vendredi 15 janvier 2010

HAÏTI

Un tremblement de terre s’est produit à une quinzaine de kilomètres de la ville de Port-au-Prince, en Haïti. D’une magnitude de 7 sur l’échelle de Richter, et à une profondeur d’une trentaine de kilomètres, il a détruit la ville et la plupart des villages environnants. On oublie toujours les villages environnants dans les nouvelles. Je ne connais pas Haïti, je n’y ai aucun ami ni même connaissance, et je ne m’y connais pas d’ennemi. Je ne dispose d’aucun moyen ni d’aucune compétence pour venir en aide à la population, hormis le geste d’usage, aussi facile que nécessaire, d’envoyer un chèque à une organisation capable de s’occuper d’acheminer des secours et de distribuer des soins. Facile à dire, facile à faire, indispensable et immédiat, sans avoir à réfléchir un instant, mais ensuite ?

Ensuite, écrire, voilà, écrire. Mettre avec du noir sur du blanc ce que, à peine débarrassé de la gangue de la nouvelle entendue, me dicte le moment. Injuste, égoïste, impersonnel, vais-je me dire, à quoi bon les mots sur la tragédie des autres, à quoi bon les discours sans les actes, et ta bonne conscience achetée le temps d’un nombre sur un chèque par-dessus le marché.

Je ne connais que cela, écrire, et si je ne sais pas quelle sera l’utilité ni même s’il faut songer à une forme quelconque d’utilité, dérisoire ou décisive, je sais que je dois écrire. A toi de trouver pourquoi, et à la mer de décider à quoi servira la bouteille que je jette en elle.

Pardonne ma longueur, Akynou, je tournais trop en rond autour de ma télé pour m'arrêter plus tôt. Je vais republier sur mon bloghumeur de ce pas, et ensuite tu pourras effacer ce commentaire en laissant un lien si tu veux.

Les Secousses.

La nouvelle est arrivée à moi dans la matinée. Une ligne subreptice dans un coin de mon écran. Mais ces mots dans la phrase, qui explosent dans mon cerveau: sept degrés, peu profond, Port-au-Prince. Oui, un tremblement de terre peu profond est dévastateur, une sombre histoire d'ondes horizontales.

Sept degrés c'est déjà pas mal pour le Japon, surentraîné, surarmé, le béton s'entend. Alors tu penses, Haïti ! On a vu ce que la corruption et la mafia peuvent faire dans un pays évolué, c'est le mot qu'on emploie parfois pour l'Italie que j'aime, et les résultats du moindre séisme dans les Apennins en témoignent, je n'ai pas eu besoin de dessins pour savoir aussitôt lu la petite phrase qui défilait qu'une fois de plus Haïti allait payer cher.

Payer quoi, au juste? Il faut faire très attention. Les images terribles des télés se sont succédées tout le reste de la journée, et moi devant à tenter de vaquer puisqu'il faut bien que la vie continue comme on dit, manger, ranger, lire, écrire, téléphoner, aller venir, planter un clou pour chasser l'autre, et comme toujours enfoncer des portes ouvertes à grands renfort de langue tirée et de coups d'épaule. Mais le regard fixé sur les images qui passent et repassent, l'esprit vide, le geste machinal. Je n'ai pas du bien vivre ma vie normale cette journée.

Alors il faut se méfier des pensées qui s'insinuent et qui profitent du vide, du vertige devant le vide, de la peur qui vient du vertige, de notre peur à nous devant ce qui est là-bas, de ce qu'on nomme l'émotion et dont notre corps a besoin pour franchir l'obstacle. Ne nous trompons pas, si notre obstacle est dérisoire comparé à celui qui se dresse devant les haïtiens, il nous faut aussi le franchir, son caractère dérisoire nous y oblige sans concession possible. Franchir l’obstacle signifie ne pas céder à l'émotion ni à la peur, ne pas se projeter, nous ne sommes pas à Haïti, nous ne vivons pas ce cauchemar, nous n'avons pas à nous y mettre même par la pensée, et seuls quelques uns d'entre nous serons assez forts ou assez fous pour monter dans un avion et y aller.


Je serais bien présomptueux de m’exprimer pour ceux qui sont pris dans leur chair, leur chair de sang et leur chair d’amour.



Du bord de notre rive confortable, notre devoir est de résister à l'émotion et de penser. Mettre un peu de sous dans l'enveloppe ne fera pas de mal, mais ce ne sera pas suffisant, ne nous croyons pas quittes pour si peu quand j'y aurais mis sept millions. Il faut penser cette affaire, et dès maintenant merde.


Ma première pensée ressemble à celle d'Akynou, si j'ai bien lu: Encore eux, toujours eux, pourquoi eux? Seraient-ils encore en train de payer le fameux tribu, ou pire encore, seraient-ils en train de payer pour simplement s'être libérés, eux esclaves noirs, non seulement du joug matériel et des lourdes chaînes métalliques, mais du joug mental que les maîtres avaient instillé en eux. Péché mortel inexpiable !


Ne serait-ce pas une forme de vengeance divine dont évidemment personne de sensé n’osera dire le nom mais dont nombreux sont ceux qui ne seraient pas mécontents de la voir renaître de ses cendres dans les inconscients occidentaux. Alors il faut échapper à ce danger de la dérive de la pensée conduite par l'émotion, et bien savoir et se dire et se répéter à tous les temps tous les modes qu'il n'y a pas et qu'il n'y aura jamais de justice de cette forme, et qu'un tremblement de terre n'est jamais qu'un tremblement de terre qui frappe selon des règles connues mais selon des modalités imprévisibles.


Laissons les télés réveiller le mythe de la prévision du tremblement de terre après chaque catastrophe, histoire de faire jaser dans les chaumières.


L'Histoire et la Géographie sont mêlées, et si la population d’Haïti est aujourd'hui ce qu'elle est, c'est à cause des deux. Il se trouve que la situation géographique d’Haïti n'est possible qu'en raison de la présence de ces maudites plaques. Ni le colonialisme ni la révolution ni les finances américaines ni l'ultralibéralisme, ne sont responsables de celles-ci et de leurs mouvements. Ni je ne sais quel dieu.


Alors désormais, je m'interdis cette idée là qui rôde dans nos esprits : pourquoi encore eux ?



Il n'y a pas de réponse à cette question, et une question sans réponse n'est pas une bonne question, il faut passer à autre chose. Par exemple, comment faire maintenant ? Et si je n'ai pas de réponse, d'autres l'ont et notre job est de les obliger à la trouver, la réponse, quitte à participer du fond de notre rive confortable (bis) à sa recherche.

Et puis crier haut et fort les raisons de la gravité de l'affaire, et là enfin nos cibles favorites pourront être exposées, mafias, finances, corruptions, incompétences, dictatures, quand il n'y aurait eu au Japon, pour le même glissement de plaque, que quelques frayeurs, deux morts par crise cardiaque, et trois cheminée abattues.

Ecrit le 13/01/2010. Tremblement de terre à Haïti.