vendredi 4 novembre 2016

LE HUITIEME PECHE CAPITAL - 2/3 Retour à la caverne


2/3 . Retour à la caverne

·    Ezéchiel.
Tu n’as pas entièrement tort. J’ai été présomptueux, je voulais faire une révélation, parole d’Ezéchiel, et je découvre soudain que les mots me manquent. Ce péché est si bien caché qu’il ne porte pas de nom ; d’une certaine façon, d’une façon étymologique, c’est un péché innommable. Il nous faut en faire le tour, un peu comme un explorateur commence à contourner une terre inconnue avant d’y pénétrer.
 
·    Hassan.
Je connais, c’est le principe de Magellan.
 
·    Ezéchiel.
Si tu le dis. Alors, pour tenter d’éclairer ta lanterne, je vais remonter dans l’histoire de la pensée.
 
·    Hassan.
On n’est pas sorti de l’auberge si tu vas chercher Mathusalem.
 
·    Ezéchiel.
Non, je me contente de remonter à la caverne.
 
·    Hassan.
De mieux en mieux, nous voici avec Cro-Magnon. Tu as besoin de Cro-Magnon pour ton péché, c’est la meilleure, tu me perds dans tes décomptes, tes listes et tes litanies pour finir assis habillé de peaux devant un feu de camp. Ce n’est plus l’histoire de la pensée mais sa défaite.
 
·    Ezéchiel.
Tu n’y es pas du tout. Je ne parle pas de l’homme des cavernes mais de l’Homme de LA caverne. Platon. C’est là, dans cette caverne là, que se trouve le huitième péché capital, et il est assez bien caché pour que je sois obligé de tourner autour du pot au lieu de te balancer un bon gros mot bien senti comme à la télé qui clouerait le bec même à Socrate.
 
·    Hassan.
Attends. Je te rappelle que c’est moi qui t’ai raconté, détaillé, expliqué le premier cette histoire de caverne de Platon, tu me regardais avec des yeux en ronds de flan. J’espère que tu t’en souviens. Les hommes enchaînés, les ombres sur la paroi, et le philosophe qui par sa seule force mentale parvient à deviner sans rien voir l’ouverture le soleil et les personnages qui passent avec leurs pancartes, leurs banderoles, une vraie manif pour faire de l’ombre à l’humanité aveugle.
 
·    Ezéchiel.
Je me souviens très bien et tu n’as plus rien à m’apprendre. Mais ce que tu m’as appris m’a longtemps troublé. Quelle est cette prétention du philosophe de nous révéler une vérité qu’en fait il n’a pas plus vue que nous, nous sommes tous enchaînés à la même enseigne : « à la paroi de granit, graffitis en tous genres, illusions et ombres chinoises. Femmes et Enfants acceptés. Interdit aux animaux. Séjour éternel gratuit jusqu’à ce que mort s’ensuive ».
 
·    Hassan.
Tu me l’avais déjà sortie, celle-là, l’auberge espagnole.
 
·    Ezéchiel.
Il m’agace de plus en plus, ton Platon. Il peut imaginer ce qu’il veut, se faire exploser le cerveau d’hypostase en hypostase, voir des nains partout et des banderoles qui défilent, qui est-il pour nous imposer sa vision, son invention, son délire ? Pour le léguer aux générations futures qui vont s’en emparer pour les transformer en religions ? De quel droit ce qu’il imagine serait-il plus VRAI que ce que j’imagine moi ? Pourquoi ce que moi j’ai envie d’imaginer ne serait-il pas plus vrai que sa prétendue vérité ?
 
·    Hassan.
Attention, Ezéchiel tu cumules péché d’envie et péché d’orgueil (quatre et cinq, d’un coup).
 
·    Ezéchiel.
Mais je n’envie personne ni ne cherche à imposer mon imagination à qui que ce soit. Ces ombres que je vois sont le seul accès dont je dispose à l’univers où je vis, j’en déduis ce que je veux, ce que je peux, et je demande de l’aide à qui je veux si c’est trop difficile.
 
·    Hassan.
Mais on peut te raconter des salades bien tournées qui vont t’entraîner dans l’Erreur.
 
·    Ezéchiel.
Bien malin qui pourrait vraiment me dire ce qu’est l’erreur ? Mais tu as raison pour la salade, Hassan, alors j’en écoute beaucoup et je picore à ma guise ce qui convient à ma propre harmonie, je reste en éveil et sans cesse je soumets à ma lorgnette mes récoltes et celles qu’on m’apporte. Il y a beaucoup de déchets, j’en conviens, et je ne saurai jamais le vrai.

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