dimanche 28 septembre 2025

AVIS de TEMPÊTE

AVIS DE TEMPÊTE
Il faut toujours divaguer devant un tableau, en particulier devant ceux d’Edward Hopper :     

                              
 

     Second story sunlight, 1960.

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Il y a beaucoup d’avantages à se reposer à Cape Cod en mars.

Il n’y a personne, et parfois on a des après-midi magnifiques sur le golfe, le soleil disparaît derrière les collines dans un grand éclair blanc dont l’eau calme conserve la lumière jusqu’à la nuit.

Margaret eut un peu de mal à convaincre sa fille de l’accompagner pour ces quelques jours de villégiature, mais Charlotte accepta finalement car sa mère payait tout, en cette saison les prix sont bas.

Il y a beaucoup d’inconvénients à se reposer à Cape Cod en mars.

Il n’y a personne, et toujours il fait froid, sauf parfois un étrange après-midi ensoleillé de ce côté-ci du cap, avant que le soleil ne s’efface derrière les collines là-bas, sur le continent, annonciateur de tempête. De courts moments dont Charlotte voulait profiter pour bronzer avant le vent du soir.

"

    « Charlotte, écarte-toi, tu me fais de l’ombre ! 

    - Mais non, tu es en plein soleil, je ne te gêne pas du tout, c’est juste un prétexte pour que je rentre.

    - Tu n’as rien à faire sur cette rambarde dans cette tenue ! Pour qui va-t-on nous prendre ?

    - Il n’y a personne, voilà une semaine qu’on ne voit personne, qui pourrait bien nous prendre pour je ne sais quoi ? Et d’abord je veux bronzer, c’est le premier jour tiède après toutes ces pluies.

    - De te savoir perchée là m’empêche de me concentrer.

    - Fallait pas m’amener ici. Si c’est pour lire ton journal, on était aussi bien à Boston.

    - T’entendre tourner en rond dans l’appartement de Boston à ruminer ta séparation est encore plus gênant pour lire. Ici au moins tu as toute la plage pour tourner en rond.

    - Je ne tourne pas en rond, maman, je bronze sur toutes les faces, et je tente de récupérer les derniers rayons. J’en profite pour regarder le voilier là-bas qui rentre au port.

    - Ce n’est pas un voilier ma fille, c’est un bateau de pêche, il n’a même pas de voile.

    - Il y a peut-être le beau marin qu’on a croisé ce matin au marché.

    - Tu ne reconnais pas les bateaux mais tu sais voir un beau marin si loin ?

    - Laisse-moi le croire, maman, laisse-moi croire à ma vie sans t’en mêler, laisse-moi regarder le golfe, l’autre rive, les collines, le soleil, et les beaux gosses. Je tournerai moins en rond et tu pourras lire tranquille.

    - Tu parles comme si tu te préparais à te jeter dans une nouvelle histoire même pas guérie de l’autre.

    - Pour guérir comme tu dis, j’ai justement besoin d’une nouvelle histoire et on ne l’appellera pas histoire, on l’appellera remède. Le marin du chalutier sera mon homme-médecine.

    - On ne le voit plus, ton bateau. Ton rêve a déjà coulé avant d’être né et si tu ne bouges pas de ton perchoir tu vas attraper froid.

    - Mais si, je le vois, je le vois, je vois son mât qui dépasse de la jetée. La tempête qu’on annonce ne lui fera aucun mal et demain matin, emmitouflée dans mon ciré mais toute bronzée en dessous, je le retrouverai, mon matelot et son goût d’eau salée. »



lundi 1 septembre 2025

DU PLAISIR DE LA LECTURE

 

L’humanité un jour a découvert l’écriture et, curieusement au même moment la lecture. C’était il y a un certain temps, et ils en avaient mis, du temps, pour y parvenir. L’humanité de ces temps-là était besogneuse, et sans doute craignaient-ils les conséquences de l’invention, affiches commerciales, articles mensongers, écrits insalubres et autres abominations qui s’ensuivirent. Mais il ne fut plus possible de faire machine arrière sitôt qu’on s’aperçut que les paroles s’envolaient et que les écrits restaient. En particulier les tablettes en calcaire, que le vent laissaient de marbre.

Un certain temps, donc, mettons dix mille ans et n’en parlons plus, les chipoteurs passeront leur chemin. Le plaisir de la lecture date de ce temps-là je suppose. Je dois humblement avouer que mon plaisir à moi de mes lectures date de beaucoup plus tard quoique je ne me souvienne pas de tout. Je devais avoir cinq ou six ans et le néolithique était terminé depuis longtemps, encore qu’on ne soit jamais sûr de rien. A mon tour, j’étais happé par la magie des petits signes tordus dont l’alignement tout à coup se transformait en un nouveau monde.

Mes parents qui, en toute logique, auraient dû se réjouir de me voir franchir ce pas initiatique au sortir de la maternelle s’horripilaient de m’entendre ânonner tout imprimé passant à ma portée de vue, de la réclame du jour -on disait encore réclame- à la boîte de biscuit interdite d’accès, du journal du soir au mode d’emploi de la TSF. Je n’avais généralement pas le temps de tout parcourir de ces univers incompréhensibles, mais brièvement je sentais autour de moi un grouillement qu’il me faudrait bien un jour déchiffrer pour le défricher, sans me le formuler de quelque manière.

C’est étrange, en confrontant ces bien vagues souvenirs avec ce qu’on a pu me raconter plus tard, je réalise que la lecture m’est venue en même temps que la parole : j’étais un marmot silencieux au point de commencer à inquiéter mes parents qui ont cependant attendu que j’aie dépassé mes quatre ans pour en effet se pencher sur mon silence. Aujourd’hui, nul doute qu’on aurait convoqué le ban et l’arrière ban des médecins, des pédiatres, des orthophonistes, et des psy de tous suffixes. J’ai échappé à ce déluge et à quatre ans et huit mois sans préavis je me suis mis à tenir des discours interminables avec sujet verbe complément conjonctions coordinations et toutim, façon Proust.

C’est bien sûr ce qu’on m’a raconté, je ne me souviens de rien. Trois mois plus tard l’écriture est venue me séduire en m’agitant son alphabet sous le nez, et surtout son inséparable petite sœur, la lecture. Depuis je n’ai plus cessé ; je lis encore les boîtes de conserve, la composition détaillée des biscuits, le téléphone du fabricant, le mode d’emploi de ma nouvelle auto -trois-cent-cinquante pages sans compter les annexes-, les pubs qui défilent sur les panneaux électroniques puisque désormais on dit pubs et autour de moi comme autrefois l’on s’agace, et naturellement les livres les livres les livres, papier ou liseuse, empruntés, volés, ou même achetés, au hasard des rencontres, des pages ouvertes, ou bien du début à la fin sur un balcon de vacances.

Je n’aurai jamais fini de vagabonder dans ces univers parallèles qui ressemblent au mien, parfois en mieux parfois en pire, mais où si je me sens bien je tarde à finir et qui un temps me le font oublier, le mien d'univers. Il me faut alors un petit moment de respiration pour me retrouver où je suis, à quelle heure à quelle date, comme cette fois lointaine où l’on m’a cherché un jour entier à travers les prairies et les bois de ma campagne, quand j’étais allongé depuis le matin dans l’herbe haute du monument aux morts, sûr de n’être pas dérangé, à lire Les Misérables.