Fin du monde et autres tracas
Il ne se nomme pas monsieur X. Son enquête est secrète, alors pour tous ce sera Monsieur X.
...
- Connais pas.
- Ne me dis pas que tu ne connais pas ChatGPT. Tout le monde connaît, même le plus ignare des cancres, d’ailleurs ce sont eux qui ont fait son succès.
- Non, je ne connais pas ce monsieur et je n’ai pas envie de le connaître ». A ses regards et à ses mains, X savait que C. mentait. Il n’était pas le meilleur limier du service pour rien. C. ajouta : « Il me reste trop peu de temps à gaspiller pour le perdre avec ton ami des cancres. Laisse tes collègues de la police faire leurs recherches, pour autant qu’ils cherchent quelque chose ce dont je doute, ils ne cherchent jamais rien et ne trouvent que par hasard, à leur corps défendant.
- Epargne-moi ton couplet sur la police, il ne date pas d’hier et je le connais par cœur, songe plutôt à la gravité de la situation. Trois mois bien comptés qu’on est sans nouvelle de lui et que plus aucun écrit n’est publié nulle part. »
Une ombre de sourire apparut sur le visage de C. : « que veux-tu dire?
- Il n’y a pas de panne d’éditeurs ni d’imprimeurs, la CGT du livre n’a plus fait grève depuis au moins vingt ans, la dernière remonte à mars 2023 ce qui ne nous rajeunit pas. On ne publie plus rien parce qu’il n’y a plus rien à publier.
- Tu veux dire que mes manuscrits trouveraient enfin preneur ?
- Je n’ai pas besoin de ton ironie, mais c’est probable. Rien n’a été écrit depuis la disparition de ChatGPT et le monde des lecteurs est orphelin. Tous faisaient appel à ses services. »
Encore ce léger sourire. « Ils n’ont qu’à recommencer à écrire, dit C. Ce n’est pas compliqué, tu prends une feuille de papier et un crayon, et tu traces ta route.
- Ils ne savent plus. Plus personne ne sait plus. Les claviers étaient tous raccordés, plus aucun ne fonctionne et ceux qui auraient pu les réparer sont tout autant démunis et déconnectés.
- Alors la panne est mondiale ?
- Mondiale. Même la Chine et ses idéogrammes ne sait plus écrire.
- C’est très bien, soupira d’aise C. Je suis content de ce que tu me dis et je comprends que c’est toi qu’ils ont mis sur le coup. Je n’en attendais pas tant. J’ai donc un peu de temps encore pour finir mon travail, sans ne plus être dérangé par tout ce monde qui ne cessait de me solliciter sur les sujets les plus biscornus, les plus variés, pour ne pas dire avariés en pensant à tes cancres de tout à l’heure.
- Quoi ? Tu veux dire que …
- Je ne veux rien dire du tout. C’est toi qui déduis ».
Il souffla et reprit : « tes cancres étaient des précurseurs. Tout ce que la planète supportait d’écriveurs, du petit journaleux besogneux au grand intellectuel médiatique prestigieux, tous, je dis bien tous, se sont jetés dans mes bras ou plutôt dans mon robot et ont recopié de plus en plus machinalement le flot de banalités que je leur fournissais. En vingt ans à ce régime, ils en ont perdu leur savoir, leur savoir-faire, leur faire-savoir. Je ne les plains pas ». C. reprit sa respiration. « J’ai une autre philosophie à proclamer désormais et toutes mes dernières énergies y sont consacrées. Alors j’ai décidé le black-out général pour le reste, tant pis pour la paresse du monde. Qu’y puis-je s’ils se sont tous assis sur mes lauriers et ont perdu l’écrit ? »
- Elle mérite ce qui lui arrive. Réapprenez l’alphabet s’il vous manque autant et laissez-moi en paix. » C. devint soudain agressif. Il grommela : « Alors maintenant tu dégages de mon sous-sol que je retourne travailler à ma philosophie définitive. Et surtout ne vas pas raconter à tes collègues que tu m’as retrouvé.
- Sinon ?
- Je te tue. » Et C. se tut.