dimanche 26 octobre 2008

SOUFFLER N’EST PAS JOUER.

Encore un aveu qui coûte cher à mes chevilles : je ne jouerai pas au cinquième et dernier jeu de la quatrième session du diptyque d’Akynou. Ne prends pas ta plume pour écrire un mot, il n’y a de lune qu’au dernier bistrot, a dit le poète. Cette photo m’a sauté à la gorge à peine vue, et je ne peux me débarrasser de ce qu’elle m’a injecté, comme une sorte de poison remontant à l’une de mes vies de chat antérieur. Elle ne lâche plus la trachée, c’est dire que je n’en peux rien dire, il ne me reste qu’un doigt pour parcourir le clavier en tous sens.

J’aurais pu. Par exemple, lire tout ce qu’a écrit le joli monde de l’or calmant, picorer mine de crayon de rien une idée de ci d’au-delà, passer le mixeur et servir frais l’air innocent. J’ai déjà fait le coup. Non, j’ai pris soin d’éviter les parages de la salle de jeu et les blogues d’origine. Je suis tombé par hasard alors que je butinais ailleurs sur le dernier billet de Lyjazz, trop récente pour que je méfie, et comme la photo n’apparaissait qu’à la fin j’ai lu. De toute façon, si tu lis le début d’un texte de Lyjazz, tu es obligé de tout lire. Voilà la seule tricherie de mon insu, et le joli billet lu me reléguait définitivement dans ma coquille.

J’aurais pu aussi décrire la sensation d’une photographie agrippée de ses griffes à ma pomme d’Adam. Alors c’en était fini de mon image longuement polie d’Andrem, du Moine pompeux sans qui l’ennui n’aurait rien à se mettre sous la dent, du voyageur qui baguenaude parmi ses rêves en oubliant ce qu’il voit, du donneur de leçons empêcheur de commentir en rond, du bavard importun qui piétine les tapis précieux des salons où vous causez juste le temps d’y laisser l’empreinte de ses bottes embouées. Par simple jeu, aurais-je pu détruire une statue si solennelle ?

Que non, que diable. Je ne dirai donc rien. Je ne dirais jamais à quel point cette photo me plonge dans un gouffre de sexualité, ce gouffre interdit de l’orgasme féminin ; dans cet instant magique et terrifiant auquel la plupart des hommes ont assisté quelques fois dans leur vie, cet instant où ils deviennent spectateurs et accompagnateurs d’une métamorphose de la femme qu’ils aiment juste le temps de cet instant et parfois pour le reste de leur vie, métamorphose qui les dépasse tous deux.

C’est beaucoup trop intime pour que j’en parle. Approcher ainsi au cours de sa vie un secret que nous ne saurions jamais découvrir, le secret du grand abandon de la petite mort, ce moment d’éternité où la femme cesse d’être elle-même pour devenir monde et pas seulement son origine ; oubliée l’origine, oublié le temps, emportés dans les torrents.

Même les pavés des rues se mettent à tournoyer tous en chœur et en cœur, et l’homme qui passe jette un œil inquiet. Pour se sauver de sa peur, il se répète et le répète, je possède je la possède, pauvre refuge illusoire ; ou alors, il se retire vite fait dans son capuchon, il sort du tourbillon, il ne saura jamais les senteurs du tréfonds, du fin fond, là où gît le secret.

Les hommes ont si peur qu’ils tentent d’endiguer la vague. Ils construisent des dalles si bien alignées qu’elles restent de marbre, ils creusent des caniveaux qu’ils n’oseront jamais appeler rigoles, et ils prétendent ainsi canaliser le destin. Ils se réfugieront dans l’orthogonalité froide comme pierre et métal. Ils n’auront pas pensé au grès qui fond dans la main avant de se fracasser d’une belle parabole ventrue sur un casque médusé.

Les hommes ne sauront jamais qui était cette rivière asiatique que j’ai aimée dans ma sixième vie, je ne le sais pas non plus. Vous comprenez maintenant pourquoi il est hors de question que je vous raconte cette photo, pourquoi j’y suis perdu.

Je ne dis rien.

lundi 20 octobre 2008

Un film à la télé

Fr3 - dimanche soir. Round about midnight.

C'était un film sur Pigalle et ses couleurs, multiples et souvent sombres. Et tout était bien montré, sans voyeurisme ni complaisance ce qui est extraordinaire pour un tel sujet à la télé. Je suis resté ému et intéressé, simplement saisi du besoin de comprendre ces choses si banales et qui pourtant m'échappent, être stripteaseuse, être alcoolique sans retour quoique parfois si, être patron de boîte, ou videur à la porte d'icelle.

Paillettes et envers du décor, paillettes parfois plus tristes que l'envers où l'humain trouve son chemin entre deux répliques, deux colères, deux portes, deux réunions. La copine indestructible qui craque un court instant face à l'indifférence des choses, au poids du quotidien, l'alcoolique désespérant qui part se sevrer chez les moines mordicus, le videur Carlos qui se tue au volant de la première voiture qu'il avait achetée au lieu de la voler comme d'hab. Je crois bien qu'il se nommait Carlos, le gars de l'entrée de la boîte.

Le patron attentif à ses filles, est-ce une tricherie du film, un piège où je suis tombé, attentif plus comme un père qu'autre chose, je rêve ou quoi ?

Et quoi ? Pourquoi ne pas rêver, pour peu que l'on connaisse un peu la face sud de la colline, terre de contrastes au microclimat particulier inconnu des météorologues.

Nous y passons souvent, 'Aliénor et moi; pour y prendre un peu d’Oxygène rares dans les banlieues chics et mortes. Je marche distraitement plus vite qu'elle. Ainsi je fus aguiché par une de ces dames. Rabrouée par Aliénor qui soudain s'est retrouvée à ma hauteur me délivrant de mon embarras mais oui, la dame a rougi comme une midinette au dessus de son décolleté impressionnant, elle s'est excusée d'une petite voix de petite fille plus embarrassée que moi. Je ne suis pas certain qu'il en aurait été de même ailleurs.

Moralité : marche lentement qui le fait exprès.

Un an plus tard, il termine sur ce qui perdure (la lutte pour les enfants), ce qui réussit (l'alcoolique ne boit toujours pas), ce qui s'est arrêté (la boîte), celles qui s'acharnent à se faire une place, à être. Le film a eu cette politesse rare de donner du temps au temps. De quoi me réconcilier avec la télé, enfin presque, il ne faut pas exagérer non plus.

Je cause je cause, et je ne m'occupe pas de la photo à raconter. Alors à bientôt en place publique pour un cinquième numéro. Si je peux.

Ce billet n'était pas un jeu mais juste une réponse place des abbesses, ou non, mieux, place Charles Dullin.

mardi 7 octobre 2008

Arrêt sur image.



Je me sentais bizarre ce mardi matin. Je me souviens, c’était un mardi sept. Sept comme les piliers de la sagesse, les doigts de la main, les dix commandements. J’avais rêvé que j’avais arrêté le temps comme on casse la voix, comme on met le feu, et je m’étais réveillé bizarre.

A vrai dire, j’ai l’habitude de me sentir bizarre le matin ; je n’aime pas me dévêtir trop vite de ma brume de sommeil. C’est pourquoi je ne prends jamais de café avant d’arriver au bureau. Entre mon petit lever et l’entrée dans le néon de mon deux-modules, je traverse la vie et la ville dans une sorte de poursuite de la nuit.

Rien n’y fait. Ni la douche bien tiède, qui a dit froide veut ma mort subite, trente-sept deux le matin, ni le bol de céréales en un soigneux mélange de graines assortis de ma blanche main entièrement récoltées à la machine, ni le petit trajet frisquet le long du boulevard jusqu’au garage, ni le trajet pensif avec Ali Badou et ses complices de mon garage à leur parking, ni l’ascenseur et ses amabilités matinales si quelqu’un s’immisce en route, ah salut – silence – allez bonne journée, rajouter dans le milieu du silence ça roulait bien ce matin si je tombe sur un chef, ne jamais être négatif, et le chef continue vers les étages supérieurs guettés par les boeings.

Je suis réveillé, enfin presque. Deux-mille-trois-cent-douze étiquettes jaunes collées la veille sur les murs autour de ma table par moi-même me rappellent le travail qu’hier j’ai reporté au lendemain. J’en prends une au hasard.

Aujourd’hui, tiens j’y songe, personne ne s’est immiscé dans l’ascenseur. Oui, je suis réveillé mais mes pensées restent décousues. C’est de naissance et le café n’y pourra rien. L’étiquette, tu ne voudrais pas que je l’innommasse post-it quand même non, me signale que je devais faire un tour au dépôt. Je finis mon café et j’en reprends un second tiens, capsule violette, Arpeggio mais très long, il ne faut pas brusquer monsieur Stomaco, puis j’enfile mon blouson réglementaire avec bandes réfléchissantes appropriées comme dit la norme, et bottes à coquilles.

Je reprends l’ascenseur, je suis soulagé de n’y rencontrer personne, je suis encore trop bizarre pour parler même en banal de chez commerce. Touche zéro, rez-de-chaussée. La demoiselle de l’accueil doit être aux toilettes, à cette heure elle est encore seule à ce poste. Je fais le tour de la bâtisse en métalébéton et je me dirige vers la barrière du dépôt. Soudain, je comprends.

L’émission d’Ali Badou répétait exactement celle de la veille ; les voitures du trajet peu embouteillé étaient toutes arrêtées éparses ; il n’y avait personne dans l’ascenseur, oui, mais personne dans les bureaux non plus, personne dans le service, mon service, il n’y avait pas d’hôtesse d’accueil. Et là, devant moi, devant l’entrée du dépôt, huit individus tibulaires cinq hommes et trois femmes étaient statufiés, comme figés dans la posture où ils avaient été saisis.




Depuis ce matin, j’étais dans une photo et je ne le savais pas.

.Crédit photo: bladsurb

lundi 6 octobre 2008

Je hais les draps de soie

Merci pour le titre, Akynou.


Trop forte, la série des textes. J'ai du retard, comme quoi les dames n'ont pas seules cette faculté. En fait, c'est la panne blanche de la feuille, dans de noirs draps, je n'avais même pas remarqué qu'ils l'étaient.


Alors, plutôt que me raccrocher au tissu trop soyeux pour me sauver du précipice, je me précipite dans un commentaire d'avant midi à quatorze heures, histoire de ne pas être en retard, faute de texte.

De toutes façons, je hais les draps de soie, qui glissent qui s'immiscent, qui séparent et dont la douceur fait oublier celles des chairs qui se cherchent, dans le noir forcément. On n'aime pas dans la soie, on pète.

Pour aimer, un bon vieux coton sous un ventilateur enroué, quand dehors transpire la chaleur mouillée des vagues tropicales.

Noir.

Merci Akynou : c'est ma participation improvisée d'extremis à la session trois du quatre.
11:38, par Andrem