vendredi 15 mai 2020

Tamoul-en-Gévaudan


Il était une fois dans un pays perdu d’un continent éloigné un garçon nommé Tonipuram. Tonipuram était un enfant difficile. Tout le monde prétend savoir ce qu’est un enfant difficile mais tout le monde ne connaît pas Tonipuram, tout le monde ne sait pas, vraiment pas, ce qu’est un enfant difficile. Ses parents n’avaient pourtant pas démérité et pendant des années n’avaient pas ménagé leurs efforts pour lui donner une éducation digne de sa caste.

Quand il eut quinze ans, son père baissa les bras. Le soir même de l’anniversaire de son fils qui une fois encore détruisit la moitié de la maison juste pour rire, il annonça à sa femme qu’il arrêtait là son travail de père, au diable le qu’en-dira-t-on et le respect dû à son rang, la grandeur naît parfois de l’acceptation et du renoncement. Sa femme le supplia de se reprendre au nom de tous les dieux du temple voisin, immense avec ses profusions de statues colorées, et même des dieux ennemis ou lointains, après tout si ni Shiva ni Vishnou ni Ganesh ne levaient le moindre petit doigt qu’ils avaient nombreux pourquoi pas les autres, Christ, Allah, et folie douce, Bouddha du grand et du petit véhicule. Le père resta inflexible, épuisé.

Alors la mère sut ce qu’elle avait à faire. Plus rien n’avait de sens et aucun futur ne faisait le moindre signe. Elle alla trouver son fils et lui dit : « Nous allons t’emmener dans la forêt, la grande forêt de l’Ouest qui escalade la Montagne Nuageuse, celle où personne ne va car personne n’en revient ».

Elle avait pris soin auparavant de l’enserrer dans un filet de pêche pour prévenir toute fuite et toute violence. Elle était connue pour son habileté au lancer du filet, toute notable qu’elle était elle avait grandi dans un monde de pêcheurs. Elle expliqua, car depuis toujours elle expliquait à son fils qui n’écoutait jamais : « Nous partirons tous les trois et nous irons tout droit vers le Mont Cardamone qu’on ne voit jamais dans sa brume, jusqu’à ce que nous rencontrions le maître des lieux.

- Parce qu’il y a quelqu’un là-bas ? Demanda le garçon soudain intéressé.

- Je ne sais pas si c’est quelque chose ou quelqu’un mais si tu m’avais écoutée toutes ces années tu saurais que c’est l’Eléchagorge.

- Le quoi ? Ricana-t-il

- Tu as parfaitement entendu et je ne répèterai pas, tu devrais savoir qu’on ne doit jamais répéter son nom. Tu aurais aussi appris qu’il surveille tout le territoire depuis ses nuages éternels, seule image de sa respiration, et qu’il ne tolère aucune intrusion dans son repaire sacré. C’est pourquoi nous y entrerons sans peur et sans retour.

- Sans peur ? S’étonna le morveux. Comment peux-tu ne pas avoir peur ?

- Après quinze années avec toi, plus rien ne me fait peur. Alors une tête de chat sur un corps d’éléphant qui sautille comme un rouge-gorge, c’est peut-être effrayant mais c’est surtout ridicule et tant pis s’il joue avec nous comme avec des souris. »

Le père approcha. Il avait compris qu’ils partageaient avec sa femme le même désespoir et il approuvait la décision qu’elle venait de prendre, fût-elle irréversible. Il resta un moment silencieux, plongé dans ses pensées. Puis il ajouta : « une fois par siècle la bête se repaît de trois humains, un homme, une femme et un garnement. A ce prix, il protège tout le pays pour les cent années qui suivent. Mon fils, tu auras servi à ce sacrifice et notre combat de quinze ans n’aura pas été inutile. »

On les vit partir vers l’Ouest lointain, le fils dans sa crépine pendue à une perche tenue de part et d’autre par les parents. On ne les revit jamais et il y eut cent ans de paix et de prospérité.

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