lundi 8 avril 2019

Objets inanimés 6 . Le Photomètre




Vous avez sous les yeux un boîtier oblong assez dense en métal laqué noir. Du fer probablement, un fer doux pour une meilleure plasticité, bien protégé dans sa peinture à chaud. Sur sa face avant s’ouvre une fenêtre incurvée sur toute la largeur, comme une bouche qui aurait dévoré le visage, souriante à l’endroit, grimaçante à l’envers. De l’autre côté, un orifice est fermé par un écran dépoli laiteux.


Sur le dessus différentes aiguilles gambadent parmi des secteurs mobiles commandés par de petits leviers latéraux, et croyez-le si vous voulez on peut ainsi trouver les bons réglages à prendre en compte pour réussir la photographie de la vieille tante et du dernier rejeton, ou bien du paysage vu du Pic du Midi ce serait dommage qu’il soit surexposé après toute cette montée.


Il mesure la lumière incidente sur le sujet. On le nomme photomètre. Et je vais vous raconter son histoire, ou plutôt l’inventer devant vous faute de la connaître.


Il a été construit pendant l’entre-deux guerres, et il a appartenu à l’un de mes deux parents. Ils faisaient tous deux des photos avec ces mastodontes à soufflets où il fallait changer de pellicule chaque douze clichés. Mon père se chargeait en outre d’un appareil à plaques qu’il traitait lui-même enfermé dans un réduit obscur avec des années de retard.


Evidemment, de toute cette vie là je ne connais que les boîtes à chaussures remplies de photos ni datées, ni localisées, avec parmi des dizaines d’inconnus de temps à autre un visage identifié si jeune, mon dieu, si jeune. Je suis né quand les photos avaient déjà jauni. Mes parents avaient alors comme tout le monde ces petits appareils à télémètre imaginés par kodak ; enfin, imaginés non, imités, copiés effrontément sur Leica, en moins bien et moins cher. Et moi tout fiérot, je faisais des flous aussi artistiques qu’involontaires avec mon instamatic.


Alors vous allez peut-être pouvoir m’expliquer pourquoi, mais pourquoi donc, dès ma première paye, j’ai tout dépensé dans un rolleifleix bi-objectif, un nikkormat, un agrandisseur et toute la chaîne de traitement du noir et blanc argentique ? D’où a bien pu me venir cette folie de développer mes photos, enfermé dans un réduit obscur, et d’exhiber mes 30x40 avec des années de retard ?

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