mardi 5 février 2008

Les paillettes et la vérité #6/10.

6. Populaire.


Il faut devenir plus précis. Tout comme je dérive sur les colères qui me gagnent, vous avez laissé flotter dans votre texte une brume confuse entre succès et paillettes, avant-garde absconse et snobisme, mépris du populaire et philosophie hermétique : des imprécisions, des ambigüités, enfin, que vous n’avez peut-être pas voulues, qui n’y sont peut-être pas, mais que je vois du haut de ma lorgnette. J’ai été déçu de ce paysage là, de ces facilités là, sous votre clavier. Ce n’est que faute de temps, dira votre avocat, on ne peut jamais traiter tous les sujets à la fois, il est difficile d’échapper aux raccourcis quand on veut atteindre le but. Je le sais bien, mais votre avocat a tord.

Tous les philosophes du monde l’ont dit, seul compte le chemin qu’on parcourt, le but n’a pas vraiment d’importance, que nous reste-t-il une fois arrivés ? Vous voyez bien, j’en suis au sixième chapitre, je ne sais toujours pas où je vais, je rebondis de phrase en phrase au prétexte de vous critiquer, ne sachant plus pourquoi nous en sommes venus aux mains. Enfin je continue, comme dit la chanson d’Henri.

Les confusions, du savoir vrai et parfois difficile et du jargon de pacotille, du succès populaire et du spectacle désolant mais couru, de l’érudition un peu hautaine et de la confiture qu’on étale à l’envi, voilà un vieux marronnier de grincheux qui ne savent comment critiquer et qui oublient de réfléchir et faire réfléchir. Franchement, comment avez-vous pu laisser passer ces mélanges et ces amalgames, même au motif de la concision ? Le quart d’une telle approche dans n’importe lequel de vos examens passés et réussi vous aurait donné un zéro pointé, sans le moindre regard du jury indifférent.

Vous savez aussi bien que moi qu’un grand succès n’est pas un gage de qualité, mais qu’il n’est pas davantage une preuve de basse démagogie alimentaire. Alors pourquoi le prétendre, ou du moins y souscrire sans sourire, pour soutenir votre thèse ?

Je vais citer quelques exemples, au risque de me prendre les pieds dans le tapis.

Le prix Goncourt. Il est de bon ton, dans les milieux intellos que vous stigmatisez, de trouver dérisoire ce hochet à écrivains, cette pompe à phynances d’éditeur. On en vient dans cette logique à décider qu’avoir le Goncourt est une preuve d’écrivain raté, de mauvais faiseur, et on ricane. Vous voici satisfaite, les intellos sont des nuls, vous me l’aviez bien dit.

Erreur. Les mécanismes économiques qui font et défont les Goncourt sont des mécanismes de Marché, basés sur le principe de l’offre et de la demande, et tout homme d’affaire sait que pour stimuler l’offre rien ne vaut mieux que d’augmenter la demande. Ce que vous appelez l’économie libérale, en quelque sorte. A partir du moment où l’on attaque les principes même de cette façon de concevoir les relations économiques, on en vient en parfaite logique à démasquer les prix littéraires comme un artifice destiné à gonfler la demande, exactement comme on ferait pour un yaourt ou une automobile. On est largement sorti de la critique désabusée d’écrivains jaloux pour entrer dans un véritable débat digne de ce nom. Et enfermer d’un air supérieur ces critiques dans la terrasse du Flore est une ruse pour éviter ce débat là, ce déballage.

Notez bien que je ne prends pas partie ici pour ou contre le Goncourt en soi, ni pour ou contre la qualité littéraire associée au Goncourt. Sur ce plan seul, je pense que ce prix, et les autres qui l’accompagnent, font œuvre utile en ce qu’ils maintiennent au livre un certain statut qui donne corps à l’envie de lire, et que la création d’une demande pour une œuvre littéraire, bonne ou mauvaise, et une création qui me convient. Le capitalisme a parfois des retombées positives, pour rester dans ma logique antérieure. Mais vous comprendrez par ce que je dis là que le sujet n’est pas l’intello parisien mais porte une charge autrement plus lourde pour se contenter de votre dédain simplifié.

On peut dévier plus loin sur le statut du livre et de l’objet culturel, de son commerce et des profits qui en résultent, mais nous irions trop loin de notre sujet, sans utilité pour le débat, cette fois. Un autre jour, nous y reviendrons peut-être histoire d’avoir d’autres sujets de crêpage de chignons.

Je ne suis pas de ceux qui confondent succès et qualité ; et je suis très hostile à un tel mélange, et à ceux qui le pratiquent, dans le sens du courant du bon vieux syndrome de la star parfaite car star, ou dans le sens inverse du bon vieux syndrome de l’artiste maudit. Par votre argumentaire, vous vous faites la complice de ces mélangeurs en croyant les attaquer. Une salle pleine au Zénith n’a jamais prouvé que la musique était bonne, mais n’a jamais prouvé non plus qu’elle était mauvaise. De constater que Bigard a rempli le stade de France ne me fera jamais dire qu’il n’est pas drôle, et si je le trouve vulgaire c’est mon affaire à moi seul, et si je trouve Bedos ou Roumanov drôles c’est aussi mon affaire.

Lelouch a un succès populaire et je n’aime pas ce qu’il fait, Chabrol aussi et j’aime ce qu’il fait. J’aime ce que fait Godard et il n’a pas de succès. Ce qu’en disent ceux que vous nommez intellos est variable, Flore ou Magots, et si par aventure deux d’entre eux sont en désaccord je sais qu’ils se jetteront les chiffres de fréquentation à la tête, en quoi ils ont tord. Un succès ne signifie ni qualité ni nullité. Une résonance, à la rigueur, un esprit du temps, un universalisme bien trouvé ou, en cas d’échec commercial, une vérité trop difficile à avaler sur le champ, ou un maniérisme trop élaboré ou trop hermétique. On n’a jamais demandé à Mallarmé d’avoir de gros tirages.

Les mystères du succès ou de l’échec n’ont jamais été bien percés, sinon tout le monde en aurait, du succès. Il ne prouve ni n’invalide rien, il est ou n’est pas. Votre journaliste a fait fausse route en accusant le président de chercher le succès par une touche de populaire et de chercher le populaire par la vulgarité. Vous lui avez reproché cette démarche en lui faisant le mauvais procès qu’il ne fallait pas faire car il valide la démarche que vous vouliez attaquer.

Le comportement du président est vulgaire, en gestes, en mots, en postures ; ce n’est pas un plan communication, comme on dit maintenant, c’est juste le personnage. Je n’ai pas assez de connaissance intime pour prétendre que c’est la personne, je m’en tiens à ce que je vois, à ce qu’on me montre, à l’ostensible ; c’est ce que tout personnage public se doit d’accepter pour la part de lui qui est publique, et plus il en met, plus j’aurai à en juger.

Dans ce cas précis, les ingrédients de sa salade m’insupportent. Qu’ils vous agréent n’y changera rien, et je juge sa politique sur ce que je vois, y compris ce que je vois en premier, la salade et son assaisonnement. Il se trouve que peut-être, en négatif, ce sera cette vulgarité qui le rendra impopulaire, c’est tout le mal que je lui souhaite.


Post : Voilà plusieurs semaines que j’avais écrit cette dernière phrase, je ne vais ni la retirer ni l’enchérir sous prétexte de sondages qui vont et viennent. Elle vaut quelle que soit la couleur du jour.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

L’avantage avec le texte c’est que si tout n’est pas intégré, il est toujours possible de relire. Il en va tout autrement des émissions, si le débat n’est pas compris au passage, il est perdu irrémédiablement.
Le choix d’un ‘élu’ au Goncourt ressort du domaine des gens de lettres. Consécration ( ?) pour un éditeur, un écrivain ; le lecteur est tout à fait secondaire. Il est de bon ton, dans les conversations de salon, d’avoir lu le dernier Goncourt et il est du meilleur goût de n’en point parler afin de n’offusquer personne.

Andrem Riviere a dit…

Je suppose, Monsieur (Madame?) anonyme, que le commentaire porte sur la différence entre la perception d'un texte écrit et celle d'un débat oral et public, par exemple à la télévision.

En effet, sauf enregistrement audible, le débat oral se perd dans les formules et les zones blanches sont nombreuses, celles qu'on oublie, au profit de quelque petite phrase bien sentie mais souvent sujette à caution.

Nous sommes ici dans le territoire de l'écrit, et rien d'autre.

Quant au Goncourt, si le lecteur n'a pas d'importance dans la décision, bien entendu, il en a dans les conséquences d'icelle, par l'achat massif qu'il va faire. Qu'on le veuille ou non, c'est tôt ou tard le lecteur qui fera l'écrivain et non l'inverse, Goncourt ou non, faible tirage ou grosse cavalerie, succès posthume ou naufrage dans l'oubli.

C'est la seule consécration qui importe.

Mais tant qu'à l'avoir, un Goncourt pourquoi pas, personne ne crache dans la bonne soupe. Il est des faibles tirages qui vivent encore après des siècles, il est des succès impérissables qui naquirent dès la première parution, et ceux qu'on a oublié n'ont jamais existé. Même dans les salons.

Savoir-vivre.

J'aimerais bien qu'on se nomme en venant ici. Pseudo me suffit, de préférence stable.

Anonyme a dit…

Cher Monsieur,
Vous avez bien supposé et je ne me suis pas trompée de territoire.
Comprenant fort bien votre courroux déguisé, je me dois par la présente de dénoncer le sieur Blogger qui s'obstine à me dénommer Anne Onyme. Ce n'est pas la première fois que je me plains de ses agissements, Anne n'étant pas mon prénom. Le plus stupéfiant c'est que je suis là où je ne vais pas. Je frappe à chaque fois les cinq lettres qui m'honorent.
C'était carnaval hier, il a pu jouer une farce à sa manière mais, ailleurs et avant, je suis disparue sous les paillettes. Je viens de le constater ayant eu le doute.
Je signe ici Marie, on verra bien s'il récidive ! j'ai écrit aussi Marie dans pseudonyme puisque le reste, il n'en veut pas ....

Andrem Riviere a dit…

Ne pas oublier de cliquer sur le petit bouton rond de pseudonyme, sinon c'est Anne qui gagne, et non nyme.

Anonyme a dit…

Jolie passe d'armes !

Anonyme a dit…

Comme c'est oublié, Alabama Song n'est rien, comparé aux Bienveillantes de 2006. Ce n'est pas seulement une question de poids ou d'époque et tant pis si j'offusque ...

Andrem Riviere a dit…

Je n'ai pas peur de parier qu'Alabama Song continuera sa route Fitzgeraldienne longtemps après qu'on aura oublié "les bienveillantes". Je n'ai pas peur de promettre que "la mort est mon métier" restera une référence décisive sur le même thème du bourreau ordinaire quand nul ne saura plus où diable est passé le pavé très chic de ces derniers mois.

Tiens, d'ailleurs, il n'aurait pas eu le Goncourt, notre Merle Robert, par hasard, lors d'un Week-End dans le Nord?

Anonyme a dit…

Un oiseau de passage, l'Académie c'est Paris ... pari que j'observe, tu t'en doutes !