lundi 21 juillet 2008

La légende de Joséphine de DEHAIX.

1. Il avait fallu tirer au sort. Chacun avait sa liste, ses préférences, ses ruses, et décider autre chose aurait ruiné tous les bons plans qu’il tirait sur sa comète. Malgré l’inévitable histoire de chacun, nous ne pouvions pas ne pas choisir, nous ne pouvions pas aller partout ; tout le monde parlait parlait, et devant le tohu-bohu de ce que appelions encore une concertation, de sa voix chaude et dominante qui la rendait reconnaissable même à qui était loin de celui qui lui téléphonait, Joséphine a dit : « et si on tirait au sort ».

2. On, justement. Qui est hon ? Hon fit le tirage au sort dans quelque arrière-salle obscure avec quelque comploteuse émérite à la chevelure foisonnante, et le résultat s’avéra tellement cousu de fil blanc que nul ne douta quel était ce sort et qui était hon. Il s’ensuivit un pur moment de Rock’n Roll, un grand tapage de revendications et de protestations, chacun réclamant qui d’aller à Cythère et qui à Mieux-mieux, un déchaînement que la légende colporta à travers les siècles jusqu’à aujourd’hui. Mais la règle est la règle et l’huissier commis d’office mis bon ordre à la tempête : ce fut le voyage de Joséphine qui tomba des dés et du dais où elle paressait, rêveuse et l’air de rien.

3. Elle était bien la seule du groupe à ne pas tenir spécialement à ses envies de voyage. Quelque chose, ou quelqu’un, la retenait sur l’île ; mais elle avait appris que le meurtre de Samedi-Gloria avait été élucidé dès la Trinité, et qu’il lui fallait partir pour son salut et d’autres saluts, pour que la vie garde un sens ou le retrouve. Alors elle s’était prêtée de bonne grâce au jeu du voyage et avait sagement placé son château dans l’escarcelle du sort. Une façon de poser la vacance sur son vide, mettre la distance pour rapetisser la peur. Dormir, longtemps longtemps, qu’aucun prince ne vienne poser son nom, qu’aucun NOM ne s’y prétende prince. Ne restait plus que le sort pour en décider, et il décida. Enfin, Hon décida.

4. Tout le monde a donc suivi Joséphine ; On traversa les Océans, on conquit les continents, on vint aux portes du château qui attendait. Il ne fut plus question d’Île Mystérieuse ou d’Est d’Eden, et le monde selon Garp dut aller se rhabiller, le sort en avait décidé ainsi. Joséphine pourtant gardait derrière la joie de façade son air triste. Tous croyaient qu’elle aimait rester seule et pourtant elle m’a dit un soir, mais est-ce moi qui l’ai rêvé, je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part.

5. Elle avait bien su le choisir, le château. Derrière la végétation déjà dense et non loin du grand fleuve qui suit le beau pays d’ardoises, on devinait l’enchevêtrement des tours et des toitures. Un peu isolé, et nous étions plusieurs à maugréer en le voyant, elle souriait en nous entendant ainsi, nous la bande des pécharmants comme elle nous appelait, Joséphine. Je n’ai jamais su pourquoi. Nous protestions que les magasins étaient à perpète comment trouver son paquet de nocif, juste un petit Tours répondait Joséphine, nous pleurions que les broussailles nous écorchaient le tympan juste un petit sourd moquait Joséphine, et nous tremblions que cernés comme nous sommes par rien il nous faudra cent ans pour ressortir pars vite et reviens tard rétorquait Joséphine.

6. Elle savait très bien que derrière nos grands airs nous étions enthousiastes de l’aventure. Elle savait très bien qu’elle nous emmenait au monde du silence, le monde de son silence où elle voulait se rouler en boule entourée de nous, pour panser des blessures que nous ignorions quand nous croyions à un coup du sort. Peu à peu nous avons cessé de chercher le nocif, et sous son regard attentif et attendri nous nous sommes endormis dans les longs corridors. Seule face à elle-même, la pesanteur qu’elle avait traînée dans son ventre jusqu’ici s’est lentement désagrégée, s’est imperceptiblement répandue dans les escaliers, chassée par le flux léger de nos respirations. Joséphine, sous les armoiries poussiéreuses et les dorures ternies, se vit flotter vers la chambre de l’impératrice et se trouva allongée sans vraiment s’être couchée ; le vaste baldaquin la contempla du haut de ses brocards, et Joséphine, enveloppée de l’insoutenable légèreté de l’être, enfin, s’endormit.

7. Epilogue. Le silence dura cent ans. Les broussailles gagnèrent toute la contrée jusqu’aux rives du fleuve, et je vous raconte cette histoire aujourd’hui parce que j’avais déjà repéré la légèreté que le sort ne m’avait pas attribuée et que je l’avais introduite dans le château par une porte dérobée.

Je ne sais pas si l’histoire finit. La légende vous le dira, j’ai encore sommeil.

lundi 7 juillet 2008

INGRID

INGRID


J’avais répondu très longuement à quelques commentaires posés sur le plaidoyer pour Ingrid. J’ai eu envie de reprendre la réponse un peu brouillonne et de la transformer en billet. Un peu d’ordre, quelques corrections de formes, et voici.

Je suis heureux de la libération d'Ingrid Bétancourt. Je n'y croyais pas trop, et je restais plutôt dans l'état d'esprit d’inquiétude fataliste, devant l’inexorable avancée de la bêtise simultanée des FARCs et des militaires Uribéens. Ainsi l’avait aussi ressenti Loïs.

J'avais surtout cette idée que les rodomontades militaristes d'Uribe allaient à l'inverse de leurs objectifs, de même d'ailleurs que les FARCs, qui avaient perdu à mes yeux toute légitimité dans leur faux combat, et étaient devenus rien de plus que des mafieux parmi d'autres. Et ce depuis fort longtemps, et indépendamment du sort réservé à Ingrid Bétancourt. Le seul fait de recourir à des otages avait révélé leur véritable nature, aggravée d’une incompétence manifeste dans l'art de faire accepter les faits d'armes par les opinions publiques locales et internationales. Il en est ainsi quelle que soit la cause qu'on défend et quels que soient les otages dont on se saisit, civils passés là par hasard, militants de la cause adverse, paramilitaires au lourd passé, ou, comme c'était le cas ici, militante d'une cause qui aurait dû être commune au départ.

Je veux bien, à l’extrême rigueur, accepter qu’il n’en était pas ainsi au début, et que les rêves des jeunes guérilleros étaient nobles. Ils n’ont pas su éviter la dérive, trop fréquemment rencontrées de par le monde pour ne l’attribuer qu’à des contingences locales.

Leur combat est perdu d'avance et la seule incertitude est le nombre de morts qu'il faudra pour le voir cesser. En réalité il a déjà cessé, et la libération des paysans n'a pas besoin des FARCs, bien au contraire. Reste la cocaïne, l'argent sale, et les soldats perdus qui ne savent plus ce qu'ils sont, restent d’autres otages qu’il ne faut pas oublier.

Restent quelques imbéciles qui font la moue devant la libération d'Ingrid Bétancourt, au motif que ce ne serait pas un évènement politique, au motif que la dame est sans importance, au motif que les affaires familiales ne nous regardent pas, au motif que cette libération donne du prestige à Uribe et, pourquoi pas, à Sarkozy.

Pour Sarkozy, et malgré les remerciements de la dame à ce Monsieur, je pense que c'est à la France, à nous dans notre modestie multiple, qu'elle s'adressait, ne la bafouons pas par un mépris de mauvais aloi et d'arrogance insupportable. Pour Uribe, je reconnais bien volontiers avoir sous-estimé ses capacités à prendre en compte les échecs passés, et pour autant je ne lui donne pas un blanc-seing pour sa politique. Je note cependant son actuelle popularité, et je me dois de la respecter, si je veux contribuer à ce que la Colombie devienne, lentement, une démocratie.

Il est des gouvernements de droite et affiliés aux américains qui peuvent, par le fait des évènements, prendre un virage démocratique presque à leur corps défendant, et c'est peut-être ce qui arrive.

Ingrid n'est pas une femme d'importance méprisable par nos ridicules arrogants aux pensées de marée basse des blogues d'ici et là, elle est devenue, et elle se serait bien passé de ce chemin pour y parvenir, une voix majeure dans le concert des nations, une voix majeure de la Colombie, qu'on le déplore ou s'en réjouisse.

Ne me dites pas idolâtre ; ses gesticulations religieuses lourdes et papales m'agacent déjà. N'empêche, je ne retire rien de mon admiration, ou plutôt, de mon respect pour elle et ses idées, quant elle deviendrait un jour une alliée d'Uribe en Colombie, ou pire, un porte-voix de Sarkozy pour remonter ses bretelles de popularité défaillante.