneur, les cyprès éloignés, le jardin des délices et le jeune homme avec son lys à la main ? De Sienne à lui, de Sienne au lys, tout semblait dans le même plan, torturé par une perspective irrationnelle.

Comment pourrais-je vous raconter cette paix qui pendant les quelques minutes que dura la rencontre m’avait envahie, et dont je sais que je ne la retrouverai plus jamais ?

Le médecin avait constaté que j’étais enceinte de huit semaines. Il m’a demandé si je souhaitais avorter ou non. Il m’a dit qu’il serait obligé de me dépuceler lors de l’opération, mais que la naissance le ferait d’elle-même si je n’avortais pas. C’est pourquoi il s’attendait à ma réponse quand il m’avait demandé si j’avais rencontré quelqu’un. L’infirmière m’a fait asseoir ici et m’a conseillé de me détendre pour prendre ma décision. Relâchez vos mains, m’a-t’elle dit. Une heure pour prendre une décision pareille, et elle voudrait que je me calme ! De qui se moque-t’on ?

Le plan de charge de l’hôpital est complet pour les neuf semaines et demi qui viennent sauf justement dans une heure où une défection soudaine permettait d’intervenir dans les délais légaux. On a vérifié vos parents sont d’accord et ils vous laissent choisir, m’a-t’elle précisé. Ponce-Pilate avant l’heure, ceux-là.

Pour gagner du temps, ils m’ont habillée avec la tenue réglementaire. Il me reste dix minutes.

J’aimerais bien le garder, ce petit. Avec mon ami le fils du fabriquant de vérandas mon voisin, nous nous en occuperions bien, et il lui apprendrait son métier de charpentier alu. Je l’aime, le fils du voisin, nous nous marierons un jour, je sais qu’il acceptera le petit comme sien même un peu surpris car il m’aime aussi. Nous n’avons jamais dépassé le stade du baiser chaste ; la violence de nos désirs et j’euphémise, s’est toujours rompue sur notre pacte d’amour. Ne me regardez pas avec ces yeux de mérou, je sais que tous les gens du voisinage s’en étonnent et que tous les godelureaux du coin se gaussent. Nous sommes d’un autre temps, peut-être du temps du tableau que j’ai cru voir il y a huit semaines.

Un pacte est un pacte, mon ami a seize ans comme moi et il devient doucement un homme parce qu’il respecte ce pacte. Attention, ne mélangez pas tout : ce pacte là n’est pas pour autant obligatoire pour devenir homme ou femme, entendons-nous bien. A chacun le sien librement consenti, l’important est de ne pas faillir.

L’infirmière est entrée. Enfin je desserre les mains. J’avorte, dis-je d’un ton serein. Je ne vais pas imposer à l’humanité une nouvelle fois deux mille ans de christianisme.

lundi 24 avril 2006

Je me souviens.

J’ai encore laissé passer une commémoration. De celles qu’on n’a pas le droit de laisser passer. De celles qui n’intéressent personne parce qu’elle ne sont pas télégéniques, et que le commémoré n’intéresse que si peu de monde. Alors avec le retard de quelques semaines que je n’arriverai plus jamais à rattraper, voici celui dont je me souviens et qui fut mon ami.

Le jeudi 8 avril 2004.

Jean Berthier est mort ce matin.

Homme de Méditerranée, métis et fier de l’être, il se proclamait juif, nègre, kabyle et arabe. Son regard pétillant reflétait en effet toute l’histoire de la mer primordiale. Même affaibli par les contingences cruelles, ce regard est resté intact jusqu’au bout et quand la parole ne pouvait plus passer, il nous déversait sa joie de vivre encore, son amour torrentiel et provocateur.

Il est peintre. Il a croisé toute sa vie ce que le vingtième siècle a fait de bien en musique et en peinture.

Je ne sais si ce qu’il a peint, abstractions et rêves, rythmes et couleurs, se rattache à une école ou à une théorie ; les exégètes sauront mieux que moi en parler, ils le compareront à Dubuffet ou à Duchamp, par exemple, ou à Duchnock, pardon pour mon incompétence. Il n’aimait pas parler de ses tableaux. Il les montrait, il aimait qu’on les aime, et j’aime ses tableaux, les Black and Blue, les Early Autumn, les Misterioso, et tant d’autres. Il travaillait ainsi par séries, et je crois bien qu’il est le seul homme que je connaisse qui ait pu voir le jazz en peinture.

Il a d’ailleurs été connu pour ce qu’il appelait ses performances, qui consistaient à peindre en public devant un orchestre de jazz, un quartet en général, la toile devant être terminée à la fin du morceau. Je peux témoigner qu’il ne s’agissait pas d’une fantaisie superficielle, mais d’une tentative surhumaine de faire voir la musique et entendre la peinture, d’un effort physique et mental démesuré, qui lui demandait du temps avant et pas question de l’approcher alors, et du temps après où il avait besoin de nous.

Jean parfois était surhumain.

Son dernier grand œuvre est une série (encore) de collages extraordinaires, le matériau de base étant constitué des couvertures de revues de Jazz. Les fragments de titres et de visages, les regards, les télescopages, les apparentements terribles, vous font vivre un siècle de musiques improvisées, et c’est tout juste si on ne les entend pas jouer, tous ceux qui sont venus là se coller dans le cadre. Une chose est sûre : ils jouent dans sa tête, ils jouent pour lui.

Il est mort. Un passant distrait qui nous aurait croisé dans la rue l’aurait vu plus vieux que moi, mais l’enfance et l’innocence étaient de son côté et il me manque. Je ne peux rien faire d’autre que l’honorer ici et vous dire que j’aimais cet homme étonnant, rien faire d’autre qu’être avec sa femme et sa fille, et, sachant ce qu’elles doivent porter, leur faire savoir que je le sais.

vendredi 7 avril 2006

EUROPE 9. I Hate sundays.

Il y a des dimanches pires que d'autres, qui donnent envie de disparaître, des dimanches où l'on a même plus envie de disparaître, car on a déjà disparu.

Comme tout ce qui est mort depuis longtemps et qu'on croyait encore vivant.

Au soir de ces longs dimanches là, soudain on admet ce qu'on se refusait à admettre: il n'y a jamais eu de rêve, jamais eu d'ambition, jamais eu de projet, jamais eu d'avenir.

Qui veut partager quoi avec qui? Personne ne veut jamais rien partager. Il n'en coûte rien d'habiller la grille qui entoure le pré carré de banderoles aussi grandiloquentes qu'hétéroclites. La seule vérité est que personne ne veut rien partager avec personne.

Il faut un long dimanche pour le comprendre. Les banderoles ne révèlent que le mensonge de ceusses qui les écrivent et la bêtise de ceusses qui les croient. Un jour, tôt ou tard, il suffit juste d'attendre, "on" viendra, vous savez, "on", tous ces "on" avec qui vous ne voulez surtout rien partager, et "on" essaiera d'entrer dans le pré carré, et il faudra livrer bataille.

Ce sera la faute de "on", ce ne sera pas la faute du pré carré, tous les gens du pré carré vous le diront. Tous les gens du pré carré vous diront qu'ils n'ont pas voulu de cette bataille là. Nous n'avons pas voulu cela, diront-ils. Et le pire est qu'ils croiront à ce qu'ils diront.

Mais pour l'instant ils font la fête. Il paraît qu'il existe des lendemains qui déchantent. Ils existent en effet.

Il est des fêtes où rien ne permet d'imaginer la catastrophe à venir. Un raz-de-marée qui vient engloutir le beau mariage est de ces lendemains là. C'est un exemple.

Il est aussi des lendemains qui déchantent que tout annonçait, et qu'on a provoqués en toute connaissance de cause. Mais on a cru que les grilles autour du pré suffiraient.

Juste un pré carré où l'on peut à loisir sodomiser les diptères.

Première mise en ligne faite le 30/05/2005.
Puis j’ai rejoins mon buisson, par les chemins du bois mouillé.

Soyez heureux, j'en ai fini avec le référendoume, et ma colère n'est pas guérie.
Qu'il crève, direz-vous, et vous aurez raison. Il n'y aura pas de revoyure.

mercredi 5 avril 2006

Europe 8. Le premier boulevard à droite après le feu.


Il était question de renégocier, si j’ai bien compris. Mais quelle gauche va pouvoir renégocier et renégocier quoi, à partir du 30 mai 2005, quand le non l'aura emporté ? Tout le monde sait que le non va l'emporter et nous emporter avec.

Quelle gauche va renégocier? Et qui donc grands Dieux le fera ? Hollande, Jospin, ces gros nuls qui ne font rien que de la politique de droite comme ils disent tous, de la politique ultra-machin, c'est plus chic quand on est un gros non de poser ultra devant machin chaque fois qu’on ouvre la bouche.

Sera-ce Fabius, son petit cartable et sa bouche en cul de poule, lui la risée du monde entier plus fort que Chirac ?

Qui va lui donner le pouvoir de négocier? Dans l'urgence de mon énervement, j'avais tapé pourboire au lieu de pouvoir, et ce sont mes doigts qui avaient raison, là.

Le pouvoir dans la rue. Les Cégétistes vont défiler pour faire pression, c'est ce qu'ils disent et je les connais bien, en oubliant qu'aucun syndicat européen ne va suivre, eux qui votent oui. Je les connais aussi, les syndicats européens, les espagnols et les allemands en particulier, ils ne sont pas près de nous faire la courte échelle. Hombre, ach, damned !

Restent ceux que le non de tous ces coléreux de nons va laisser en place, par exemple dans leurs meubles élyséens, Chirac, Sarko, leurs amis ou qui se le prétendent. Ils commenceront par un grand merci à tous les nons pour ce fabuleux service qui dépasse leurs espérances, une élection dans un fauteuil pour l'un ou l'autre en 2007.

Dès aujourd'hui, sans même faire de plans sur la comète, on parle de Sarko comme premier ministre si le non l'emporte. Ce n'est pas une apocalypse ni un chantage, c'est une analyse politique. Les nons de Gauche feraient bien d'apprendre ce qu'est une analyse politique.

Et même si ce n'est pas Sarko, ce sera un bon petit soldat de la droite qui va s y coller, sachant la gauche en totale implosion, mettre les bouchées doubles en matière de démantèlement de notre société pour le plus grand bien de la compétitivité, une telle occasion offerte par la seule ambition de ce grand homme de gauche qu'est Fabius, et de tous ces grands combattants héroïques de la gauche que sont les nons de Gauche qui se croient encore au lendemain de la libération, face à ces sociaux traîtres du oui béni-oui-oui. Je sais bien que je fais partie de cette catégorie méprisable et qu'à ce titre vous n'allez pas tarder à m'envoyer en Chine apprendre à vivre. Vous avez l’entraînement, vous les noms de gauche, depuis les lendemains de la libération. Il y a des haines très claires à ce sujet sur la toile qui en disent long sur les nons.

Voilà, mon dernier coup de gueule, et je pars, je n'en peux plus de vos conneries, et de votre bullet in the foot. Il faut que j'arrange le fourré où je vais remâcher mon cataclysme intérieur que vous m'avez programmé pour dimanche. C'est le seul qui se produira tout de suite. Les autres seront plus lents et plus inexorables. Vous aurez tout le temps de trouver le moyen de dire que vous n'y êtes pour rien.

Première rédaction et première mise en ligne faites le 26/05/2005.