vendredi 24 novembre 2017

UN COUP DE CANIF AU CONTRAT

La journée avait mal commencé. Il tombait des cordes, ce n’était pas un jour à partir en pique-nique. Pourtant, dans le contrat, ils m’avaient bien précisé que Monsieur Marcel avait prévu de partir en pique-nique avec toute sa famille, Madame et les cinq enfants. Déjà, maquiller un assassinat en accident de pique-nique n’était pas si simple, mais avec cette pluie et le terrain boueux que je n’avais pas manqué de trouver sur place, au bord de l’étang où j’avais rendez-vous avec ma journée de travail, la mise en scène promettait d’être laborieuse et, si j’ose dire, glissante. Gros risque de laisser des indices.

Ou bien ils allaient renoncer et faire demi-tour avant d’arriver et j’aurai attendu pour rien sous la pluie, ou bien ils resteraient calfeutrés dans la camionnette à manger tristement leur pâté-cornichon et je devrai les regarder depuis ma planque, trempé et affamé. Métier de chien, dommage que je ne sache pas faire autre chose. Même pas un bout de saucisson à découper avec le couteau suisse que j’avais soigneusement préparé pour organiser, comment dire, l’accident de Monsieur Marcel. Il aurait au moins servi à quelque chose.

Mais chez ces gens-là, le programme c’est le programme, et aujourd’hui c’était pique-nique. Alors voici la camionnette qui apparaît le long de la haie sur le chemin cahoteux, elle patine un peu dans les ornières mais ils sont décidés à arriver à destination. Elle tourne dans le pré qui descend doucement vers l’étang et s’arrête à une quinzaine de mètres du bord. Personne ne sort, j’entends les enfants qui se chamaillent et Madame qui tente de calmer son petit monde. Je les comprends, les mômes, on les a obligés à s’habiller, n’oublie pas tes chaussettes, prends tes grosses chaussures, enfile ton imper, la litanie habituelle, à quoi bon sortir par ce temps pourri quand on serait aussi bien devant la PlayStation. 

Le contrat ne me disait pas pourquoi je devais assassiner Monsieur Marcel. Ce ne sont pas mes oignons, il fallait seulement que ce soit un accident et je suis réputé pour les réussir, mes accidents. Maintenant la camionnette est au milieu du pré et personne n’a envie d’affronter les intempéries. Ils vont me faire le coup du repas enfermé, je le sens et je maugrée. Tout sera à recommencer. Mais non, la porte conducteur s’ouvre et Monsieur Marcel sort, il enfile vite sa parka de chasseur avant d’être mouillé et s’éloigne d’un pas lourd dans le sol collant à ses bottes. Il se dirige vers l’étang et se rapproche de moi, dans mon buisson. 

Je pense qu’il vient soulager un besoin naturel dans l’étang, il me facilite le travail. Je me tiens prêt. Tout en marchant, il fouille dans ses poches et finit par en extraire un canif identique au mien ainsi qu’une pomme. Il entreprend de la découper méticuleusement en tranches exactement égales. Monsieur Marcel est un perfectionniste, un peu dans mon genre. Tout occupé à soigner sa découpe, il ne voit pas le rebord boueux de l’étang et soudain il part en glissade. Il tente de se rétablir, lâche la pomme et choit lourdement sur son canif. Il meurt sur le coup, le cœur transpercé. 

J’étais coincé. Il était étendu sur le passage que j’avais prévu pour m’esquiver, tout le reste était à découvert. La police est arrivée trop vite, il y a des jours où rien ne va, elle n’a eu qu’à me cueillir. Avec le casier que je me traîne, j’ai eu beau crier mon innocence cette histoire est arrivée il y a vingt ans et aujourd’hui je sors de prison.

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