mercredi 26 mars 2025

Préméditation imprévue

...

Voilà trois fois que je vous le répète, Monsieur le Commissaire, on dirait que vous n’écoutez pas. Alors je veux bien tout reprendre depuis le début puisque vous insistez, mais je vous préviens, ce sera la dernière fois. Sinon je risque de m’énerver et vous le savez déjà, c’est très mauvais signe.


Le gars avait vraiment tout pour me plaire. Vraiment. L’air avenant et bienveillant dès lors qu’on était plus costaud que lui, affichant avec une touchante sincérité ses convictions suprémacistes et complotistes de blanc quinquagénaire, et prêt à vous enrôler bénévolement dans son univers de la même couleur. Il transpirait par tous ses orifices une satisfaction d’exister à vous faire aimer la vie à pleins poumons et dédaignait avec superbe toutes ces mesquineries sociales que l’on nomme politesse, respect, écoute, échange, partage.


Autant vous dire que sa présence avait très vite exercé une forte impression sur moi. Il serait trop long et inutile pour votre rapport de vous raconter la genèse de notre rencontre ; elle remonte à plusieurs années et, comme toutes les rencontres, elle fut le fruit d’un enchaînement de hasards, de coïncidences et de décisions successives de sa part comme de la mienne. Vous allez me dire qu’il n’y a jamais de coïncidences mais ce sera à vous de le démontrer dans votre dossier. Si je n’avais pas déménagé de là où j’étais pour m’installer ici où je suis, s’il n’avait pas conservé son bail inchangé depuis sa naissance, si je n’avais pas accepté cet emploi de chef de service dans le bureau à côté de celui où il était chef de l’autre service, nous n’aurions jamais été à la fois voisins et collègues et je n’aurais pas pu profiter à temps plein dans le travail et en dehors, donc vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, de ses connaissances encyclopédiques des complots de toute nature qui nous menacent et détruisent nos vies. Grâce à lui, j’ai acquis une lucidité absolue sur le monde qui nous entoure et dont, Monsieur le Commissaire, vous n’avez pas la moindre idée. C’est pour cette raison que je vous ai dit tout à l’heure que je ne pouvais pas avoir confiance dans la police qui ignore tout de ce qui se trame là. Ce n’était pas contre vous personnellement, vous n’avez pas la chance d’avoir fréquenté ce monsieur.


J’en viens aux faits. Avant-hier soir, peu avant minuit, heure du passage du Vendredi 13 au Samedi 14, il est rentré chez lui en faisant un vacarme épouvantable, ni plus ni moins que les autres soirs le silence étant pour lui un sujet de mépris et, je le connais assez pour pouvoir l’affirmer, de peur. Je venais de m’endormir et je déteste être réveillé en sursaut dans cet instant-là. Dans les autres instants aussi d’ailleurs. J’ai enfilé ma tenue de plongée, mal réveillé je n’ai trouvé qu’elle pour m’habiller, et j’ai sonné à sa porte.


Me voir ne lui a pas plu. Mais mon costume l’a surpris ce qui n’était pas prémédité de ma part, notez-le bien Commissaire. Il s’est reculé et je suis entré. Histoire d’engager la conversation de façon naturelle et indirecte, je lui ai dit que je venais de me faire vacciner contre cette nouvelle maladie. Il a ouvert des yeux ronds et il m’a entraîné dans son bureau, la pièce au fond du couloir à gauche. A droite, vous l’avez vu, c’est la salle de musculation. Il m’a jeté dans un fauteuil-club, du genre où l’on s’enfonce sans fin avec délice sans être sûr d’en ressortir, et s’est installé à sa table de travail couverte de documents, coupures de journaux, manuscrits raturés, sorties d’imprimante, et collages savants. Tous traitaient de la question du complot vaccinal.


La séance de rééducation morale et factuelle a duré trois heures. Tout a été passé en revue : les additifs secrets, la pandémie organisée, les libertés bafouées, le peuple moutonnier, la grippette, les faux morts ; preuves à l’appui, évidences irréfutables, certitudes assénées, raison démonstrative, ont déferlé sur mon cerveau encore un peu abasourdi du premier somme, de sorte que, recroquevillé dans le fauteuil en serrant mon harpon de pêche, je ne pouvais qu’acquiescer, abonder, et me préparer à la guerre inévitable contre gouvernants et labos enchevêtrés de complicité.


Mais la fatigue fut la plus forte. Lorsque je parvins à me sortir du cuir moelleux, galvanisé par son discours, je m’aperçus que je n’avais rien à lui répondre et qu’il me restait à suivre ses injonctions. Je ne savais vraiment plus quoi faire d’autre. Alors, pour me donner une contenance, j’ai brandi mon harpon et je l’ai tué du premier coup.        

 

à Billancourt, 22022022


 

mercredi 5 mars 2025

LE ROI LION (fable morale)

LE ROI LION (fable morale)

 

Le roi lion s’ennuyait.
 

Ce n’était pas un ennui de passage ni de désœuvrement.
 

Ce n’était pas un ennui philosophique, l’absurdité du monde ne lui faisait ni chaud ni froid. D’ailleurs dans la savane il fait toujours également chaud ou également froid, comme on voudra l’appeler, Monsieur Celsius reste immobile du matin au soir et du soir au matin. Qu’aurait donc bien pu signifier le chaud et le froid ?

Mais alors de quoi le roi lion s’ennuyait-il ?

 Tout était paisible alentours ; ses lionnes s’occupaient des rejetons comme toute lionne bien éduquée se doit de s’occuper, elles chassaient la gazelle une fois par semaine histoire d’agrémenter l’ordinaire, et il pouvait digérer ses longues heures de sieste sans souci. Dans le fleuve s’ébrouait l’hippopotame aux dents blanches, et dans les taillis vibraient les pas des éléphants, tous assez respectueux pour ne pas déranger sa majesté. La belle vie, en vérité, la coule douce, une vie de lion heureux. Mais rien n’y faisait, le lion s’ennuyait autant que le thermomètre, du matin au soir et du soir au matin.

En ce temps-là et en ce pays-là, personne encore n’avait inventé le psy pour poser des mots sur les maux, et pour apporter de l’obscurité à l’évidence. Personne ne pouvait guérir le roi lion.

Un beau matin, mais peut-être était-ce un grand soir, survint sur ses pattes de velours compère lion numéro deux qui avait décidé de voir du pays tant il s’ennuyait lui aussi, là-bas derrière l’horizon.

 Le sang du roi lion ne fit qu’un tour ; le thermomètre monta bien au-delà du réchauffement climatique, les éléphants s’enfuirent et l’hippopotame immergea. Il n’y eut plus que bruit et fureur, combat épique, vents contraires et orages maléfiques. On en parle encore aujourd’hui mais à voix basse.

Qu’est-ce qu’on a pu rigoler !

 

Moralité : rien n’existe, si son contraire n’existe pas.

lundi 3 mars 2025

De la rencontre en voyage

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Je rassemble mes souvenirs. Je cherche dans les profondeurs, sous les tapis, sous les meubles, dans les replis de mon cerveau, dans les couches géologiques que j’ai laissé s’accumuler sous moi. Un archéologue y perdrait son latin, j’y perds mon fil. Je creuse furieusement comme l’orpailleur qui croit toucher le filon. « Et alors ? » demande le chœur. Alors rien. Je n’ai jamais fait de rencontre et pourtant j’ai voyagé par tous les temps et tous les modes, sur tous les continents. En solitaire, en couple, en groupe, en meute, rien n’y fit, de rencontres point. La meute n’est pas la meilleure méthode, ni le groupe. Il y eut des aventures communes, des découvertes collectives, qui étaient dès le départ prévues, calibrées, organisées, minutées, qui étaient en vérité la raison même du voyage : voir ensemble les merveilles annoncées dans les brochures, observer pour de vrai ce qui n’était d’abord que slogans et réclames.
 

Par exemple, le spectacle du Mont Fuji reflété dans le lac sur fond de ciel bleu. L’image est bien connue qui hante tous les catalogues et qu’on retrouve telle quelle sur les présentoirs à touristes du lieu : la carte postale achetée sur le belvédère était autrement plus attirante dans la boutique que la vue à l’extérieur sur la plate-forme, bouchée par un brouillard glacial et impénétrable à plus de cinq mètres. Voilà une expérience collective qu’on se racontera le reste de notre vie dans nos chaumières occidentales.
 

Mais des rencontres qui changent le monde, j’attends encore. Même mes voyages en solitaire, plus propices à ce qu’on dit, le sont restés : je partais pour l’être, solitaire, et donc les passants m’importunaient plus qu’ils ne changeaient ma trajectoire et je ne chevauchais pas une motocyclette pour frayer avec les bagnoles. On m’en a beaucoup fait le reproche ; comment connaître le monde si tu restes revêche, si tu te tais, si tu tournes le dos. Je n’avais alors rien à apporter à personne et je devais d’abord m’enfoncer dans mon inconnu, connaître le monde ne m’aurait servi de rien.
 

Une affaire de charrue et de bœufs sans aucun doute.
 

Peu à peu, sans que je m’en préoccupe, sans que je m’en aperçoive, le monde s’est insinué, s’est instillé, s’est immiscé. Me voyant roudiller dans les plaines et les montagnes, les déserts et les marécages, il avait bien compris, le monde, que ma muraille de Chine devait être contournée ; il est entré par la voie des ondes. Quand il fut temps de délaisser le deux-roues pour quatre, et quand mes voyages servirent davantage à garnir le compte en banque de mes employeurs qu’à voir du pays, j’ai roulé de quatre heures du matin à onze heures du soir, ou plus tôt ou plus tard, j’ai roulé sans souci des radars qui alors n’existaient pas, accompagné par la voix de l’autoradio toujours présente et attentive, amicale et distante. 

Les musiques finissaient toujours par me lasser même celles que j’aime, surtout celles que j’aime, les entendre sans les écouter ne pouvait me tenir en alerte ; alors j’écoutais parler le poste, je l’écoutais me raconter des histoires, me soutenir des thèses, me révéler les philosophes et les peintres, les secrets de la grande Histoire et les rumeurs de la petite, la sociologie du moment, les mystères de la science et l’âge du capitaine. Par une sorte de découpage mental que ne pouvait obtenir les musiques, je conduisais sûrement et vite pendant que mon esprit, là, voyageait. Aujourd’hui encore, je sais qu’un trajet se déroule sans encombre et sans longueur si la radio me tient compagnie en bonnes paroles.
 

Il y eut ainsi de merveilleuses rencontres. J’ai découvert France-Culture et ses émissions nocturnes, du soir et du matin mais de nuit. Toujours de nuit. Petits contes, vignettes philosophiques, regards sur les peuples et leurs passés, promenades géographiques, explorations géologiques, biographies, interviews longues c’est le privilège de ces nuit de prendre son temps, quatre-cents kilomètres devant soi, conférences et autres débats policés et respectueux, ponctués ici et là d’intermèdes musicaux en harmonie, petites respirations bienvenues, et la route semblait trop courte. Il m’est arrivé de ralentir pour connaître la fin de la dramatique mais je ne suis jamais arrivé en retard à mes rendez-vous je savais choisir mes heures.


J’ai ainsi découvert le monde plus sûrement qu’avec tous ces voyages dont on prétend qu’ils forment la jeunesse. J’ai maintenant dans mon escarcelle un lourd bagage dont je ne sais que faire et que lentement je régurgite sans trop savoir d’où il sort. Mais je sais d’où il vient, il vient de là, il vient de toutes ces nuits là et de ces quelques journées. Je remercie toutes ces voix entendues, et même écoutées, femmes et hommes, présentateurs, animateurs, invités récurrents, acteurs et actrices, il y a trop de noms pour en citer un seul ce serait injuste pour les autres, mais tous ont ma reconnaissance et mon amitié. Qu’ils se souviennent, de 1985 à 2015, en voilà du monde au balcon.
 

Il faut conclure. Et comme souvent, ce sera à rebours du sujet : je vais raconter une rencontre musicale pour en finir alors que je viens de la dénigrer, elle n’est pas rancunière.
 

J’ai transporté un collègue après une rude journée de travail sur un de ces trajets nocturnes, les fameux quatre cents kilomètres d’usage. Bien que nous fussions en hiver, la nuit était claire et nous avons bien roulé, de 22h à 2h du mat. Je n’avais pas l’habitude d’avoir un passager ; autant le bavardage de la radio me convenait seul, autant il devenait difficile de le partager en silence et plus encore de le commenter sans cesse. Nous nous connaissions mal, ni nos goûts ni nos choix ni nos préférences, et mes liens avec mon poste étaient en réalité trop intimes pour les exposer ainsi sans préavis. Comme il ne pouvait être question de papoter sur la journée maintenant terminée, tout avait été dit dès le début du trajet, et que l’installation du silence devenait lourde, j’ai mis de la musique. Je savais qu’il avait ce goût-là, ou plutôt, je m’en souviens, c’est lui qui a proposé la musique : « il y a un grand concert sur France-Musique » a-t-il décrété.
 

Va pour le concert. Le collègue était bien renseigné : diffusion en direct de je ne sais où, d’un concert où se jouait par un orchestre prestigieux dirigé par un chef du même acabit, une symphonie de Bruckner. Un de ces trucs qui durent des plombes, du genre que je n’ai jamais pu écouter de ma vie plus de dix minutes : ou bien j’éteins le poste, ou bien je dors. Mais pour un tel trajet interminable, pourquoi pas Bruckner.
 

Et survint alors justement la rencontre : un éblouissement musical, vécu ensemble sans avoir échangé le moindre mot mais le silence naguère lourd était devenu plume dans une plénitude partagée, une résonance entre nous parmi les séquences symphoniques. La route était trop courte et nous avons failli ne pas entendre la fin, nous avions dû commencer l’écoute nettement après le départ mais je ne me souviens pas des prémisses. A la fin des applaudissements, il était en bas de chez lui, et peu après je rentrais dans mon garage.
 

Je suis convaincu qu’il a vécu cette route comme moi. Mais je n’ai jamais pu l’interroger là-dessus. Il est mort subitement trois jours plus tard, il avait vingt-huit ans.



mercredi 9 octobre 2024

Le roi Lear est un drôle d'oiseau

 Dans la série : "Le Carnaval des Animaux" #10

 

Le roi Lear est un drôle d’oiseau

Raconter ou ne pas raconter une histoire à en devenir chèvre, voilà la question, that is the question en version originale sans sous-titres. Faut-il appeler un chat un chat et Shakespeare à la rescousse, lui qui sait si bien nous conter ses moutons à cinq pattes ? Il s’est donné un mal de chien toute sa vie durant, ce n’est pas le moment de dormir comme un loir. Écrire, écrire, plume d’oie s’il le faut, en tout cas prendre le taureau par ce qu’on voudra et avancer à découvert, nu comme un ver, sans crainte d’être tiré comme un lapin.

Puisque Shakespeare il y a, je choisis le plus vieux, le plus fou, tête de linotte et crête de coq, cou de taureau dressé sur ses ergots, belle chimère, éphémère licorne, mouton noir, Lear, le roi Lear, roi pris dans son miroir aux alouettes. Fier comme un paon en vérité, sensible à la plus vache des flagorneries et noyé de larmes de crocodile, sautillant comme une puce énervée devant la vérité aimante et vraie et pourtant contrariante, et artisan aveugle de son propre malheur, aussi déterminé qu’hirondelle construisant son nid, méthodique, obstiné.

Des pays entiers n’ont pas fait mieux : il est des combats de coqs où les deux périssent à vouloir détruire l’autre. Comme eux il a fini par avaler les couleuvres qu’il avait lui-même élevées sans comprendre. Alors à quoi bon braire comme un âne quand tout fut accompli, il ne lui restait plus qu’à faire l’autruche et attendre la fin, puisque tout le monde était mort.

 

samedi 29 juin 2024

GRETA GILDA RITA NINA

 

 Ceci n’est pas une nouvelle mais une commande. Il fallait traiter ce sujet, bien alléchant : « Greta ET la malédiction de la fée verte » , un piège cousu de fil blanc donnant le champ libre à mes délires.

Las ! Quelque cervelle épidermique a gâché la fête. Il paraît que c’est très vilain de s’attaquer à cette jeune militante nommée Greta et venue du froid. Et un tel énoncé est en lui-même une attaque sournoise et malhonnête, alors une dame sans doute très bien intentionnée m’a prié de fermer mon clapet. Oui madame, les bonnes intentions, et tout ce qui sert de pavage. Non madame, je ne fermerai pas mon clapet et derrière votre statut respectable vous cachez une paranoïa irrecevable. Être à ce point incapable de comprendre un énoncé fait douter des diplômes dont vous vous targuez. Je l’aime bien, moi, cette Greta dont il ne faut pas parler et son combat acharné, je la plains d’avoir des amies de votre acabit. « Mon Dieu, disait la prière de je ne sais plus qui, protégez-moi de mes amis, mes ennemis je m’en charge ».

Des ennemis elle n’en manque pas qui sont aussi vindicatifs que piteux avec leurs accusations d’handicapée manipulée : faute de pouvoir s’attaquer au message, on s’en prend à la messagère, c’est une pratique connue de longue date sous toutes les latitudes, et sous toutes les longitudes aussi. Vaine tactique : le message reste intact et ne perd rien de sa pertinence.

A force de tout interdire sous prétexte de complot, on détruit la cause planétaire et on laisse prospérer les ennemis de notre cadre de vie. Tout cela est d’autant plus ridicule que ce ne fut jamais mon intention d’écrire au sujet de la petite suédoise, au point que j’aurais presque envie maintenant de faire ce qui n’a jamais été mon intention ; madame, votre insurrection était sans objet. Ravalez donc votre bile, le mot Greta dans un titre n’est pas un gros mot.

C’est l’histoire d’une autre Greta que j’aurais aimé inventer. L’histoire de cette Greta-là, sortie de mon imagination ou de quelque grimoire secret, je l’avais sur le bout de la langue, je l’avais au coin de mon clavier ; je l’aurais appelée « Histoire de Greta Bogart », oui, Bogart, puisque Garbo est déjà pris. Oublions les importunes et commençons.

Fille de la Reine et du Roi du pays du Grand Ecran, Lauren et Humphrey, je l’aurais fait naître au pied de la colline du Bois Sacré des Anges. Alors le Roi et la Reine auraient convoqué le ban et l’arrière ban de toutes les fées de la contrée, dans la grande salle du château, en présence de la foule des grands jours façon Oscar. Les voici toutes qui se penchent sur le berceau et y déposent un joli sort.

« Tu seras belle » (c’est banal), « tu auras les jambes de Cyd Charisse » (c’est déjà mieux), « tu auras la voix de Jessye Norman » (réincarnation oblige), « tu vivras cent-quatre-vingt-trois ans » (en bonne santé, c’est important la santé), « tu aimeras et seras aimée » (et par bonheur ce sera la même personne, aimée et aimante, homme ou femme), et ainsi de suite. Difficile de disposer d’un meilleur bagage pour la vie. Les fées envolées pour de nouvelles aventures, le Roi et la Reine se retirent du côté de Key Largo pour un grand sommeil et le brouhaha reprend dans la salle.

L’énoncé le dit clairement, ce n’est pas Greta qui provoque le malheur, c’est le malheur qui s’abat sur elle. La porte du fond s’ouvre sur une créature de rêve, moulée dans un lamé aux reflets verdoyants, les mains gantées de même couleur jusqu’au dessus des coudes, perchée sur des stilettos d’au moins douze centimètres mais je n’ai pas mesuré. Un murmure parcourt la salle tandis qu’elle s’avance, sévère et voluptueuse, précédée d’un interminable fume-cigarette : « Ninotchka, la fée verte ! » entend-on ça et là. Son regard vert attentif et menaçant ne quitte pas le berceau, elle en laisse tomber sa cendre dans le champagne d’un convive du premier rang. « Put the blame on me », susurre-t-elle. Il y a toujours plusieurs femmes dans une seule fée, plusieurs rôles dans un seul conte, et les étoiles se bousculent pour être dans la lumière.

Père et mère absents, personne ne s’interpose. Il aurait fallu siffler pour qu’ils viennent, juste siffler. L’enfant réveillée la regarde de son petit air décidé et insolent, la fée verte se penche et son souffle enveloppe Greta, léger, mystérieux, pénétrant. Elle se redresse, toise l’assemblée pétrifiée et s’éloigne en chaloupant sa chanson, « put the blame on me ». La porte du fond claque sur un silence de mort qui ne peut étouffer, répercuté sur les murs, les poutres, les piliers, ce qui fut dit à l’oreille de l’innocente. Alors peu à peu on comprend et les cheveux se dressent sur les têtes.

Je dois le finir, ce conte qu’on m’interdit d’écrire. Le temps passe, fait-il autre chose que passer, le temps, et personne n’ose raconter l’incident au Roi et à la Reine, alors on l’oublie. La petite grandit. Toutes les prédictions s’avèrent, sauf évidemment la longévité on ne sera plus là pour vérifier. Encore une affaire de temps.

Comme toutes les ados, Greta décide un jour d’aller voir ailleurs qui elle est. Les parents, après une résistance aussi nécessaire qu’inutile assortie de dernières recommandations aussi inutiles que nécessaires, la regardent la mort dans l’âme partir légère pour le pays du Petit Ecran.

C’est là-bas que tout va se gâter à cause d’un phénomène étonnant. Il y avait bien eu quelques alertes au Grand Ecran, mais trop rares pour vraiment attirer l’attention et faire le rapprochement avec Greta. Il se trouve que la population du Petit Ecran est très différente et que le phénomène s’y multiplie, de sorte que très vite tout le monde remarque qu’il est lié à la présence de la jeune fille : sitôt qu’elle apparaît quelque part, en plein air ou en intérieur, en réunion, au spectacle ou à quelque tribune, on voit autour d’elle des gens, en nombre variable, jeunes ou vieux, instruits ou incultes, devenir fluorescents plus ou moins intensément, qu’ils soient d’ailleurs ses amis, ses ennemis, ou des passants de hasard. Il suffit parfois que l’on parle d’elle, en bien ou en mal, et voici qu’ils sont trois ou quatre à luire autour de la table. Cela devient même un jeu pour les soirées d’hiver.

On s’interroge, on conjecture, on échafaude, on raisonne, on ratiocine, on polémique, mais sans résultat. Stoïque, Greta traverse ces tempêtes, et nul ne sait si elle en souffre, en jouit, ou si elle ne remarque rien. Le chahut s’amplifie et, à force, finit par atteindre la colline du Bois Sacré, malgré les murs de verre qui séparent Grand et Petit Ecran. Et là-haut vivent quelques uns de ceux qui étaient présents au baptême de Greta, et parmi eux il en reste qui ont encore un peu de mémoire. Et au moins l’un d’eux s’est alors souvenu des mots exhalés dans le souffle de la fée verte, les mots de la malédiction.

« Tu sera la révélatrice des imbéciles ».

Voilà, c’est toute l’histoire, celle que j’aurais pu raconter. Mais comme la même malédiction s’est abattue aussi sur cette Greta dont il ne faut pas parler, alors je ne dirai rien.

lundi 17 juin 2024

LES TROIS INVENTEURS ET LES TROIS INVENTIONS

         Il ne faut jamais croire ce que je raconte. J’aimerais tant que mes histoires soient vraies que j’y crois, moi qui pourtant ne crois à rien. Mais je vous déconseille de m’imiter. Alors voici comment j’invente les inventeurs d'inventions qui ont été bel et bien inventées, mais par d’autres inventeurs dont je n’ai pas besoin de conter l’invention. Alors que l’on croit mes mensonges, et je continuerai de mentir.

1.            Le premier inventeur et la première invention

Le jacuzzi.

Décidément la communication, comme ils disent dans les hautes sphères de la pensée, ne recule devant aucun obstacle pour attirer le chaland si tout va bien, ou le pigeon le reste du temps. Tout le monde sait, on nous l’a tant seriné, que la lente et inexorable montée du chômage dans les années septante était attribuée à l’inefficacité française, abondamment comparée certes à l’Allemagne voisine et si travailleuse, mais surtout au lointain et conquérant Japon.

Nous avions pourtant inventé un bel appareil, en partie copié sur les scandinaves mais dont le nom était encore plus imprononçable que ceux d’un meuble à monter soi-même venu de ces pays-là. On dira que nous n’étions pas inventeurs, que les italo-américains étaient passés avant nous, et qu’ils faisaient déjà florès à travers le monde. On dira ce qu’on voudra et moi je raconte l’histoire que je veux.

Une pompe faisait circuler de l’eau dans la baignoire par petits jets répartis agrémentés de bulles soufflées par un compresseur. L’ensemble nous faisait planer pendant une heure ou deux dans la salle de bain, on en sortait tout gaillard bien après l’arrivée des invités pour le dîner qu’on avait oublié entre temps. Nous lui avons cherché un nom bien français, ce qui était une erreur commerciale majuscule alors que la fabrication se faisait dans le département du Rhône-et-Garonne ; anglophone ou exotique oui, mais français, quelle idée ! Les créatifs de service en rient encore de nos tentatives, la baignoire à bulle, la bulleuse du soir, la bulle coincée, le chatouillis des familles, le repos du guerrier …

Notre ami Jacques usé par des nuits de recherche finit par proposer Jacuzzi. Un mot d’apparence japonaise pour les uns, disait-il, italien pour les autres, exotique en tout cas, et qui échappait à l’omniprésence américaine. Que ce soit précisément le nom qu’avait donné les américains Jacuzzi à leur imitation de notre invention quoique antérieure nous avait échappé, mais les yakuzas japonais ne nous l’ont jamais pardonné.

2.            Le deuxième inventeur et la deuxième invention

Le cardigan.

C’est dans la ville de Cardigan dont je ne ferai à personne l’injure de dire où elle se trouve qu’une mésaventure est arrivée à Miss Marple, célèbre pour de toutes autres raisons. Elle venait de finir de tricoter un pull-over de grande beauté en pure laine des moutons du coin réputés dans le monde entier pour, justement, leur laine, tout en écoutant bavarder le groupe réuni dans le salon principal de l’austère demeure où l’habituel crime avait été commis.

Elle n’avait perdu aucun centimètre de la précieuse laine ni aucune syllabe des paroles échangées. Elle sut dès la dernière maille stoppée qui était l’assassin. Trop concentrée sur son ouvrage elle oublia de maîtriser son regard d’ordinaire dissimulé derrières sa mauvaise vue et l’assassin comprit qu’elle avait compris.

La scène fut foudroyante : il saisit la hache d’une armure décorative comme il s’en trouve toujours dans ces endroits-là à ces moments-là, et en asséna un coup radical destiné à obtenir deux miss Marple pour le prix d’une, une à gauche et une à droite. Très digne et très raide, notre héroïne s’était légèrement reculée et le pull-over faussant la perspective, il fut seul tranché net sur le devant.

Moyennant boutons et boutonnières, on l’appela désormais cardigan, marque déposée, et c’est pourquoi Agatha Christie ne put donner ce titre à ce roman-là.

3.            Le troisième inventeur et la troisième invention.

La bakélite.

L’idée le travaillait depuis longtemps. Depuis son enfance lorsqu’il partait en longues promenades à travers la forêt des Landes où ses parents réfugiaient leurs vacances, Edouard Bakel jouait à poser ses mains sur les blessures des pins d’où s’écoulait l’odorante résine. Il ne bougeait plus, il aimait sentir l’épaisse sève lentement durcir autour de ses doigts, transformant peu à peu sa main en sculpture. Il s’efforçait de lui donner une forme initiale et tentait de la maintenir pendant tout le processus, afin d’obtenir d’improbables expressions nouvelles figées, que sa mère furieuse mettait ensuite des heures à détruire et à nettoyer, non sans arracher ici ou là un peu de peau.

Il recommençait le lendemain.

Devenu grand, il ne joua plus avec ses mains, jeux de vilains lui disait-on, mais avec des cornues, des alambics, des éprouvettes, des réacteurs, des chaudrons, toutes sortes d’ustensiles aux allures menaçantes, pour obliger la matière à lui obéir, à se former à sa fantaisie à lui, à prendre la place qui l’attendait. Un jour qu’il expliquait à un grand industriel l’avenir de ce matériau insolite afin d’obtenir le financement final qui devait lui permettre d’aboutir, emporté par son élan, sa passion, son discours, ses grands gestes, il cassa le grand vase Ming qui trônait au centre de la table.

Consterné, l’industriel lui proposa ce marché : ou bien Edouard le remboursait du vase à hauteur de la somme nécessaire à s’en procurer un similaire, soit le refaire avec son produit magique. Entre s’endetter pour le restant de ses jours ou trouver un débouché à son idée le choix fut vite fait. Il se lança dans la fabrication d’un vase en résine, et, poussé dans ses derniers retranchements par cette nécessité nouvelle, il trouva enfin le dosage parfait.

Bien sûr le résultat était noir. Mais sans conteste, il était, exactement comme le vase Ming, fragile. L’industriel, tout content, signa l’inventeur Bakel de ce qu’il appela aussitôt la bakélite ; puis il posa le nouveau vase aussi noir à reflets qu’un Soulage sur la table du salon, si allégrement qu’il le cassa.

Quoi ? Il n’y a pas de résine de pin dans la bakélite et monsieur Edouard Bakel n’a jamais vécu ? Il y a toujours des gens pour me gâcher la fête.

vendredi 7 juin 2024

La vengeance de Mado

 

 

Il y a quelque temps de cela, par une de ces journées de canicule dont le réchauffement climatique a le secret, je déambulais ma transpiration dans les rues de Pézenas. Dans ces régions habituées aux chaleurs, les anciens savaient s’en protéger et construisaient des villes sans ligne droite en soignant l’étroitesse des rues, autant par nécessité militaire que pour les bienfaits thermiques. Les ruelles sont un enfer pour les conducteurs de catxcat mais une bénédiction pour le flâneur, il y a toujours une ombre encore fraîche, une table et une chaise pour se désaltérer, café frappé ou Campari.

J’étais là, à rêvasser devant les anges musiciens, quand une dame s’est assise à ma table sans prévenir, tirant une chaise restée vide de la table voisine. Je n’aime pas être coupé dans mes rêves par lesquels ce jour-là j’aurais pu sauver le monde ; je n’ai pas été accueillant et comme elle ne disait rien je suis resté muet. Je n’allais pas donner une permission qu’on ne m’avait pas demandée.

« Vous êtes quand même bizarres » dit-elle soudain après un bon moment de chiens de faïence. Elle parlait clair en me regardant droit, avec un je ne sais quoi d’accent réfréné, mélange d’occitan local et de québécois de Gaspésie. Interpelé, il fallut bien que je la regardasse (l’atmosphère était propice au subjonctif des siècles passés). J’avais fini mon campari et je ne pouvais plus feindre de contempler le dernier glaçon et le reste de pelure d’orange qui stagnaient.

Je ne lui donnais pas d’âge et pourquoi faudrait-il que nous donnassions un âge aux dames que nous ne donnons jamais aux messieurs ? Un regard dur à première vue, plutôt volontaire, de grande énergie, de grande résilience, sans doute après avoir traversé des épreuves. J’ai soudain soupçonné qu’elle était actrice de théâtre, à l’ancienne par cette articulation de mots si nette, à entendre toutes les lettres même à voix basse. Je ne répondis donc pas à sa remarque qui peut-être ne s’adressait pas à moi en personne, et il fallait la provoquer sans trop m’avancer sur ce champ de bataille inconnu.

« Comédie Française ? » dis-je. Effet réussi, elle resta un instant bouche bée.

- Comment savez-vous ? ». A vrai dire, je ne savais rien mais il fallait tenir la rampe.

- Sociétaire ou pensionnaire ? » ai-je répondu pour faire le malin.

- Rien de cela, et je vois bien que vous ne savez rien ». En bonne combattante, elle avait repris le dessus. « Je peux vous dire que sans moi, c’est toute l’histoire de cet illustre théâtre qu’il faudrait effacer des grimoires ».

A mon tour de rester coi. Alors elle parla. « Pourquoi croyez-vous que je sois ici, à Pézenas plutôt que Caracas ou ailleurs ? On fait tout un plat de ce Molière à Pézenas histoire d’appâter le touriste et je suis venue pour une vieille vengeance inachevée, que je crains ne plus pouvoir accomplir.

« Alors oui je suis actrice mais je ne suis ni Sociétaire ni Pensionnaire ni rien de ces statuts dont on se gargarise dans la Grande Maison car je suis morte huit ans avant sa création. Et pourtant, sans moi, pas de Comédie Française ni de Molière d’ailleurs, ce petit bonhomme à moustache un peu pervers un peu barbon. Morte trop tôt pour recueillir les fruits de ma vie, après avoir travaillé comme une folle aux plus fameuses créations qu’on lui attribue, à cette ordure de Jean-Bat ».

Devant mon air ahuri, elle prit un ton condescendant. « Vous ne comprenez pas, jeune homme ? » L’interjection dédaigneuse au moins me rajeunissait furieusement. « J’ai trois-cent-cinquante ans de plus que vous, s’écria-t-elle alors en écartant les bras d’un geste théâtral, forcément théâtral, je suis Madeleine Béjart ! ». Croyez-moi ou ne me croyez pas, je la crus. Comme un étourdi, je lui demandai pourquoi Molière, pourquoi ordure, pourquoi vengeance. A son regard, je sus que je venais de poser le pied sur une mine et que n’avais plus qu’à attendre l’explosion. Elle vint, postillons à l’appui.

« J’ai dit bizarres, mais ce n’est rien de le dire, vous êtes nuls et désespérants. Je l’ai porté, je l’ai poussé, je l’ai consolé, j’ai écrit ses plus beaux textes et ses plus célèbres répliques, il ne s’intéressait qu’aux scènes de dépit amoureux et de coups de bâtons, même la galère il l’a volée à Bergerac, et soudain un grand soir il m’annonça son mariage avec ma fille, un tendron dont j’ai compris alors qu’il l’avait subornée bien avant. Exactement comme votre Woody Allen que vous admirez tant. Et c’est vrai que ses films sont bons, le salaud. Ne prenez pas cet air étonné, je suis au courant car je suis dans votre temps depuis une belle lurette.

« Ma vengeance ? Elle a failli réussir. J’ai un don, peu vous importe d’où je le tiens, je repère en trois pages les tics et les trucs de tout auteur, de mon temps jusqu’au vôtre, et relire en aveugle Montaigne, Corneille, Marivaux ou Balzac me les fait deviner aussi en trois pages. Ne parlons ni de Hugo ni de Proust, je les trouve en deux phrases. Alors, au fur et à mesure des rééditions, les dix dernières années de ma vie de vivante, j’ai modifié les textes, en y plaçant ici et là les tics et les trucs de Corneille. L’autre animal n’y a vu que du feu. Un jour, pensais-je, on lèvera le lièvre et Molière sera mis au pilon remplacé par l’auteur du Cid. Quelle revanche !

« Il y a quelques années, des journalistes en mal de sensation m’ont presque exaucée ; je n’avais pas si mal travaillé. Ce ne fut pas suffisant, je n’avais pas eu le cœur de caviarder mes tirades et mes sermons, mes portraits et mes saillies, la thèse a été réfutée, trop de monde à reconvertir. Molière, ce pauvre type, est bien accroché dans vos têtes, il aurait fallu beaucoup plus d’arguments : j’ai échoué. Sachez-le pourtant jeune homme, les œuvres finissent par échapper à leur auteur et personne n'a le droit de priver le monde du plaisir de les lire, de les voir, de les entendre. On peut cependant en écarter l’auteur, les attribuer à d’autres ou à personne, n’en déplaise aux juristes et aux patriarches. Il y faut de l’énergie et s’y mettre à plusieurs. J’étais trop seule. Et pourtant, Les Femmes Savantes de Madeleine Béjart, en voilà une belle affiche, non ? Encore une fois morte trop tôt !»

Elle se tut et commanda un campari. « Je ne suis jamais allée en Italie, il y a bien loin en ce pays-là, mais on y fait des breuvages étonnants fort bons qu’il ne faut pas boire n’importe où, n’importe quand, avec n’importe qui. Il me fait du bien ; je suis très fatiguée. Les femmes d’aujourd’hui ont du pain sur la planche malgré les changements qui ne m’ont pas échappés et qu’il m’aurait été bien agréable de vivre en mon temps. Changements en vous, monsieur, messieurs, changements dans la Société, vos lois, vos pratiques, vos enseignements, et changements chez mes sœurs aussi. Il leur faut trouver les bonnes cibles, les bons motifs, les bons combats. Je ne vois que trop en elles les lenteurs et les maladresses, les extrémismes et les anathèmes qui les font régresser.

« J’ai fait mon temps. Je me suis assise à votre table parce que vous aviez besoin de moi pour écrire, ce n’est pas neuf, Jean-Bat était comme vous, sans moi rien. Je ne vous dirai pas tout ce qui vient de ma plume dans les textes qu’il revendique, savoir qui a écrit importe peu pourvu que l’œuvre existe. Alors écrivez, oubliez Jean-Bat et Mado, oubliez Pézenas et les anges musiciens qu’on a sculptés et posés là peu avant ma naissance. Woody a fait ce que Jean-Bat avait fait avant lui, je ne peux pas ne pas penser qu’ils tous deux commis du Polanski, sans moyen de le prouver.

Ce n’est sans doute qu’un couteau dans l’eau ».

Elle croqua sa rondelle d’orange et elle disparut.