samedi 29 octobre 2011

LA DANSE DES MENHIRS - Deuxième partie : la terre tremble sous le verre.

Deuxième partie : la terre tremble sous le verre.


5. Cela a commencé.

Cela a commencé avec les arpenteurs, comme il se doit. Comment reconnaître sa terre si on ne commence pas avec eux ? Ils sont partout, les arpenteurs, sitôt qu’on en cherche on en trouve, et les trois qui vinrent furent vite renforcés d’un quatrième, un pour tous, tous pour un. L’Athos du souffle, Denis Colin, penseur, sage, méthodique ; Le Porthos de Rhodes, Benjamin Moussay, mur impavide à renvoyer les balles et les notes, relanceur inlassable ; l’Aramis de la baguette plutôt que de la rapière, Eric Echampard, fine lame à tambours, dentelles en cymbales, et derrière le raffinement polyrythmique, caisse féroce à qui l’oublie.

Le quatrième des trois, inévitable d’Artagnan, insoumission de guitare et enveloppement électrique, écoute et complétude, et l’immensité des terres encore devant lui, à explorer, à arpenter.

La bande des quatre a fait trembler le granite, elle a soulevé la salle comme on ne l’avait jamais vu de mémoire de verrière, et la terre de Rospico a commencé à vivre. Un milliard d’années qu’elle attendait ce moment.

6. On ne plonge jamais.

On ne plonge jamais dans un chaudron bouillant sans quelque préparation. Un échauffement diront les gymnastes, un stage les directeurs, une entrée les gastronomes. Jean-Marc avait tout prévu, produits du terroir avec assaisonnements : pour trembler, cette terre devait arroser ses meilleurs fruits des sauces les plus mouvantes, huîtres et crêpes circonflexes avec tréma caraïbe, piment du bayou, paprika de Hongrie, anchois de Sète. En alternance, Saxodéon et Alphonso Jazz furent les épices dansantes des vieilles recettes gauloises, Dixie et casquettes pour ceux-ci, diatonique et ténor pour ceux-là.

Il en fallait, de la terre collée aux chaussures venue de l’autre côté de l’Océan tout proche, de l’autre côté de la grande mare, venu des contrées qui dansent, pour accomplir ces prodiges, pour faire bouger le granite, soulever le menhir. On entendit chanter tonton Georges et rugir le tigre à coulisse, tous les soirs, en tout lieu.

7. C’est un métier d’homme.

C’est un métier d’homme, à ce qu’on dit. Qu’il faut du mollet et du biceps, de la métronomie et de la pulsion, bave aux lèvres et poil aux pattes ; la batterie est affaire d’homme, un point c’est tout.

Timide mais pas trop, Anne Paceo d’un revers de mailloche a balayé les lieux communs des esprits courts. Attentive aux terres qui dansent, Brésil et Catalogne, promenades anharmoniques de Leonardo Montana au piano, errances de Joan Eche-Puig à la contrebasse ambulante, elle est patronne d’un univers bien à elle, où fermant les yeux on entend passer Max le matheux, Roy le précis, Elvin le sauvage, et dans un claquement de charleston Arthur le noiraud.

C’est sur toute l’histoire de la batterie qu’Anne se hisse pour inventer l’inouï. Max Roach, Roy Haynes, Elvin Jones, Art Blackey peuvent rentrer chez eux, leurs baguettes sont en de bonnes mains, nul besoin de biceps ni de mollet mais quand même un peu, juste être musicienne et savante, sensible et forte, battante et batteuse.

Elle méritait son quart d’heure de silence et de cigarette hors la verrière quand la fête fut finie, seule.

8. Un creux du rocher.

Un creux du rocher fut son berceau ; il dut s’éloigner pour trouver un sens au mot swing. Sinon, à quoi bon la trompette ? Pour danser ce qu’il avait dans la tête, il parcourut le monde, il souffla le chaud et le froid, il rencontra les grands. Le granite natal devint arène et l’arène sable mouvant, il devint célèbre à son tour.

Eric le Lann, l’enfant du pays, est de retour à la maison ce soir là. Il connaît la musique, il sait que ce ne sera pas facile, tous ces regards aimants, toutes ces poches pleines de pierres qu’on lui accroche, la danse des retrouvailles se raidit et se fige. Il a demandé à un vieux complice de l’aider, en direct des Antilles, d’ouvrir la boîte aux vents et aux tempêtes, Alain Jean-Marie.

Il n’a l’air de rien, Alain le révérend. Tout juste s’il ose regarder la salle, il se cache derrière son camarade : il n’est là que pour toucher une touche noire ou une touche blanche du grand Steinway, il mérite à peine un si glorieux privilège. Au fond, il sait très bien qu’il a sous les doigts toutes les éruptions de sa terre à lui. Il en a sous les semelles, dans les poches, dans la tête, il est tombé dedans petit, bien malin qui résiste.

Le granite d’Aven-Belon n’a pas résisté longtemps à la chaudière de Basse-Terre, même celui qui emprisonnait la trompette, ce soir là encore il a dansé.
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1 commentaire:

Marie a dit…

Tout y est. Même et surtout les artistes mis en lumière (et en sons) que dire de plus ? c'est captivant mais point de case à signe pour dire que l'on aime.