samedi 6 mai 2017

Mes climats #3

A bout de souffle


Car on était en plein hiver et le vent balayait la rue de ses rafales de givre alourdissant les branches du poids de la glace finement dentelée en paillettes étincelantes, alors je devais m’enfoncer le cou dans le col qui me semblait toujours trop court pour protéger ma peau des morsures climatiques, « on dit du mal du réchauffement mais il y a des moments où ce ne sont pas deux degrés de plus qu’il me faudrait mais dix ou quinze et qu’importent les cyclones à l’autre bout du monde si ici j’échappe aux engelures » me disais-je en marchant contre le vent dans ma tenue débraillée et trop légère en cherchant s’il y avait quelqu’un dans le coin mais non, personne pour se réchauffer ne serait-ce que d’un bonjour-bonsoir, je ne demande pourtant pas la lune mais de lune il n’y a pas, le ciel est bas et ce sera bientôt tempête de neige et compagnie « j’ai intérêt à me dépêcher de rentrer mais pour cela il faudrait que je retrouve mon chemin », l’inquiétude avait depuis longtemps fait place à une sorte de résignation car mourir de froid est une mort douce alors pourquoi pas s’il suffisait de laisser filer le petit courant d’espoir qui continuait à me traverser l’esprit, s’il suffisait de continuer à marcher devant moi sans ne plus penser à rien jusqu’à ne plus se sentir tomber, mais il était plus collant qu’un sparadrap de bande dessinée cet espoir minuscule, indécrottable, obstiné, et je restait en éveil attentif malgré moi au moindre indice, au moindre abri, « comment peut-on mourir de froid en pleine ville même par une nuit comme celle-ci », cette idée me faisait tenir sur mes jambes, me faisait mettre un pied devant l’autre et marcher contre le vent qui me donnait la bonne direction générale, au point qu’à plusieurs reprises, voilà, voilà le piège, traversant une place, un square ou une avenue, mon cerveau à moitié paralysé et donc à moitié mobile m’envoyait le message que je l’avais déjà vue quelque part, cette place, ce square, cette avenue, et que j’approchais du but alors qu’au fond je n’avais aucune idée précise de ce qui restait à parcourir mais c’est ainsi que l’espoir-sparadrap restait accroché et que ma marche somnambule traversait la nuit comme un fantôme que peu à peu, je le sentais bien, j’étais en train de devenir et que je serais inévitablement devenu si tout à coup je n’étais tombé sur le point final.

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