mercredi 21 novembre 2012

De la vie en général et du deuil en particulier




Les nuits d’été le long des chemins de traverse, des lueurs à peine perceptibles tremblent à travers les branches des buissons du bas-côté. On les appelle parfois des lucioles. On se prend à les observer, en silence, comme pour ne pas les déranger dans leurs méditations éclairantes, fasciné par le phénomène, attiré à ne reprendre sa marche dans la nuit que poussé par le froid et les courbatures de l’accroupissement. En s’éloignant, les questions qui venaient à l’esprit confusément pendant l’observation se font plus insistantes, je les appelle les questions de la luciole.

Lettre à la Lueur.

Bonsoir, la Lueur. Ainsi tu les poses, les questions, et tu y réponds derechef. Bonnes questions, et comme souvent réponses formulées juste comme on n'avait pas encore fini de se les formuler en moins bien que tu l'as déjà fait en mieux. Alors comment ajouter mon grain de sel si ta sauce est parfaite ?

Voilà, j'ai trouvé. Tu as évoqué la vie effondrée après le deuil, ou après tout autre catastrophe, tiens, les japonais de Fukushima en savent un rayon là-dessus. Et bien d’autres. Et toi et moi l’avons sans doute vécue, plus ou moins violente, plus ou moins surmontée, la fin du monde. Tous ceux qui l’ont approchée savent de quoi il retourne, et savent comme il est indélicat de pontifier sur la question de vie réduite à néant, à reconstruire comme tu dis. Or c'est là-dessus justement que je viens pontifier.

Il est de ces moments, interminables et intolérables, où en effet l'on se sent dans cet état zéro, bien des mots existent et tu les sais mieux que moi. Mais j'ai appris, enfin j'espère l'avoir appris, qu'il n'y a jamais de fond du trou ni d'impasse, que ce ne sont pas les bons mots, les vrais maux, quand on les croirait encore trop faibles pour le désespoir qui submerge.

Regarde cet enfant qui joue, là, dans la salle à manger. Il a un légo. Mets-toi à côté de lui, voilà, c'est la vie devant toi.

Tu construis. On dit d'un enfant qu'il se construit, moi je dis qu'il construit. Dès qu'il est sorti du ventre confortable et qu'il a gueulé sa colère, il construit, il saisit tout ce qui passe à sa portée, paroles, sons, gestes, objets, outils, exemples, douleurs et plaisirs, et avec ces briques toutes de broc, il construit, une vie, la sienne.

Parfois, souvent, trop souvent, quelque malfaisance vient écraser le château de légo, mille pièces éparpillées. Ce n'est pas un départ à zéro, c'est la continuation de la construction. Ce qui était est encore bien qu'anéanti, car il se souvient des gestes, il se souvient des hésitations, il se souvient de la valeur des pièces, les planches pourries et les solides piliers. Le château sera autre mais riche des précédents. Ce n'est pas une reconstruction, c'est la continuation de la construction.

De toute façon, il n'y a pas de plans en dehors de ceux sur la comète, seulement emboîter les pièces au gré de ses envies, de ses possibilités, de ses urgences, et de l'équilibre des forces du chaos environnant.

Guy Bedos disait dans ses péroraisons de spectacles: "Tu pleures tu ris, tu ris tu pleures". C'est exactement cela, à condition d'ajouter: tu ne cesses de construire au milieu des hoquets et des cahots, jusqu'à ton dernier souffle qui sera la dernière pièce à l'ouvrage.