vendredi 12 mars 2010

IMMIGRATION #7 et fin - Péroraison

7 - Péroraison

Désormais il est trop tard, et aucune des objections ni sur l’histoire ni sur le présent qui te viendraient à l’esprit ne seront envisagées, l’ami ne les entendrait pas aussi hurlantes soient-elles. Il est enfermé, prisonnier des chaînes indestructibles de son logos ; toi qui entre de ce crâne, oublie donc toute pensée intelligible sinon toute espérance. Tu dois rester dans cet enfermement, fermer la porte avec lui, tu dois accomplir ce geste héroïque, tu dois mettre qu’il ait raison.

Mais si, respire encore et continue à lire.

Voilà : il a raison, quarante millions nous sommes, hic et nunc, pas un de plus, et tout autour grouillent vingt autres millions, tellement emberlificotés avec nous, je dis nous à tout hasard, qu’il en devient impossible de discerner le vrai du faux, encore heureux que statistiquement il y ait de la basane. Alors ?

Alors ?

Alors la vie est belle et c’est tant mieux. Alors faisons qu’on la vive ensemble, puisque c’est devenu tellement trop tard que de toute façon nous ne pouvons que la vivre ensemble cette vie, il n’y a aucune autre porte de sortie, il n’y a rien d’autre à faire, c’est lui qui l’a dit, prenons le au mot. Yssont là tous tant qu’ils sont, Yzont l’énergie que soi-disant nous n’avons plus, Yvont faire tourner la baraque, que demander de plus, qu’attendre de mieux, puisque la lave en arrive à ce point là, laissons la refroidir maintenant que le torrent a cessé, et calmons-nous. S’il est vrai que nos valeurs sont balayées, c’est peut-être qu’elles étaient poussière et que nous ne les méritions pas, et si elles ne sont pas balayées, c’est peut-être qu’elles étaient indestructibles et qu’elles nous aident plus sûrement aujourd’hui qu’hier ; mieux encore, il se peut bien que la France éternelle et ses valeurs n’existent que parce que nous sommes tous là, quarante millions plus vingt millions : sans nous tous point de valeurs et point de France, et le seul fait que nous soyons là vivants leur donne vie et force, aux éternelles valeurs et à la vraie France, car il se pourrait bien que ces valeurs n’existent que par notre existence et non l’inverse, alors de quoi faudrait-il avoir peur ?

Ce n’est pas moi qui ai peur, ni de l’ami, ni de la lave, ni des vingt millions. Le débat sur le passé intéresse les historiens pendant que nous, nous avons du pain sur la planche car si vraiment ces vingt millions existent, ils ne peuvent vivre sans les quarante dont je crois que je suis, et si les quarante sont encore là, ils crèveraient sans leurs vingt millions de frères ; frères ? Je n’aime pas ce mot, il me trouble, il n’est pas sincère, il n’est pas juste. Il me faut un plus beau mot, plus proche, plus compatible, exempt de ces relents de moralisme qui nous égarent, cherchons un peu. J’en ai un qui va mieux et si tu en as un meilleur, chiche. Vingt millions de concitoyens. Voilà c’est tout.

La crème anglaise avec des moelleux desséchés, franchement, ce n’est pas très bon. Mais les amis en reprendront, sinon que serait l’amitié ?

FIN.
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jeudi 11 mars 2010

IMMIGRATION #6 - Les rengaines

J’en ai assez dit. Je passe les couplets sur le regroupement familial, sur les vingt ans de gauche qui nous ont perdus après les trente glorieuses qui nous ont gavés, j’éviterai de confronter les dates et les durées et la précision des événements, on m’accuserait de pervertir le discours comme si besoin était, je passe aussi le couplet du laxisme, la polygamie galopante, la démagogie ultra-gauchiste, la flatterie pour quelque voix, à croire que la gauche est encore en train de gouverner ma parole.

Le tableau a pris forme sur la table de la salle à manger. De nouveaux mots sont apparus et tu les connais déjà. Je ne vais pas les énumérer tous, j’en cite trois.

Yssont. Yzont. Yvont.

Rien de tel que des exemples pour échapper à une définition laborieuse. Alors, exemples :
Yssont très nombreux. Yzont quatre femmes. Yvont tous nous bouffer.

Et voilà. Tout est clair. Il y a quarante millions de vrais français droit du sang et compagnie directement issus des Vraies Valeurs Victorieuses, et vingt millions d’Yssont, d’Yzont et d’Yvont. C’est déjà trop tard et nous avons perdu. Ne me demande pas ce que nous pouvons bien avoir perdu, mauvaise question, nous avons perdu un point c’est tout, qu’il dit. La faute à qui ? Aux politiques pourris, la gauche quand c’est la gauche, la droite parce qu’elle a un complexe de gauche, hypnotisée par le pouvoir maléfique des idéologies mal à droite.

Voilà un bon moment que les moelleux sont trop cuits. On va se rabattre sur la crème anglaise. Je te confie une seule chose à faire, dit ‘Aliénor, tu trouves moyen de le rater. Oui, ma chérie, mais je voulais aller au bout du discours, ne comprends-tu pas, et cela méritait des bouts de chocolat trop secs. Il m’importe d’aller au bout de l’ami, sinon que serait l’amitié ? Et crois-moi, ce chemin trouve sa sortie. L’ami ne la verra pas, pas ce soir, mais j’espère que ce n’est pas irrémédiable. Je te la propose ici. J’accepte le tableau tel qu’il m’est brossé, en oubliant les retouches et ratures qui entachent sa cohérence, j’admets ce quarante et vingt qu’il me brandit.

à suivre.

mercredi 10 mars 2010

IMMIGRATION #5 - Copulations laborieuses

Voilà où le bât blesse ; ils restent quarante millions et pas un de plus et il faut des bras pour reconstruire. Imparable mon cher Watson, on ouvre la porte à l’erreur majuscule du millénaire, à la ruée sauvage, on tombe dans le piège tendu par l’histoire, le grand complot basané. Les voici qui débarquent massivement tous tant qu’ils sont, les régiments, les hordes.

Les recruteurs parcourent les oueds et les oasis, les djebels et les médinas, ils s’installent derrière la petite table et ils cochent les noms des volontaires, longues files d’hommes éblouis du miroir aux alouettes et du projecteur en pleine face. Parfois l’un d’eux sort de la file et rentre chez lui retrouver son lopin et ses chèvres. Il fait le mauvais choix et de désespoir il se suicide d’une balle dans le dos. Voilà comme ils nous ont envahis, les comploteurs. Tu sais comme moi que seule la dernière phrase fait partie du discours brûlant et que je trahis la pensée de qui je cite en ajoutant mes couches. Dois-je utiliser le mot pensée ? Tout le monde sait pourquoi l’on met des couches parfois.

Si peu à peu les méthodes deviennent moins expéditives, le flux ne se tarira plus et les mines extrairont, les usines usineront, les cités radieuses irradieront, trente glorieuses vous dis-je, faut-il en être fiers, faut-il croire à ce rêve de fous ? La faute à qui ? L’entends-tu bien, le discours qui monte, le discours de l’autre soir. Quarante millions de vainqueurs devenus paresseux au point de se livrer nus à l’appétit de ces gens-là, on dit ces gens-là chez ces gens-ci, et si l’on oublie que personne n’avait vraiment demandé à venir c’est juste que c’est juste mais que la lave ne l’entend pas de cette oreille.

Courage, je dois laisser plus de place au discours, cesser de m’interposer, aller au bout de sa logique, puisqu’il doit bien y avoir un bout, et une logique. Non ?

Quarante millions de paresseux qui vont se laisser manger le pain par vingt millions de faméliques venus chez nous sans qu’on ne leur demande rien, qu’il dit. Pourquoi vingt millions ? Le calcul est simple, quarante et vingt font soixante, soixante millions d’habitants désormais. Je sais que mon ironie se mélange au point qu’on commence à se demander où elle finit où elle commence, comment la séparer l’une de l’autre. Je ne sais pas transcrire le propos que je voulais transcrire avec l’honnêteté dont je me réclame, c’est trop difficile, alors je parsème, je ventile. Puzzle et calvados, et la pilule arrive à passer dans la brûlure de l’alcool.

En vérité, tu comprendras très bien, je le sais, je te connais, puisque tu es encore ici.

lundi 8 mars 2010

IMMIGRATION #4 - Quarante millions

Nous voici à la Libération, avec aile majuscule. La France a vaincu le cousin germain, dit-on, et s’est redoré le blason démocratique. C’est une France de quarante millions de républicains laïques et obligatoires qui fêtent la victoire, quarante millions de vainqueurs surtout ceux de la onzième heure. Moins quelques femmes courageusement tondues.

Je n’étais pas à cette liesse, mais il me faut partir de ce moment zéro si je veux respecter ce dont je tente de me faire l’écho. Alors je m’y place pour la suite. Nos quarante millions étaient-ils quarante millions de combattants deux ans plus tôt et quarante millions de républicains cinq années auparavant, simplement poser la question est déjà trop demander revenons au point zéro, avant il n’y avait rien.

Silence dans les rangs. Nous voici à la Libération, prêts à reconstruire vaillamment le pays détruit avec le plan Marshall et les trente glorieuses dont on fait grand cas et dont je suis. Les français sont nuls et ne font qu’un enfant virgule cinq à leur femme, puisque je te le dis, et ils restent donc quarante millions. Mais ce sont des français, fils de ceux qui ont sauvé nos valeurs, les vrais, quoique ne l’oublions pas, il vient de dire qu’ils étaient nuls. Il ne va pas s’embarrasser d’un début de contradictions, les français sont nuls mais les valeurs sont vraies, que viens-tu chercher noise ? Les français, les valeurs, France éternelle et compagnie, tu reconnaîtras les tiens et tu n’en sauras pas davantage.

Je ne sais pas bien ce que sont cette France éternelle et ces valeurs sans les français qui y vivent, ou avec de si mauvais français, paresseux et jouisseurs. Mais le discours n’a que faire de ces interrogations suspectes, la lave ne craint pas l’ironie, le torrent continue de plus belle.

Tiens, avant de poursuivre, un petit caillou blanc qui surnage : les fils de Michalski, de Battistoni, ceux de Rodriguez et ceux de Pereira, qu’il y a dix ans on nommait pollacks ou ritals ou autres doux noms, tous désormais sont dans le bateau du discours parmi les vrais français, ils sont dans les quarante et la lave ne s’en est pas aperçue, sinon qu’ils ne font pas assez d’enfants comme tout français qui se respecte. Cette intégration là n’était pas attendue et je la prends tant qu’il est temps.

Un hommage du vice à la vertu ne se refuse pas.

jeudi 4 mars 2010

IMMIGRATION #3 : l’étendue du paysage.

En tant que puissance amicale et invitante et bien campé sur mes fondements, j’obligeais sans avoir à ouvrir la bouche mes convives à construire une logique, à argumenter, à étayer. Ce n’était pas un souci de politesse, mais notre vieille amitié les enveloppait de précautions, de scrupules, et leur imposait un effort de formulation honnête qui me faisait plaisir à voir ; je me gardai bien de leur faciliter le travail, en leur prêtant une oreille ostensiblement attentive.

Ils ne pouvaient pas se dérober par quelque slogan usé jusqu’à l’os, par quelque plaisanterie douteuse et autres sourires de connivence comme je devine qu’il se pratique dans un entourage conforme, j’en ai tant fréquenté, de ces entourages où je ne savais comment lutter contre la dérive de ces continents noirs, contre ces fleuves de glaces entrechoquées qui emportent tout au dégel, sismographe je te dis, ultrasensible. Ce n’est pas leur faire injure que de les savoir ainsi et de le dire. Tu ne serais pas plus glorieux au milieu de tes camarades à déchiqueter de l’ultralibéralisme à coups de prêt à penser, soudain contraint de surveiller ton discours par amitié, ailleurs.

Ce qu’on entend alors devient intéressant et sollicite la réflexion bien plus que l’indignation. Bon, mes orteils en étaient tout horripilés sous les épaisseurs de chaussettes car il y avait des vents coulis, il fait froid cet hiver et le feu dans la cheminée ne suffisait pas à chauffer le ras du sol, et ce n’était pas à cause de ce froid là mais personne ne le voyait.

Je vais tenter de te décrire ce paysage d’hiver ainsi constitué, et ne m’en veux pas si par ci par là une bulle de savon pleine d’amertume éclate, question de survie et de respiration dans les remugles.

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