mercredi 26 février 2020

10 MINAUDERIES



MINAUDERIES : Mes façons d’aimer

1.  J’aime la lettre M

1.     Même mouillé, il mit maintes fois au MoMa la main au milieu des mots malhabiles du musée, et malgré lui le mouvement du monde l’amena à mon manège. « Merci mon ami me marmonna-t-il, mais les messages maniérés m’ont menti et le merle moqueur est maintenant malade ».
2.     Ah dis-moi maman quel méli-mélo la mélodie, même un miracle aurait eu mal à manier l’air marin en mimant la musique de Mozart : il est mort maintenant, Mickey.

2. J’aime, je n’aime pas

3.     J’aime lire. Je plonge dans un univers ou plutôt c’est l’univers qui me happe et m’entraîne aux confins d’un autre monde.
4.     Je n’aime pas lire. Le temps a passé et soudain je dois courir pour rejoindre notre monde à nous tous qui a continué son chemin sans moi.
5.     J’aime écrire. Peu à peu les images se construisent sous mon crayon, ma plume, mes touches, et la vie prend un sens.
6.     Je n’aime pas écrire. Les textes dans leur tiroir vieillissent mal et lorsque je les revois, je me demande qui a bien pu les commettre.
7.     J’aime jardiner. Entouré de la ville minérale, des bribes de vie végétale sourdent du sol sous mes soins et éclatent en fleurs.
8.     Je n’aime pas jardiner. Après deux heures d’efforts, la révolte gronde des cervicales aux lombaires et le voltarène guette.
9.     J’aime voyager. Les grands espaces, les routes infinies, les villages authentiques, les objets chatoyants et les couchers de soleil.
10.  Je n’aime pas voyager. Les immensités vides, les routes interminables, la pauvreté des villageois, les pacotilles à touristes, les nuits trop courtes.





vendredi 21 février 2020

Chambres en ville


Dormir, mais pas toujours. Chambres inattendues, inappropriées, incertaines, inévitables. Chambres de mésaventure.

1.     Auberge espagnole

La dame de l’auberge ouvrit la porte pour nous montrer la chambre. C’est le mot qu’elle a employé, le mot « habitación », que je traduis par chambre. Il y a peut-être d’autres traductions. Elle faisait deux mètres de largeur par deux mètres cinquante de longueur et était encombrée d’un lit à une place et d’une chaise paillée. Aucun autre meuble n’aurait pu y loger, déjà que pour ouvrir grand la porte il fallait déplacer la chaise. On se serait cru dans une chambre parisienne d’étudiant, de celles qui sont louées à prix d’or par des propriétaires délicats.
Le lit faisait face à la porte aligné le long du grand côté, la chaise était disposée en chevet unilatéral. Une ampoule pendue à son fil éclairait la pièce depuis le plafond. Pas de fenêtre. Rien aux murs, beige-marron.
C’était la seule chambre disponible de la seule auberge de la région disposant de chambres disponibles, il était dix heures du soir et il pleuvait ; alors entre Teruel et Cuenca ce fut une longue insomnie entrecoupée de somnolence.

2.      Chambre d’amis

La maison est toute en escaliers et la chambre d’amis est en haut, au deuxième étage. Nos hôtes nous y reçoivent volontiers ce qui nous évite de reprendre la route après un joyeux repas avec eux. Pour l’atteindre, nous devons franchir le premier palier où se trouve leur chambre, ainsi que les lavabos et les commodités.
L’escalier est un ancien escalier en chêne, si fatigué de tout ce monde qui le piétine depuis des siècles qu’il gémit et croasse à chaque pas, à chaque marche, aucune pantoufle n’y peut rien changer. La chambre est vaste, plutôt froide en hiver car le chemin est long de la chaudière au radiateur, plutôt chaude en été sous les toits mansardés. Elle est claire, jour et nuit. La grande fenêtre sans volets domine les maisons d’en face et donne sur le puissant lampadaire de la rue dressé juste là.
Après une bonne soirée à deviser et festoyer, nous montons nous coucher et nous restons prisonniers de la chambre jusqu’au matin, de peur de déranger avec les gémissements du bois. Si au moins il y avait un pot de chambre dans la table de nuit ! Si au moins il y avait une table de nuit !
Nous aimons bien nos amis, nous leur rendons visite souvent, mais, sauf votre respect monsieur le code de la route, nous dormons chez eux rarement.

3.      Hangar à bateaux

La chambre fait environ trois cents mètres sur quatre-vingts. Le plafond à quinze mètres de hauteur est constellé de projecteurs. Il y a, répartis sans logique identifiable, des petits groupes de sièges individuels disposés en rangées de cinq, constitués de coques en plastique donc impossibles à transformer en banquette.
La chambre est divisée en deux secteurs par le long comptoir double, seule partie restée obscure de ce qui ressemble bien plus à un hangar qu’au terminal d’embarquement maritime qu’il prétend être. Des ordinateurs y sont disposés régulièrement, tous éteints. Ce sera sans doute la zone d’enregistrement dans une vie future mais il n’y a présentement personne derrière les comptoirs, c’est vraiment fermé. Il n’y a personne non plus pour nous accueillir, nous parler. C’est pourtant bien ici qu’il fallait se présenter et notre arrivée à cette heure tardive était connue de longue date, le bateau sur lequel nous devons embarquer est d’ailleurs là, juste derrière, il nous tendrait presque sa passerelle, mais la seule porte qui lui correspond est verrouillée. Nous découvrirons plus tard qu’il y avait de la place pour nous sur ce bateau.
Quelques passants passent. Certains se parlent dans des langues inconnues. La résonnance des lieux est telle que même connue la langue serait incompréhensible. Ils sont sans doute aussi perdus que nous, et tous aussi prévus de longue date.
Dans un coin du hangar, un grand tapis a été posé sans raison apparente, ainsi qu’un paravent ajouré comme on sait les faire dans ces pays d’Orient compliqué. Il s’agit probablement d’une réminiscence des campements bédouins qui, il n’y a pas si longtemps, était l’habitat usuel et suffisant de ces gens du voyage. Un décor absurde posé sur le sol de béton : tapis, coussins, paravent, en forme d’irrésistible tentation.
Alors, en attendant que l’organisation défaillante de notre accueil se réveille enfin, nous nous y sommes endormis jusqu’au petit matin.