mardi 2 décembre 2014

Tôt ou tard, ou le bal des contraires



Tôt ou tard, ou le bal des contraires

Je me suis souvent interrogé sur la question des contraires, et sur la difficulté du choix. Choisir son camp, il faut toujours choisir son camp. Car bien sûr, quand on ne le voudrait pas, tôt ou tard il faut choisir, tôt ou tard le chemin de la vie et tous ceux qui vous y emboîtent le pas vous obligent à choisir. Tiens justement, faut-il plutôt choisir plus tard, ou le contraire ?
Il va bien falloir décider : si je traîne je n’aurai rien sous les yeux à lire le moment venu, mais sinon je vais me précipiter dans le grand n’importe quoi. Entre ces deux maux, ou bien entre ces deux mots tôt et tard, lequel est bien lequel est mal ?
Tu peux répéter la question ?
Je n’ai pas peur et je répète : lequel est bien lequel est mal ?
Nous y voici, face à face avec les deux contraires fondamentaux, le bien et le mal, si évidents en apparence si embrouillés en réalité, alors qu’on ne sait même pas distinguer ces deux autres contraires ci, l’apparence et la réalité, qui tôt ou tard se révèleront le contraire de ce qu’on avait cru. Nous sommes tous ici dans le camp du bien, forcément. C’est une étrange chose que de voir à quel point tout le monde est dans le camp du bien. Sept milliards d’individus, en voilà un camp qui fait nombre.
Où sont-ils alors ceux d’en-face, ceux qui se revendiquent du camp du mal ? Ne répondez pas tous à la fois … Le silence règne dans les rangs, personne ne se présente, morne plaine. Et pourtant, nous tous ici qui sommes dans le camp du bien, nous pouvons les désigner, nous avons tous notre catalogue, notre liste noire, sept milliards de listes noires. Je serais bien surpris de n’être inscrit sur aucune, nous tous nous sommes assurés de figurer sur au moins l’une d’elle, ce serait un évènement planétaire d’y échapper. C’est tellement simple de savoir ce qui est abominable et ce qui ne l’est pas ; et voici pourtant qu’un doute s’installe car je comprends que l’abomination que je vois ne l’est pas à d’autres yeux, à d’autres mains, à d’autres moyens.
On va me reprocher de vouloir du bien au mal, de chercher le mal pour un bien, on va soupçonner quelque double jeu ou une crise du moi. Qu’on ne se trompe pas de chemin : je reste dans mon camp, j’y campe résolument ; si je dois combattre ce mal qui se croit bien, je combattrai et je prévois très sérieusement de me donner tous les moyens de vaincre. Mais je garde en tête une question lancinante : quand viendra ma victoire certaine – la victoire est toujours certaine pour un combattant tant qu’il n’est pas vaincu – quand elle viendra, cette victoire sur le mal, suis-je sûr que je me sentirai vraiment bien ?
Dix fois ou cent fois ou mille fois tu as choisi entre le bien et le mal et bien sûr tu as toujours choisi le bien. Réfléchis un moment, ne me dis rien, garde le pour toi : à l’une des dix ou cent ou mille fois, peut-être as-tu fait le mauvais choix, volontairement ou sans le savoir, à l’insu de ton plein gré comme disait l’autre, et cette seule fois-là vient entacher les neuf, les quatre-vingt-dix-neuf, les neuf-cent-quatre-vingt-dix-neuf autres.
Faute de choisir au doigt mouillé je reste sec dans mes contradictions. J’ai mangé la pomme de l’arbre du bien et du mal et je n’en suis pas plus avancé, mes bonnes intentions m’ont conduit en enfer et je rêve au paradis perdu. Je vois bien que je suis mal parti car ce qui me semblait bon devient mauvais pour d’autres qui pourtant comme moi connaissaient des hauts et des bas. Des bas et des hauts, des hauts et des bas, des débats et des cahots, nous avons tous vécu ces alternances, mais les choisissons-nous vraiment, en toute liberté d’arbitre ? Qui se croit au plus haut tombe au trente-sixième dessous sans aucun mal et y perd tout son bien.
Alors bien ou mal, tôt ou tard, haut et bas, quelle importance, quelle différence ? Du moment que ce ne soit pas trop tôt pour choisir ni trop tard pour regretter. De cet océan d’incertitude émerge un seul ilot de sécurité auquel le Robinson naufragé que je suis s’accroche mordicus nec mergitur : rien n’existe si son contraire n’existe pas.
A bientôt.

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