vendredi 10 avril 2009

La Vérité toute nue. #4/4 : Creuser Tillon.

Creuser Tillon.

Voilà ce qui cloche, chère Tornade : à quelle sauce sera assaisonnée l’objectivité selon Saint Nicolas, à quelles méthodes sera soumise la Véritable Information du citoyen, si rien ne bouge ? Les arguments de Monsieur Devedjian, outre qu’ils étaient faux soit par ignorance soit par mensonge je lui laisse le choix, étaient à ce point dérisoires face aux enjeux, il avait une petite cuillère pour vider la mer et cherchait par tous moyens à le dissimuler derrière un triomphe affiché, que le journaliste se faisait un malin plaisir à souffler sur l’écran de fumée déjà trop transparent. Monsieur Devedjian en concevait de l’énervement. Monsieur Devedjian n’était pas à la hauteur de sa hauteur, et le savait.

Alors il brandissait sa majesté l’objectivité comme ultime secours.

Tu devines que je reviens derechef à mon histoire de Vérité nue. Elle ressemble tellement à ton objectivité, cette Vérité là, l’inaccessible étoile. L’objectivité façon Don Quichotte, ma chère chevalière de nos temps désertiques Tornada de la Mancha, pour aimable qu’elle soit nous jettera dans les étoiles comme un vulgaire moulin à vent et l’atterrissage sera rude.

Tiens, regarde, justement j’en vois passer un, monté sur sa Rossinante, de ces journalistes comme tu aimes.

Il est tout comme tu le veux ; la probité même, le scrupule incarné, il mène son enquête avec précautions, il prend son temps quitte à fâcher son directeur qui attend le papier, il contrôle ses sources, il vérifie les faits, il réfléchit à charge et à décharge. C’est un professionnel accompli qui rédige lentement, qui choisit ses mots, qui fait appel à la meilleure rédactrice de tous les temps pour lisser le texte et équilibrer les points de vue ; elle n’a pas sa langue dans sa poche la rédactrice si tu entends ce que tu entends, elle n’a pas non plus sa plume mal placée, quoique acérée.

Moi pauvre lecteur, je vois qu’il existera, malgré tout cet attirail nécessaire, absolument nécessaire, je vois qu’il restera les pesanteurs qui habitent le journaliste, et dont il ne se défera pas malgré toute sa vigilance, il existera les préférences qui l’ont construit, les choix décisifs dont le reniement serait sa propre destruction, que ces choix aient été mûrement pesés ou subtilement inculqués, qu’ils viennent de sa conscience d’homme vivant ou de son inconscient de plein gré. Volens nolens, dans l’article publié, quelques traits seront infléchis, quelques perspectives seront orientées qui, montrant exactement le même paysage pourtant, donneront à voir plutôt comme il aimerait qu’on le voit. Juste un petit pas de côté façon Marx Brothers, juste un premier plan façon photographe habile, juste un fil, un cheveu, une silhouette.

Cet écart de rien du tout sera d’autant plus redoutable qu’aucun reproche ne pourra lui être fait et que son professionnalisme sera total. Tu photographies le même tronçon d’avenue de loin au téléobjectif et de près au grand angle, tu n’auras pas la même photo, et pourtant ce sera le même endroit. Je ne blâme pas cet écart, au contraire, il me semble indispensable à la compréhension du sujet traité. Et tout ce que je demande, au fond, n’est pas de disposer d’une photographie prétendue objective mais de connaître la focale de l’objectif.

En d’autres termes, j’aime savoir si l’article que je lis est rédigé par un journaliste de ce bord ci ou de ce bord là, droite ou gauche pour les simplets, et de bien connaître l’histoire de ce journaliste et ses positions antérieures. Alors à mon tour, le sachant, je ferai une petite correction dans mon regard, dans ma lecture, pour tenter de deviner derrière son travail que l’on a dit objectif, où se trouve la Vérité vraie. Bien entendu, il me faudra faire preuve d’autant de prudence dans ma correction que lui dans sa recherche, je lui dois ce respect. Il faudra qu’un jour je lise Germaine Tillon, elle y a pensé avant moi.

A nous deux, journaliste de qualité et lecteur Haddock, nous parviendrons peut-être à nous approcher de cette Vérité inaccessible et évanescente, à la contempler dormir nue, à la caresser si belle en ce miroir.
A lui faire un enfant.

Et le bonjour à tes sirènes, si reines. FIN. Avril 2009
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mercredi 8 avril 2009

La Vérité toute nue. #3/4 : De Tiepolo à Bianca.

De Tiepolo à Bianca.

J’étais un peu hors sujet, non ? Tu sais bien que non, tu me connais assez et tu seras assez grand pour faire les liens qui conviennent. Juste pour le dire, un piteux cavalier, on dit cavaliéré en italien en roulant l’air et en aiguisant les œufs, s’est récemment ému d’être nargué par le sein qu’il ne saurait voir de la vérité nue alors qu’il l’avait lui-même choisi. Probablement à cause du délicat modelé imaginé par Tiepolo, de sa sensualité vénitienne.

Je te laisse maintenant, voici que s’approche la dame dont je t’ai parlé, dame oui parce que je suis très respectueux, mais dame non parce que avec elle nous ne serons jamais dans le confortable et le prêt-à-penser. Tornade frisée, je pourrais dire. Ma copine Tornada, Tornada Bianca. Prenons l’air étonné.

Bonjour Tornada, quelle surprise ! Justement je passais dans le coin, je peux entrer ? Tu as raison, c’est très cavalier de débarquer sans crier gare dans ton salon, mais ne fais pas semblant, il y a un bon moment que tu me vois venir, non ? Et que tu sais que je ne suis pas dans le coin par hasard.

Vois-tu, j’ai lu quelque part dans tes écrits que la qualité première, l’une d’elles au moins et primordiale à coup sûr du journaliste était d’être objectif. Enfin, je t’ai lue ainsi. Tu l’écrivais au sujet de l’éditorial incriminé, voilà, je le savais que le mot éditorial reviendrait. Un journal même gratuit est un journal, et l’éditorial d’un journal est donc écrit par un journaliste, c’est au moins ce que l’écriveur subtilement tentait de nous faire accroire en intitulant son billet éditorial. Le mot constituait ainsi une partie du masque, un mécanisme du piège.

Le lecteur l’aura ingéré sans même y penser, et laissera gambader son temps de cerveau disponible pendant qu’il sera en train de choisir des cadeaux pour des enfants qu’il souhaite voir sourire, que ce soit pour de fortes ou de faibles raisons. Insidieusement, le message va l’infiltrer et se capillariser dans ses matières perméables tandis qu’il a la tête ailleurs. J’ai bien compris que cette traîtrise là est celle que tu dénonces de toute ta fulminance professionnelle et citoyenne. Ne crains pas que je veuille défendre l’indéfendable, il est des diables dont je ne serai jamais l’avocat. Alors pourquoi y-a-t’il quelque chose qui cloche là dedans ? J’y retourne immédiatement.

La semaine dernière, à peu près, une émission de bonne tenue bien que débat télévisé, mais Yves Calvi sait tenir son monde, traitait pour la cent-millionième fois de la crise et de ses remèdes et de ses plans de relance et de ses responsables. ‘Aliénor tenait à la suivre et la télé tournait tandis que je vaquais. Je me souviens vaguement du crâne de Monsieur Moscovici et de la bouche de Monsieur Devedjian. Il y avait aussi quelques journalistes et autres contradicteurs, et les inévitables experts de tous bords.

« Vous êtes journaliste, vous DEVEZ donc être objectif ! » s’exclama soudain l’un d’eux, et je me suis figé dans mes allées et venues affairées. Monsieur Devedjian venait de s’énerver et interpelait en ces termes un journaliste qui visiblement était dubitatif et suspicieux devant les faits que nous assénait le ministre de sa hauteur et de la relance par-dessus le Marché, majuscule. Le ton et le regard de Monsieur Devedjian étaient rien moins que menaçants et révélait plus que n’importe quel projet de loi la façon dont lui-même et les équipes qu’il accompagne aimeraient bien assaisonner ce journaliste et ses semblables.

mardi 7 avril 2009

La Vérité toute nue. #2/4 : Trop belle pour moi.

Trop belle pour moi.

Cette histoire pitoyable et inquiétante m’a conduit à réfléchir à l’usage du masque et à la notion de journaliste. Je dis bien la notion, je ne prétends pas vous éclairer sur le métier de journaliste, même si j’ai un cousin qui connaît un homme qui a vu l’ours dont l’oncle était journaliste ce qui me donnerait toute compétence pour trancher et pérorer ; malgré tout, je sens qu’il rôde aux environs de derrière mon épaule des professionnels de la profession à l’écoute pointilleuse et à la chatouilleuse rigueur, et assez férus de journalisme pour parfois l’enseigner comme peu savent l’enseigner à en croire la rumeur du tour. Ce sera journalisme vu de ma lorgnette d’ignorant et de ma cervelle d’usager.

Notion. Le mot pourrait être remplacé par costume. Voilà, le costume de journaliste, puisque je te parle de masque, comme un habit qui ferait le moine. Le costume a été endossé par l’écriveur, le costume lui a servi de masque pour avancer en terrain découvert, utilisant comme paravent l’idée dont nous sommes imbibés de toujours sans y avoir pensé que le journaliste est objectif. Voilà le mot lâché, objectif. La professionnelle chatouilleuse elle-même s’accroche à cette idée et la revendique. Un faux journaliste ne sera pas objectif mais habillé du costume pourra le prétendre sans le dire, un vrai journaliste n’a pas besoin de costume et sera objectif. Modeste écriveron qui n’a jamais approché de vrai journaliste en chair et en os, je serais bien incapable de contester cet axiome, ce fondamental dirais-tu toi qui viens d’ovalie, bien incapable de présenter une doctrine différente.

Je ne puis vraiment te contester, chère amie professionnelle, et pourtant je ressens comme une gêne aux entournures. Je vais m’efforcer de débroussailler cette gêne, de te la dire, en négligeant mon copain d’ovalie à qui je causais encore il y a trois lignes, ou deux selon la police. Tu as lu mes élucubrations depuis belle lurette, certaines d’entre elles au moins. Tu as dû remarquer que j’avais une sorte de recul philosophique, une méfiance ontologique, face à la Vérité. Qu’elle soit religieuse, politique, scientifique, factuelle, historique, ajoute les mentions oubliées, la Vérité qui s’affiche me pousse à gratter là où c’est interdit, caresser aussi comme un voyeur pervers qui aime déboulonner les statues les nuits de pleine lune.

Caresser au moment d’abandon quand plus personne ne regarde et que la nuit est douce, juste pour voir, juste pour qu’elle me laisse entrouvrir la pudique toge, juste pour lui faire un enfant car elle est trop belle pour être vraie. Gratter au bon endroit en commençant doucement.

Je te supplie de te souvenir que je ne suis pas pour autant un relativiste mou, selon qui tout se vaut histoire de ne fâcher personne, histoire de fuir les conflits. Le conflit est le sel de la terre et le chemin nécessaire à la lumière, il ne faut pas l’éviter, il faut le chercher, il faut même l’inventer là où tout semble dormir en paix. Ma méfiance face à la Vérité, comme mon désir, ne passera pas par accepter l’inacceptable ; ce sera juste un exemple en passant pour quelques points sur des zi, les thèses révisionnistes, et le mot thèses est mal choisi prétentions est plus exact, ne relèvent en rien d’un juste questionnement sur je ne sais quelle vérité, mais de tentatives de réhabiliter l’impensable. Il est toujours un moment où s’arrête la ci-devant interrogation, le doute, les miens.

Un moyen de s’en apercevoir est que là, la Vérité est si laide qu’on ne peut la caresser ni même l’humer. On la range dans un tiroir à mémoire, et on la sort de temps en temps pour être sûr de ne pas l’oublier, de ne pas oublier qu’un jour, on pourrait bien en être, des bourreaux ou des victimes.

La tolérance ne permet pas que l’on tolère le crime sous prétexte de liberté de penser.

dimanche 5 avril 2009

La Vérité toute nue. #1/4 : La cour de récré.

La cour de récré.

Tu as peut-être déjà lu ce titre quelque part. Ce ne sera que coïncidence et manque d’imagination, quand je tiens un titre je m’y tiens. Ici, pas de classe du bout du monde, pas de désert, pas de rigolade. Ici, nous sommes dans le menu fretin de la propagande nauséeuse. Je le dis ici une première fois et ce ne sera pas la dernière, il ne s’agira pas d’interdire à qui que ce soit d’exprimer des idées avec lesquelles je suis tellement en désaccord que je n’ai même pas envie de discuter : que ceux qui se préparent à me traiter de censeur pour me combattre remballent cet argument. C’est mon affaire que leurs idées m’insupportent et il n’est pas question de les réduire au silence par contrainte.

On a le droit de me déplaire par ses idées. On a même le droit de me donner des palpitations et de l’urticaire. Mais on n’a pas le droit de les insinuer dans mon monde avec un masque de respectabilité, avec cautions honorables, avec journal gratuit d’abord innocent. Tu commences à deviner le pourquoi de mon sous-titre. L’affaire de la rue de la grande récré.

La vague de protestations qui suivi la découverte du subterfuge a été assez haute pour obliger les protagonistes de la manœuvre à faire machine arrière, à présenter amende honorable, à jurer qu’on ne les y reprendrait plus. L’enseigne doit aujourd’hui se faire quelque souci pour sa réputation à juste titre, la confiance met longtemps à se gagner et peut disparaître en deux jours. Il faudra plus longtemps encore pour récupérer cette confiance. Les chargés de markétinge de ces enseignes doivent sentir vibrer leur siège éjectable. Je ne vais donc pas ajouter des arguments à ceux déjà dits sur mes bloguézamis, tu les as lus comme moi. Je ne vais pas non plus ironiser sur la crédibilité des réponses faites. Je prends acte de leur rapidité à réagir et à expliquer, je prends acte qu’ils ne sont pas dérobés, que n’aurions nous pas écrit si nous avions eu affaire à un mur hautain et silencieux, ou pire, à des réponses agressives et menaçantes du genre vous allez voir ce que vous allez voir j’ai une armée d’avocats et des amis hauts placés.

Ils auraient pu, c’est déjà arrivé. Sans pour autant les défendre les yeux fermés, je le mets à leur crédit et j’attends de voir la suite. Je ne vais pas endormir ma vigilance réveillée en sursaut, je vais plutôt rester dans le virage à guetter le prochain dérapage ou non. Et je vais insister sur la question du masque.

L’auteur du billet qualifié d’éditorial et ce mot aura son importance dans la suite, rédige un blogue. Pour le connaître il suffit de s’y rendre, en se bouchant le nez je te le conseille. On est vite édifié sur l’esprit qui y règne et sur l’idéologie qu’il défend. J’ai bien dit que je me répèterai, libre à lui de défendre cette idéologie, et libre à moi de me boucher le nez pour éviter l’urticaire. Il ne s’agit pas d’interdire, il s’agit seulement de dire que ces idées là me sont insupportables et que la lecture du blogue est assez édifiante pour que l’argument de la « surprise » ne tienne pas une seconde dans l’amende honorable. Qu’on ne compte pas sur moi pour engager un débat sur les idées de ce blogue mais vous voyez, j’emploie même ce mot, idées.

Tu sais bien que tout ce que j’ai pu écrire et publier à ce jour témoigne de mon impossibilité à entrer dans ce marécage de ci-devant idées. Je suis trop énervé à les lire pour me contenter d’un échange aimable, d’un débat courtois qui serait presque une forme de reconnaissance, de validation.

Forme et fond sont inséparables : que l’auteur de l’éditorial ait à ce point tenté d’avancer masqué montre bien le côté nauséabond du fond.