lundi 25 février 2013

Du libre-arbitre #4

suite

Que la conscience est nécessaire à la vie.


Votre reformulation me convient bien.

Je m'étais sans doute mal exprimé, et je n'identifie pas la conscience à la mémoire. Il y a seulement, à mon sens, passage de l'une à l'autre : une fois émergée du fait de l'activité de l'organisme vivant, la conscience vient graver dans le complexe neurologique une partie de cette activité et cette partie gravée devient alors une partie de la mémoire. La mémoire est donc un élément postérieur à la conscience, ou, si l'on préfère, une partie intégrante de la conscience, bien que les deux ne se superposent pas exactement : on peut mémoriser des événements dont on n'a pas eu conscience, on peut consciemment se souvenir seulement partiellement ; un tri se fait, immédiatement et ultérieurement. Cependant, la conscience participe de ce travail d'enregistrement et en cela contribue à l'évolution du vivant et à sa capacité d'adaptation.

Dans cette logique, il apparaît que souvenirs et idées sont des effets du fonctionnement neurologique ; nous les distinguons pour nous faciliter la réflexion mais ils sont indissociables. Encore une fois, l'activité de l'organisme vivant reste entièrement dépendante d'un champ de contraintes déterministe mais indéterminable, et le rôle de la conscience est, pour reprendre la métaphore du spectateur-voyageur, d'éclairer le paysage.

Pour conclure (provisoirement) sur ce travail de réflexion que ce dialogue me permet, je dirais que le concept du "p-zombie" est intéressant, puisque justement il m'a permis de fouiller un peu ce domaine particulier de la matière qu'est la matière vivante, mais qu'il reste un concept de travail et qu'il est, à mon sens, antinomique avec le fonctionnement du vivant. La conscience en est un élément nécessaire, et non un seul effet collatéral sans lendemain.



Marc MULLER : « Si la conscience vient graver dans le complexe neurologique une partie de cette activité et si la conscience contribue à l'évolution du vivant et à sa capacité d'adaptation, alors il faut déduire que la conscience a une action sur la matière du cerveau ? Ce que confirme la conclusion même provisoire selon laquelle la conscience serait un élément nécessaire du vivant..., conscience qui, toutefois, n'impliquerait pas la possibilité d'un libre-arbitre fondamental.
De plus, il reste à savoir comment se fait physiquement, matériellement, cette action, et comment se confronter à la question « corps-esprit ».


Je n'ai pas de réponse à la question de l’action matérielle. Je ne suis pas certain qu'une réponse soit possible. Même si la recherche neurobiologique permettra d'avancer des hypothèses et d'en vérifier quelques-unes, la globalité du mécanisme échappera toujours à la mise en équations. Personne n'a encore su précisément expliquer comment fonctionne l'évolution darwinienne sur la longue durée. Jour après jour, en nous, des gènes se modifient pour souvent le pire et parfois le meilleur, sans que les secrets des scribes qui inscrivent cette mémoire-là dans notre corps soient percés.

C'est pourquoi je m'appuie sur la notion de chaos, en assimilant tout système vivant à un chaos déterministe. On a établi, et on établira encore, de très nombreuses lois de fonctionnement notamment du corps humain, mais je mets ma main à couper que chaque nouvelle découverte remettra sur la table les questions dont nous avons débattu ici. Mes choix constituent finalement autant d'hypothèses auxquelles je me suis arrêté (jusqu'à la prochaine fois ...) après avoir été conduit à en rejeter d'autres, peut-être plus simples mais que toute cette vie qu'est la mienne ont rendu à mes yeux inopérantes.

Je crois que c'est cela, la philosophie, justement.


Un dernier clin d’œil. Pour bien être clair dans ma tête. Ce que je désigne par "système vivant" peut parfois se nommer "organisme", ou tout simplement "corps", notamment en ce qui nous concerne, nous les humains. Et l'esprit, dont la conscience est une partie à mon sens, est une des modalités de fonctionnement du corps, indispensable sans doute, mais surtout indissociable du fait que ce corps est vivant. Tenter d'opposer l'un à l'autre, ou seulement de les séparer est l'échec de la pensée de ces derniers 25 siècles.

Il n'y a donc pas de « question corps-esprit ».

Je sens qu'on va en reparler.
Le 21 février 2013 à 01h19. 
à suivre

samedi 23 février 2013

Du libre-arbitre #3


suite

Laissons la place au philosophe. Il est celui qui m'a emmené où je suis, là maintenant, et il continue à grand pas le chemin de mes pensées. Je m'en voudrais de ne pas le suivre et de ne pas l'écouter, et de ne pas vous laisser l'écouter. Il oblige, et il balise.

 La reformulation de Muller.


Si je comprends bien :

(i)                       Il n’y aurait pas de libre-arbitre « fondamental », c’est-à-dire de possibilité pour une faculté spirituelle de la conscience d'agir sur la matière ;

(ii)                     la liberté se concevrait comme une « impression » que pourrait avoir cette conscience non-agissante, impression que le cerveau ait pu prendre une décision indépendamment des contraintes extérieures, quand bien même au niveau neurobiologique cette décision serait parfaitement déterministe ;

(iii)                   j’en déduis que cette « impression » de liberté est également une impression de « libre-arbitre ».


Jusque-là tout va bien.

Ensuite survient l'hypothèse que "conscience" égale "mémoire". Je pense que c'est une idée intéressante ; en effet la conscience que nous avons de nous-même est fortement liée à l'idée que nous nous faisons de la continuité de « quelque chose » qui serait notre « moi », au sens où l’entend Nietzsche et le bouddhisme, le « moi » comme illusion de continuité. Et dès lors, effectivement, la mémoire participant à nos prises de décision, la conscience aurait une action sur nos décisions. Néanmoins, nous avons conscience d'avoir une mémoire, ce qui repose une question : la conscience est-elle bien la mémoire, ou bien la mémoire est-elle un phénomène infra-conscient qui peut à son tour « émerger » dans le champ de conscience sous forme de souvenirs, comme une activité psychique le peut sous forme « d'idée » ou de « choix » ?
C'est la seconde proposition que je retiendrai : les souvenirs, au même titre que les idées, correspondent à des configurations neurobiologiques qui peuvent parfois « émerger » dans notre champ de conscience. La question est alors de savoir si cette émergence a un effet rétroactif sur le cerveau, ou n'est qu'une simple projection qui, si elle n'existait pas, ne changerait rien au fonctionnement du cerveau. En d'autres termes, peut-on concevoir un « p-zombi », c’est-à-dire un système vivant exactement similaire à l’organisme étudié (l’être humain, par exemple), donc avec une mémoire neurobiologique, mais qui serait dépourvu de toute conscience de cette mémoire ?

Pour ma part, je pense que la mémoire est d'ordre neurobiologique et n'a pas besoin de l'idée d'une "conscience" pour être définie et décrite en termes de fonctionnement de notre cerveau.
Ecrit par Marc Muller le 16 février à 00h47
à suivre

jeudi 21 février 2013

Du libre-arbitre #2

1.   L’objection de MULLER


Je vois une apparente contradiction dans la formulation : comment parvenir à concilier l'abandon de la notion de « libre-arbitre » et le maintien de celle de « liberté » ? S’agit-il de nier le « libre-arbitre fondamental » (pour reprendre la terminologie de Jean-Pierre BESSIS) mais de reconnaître un « libre-arbitre comportemental » ? Si ce n'est pas notre « moi conscient » qui prends une décision mais notre cerveau, ce cerveau dispose-t-il de la possibilité neurobiologique de générer des choix originaux non-entièrement soumis au déterminisme environnemental ?
En d'autres termes, une telle liberté pourrait-elle être reconnue à un P-Zombi ?
Questions de Marc Muller du 29 janvier à 00h47.

2.   Que la liberté n’est pas le libre-arbitre.

Il n'est pas facile de résoudre la contradiction en deux mots trois lignes. Non sans hésitation, je tente le pari, et j’en profite pour revenir sur ma notion de liberté.

Je me saisis de cette belle idée, je ne l’ai pas trouvée tout seul mais elle me plaît : la conscience est un iceberg qui émerge de l’océan de la vie, phénomène minuscule échappé du chaos déterministe que nous sommes, moi-même ici présent et toi aussi qui me lis, regarde donc le petit nuage de vapeur qui te sort de l’oreille. Le mot liberté, avec son bagage différent du mot libre-arbitre, désigne un peu de cette vapeur, un petit nuage qui s’épanouit en douce rosée sitôt que le champ des contraintes appliquées au système vivant n’en comporte aucune explicite comme sur un champ de blé ondoyant. 
Qu’une contrainte apparaisse soudain dans les écrans de surveillance du système vivant et qu’elle s’impose comme seule prioritaire, le nuage de liberté s’évanouit et la sensation de nécessité impérieuse s’abat sur le cerveau devenu esclave.

Écrire que le vivant agit revient à écrire que le système évolue, l'organisme échange et bataille dans un milieu favorable ou hostile, avec ses outils et sa cohérence, muscles, sang, glandes, le tout enrobé d'un invraisemblable filet de nerfs et de nœuds, que l’on désigne par neurones et synapses. Les milliards d'atomes qui forment cette structure interagissent, selon des mécanismes minuscules et incertains, non pas en ce qu'ils sont hasardeux, mais en ce que la probabilité de l'effet de la cause n'est pas égale à un. Il y a juste une probabilité maximale, pour chacun de ces atomes.

C'est leur très grand nombre qui aboutira à ce mouvement-ci de l'organisme plutôt qu'à ce mouvement-là. Voilà ce que j'ai nommé le chaos déterministe. Bien malin qui pourra prédire le geste que va faire l'organisme en venant fouiller le tréfonds de ses molécules. Et je n'envisage même pas le geste qu'il fera dans cinquante ans, mais là, tout de suite, à l'instant même où je l'ai traité d'imbécile.

Tout organisme évolue ainsi dans un champ de contraintes, lui-même incertain et mouvant, et s'y conforme, s'y adapte, s'y insère, s'y nourrit. Ce n'est rien que la vie qui vit, mon ami. Si l’évolution se produit sous l'action d'un champ de contraintes dont l'une, majuscule ou primordiale, est de surcroît devenue consciente, il n'y a pas de liberté. Si la résultante du champ de contraintes reste ignorée de la conscience, si elle n'émerge pas, il y a liberté mon petit nuage, et le système vivant poursuit son voyage dans toute sa légèreté.

Je t’ai emmené loin de la Liberté avec une grande aile, loin de l’idée supérieure de Liberté et tout ce qui s’ensuit. Ce sont des nuées, des fumées, des fumisteries. Je reste enchaîné à ma caverne, face contre le mur, et je ne donne d’importance qu’à ce petit nuage qui fuse parfois de mes oreilles, lorsque vibre en moi la sensation de liberté. Tant qu’elle vibre, je suis libre, et personne ne saura me convaincre que ce n’est qu’une ombre au tableau.

Il s'agit bien d'une sensation, et non d'une possibilité réelle d'action sur le champ de contraintes dans lequel évolue le vivant. La liberté est une partie de l’émergence appelée conscience.

Pour autant, et c'est là une hypothèse que je risque, nous avons bien conscience de ce voyage qu’est notre évolution d’être vivant dans son monde sensible, et cette conscience se grave dans le corps ; un scribe note en secret quelque part dans le cerveau, dans la moelle, dans les substances, le souvenir de ce dont nous avons eu conscience, et cela se nomme mémoire. Cette inscription devient à son tour partie prenante du champ de contraintes. La conscience n'est donc pas un simple effet de contemplation de choses qui nous dépassent, mais une nécessité qui permet au vivant, à toi, à moi, à nous tous, humains et vermisseaux, de toujours évoluer au mieux de notre pérennité.

C’est ce que certains nomment « la force vitale », ou bien, car j’ai envie de faire ici mon petit savant, le « conatus » de l'ami Spinoza.

Écrit le 16 février à 01h14.
à suivre