vendredi 28 décembre 2007

Des cultures mélangées #5.


5. Le désert et le tissu.



Tu vois, je n’ai pas oublié. Les quatre épisodes ont fait un petit cinquième. Je ne me referai jamais. Habiba n’a pas terminé son histoire et nous en saurons un peu plus bientôt. Mais ce qui est écrit est écrit, et ce qui lui arrivera ne change rien à ce que j’ai dit.

Je connais une Habiba voisine. Je la vois, doucement, à son rythme, presque à son insu, ne serait-ce qu’en remarquant chaque jour son voile un peu plus accroché autour d’elle, de plus en plus serré jusqu’à se plaquer à la forme du crâne à en écraser les cheveux, comme une dernière racine à laquelle s’agrippe celui qui va tomber dans la cataracte. Inévitablement, il lui échappe, son voile, il s’envole et ses cheveux trouvent le chemin de la lumière. Elle sait qu’ils dépassent et n’en resserre que plus fort le nœud ; son mari aurait pu se nommer Aziz, mari normal et c’est là le plus terrifiant, normal, ni bourreau ni fanatique, normal. Ainsi je devine qu’elle s’interroge.

Elle ne me dit rien, pensez donc, je suis un extra-terrestre pour elle et je n’ai là aucune espèce d’importance. Elle seule face à elle importe, elle doit faire seule ce chemin, dans son corps et dans son âme, et ce chemin est douloureux. Je n’y peux rien, sans regarder je le vois, je la vois qui s’y engage, en avançant un pied puis l’autre, entre rempart et précipice.

Son voile, bout de tissu si peu anodin, n’est pas un accessoire vestimentaire secondaire, mais n’est pas non plus la cible honnie à viser et arracher, le seul sujet de nos conversations civilisées. C’est bien ainsi que nous sommes, n’est-ce pas, quand nous conversons de voile.

Au bout du compte, il ne cache rien, bien au contraire, il dévoile ce qui se passe.

Je suis sûr seulement d’une chose, dans l’histoire d’Habiba, avant d’en connaître la fin. Elle est entrée dans notre monde, Habiba, elle devenue partie de notre monde, elle l’a enrichi de sa présence et de sa vie, ni plus ni moins que moi, ni plus ni moins que toi. Elle a déjà fait une bonne part du chemin parcouru par sa fille qui la guide.

Elle n’est plus fille de douar.

FIN.

jeudi 27 décembre 2007

Des cultures mélangées #4.

4. L'histoire de Malika.

Malika est partie. Elle est partie pour construire un couple, ce n'est pas un hasard quand j'écrivais qu'un couple est une décision et je savais que nous y viendrions ; qui pourra nier qu’il y a eu décision de Malika, rien qu'à imaginer tous les liens qu’elle a dû détruire en elle et hors d'elle, pour partir construire sa vie. Malika est de ce monde-ci, nommons-le comme nous pouvons, notre monde, le nôtre, l’occident, donnons lui des airs plus libres, le monde de la république et de la citoyenneté, le monde où Dieu nous laisse en paix. Ce monde est nôtre. Il n’est pas supérieur au monde sarahoui, il n’est pas du même climat et c’est celui-ci où nous sommes. C’est celui-ci où a grandi Malika. Nous sommes ni meilleurs ni pire qu’elle, nous avons la même tête qu’elle, à l’intérieur. Notre sœur.

Que savons-nous du bonheur de Malika et de ses tristesses, du voile de poussière impalpable qui lentement recouvre un monde perdu, moins qu’on croit mais plus qu’il faut : le douar vit en elle, même si elle n’en est pas et n’en a jamais été, il l’aide face aux défis quotidiens comme la parole de mère le fait aussi, à elle comme à chacun. Le douar est la parole de sa mère. Malika contient en elle toutes les batailles, gardons ce mot de culturel bien qu'un peu trop simple, batailles culturelles qu’un couple doit livrer à deux, entre eux et face aux autres.

Au lieu de l’aider, son père l’a contrainte à choisir, comme si un tel choix était nécessaire à supposer qu’il soit possible, en lui interdisant le choix. Son père a plus sûrement détruit sa propre culture ainsi que par les ravages du feu et du sang.

Il y a toujours là-bas des oasis où la vie est précautionneuse. La culture y reste vivace et forte pour qui s’y attache et s’y tient. Et s’il faut penser à d’autres voies de la raison quand le ciel se couvre et que la nuit tombe sans même qu’on le remarque, elle ne disparaîtra pas dans le changement des formes et des habitudes. Elle se mettra en boule dans un recoin de l’âme, et le moment venu saura apporter à ceux qui l’auront protégée le réconfort à des fatigues qu’on ne peut encore prédire, et parfois la réponse à des défis qu’on ignore aujourd’hui.

Les traditions et la culture sont le fruit d’une société, elle-même le fruit d’un climat, soyons simplistes. Tu changes de société, tu changes de climat, et la tradition devient prison. Mais bon, je sais, ne me le dis pas je le sais, que je suis blanc, homme, chrétien de culture mais athée de décision, et vieux, trop vieux sans doute, et qu'il m’est facile de faire le malin.

Et pourtant nous aussi, nous aurions besoin de sarahoui. La ceinture d’Aziz et nos ceintures de chasteté resteront celles qui interdisent cet ensemencement.

#5 à suivre. Je ne tiens jamais mes promesses, il y aura un cinquième billet.

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mercredi 26 décembre 2007

Des cultures mélangées #3.

3. L'histoire d'Habiba.


C’est sur Habiba que je veux écrire, et à qui ce billet très incertain est dédié. L’histoire d’Habiba est chez Marie-Laure, et là je mets un lien hypertexte, sinon comment lire ce que j’écris si l’histoire est inconnue. Vingt-quatre billets à lire à ce jour, un de plus chaque matin, comme la décision du couple vous-vous souvenez ? L’histoire d’une fillette qui grandit et découvre le monde depuis son village aux portes du désert, loin des grandes villes et des agitations du monde, mais qui autant par curiosité que soumission va partir à la conquête d’autres pays et d’autres vies.

Comment savoir s’il s’agit de conquête, vraiment, malgré toute son intelligence et sa curiosité.

En tous cas, c’est bien une histoire de différence culturelle, de traditions, d’usages, de pratiques, et c’est pour elle que je me penche sur ce destin inachevé. Je pourrais l’intituler : comment les traditions qui permettent la vie dans un monde donné deviennent prison quand on change de monde.

Mais l’intitulé est déjà une réponse à la question que je me pose, et en cela il est malhonnête puisqu’il crée dans votre tête du cerceau disponible pour vous fourguer mes idées. Allez donc faire connaissance avec Habiba Chez Trassagère. Histoire d’Habiba, décembre 2007.

Quelque chose commence à m’embarrasser dans cette histoire. Le poids des traditions, le poids de la culture, et parfois la nécessité de ces traditions et de cette culture pour vivre dans un monde donné, par exemple la limite du désert, cet espace qui me fascine tant mais impose sa loi. Mais une fois changé de monde, tout se détraque, comme le montre l’histoire, dont je suppose qu’elle n’est pas finie.

Habiba qui dispose de toutes les armes pour comprendre, n’entrevoit même pas que certaines chaînes n’ont plus lieu d’être. Mais je vais peut-être plus vite que la musique, et les filles à leur tour ont peut-être leur rôle à jouer. Au vingt-et-unième épisode de l’histoire, je ne savais pas que Malika allait entrer en scène, comme pour venir m’encourager dans mes fictions. Pour son pire, mais en sommes nous si sûrs ?

Habiba ne connaît pas ses petits enfants. Elle attend, boule de tristesse infinie et boule d’espoir infini. Elle comprend en son tréfonds que Malika ne l’a pas trahie, et que sa vie à elle, qui fut fille de douar, n’a pas été vécue en vain, et continue d’être nécessaire. Malgré sa fuite, ou grâce à elle vas savoir, le lien reste indéfectible, Malika sait et Habiba sait que de rester en attente l’une de l’autre vaincra un jour le poids de la tradition mortelle, le poids du mari qui lui, n’a pas compris, le mari Aziz, le cher Aziz puisque tel est le prénom qu’il porte, Aziz le fautif.

Il est toujours rassurant de se trouver un fautif idéal, alors je me rassure comme je peux. Pourtant je sais qu’il faudra se pencher sur lui aussi et sur sa difficulté d’être dans ce monde où il est venu, sa difficulté de savoir qui il est, sa peur de se perdre qu’il a cru conjurer à coups de ceinture sur sa fille, parce que le dragon est caché dans cette peur, celle de n’être plus, celle de se dissoudre dans le monde du climat pluvieux et noir. On ne peut pas prétendre que notre monde s’est décarcassé pour lui faire sa place.

à suivre.

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lundi 24 décembre 2007

Des cultures mélangées #2.

2. Un couple mixte.


Le blogue de toi. Tu avais abordé joliment la question de la différence culturelle par le truchement du couple. La différence culturelle vécue dans un couple. On dit parfois couple mixte. J’aime cette expression dont l’allure pléonastique dissimule une réalité compliquée ; on pourrait dire que tout couple même non mixte, est mixte, il a toujours des différences culturelles pour peu qu’on donne au mot culture un sens large. Mais sans aller chercher l’universel de principe, diluant de la pensée, je peux rester accroché à ces différences quotidiennes sources de différends, à cet exotisme de l’un pour l’autre qu’il faut savoir partager, comme on partage un paradoxe.


Ne fuyons pas ta vérité racontée, ton quotidien décrit sous couvert d’odeurs d’aliments, fruit inconnu et fromage du Nord. Bien au-delà de la différence qui attire, il est des unions de cultures fortes qui imposent une exploration quotidienne pour pouvoir durer. Durer dans le Durian.

Ouais.

Durer est une décision sans cesse renouvelée ; un couple est une décision, décision du matin et décision du soir, et même la nuit d’après si affinités. Un couple n’est pas le résultat d’une rencontre d’un soir et tout qui s’enchaîne de source, ce n’est que l’apparence du couple. Un couple est une décision, prise après réflexion ou sans, avec le temps ou dans le précipité, mais il n’y a pas de couple naturel, spontané, que seul l’amour avec un grand tas aurait construit de ses petites mains déjà encombrées de l’arc et des flèches.

De multiples fils se sont entremêlés pour amener la décision, des fils identifiés et d’autres plus mystérieux, remontant au-delà des utérus jusqu’à Mathusalem ; aucune décision en aucune matière quelle qu’elle soit n’est indemne de ces secrètes pulsions. La décision n’en est pas moins fondatrice, et personne n’aurait pu interdire de la prendre ou de ne pas la prendre, ou obliger.

Blogue de toi, tu as écrit bien mieux que moi là-dessus. Je n’ajouterai rien à tes mots jolis, et au combat féroce du Durian et du Maroilles, la terre entière retient son souffle et je compte bien qu’il n’y ait ni vainqueur ni vaincu. Je ne suis pas venu pour écrire sur un couple, sur le couple, sur le général et le particulier, même si tu le crois en me lisant. Je suis venu pour écrire autre chose et mon clavier m’entraîne loin du but. Il croît m’entraîner, il se trompe, je sais très bien ce que je fais, mes sinusoïdes balayent le territoire que j’explore.

Le moment est venu d’aller dans ce lieu du bout de ma route, ce lieu pluvieux de pluie noire et glacée, un petit pavillon de banlieue et d’exil, mais est-ce bien l’exil, le pavillon d’Habiba.

#3 à suivre.

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vendredi 21 décembre 2007

Des cultures mélangées.

1. Mes promenades à moi.


Je me promène chaque jour, trop souvent peut-être, dans les territoires peuplés des blogues. J’ai mes allées préférées, mes bancs favoris, mes points d’eau assurés. Je me désaltère au son des idées nouvelles, et des sujets imprévus. Parfois se sont des sujets rebattus qui prennent un tour nouveau, et des idées anciennes qui se colorent en nouveau siècle. Ici et là une porte est ouverte, j’entre, et je passe entre les sièges et la cheminée, personne ne me voit, j’entends de l’inouï, et des odeurs m’assaillent, un lait d’ânesse, un maroilles, que sais-je encore. Des odeurs fortes venues de loin, qui froncent et qui demeurent, longtemps après que les pouêts ont disparu. Pardon, je ne pouvais y résister.

Je ne ferai pas de lien avec ces amis blogues. Vous en êtes puisque vous êtes ici. Chacun saura ou ne saura pas, chacun cherchera s’il veut et s’il ne sait pas. Je suis le premier à me réjouir des liens qui me permettent de sauter d’allée en allée, de banc en banc, dans mes promenades, mais aussi parfois le prémâché m’ennuie, et le point d’eau n’a de sens que si l’on a soif. Un lien est une sorte d’impératif et je n’aime pas l’impératif, si commode soit-il.

Et si j’énumère, qui vais-je oublier qui va m’arracher les yeux ? C’est juste une idée à moi, je me fais les silhouettes que je veux sur les pixels qui me regardent. Un nom en passant pourtant. Je m’inquiète de la disparition du blogue de Folie et ses vents rugissants d’Antarctique. Si encore elle donnait de ses nouvelles, juste un soupir de début d’imêle, juste un œil, juste un clin. Si tu me lis, Folie soit raison une fois.

Des chemins de traverse parfois viennent changer mes habitudes, un lieu favori disparaît, un nouveau s’installe. Quelques uns sont là depuis longtemps, et si je passe peu j’en reviens content chaque fois que je fais le détour. Les fantômes bougent encore.

Pourquoi donc suis-je ici à convoquer tout ce monde, sans parler des oubliés qui me haïssent désormais ? Quelle mouche me pique ? Moi qui voulais seulement disserter sur les différences culturelles poussé par le vent d’un blogue de par chez vous, le blogue de toi, je parle de tout le monde et j’oublie mon sujet.

Monsieur le censeur, sachez que je n’oublie pas mon sujet. J’y suis, en plein dedans, dans le mille, dans la marmite même, dans le bouillonnement des différences, différence d’âge, de genre, de lieu, de couleur, de langues nous écrivons tous le français mais est-ce la même langue, il y a ceux qui sont nés à Bordeaux et ceux qui sont nés à Floirac, ceux de Boulogne et ceux de Billancourt, ceux d’Issy et ceux des Moulineaux, la plaine et la colline, le marais et la terrasse alluviale, la rue des francs-bourgeois et la rue de Turenne, le Vietnam et le Maroilles, l’Amérique de l’Est et de l’Ouest, du Nord et du Sud, Canada et Chili, et la bonne Habiba face à la France.

Voilà pourquoi j’écris sur vous. Ma besace chaque jour se remplit de ce que j’ignore, ou de ce que je crois savoir et qui soudain me semble étrange, secrets de femmes, regards d’autistes, parfum d’orient, voile virtuel parfois pire que le réel, voile mental, neige de Montréal et fleuve d’Amazonie, retour au pays et angoisse de Noël. Il me faudrait disserter savamment avec mes airs péripathétiques, mais pour être pédant il me faudrait beaucoup de temps et vos pieds légers me dépassent, ma besace déborde et les idées s’enfuient dans le caniveau.

#2 à suivre.

jeudi 13 décembre 2007

Billie, Cathie, Edie (2).


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Les terriennes ne permettent pas que l'on se taise. Mes chanteuses sont des terriennes.

Les chanteuses. Toutes les chanteuses. De Suzy Delair à Elizabeth Kontomanou. De Bessie Smith à Axelle Red. De Cora Vauquaire à Céline Dion.

Non. Pas Céline Dion.

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Pouf pouf. Je recommence.

De Cora Vauquaire à Émilie Loizeau. Toutes les chanteuses ou presque. La dernière en date qui est tombée dans mon escarcelle est Stacey Kent.

Deux mots nécessaires qui chaque fois me mettent au pied du mur, lorsqu’elles me chantent à l’oreille : sensualité et précision. De Rose Murphy à Marilyn, en passant par la Lorraine (Patricia Kaas) et par l'Égypte (Natacha Atlas). Par l'Azerbaïdjan (Aziza Mustapha Zadeh). En veux-tu en voilà, des noms des noms des noms.


♥♥♥♥

Une marée de chanteuses sensuelles et précises, autour de moi, qui me soulèvent et m'emportent, dans tous mes états. Lesquelles pourrais-je sans honte oublier de citer, lesquelles ne pas choisir. Juliette la Greco, Juliette tout court, Marianne James, Aretha, Callas, Berganza, il ne faut pas les oublier les grandes voix de l'Opéra, non, pas Stich-Randall ni la Tête Noire, il faut bien en écarter quelques unes au risque de défriser Kozlika, mais je garde Reri Grist et Crespin, bien au chaud contre moi, je garde Barbara et la Thebaldi, Ella Fitzgerald dois-je même le dire, la Vaughan, Vaune pour qui l'aime, bon j'arrête.

♥♥♥♥

Autant dire de qui je ne veux pas. Piaf par exemple. Ce n'est pas la même galère, mais rien n'y fait, rien de rien non je ne regrette rien. Sylvie Vartan. La poupée de cire. La plupart des poupées de cire qui passent et partent, et les gonflettes du jour, ou de la veille. Gros seins et voix d'anorexique, ou voix tonitruante de pacotille. Pas de précision et pas de sensualité. De la pornographie musicale. Je ne nommerai pas davantage.


♥♥♥♥

Je ne les mets pas dans le même panier, celles qui ne me font rien. Mais elles ne me font rien, voilà tout. Et je garde toutes les autres, de Françoise Hardy à Victoria de Los Angeles.

Un jour, je vous parlerai des chanteurs. Aussi.

Posté en commentaire de Clopine le 11 décembre 2007 à 00:00

mercredi 12 décembre 2007

De l’amitié de Bouteflika et de la compromission avec Khadafi.


Sur son blogue, mon amie Oxygène la plus méditerranéenne des guyanaises a déploré, au sens fort du terme, les attentats d’Alger. Elle a notamment remarqué que nombre de victimes étaient des étudiants ce qui n’est pas dû à la fatalité du hasard aveugle.

Si tu veux lire Oxygène, tu vas voir ...là-bas... si j’y suis.

Leeloolene ajoute ce commentaire:
« Quelle tristesse que cet attentat... Quelle horreur surtout. Rien de tel pour déstabiliser un pays qui retrouvait peu à peu un peu de calme. Je viens de lire quelques articles dessus. Comme tu le dis, ils savent exactement qui cibler pour en plus du drame humain, détruire aussi une certaine élite comme une sorte de mise en garde. Atroce. Chez nous... heureusement ça ne se passe pas comme ça hein... on sort juste le tapis rouge à un ancien terroriste... à L'Élysée et tout et tout. Ah qu'il est beau ce monde ! »
Fin du commentaire.
Le commentaire me souffle ce billet qui apparaît aussi sur le blogue d’Oxygène

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L'Algérie ne retrouvait pas le calme. Elle n'a jamais "retrouvé peu à peu un peu de calme" ; tout au plus nous l'a-t'ont fait croire en encensant Monsieur Bouteflika. La vérité est qu'une chape de plomb a été posée pour faire croire que c'était en train de devenir calme, et qu'aucun journal d'ici ne s'est avisé de nous révéler la supercherie. l'Algérie n'a jamais été calme, et les violences qui y règnent ressortiront au grand jour, le soir d'un matin calme.

La vérité est que quelques investisseurs se sont précipités chez Monsieur Bouteflika pour faire de bonnes affaires, au risque de la vie des "volontaires" qui travaillent là-bas pour ces affaires. Pas la vie des investisseurs bien au chaud sur les Champs-Élysées, mais la vie des "volontaires", qui travaillent encerclés de barbelés et de milice armée jusqu'aux dents pour leur sécurité (encore heureux, mais bonjour l'ambiance).

On ne sait jamais qui est dans la milice.

Et les premiers visés, naturellement, sont ceux qui apprennent à penser, et qui pourraient bien se mettre à penser de travers, comme le remarque Oxygène, les étudiants algériens.

Bon. Ceci dit, ne mélangeons pas l'Algérie et la Lybie. Oublions un peu le vilain Monsieur Kadhafi. Il n'est pas productif de crier à la compromission, qui me semble en outre bien moins manifeste qu'avec Monsieur Bouteflika. Je n'aime pas du tout notre équipe aux manettes, ses spadassins, ses menteurs, ses sabreurs ; ce ne m'est pas une bonne raison pour hurler au loup à chaque poignée de main un peu suspecte. Et je garde ma liberté de rester silencieux devant la venue de Monsieur Kadhafi sans me donner une bonne conscience de facilité en me souvenant ostensiblement du passé récent.

J'évite la pose. Ce qui n'empêche pas chacun de devoir lui dire son fait et de le fuir ostensiblement à l'Assemblée. Une bonne leçon aurait été un hémicycle désert. Il ne faudrait pas, sous ce prétexte de la bonne conscience et de la posture de commandeur, tomber dans le piège où est tombée l'Amérique à vouloir faire la guerre à Saddam Hussein.

Seuls les peuples opprimés sont habilités à chasser leurs tyrans, et nos leçons de droits de l'homme leur font une belle jambe. Notre rôle, s'il existe, est au mieux de les aider dans leur combat s'ils nous le demandent et seulement dans ce cas, et s'ils sont assez organisés pour nous le demander et pour que l'aide soit vraiment utile; à défaut, jamais nous devons nous mêler de ce qu'ils font et peuvent faire.

Nous ne sommes pas les grands libérateurs extérieurs que notre arrogance s'imagine être, nous ne sommes pas Zorro, et chaque fois que nous l'avons cru nous avons laissé derrière nous plus de champs de ruines que de champs de blé. Les peuples opprimés n'ont jamais gagné à voir leurs dictateurs mis à l'index, bien au contraire. Il faut malgré tout, obstinément, y compris pendant les rencontres "amicales" avec ces dirigeants honnis, rester lucide sur ce qu'ils sont, et sur ce que peut-être ils peuvent devenir. Un des arts de la politique internationale est aussi de réussir à faire changer certains états, à travers ses représentants même les plus inquiétants.

Voyons Arafat en son temps.

L'Histoire et l'actualité en montre, de temps à autre, un exemple. Evitons simultanément de nous gargariser de leur amitié trop vite, et là je pense en effet à Monsieur Bouteflika, trop encensé par chez nous au point que l'on en arrive à croire qu'il a fait la paix en Algérie, ou à Monsieur Ben Ali, ou quelques autres dont la liste est malheureusement trop longue.


Rédigé le 12/12/2007

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mardi 4 décembre 2007

Billie, Cathie, Edie (1).

Commentaire chez Clopine (chanteuses)

Bonjour.

Ma Clopine a sévi. Tu la connais, ma Clopine, je n’ai pas besoin de te la présenter. Elle énerve, elle titille, elle agace, c’est pourquoi je fonds en la lisant. Je n’ai pas envie de la contredire même lorsque je ne suis pas sur son fil de rasoir, en sens inverse, il qu’il devient nécessaire de se croiser, de croiser le fer. Alors je ruse, je m’use, et j’accrobatise le croisement pour me retrouver de l’autre côté sans trop déranger la belle ordonnance de son discours, car il le vaut bien.

Elle a décidé de mettre dans son panier, en osier garanti pur bio entièrement fait à la main, trois chanteuses que je n’aurais jamais pensé regrouper. Pour me parler de Catherine Ringer qui a bien du mal à cacher son chagrin. Alors tu fais ce que tu veux, tu peux aller voir chez elle, et ne pas revenir chez moi, tu peux rester ici sans savoir ce qu’elle a raconté qui me fait raconter, tu peux te sauver à toutes jambes pour échapper aux fous que nous sommes.

Voilà, sauve-toi, Lola.


♥♥♥♥

Diantre. Vous mettez dans le même panier Catherine Ringer, Billie Holiday, Édith Piaf. Je n'aurais jamais osé ce truc. Avec vous je m'attends à tout et je ne suis jamais déçu, même si parfois je trépigne. Mais là, non. Tout va bien, et pour saugrenue qu'elle paraisse, elle est riche de possibilités. Vous en avez extrait tout un billet où je me reconnais bien.

Je vous dois quelques nuances cependant, et un préalable absolu indispensable pour me comprendre : je n'aime pas Édith Piaf, mais alors vraiment pas. Le surjoué que vous évoquez me vrille, le pathos dégoulinant m'englue, et je ne parviens pas à trouver le moindre commencement de second degré dans sa présence, il n'y a pas de second degré. Je n'aime pas la voix tonitruante, sans nuances, sans ces amortis et glissandos à glisser dans le dos, et je m'ennuie en l'écoutant, ce qui est encore pire que le reste. Le péché mortel est d’ennuyer, ce qui est ma spécialité, mais ne devrait pas être celle d’une chanteuse.

Certains airs sont pourtant beaux, et de les entendre chanter par d'autres me les fait enfin découvrir (exemple : la foule, par Édith Lefel). Encore Édith, mais Madame Lefel était une fervente de Piaf, et ignorait à quel point elle la surpasse.

Voilà pour l'une. Voici les deux autres.

♥♥♥♥

Je suis un amoureux de Billie Holiday depuis la première seconde où j'ai entendu sa voix. La première seconde, oui, j'avais fait très fort cette nuit là, j'avais posé le diamant sur la plage, en fermant un œil pour mieux viser, et la plage était "strange fruit", insu de moi mais fichu pour la vie. Clopine, tu reconnaîtras que les paroles de cette chanson vont au delà de la ritournelle.

J'aimais déjà le jazz à cette époque mais, très branché free jazz alors comme aujourd’hui, ce n'est pas le subtil balancement du middle qui m'a plu, mais vraiment et uniquement le timbre de ce son absolu, irremplaçable, inimitable, le placement de sa voix sur le (non) rythme, vous l’entendez Clopine cette erreur minuscule qui donne le frisson à chaque mesure dans le tréfond du tempo, et ses fins de phrases à déchirer la partition, comme Ella casse les verres.

Bien plus tard j'ai appris le jeu extraordinaire de ses complices, Lester en particulier, et l'amour a cru en force et en exclusivité.

Madame Catherine Ringer va avoir du mal à trouver sa place ici. L'atmosphère est plombée, et si j'ajoute que je n'aime pas les rythmes binaires, le "rock" et presque toute la bouillie qu'on empile sous ce nom, les guitares saturées et les mélodies limitées, la voilà mal partie pour passer l'arc de triomphe.

♥♥♥♥

Que nenni. Comme avec Billie, dès la prime écoute des Rita Mitsouko, j'ai aimé. Allez savoir le mystère, tout était réuni pour que non, eh bien oui. Les histoires d'amour finissent mal, qu'elle disait la dame qui chantait, et ce mélange d'affirmation péremptoire sur fond de moquerie a traversé les barrières mentales qui protègent mon cerveau de ce qu'entendent mes oreilles. Sur une musique pas si mécanique que d'habitude, ou plutôt tellement mécanique qu'elle en redevenait intéressante, une mécanique poussée à bout, et non une mécanique d'automatisme. Un V12 de formule 1 et non un V8 de voiture américaine.

Je l'ai guettée au virage suivant, le prochain morceau serait la soupe habituelle j’en étais sûr. Que nenni bis. Alors j’ai installé madame Ringer dans mes favorites. Et même si la compagnie choque ces messieurs sérieux de chez Assouline, vous avez le droit chère Clopine puisque je l'ai fait aussi, de l'asseoir à côte de Billie, d'Ella, de Madeleine, de Sarah et d'Abbey ? Ce sont mes grandes à moi, dans cette catégorie. J'en aime d'autres, mais ce sont les grandes, ici.

Je ne vous ai pas écrit sur Barbara ou Juliette G. ou Colette M. ou sur bien d'autres, qui ne sont pas de cette catégorie. Les chanteuses à texte, dirait-on avec un brin de négligence, et parmi lesquelles j'ai aussi mes grandes. Mais il ne faut pas tout mélanger, et nous sortirions des limites du comparable.

Bonne soirée, Clopine. Vous m'avez donné l'occasion d'un long commentaire, que je vais derechef mettre en billet chez moi.


- à suivre #2.

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lundi 3 décembre 2007

De l’espoir dans les cataclysmes.


Texte d’un commentaire posé chez Oxygène au sujet des orpailleurs de Guyane.

Le 3 décembre 2007.

Il y a parfois, dans la description d'un naufrage, des infimes détails auxquels un infime espoir peut s'accrocher.

Je l'avais vaguement ressenti lors de mon périple américain, dont la relation n'est pas encore finie paresseux que je suis. Un récent voyage au Mexique, en terre indienne, l'intérieur du Yucatan, hors des autoroutes à autocars, et les écrits canadiens qui vont et qui viennent au gré des saisons, ajoutent encore des indices à ces détails.

Marie-Guyane nous en remet encore un peu, dans sa dénonciation d’un Etat indifférent sinon complice, qui doit probablement avoir une tendresse pour les mafias orpailleuses, qui chacun le sait travaillent plus pour gagner plus ; objection, elles FONT travailler plus, mais c'est la traduction usuelle du slogan gagnant n'est-ce pas ?

Je m'égare. Revenons à l'infime espoir. En tous ces territoires confisqués par les zépopées séculaires des européens des grandes découvertes et de la conquête de l'Ouest, qu'il soit Canadien, Zétazunien, Mexicain, plop plop plop jusqu'à descendre au sud du Chili, les indiens ont été les grands perdants. Leurs civilisations englouties, leurs hommes massacrés, leurs femmes emportées, leurs enfants confisqués.

Il est déjà extraordinaire que certains de ces peuples survivent encore, certains d'entre eux au moins, quelques uns ont bel et bien disparus. Là survient l'infime espoir. Après avoir été victimes des rapts, des viols, des massacres, des conversions forcées, de l'enseignement dominicain ou franciscain bien-pensant, de la destruction des fétiches sacrés et quotidiens, les voici victimes de l'oubli. Et cet oubli, ils commencent, lentement, mais tous ces signes que j'ai vus ne trompent pas, du Pérou au Nunavut, et des Sioux aux Mayas, en passant donc par les Wayanas et les Quechuas et les Shoshones, et tu me permettras de ne pas allonger la liste pour ne pas ennuyer (prétexte) et parce que j'ai dit tout ce que je savais (la honte), sauf Algonkin mais c'était la bonne bouche, ils commencent tous à en faire leur salut, ou plutôt, n'allons pas trop vite en espoir, leur début de commencement de tentative de renaissance.

L'Etat français les néglige et va fricoter avec les mafias ? Ils vont installer un péage pour leur compte ; l’Etat mexicain ne passe plus voir les pauvres mayas perdus et se moque de leur éducation, de leur santé, de leur confort, ni route ni électricité ni école ni hôpital ? Une hiérarchie renaît qui organise le village, le groupe de village et les dépendances, avec écoles à même le sol, dispensaires de fortune, chemin cahoteux, et paraboles à satellites, holà oui aussi la parabole, métaphore et réalité ; et les indiens du fleuve abandonnés des gendarmes peu à peu apprendront à se défendre contre les mafieux lourdement armés, ils s'armeront à leur tour et la forêt est leur alliée. Voilà l'espoir que je retire de ce que tu me racontes derrière ta colère, Marie-Guyane ci-devant Oxygène.

J'ai le droit de te nommer comme je veux. Non ? Oui ? Attention, je sais me battre en duel. L'arme sera l'écriture.

Je reviens au vent nouveau et aux mayas, par exemple. Leurs villages perdus dans la forêt étrange du Yucatan revivent comme si la main d'aucun espagnol n'avait pis le pied dans le coin, et les liens détruits entre villages semblent, doucement, se réanimer dans l'indifférence coupable mais bienvenue des investisseurs touristiques de la riviera Maya de Cancun et ses parages ; mais ils n’ont pas oublié, eux, le passage du conquistador, ils en savent la nuisance, ils en ont découvert les secrets. Alors ils construisent bien à l’écart et sous la parabole. Si les roulements de mécaniques des indiens du Chiapas et son sous-commandant se voient à la télé, la vraie renaissance viendra du silence de la forêt aux jaguars.

J'ai senti ce vent nouveau dans les baraques installées de Navajos en Arizona, dans les ondulations des herbes de Wounded Knee d'où me regardaient une jeune femme et son enfant aux yeux noirs brillant, dans la première victoire internationale que représente la création du Nunavut, peu célébrée dans le monde et si essentielle pour son devenir, au monde, dans l'arrivée au pouvoir d'un Evo Moralès, peut-être un peu trop instrumentalisé, mais pourtant porteur symboliquement de ce renouveau, même s'il peut arriver qu'il finisse par sombrer dans les entortillements de la politique des états inventés.

Les conquérants ont détruit les peuples indiens à trop s'intéresser à eux et à leurs terres. Qu'ils commencent à les oublier, et l'espoir revient. Il est trop tôt pour prédire, mais il est temps de frémir.
à Oxygène et à Moukmouk. Cadeau.