lundi 26 décembre 2016

LA VERITABLE HISTOIRE DU PETIT CHAPERON ROUGE


C’était la plus jolie fille de la cité. Il y avait déjà longtemps que les garçons alentours la reluquaient, mais par quelque étrange mystère elle ne se rendait compte de rien, elle allait et venait tranquillement sans jamais être importunée, sous le regard attendri et attentif de sa mère qui l’élevait seule comme beaucoup de mères dans le quartier. Sa seule coquetterie était d’avoir sur elle une tache rouge, un accessoire, un vêtement, chapeau, bonnet, chaussure, sac, à chaque jour son prétexte. Un petit malin l’avait surnommée le chaperon rouge. Comme personne ne connaissait ce mot de chaperon, le surnom était resté.

Un jour, la mère apprit par la rumeur que son ex-belle-mère était au plus mal. Elle ne l’avait pas vue depuis des années et sa fille ne la connaissait pas, depuis la fuite du père les ponts étaient coupés. Elle habitait à l’autre bout de la ville, chez les bourges comme on dit par ici. Apprenant la nouvelle, la fille dit à la mère : « j’aimerais bien voir cette dame. C’est ma grand-mère après tout, et c’est peut-être la seule fois que je pourrai parler avec elle ».

L’idée ne plaisait pas à la mère. Elle avait toujours cherché à préserver sa fille de ce monde où l’on risquait à tout instant d’être aspiré dans les sables mouvants de la tentation, comme elle-même l’avait été autrefois. La seule joie qui lui en restait était cette fille magnifique qu’elle avait su protéger ; comment pourrait-elle maintenant la laisser s’approcher du miroir aux alouettes ? Mais elle dut consentir. Elle ne pouvait pas lui refuser un face à face avec ce d’où elle venait, avec ceux dont elle descendait.

Sa fille prit sa plus jolie capuche et partit d’un pas léger rejoindre la gare du RER. Le trajet fut long, elle n’imaginait pas que la ville fût si grande. Quand elle sortit du métro du côté de la Muette, il faisait nuit. Le plan mal griffonné de sa mère ne correspondait à rien. Elle se trompa et s’engagea vers le Bois de Boulogne. Bientôt l’obscurité fut totale hormis de vagues lueurs lointaines venues de la ville ou de rares voitures qui lui évitaient de trébucher.

Malgré son naturel placide, elle commençait à s’inquiéter et se disait que ce n’était sans doute pas par là qu’elle allait trouver la rue de la pompe où habitait mère-grand, il allait falloir rebrousser chemin. Mais elle eut de la chance ; soudain devant elle, bien visible, apparaissait une voiture arrêtée, ou plutôt une camionnette. On allait pouvoir la renseigner.

Elle toqua à la porte, toc toc toc. Une voix grave à l’intérieur dit : « tu tournes la poignée comme tout le monde et tu entres ».

Elle entra, et on ne la revit plus jamais.