lundi 22 avril 2013

L'enfant et les poissons


Les trois premières lames : Le Valet d’épées ; la Justice ; le Roi de bâtons.

Il était une fois un enfant turbulent dont la plus grande joie était d’attraper les poissons et de les jeter à terre pour les regarder se tortiller la bouche ouverte. Des journées entières il trainait le long de la rivière à rire ainsi, au point que les poissons organisèrent un colloque pour en finir avec le fléau. Après de longues et vaines palabres ils s’en remirent à un porteur d’eau qui venait parfois puiser à la rivière et qui accepta de les débarrasser.

« Je serai votre Valet d’Epées », proclama-t-il. Les poissons ne répondirent pas, muets comme tout poisson doit l’être ; ils voulaient seulement qu’il soit porteur de la Justice, lui qui était porteur d’eau.

Ce fut difficile. Le garnement courait vite et, malin, savait se dérober tout en continuant ses forfaits ; longue fut la poursuite. Les poissons désespéraient de se voir délivrés, le porteur d’eau désespérait de réussir, et l’enfant bondissait de rive en rive, de buisson en ilot, léger comme l’oiseau.

Il fallut du renfort. Faire appel aux grands moyens. Pire. Faire appel aux grands de ce monde. C’est ainsi que le porteur d’eau demanda et obtint le soutien de l’armée toute entière du Roi de Bâton. On mobilisa, on se déploya, on construisit des barrages et des ponts, une armada envahit la rivière et tous avaient en main de quoi assommer le chenapan. Les gazettes se précipitèrent pour le reportage du soir où, sans conteste, on allait assister à la défaite de la délinquance du jeune.

Quand vint la nuit, toute la plaine fut illuminée par les projecteurs, l’air retentit de vrombissements guerriers, des éclairs fusèrent de toute part, l’on fit jaillir du gaz et l’on jeta des grenades, tant et si bien que tous les poissons périrent. Fatigué, chacun rentra chez soi et l’enfant comme les autres n’ayant plus aucun poisson pour rigoler.

Demain, il fera jour.


Les trois dernières lames : La Mort ; les Deniers ; les Bâtons.

La Mort n’a pas dit son dernier mot. Quelques zélés alguazils sont restés dans l’ombre, éclairage à la main, à rechercher les traces dans la terre humide des berges. La chose avait été écrite et affichée partout, trente Deniers de récompense à qui trouverait le coupable vivant, forcément vivant. Et c’est une sacrée somme, pour un pauvre alguazil, mercenaire de passage, aventurier de pacotille.

Les voici qui pataugent dans l’odeur exhalée par les poissons ventre en l’air. Il fait toujours aussi chaud et respirer devient difficile, pas question de boire, la rivière est désormais souillée, même le porteur d’eau est au chômage.

Ils sont nerveux. D’être armés ne les rassure pas, que peuvent des bâtons contre la puanteur, contre le sol glissant, contre la vase sournoise ? Chacun tremble, chacun suspecte chacun, l’autre devient celui qui pourrait rafler la mise, et bien plus que les chairs ce sont les cerveaux qui se décomposent, la troupe peu à peu devient chaudron.

Pas un ne survivra à la bagarre qui, à minuit pile, éclatera dans l’île aux oiseaux, là même où la veille avait résonné dans le ciel le rire joyeux de l’enfant cruel.

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