Le ministère de l’Education
Nationale a décidé que tous les enfants de 12 ans scolarisés recevraient une
tablette à partir du mois de septembre de l’année prochaine.
La nouvelle devait rester
confidentielle. En effet, il s’agit de la mesure-clé du grand plan d’économie
budgétaire dont on annonce le lancement depuis plusieurs mois sans que rien ne
se passe. L’opposition se déchaîne et les journaux se moquent devant les effets
d’annonce jamais suivis d’effet. Aucun début de commencement de la moindre
économie dans ce ministère miséreux. Il y a bien longtemps qu’en haut lieu,
chez ces gens-là, on a décidé que s’occuper des nouvelles générations n’avait
aucun sens et qu’il valait mieux cesser de dépenser de l’argent à former des
chômeurs. La logique comptable est imparable.
Mais il fallait réduire au silence
les mauvaises langues et les propos d’estrade. Alors un petit malin du
ministère a suggéré que l’on fasse fuiter la nouvelle. Les esprits seraient
ainsi occupés, les jeunes loups cravatés chantant la modernité de la décision,
les vieux ringards barbus s’inquiétant de l’addiction aux écrans en absence de
toute pédagogie d’accompagnement ; peu importent les postures du moment
que les esprits croient qu’enfin une dépense importante serait faite en faveur
de l’enseignement.
Le résultat fut accablant. Les
syndicats redoutaient depuis longtemps mais sans pouvoir le démontrer qu’une
politique de réduction des effectifs se préparait : ils disposèrent là de
la confirmation de leurs soupçons. La fuite précisait en effet que ces
tablettes allaient permettre le télé-enseignement, renommé pour l’occasion
l’e-learning, modernité oblige. En d’autres termes, pour le prix d’une
tablette, ou plutôt de trente tablettes, on allait économiser un professeur, ou
une professeure pour les délicats de la parité. Cent-mille, deux-cent-mille
fonctionnaires allaient être mis à pied, révoqués, ou poussés à la démission,
dans les trois années à venir, et pourquoi pas tous d’ailleurs, quelques
stagiaires bénévoles suffiraient à entretenir le matériel.
Les essais de logiciels
d’apprentissage auxquels on assistait depuis quelques mois à grands renforts
d’intelligence artificielle trouvaient là toute leur signification et, pour
faire bonne mesure, on comprenait maintenant la raison de la création dans le
ministère de cette pléthorique et mystérieuse DEN, la Direction à
l’Enseignement Numérisé. Il ne faut jamais oublier la règle : seuls les
professeurs coûtent cher, pas les personnels du ministère.
Comme par hasard, un projet de loi a
été présenté ce matin en urgence au Parlement autorisant la mise à pied
immédiate de tout professeur absent pour raison autre que médicale dument
justifiée par un médecin désigné par le ministère. Ou un interne. Ou un
infirmier. Ce qui est préférable, les internes et les infirmiers sont moins
chers que les médecins, et du moment qu’ils sont désignés … Le projet
n’envisageait pas les aides-soignants, ni les aides-soignantes, mais un député
zélé y pensera peut-être, dans ses amendements.
Les syndicats sont vent debout. Ils
préparent leurs calicots, leurs ballons de baudruche, leurs mégaphones et leurs
merguez. Ils déterminent les trajets des cortèges. Ils causent dans les
lucarnes. On va voir ce qu’on va voir. Pendant ce temps, les sondages révèlent
que soixante-dix-huit pourcents des parents d’élèves sont favorables à la
réforme, oui, c’est ainsi qu’on nomme cette décision, une réforme, les profs
étant inutiles pour soixante-et-onze pourcents, hommes ou femmes parité parité
(pour cinquante-trois pourcents des sondés ils ne servent à rien, pour dix-huit
pourcents ils sont nuisibles à l’équilibre du cher petit). On peut enfin
ajouter pour que le paysage soit panoramique que soixante pourcents approuvent
la disparition du statut du fonctionnaire, et que quarante pourcents sont
fonctionnaires.
Le cours de l’action Apple a bondi
de 27 points à la bourse de New York.