dimanche 23 octobre 2011

LA DANSE DES MENHIRS - Première partie : la crêpe jaseuse.

Première partie : la crêpe jaseuse.

1. C’est vraiment.

C’est vraiment le bout de la fin du territoire. Un nulle part ailleurs, qu’il fallait être capable de planter des menhirs à mains nues dans toutes les pelouses préhistoriques des alentours pour venir habiter ici. Peu de temps auparavant, d’énormes glaciers s’étaient empilés sur les vertes collines granitiques et y avaient creusé des sillons pédagogiques, épargnant cet effort à l’océan tout proche.

Les glaciers fondirent, tôt ou tard glace fond ou se brise, et l’eau, coucou cosmique, occupa le nid. Ria, Aven, Fjord, il n’y eut pas assez de mots pour décrire cette géographie-là. Ainsi naissent les pays, de creusements de fonte de bris d’invasion, et d’oubli n’étaient les menhirs et les huîtres. Deux sillons ont suffi pour inventer ce pays du bout de la fin, l’Aven et le Belon, l’un qui nomma l’érosion glaciaire et l’autre le divin mollusque.

Pendant ce temps hautain se tait le menhir sur sa pelouse.


2. L’homme a attendu.

L’homme a attendu longtemps. Inusable est la colline et inusable le menhir qui en provient. Les capitaines rentrent chaque matin de l'oceano nox. L’occasion de pêches miraculeuses pour qui arrive à l’heure à la maison. Il est patient, l’homme. Tous les hommes d’ici sont patients et têtus. Il faut bien l’être dans un pays où rien ne s’use, ni la pierre, ni l’herbe, ni la pluie.

Sait-on ce qu’attendait l’homme, le sait-il lui-même ? Que le menhir tombe en poussière, que l’océan se retire, que les huîtres marchent ? Peut-être attendait-il que la terre tremble. Voilà ; il attendait que la terre tremble.

On peut toujours attendre. Elle ne tremble jamais, la terre d’ici. Elle a certes vacillé il y a un milliard d’années quand d’énormes montagnes ont surgi dans les parages. Elle en a été toute retournée. Alors elle s’est juré qu’on ne l’y prendrait plus. Et la forte tête n’a pas cédé depuis. On pourrait presque y construire une centrale nucléaire tellement qu’elle ne bouge pas la terre, mais pas touche ont dit les gens d’ici on a bien assez de la radioactivité du granite.


3. On finit toujours.

On finit toujours par s’énerver quand on attend, même très patient et très têtu. L’homme a commencé à s’énerver. Il comprenait que jamais elle ne tremblerait d’elle-même, cette terre figée entre sa pierre et ses coquillages. Il connaissait tous les fils de tous les filets, ceux-ci qu’on jette en mer sans doute mais surtout ceux-là qui relient les hommes entre eux.

Alors il a laissé dériver ses pages, ses écrans, ses claviers, et au petit matin quand il a senti que la pêche était bonne il est rentré à la maison.

De l’autre côté de l’océan, loin d’ici, il est un pays qui danse. Tout le temps à se balancer, ils ont même inventé un mot pour le dire, le mot swing. Le linguiste dira qu’ils n’ont rien inventé, que le mot existe dans l’anglais langage depuis avant Shakespeare, que c’est un verbe irrégulier swing swang swung. Le linguiste a tort. Ce mot, venu du pays qui danse de San Francisco et sa faille de San Andreas à New-Orleans et ses cyclones, personne en Angleterre n’est parvenu à le traduire en musique.

Oublions l’Angleterre, c’est l’océan qui décide ici.


4. Voilà ce qu’il me faut.

Voilà ce qu’il me faut, pensa Jean-Marc. Pour la suite, l’homme se nommera Jean-Marc et même si je ne suis pas tout-à-fait sûr qu’il soit têtu et patient, je suis sûr que c’est un ami. Et il décida d’apporter un peu de terre qui danse dans le pays d’Aven-Belon. On dira ce qu’on voudra, un peu têtu et très patient, quand même. Et il avait su mettre des fleurs jaunes dans son herbe.

Les gens de l’autre côté de l’océan ne se dérangent pas sans de bons gros arguments. Mais dans les filets encore fragiles, tous les pêcheurs le disent, on ne prend pas de trop gros poissons. Ce n’est pas grave, il en est de plus fins qui sont très swing, il en est de plus légers qui bougent comme là-bas dis ; ils laisseront tomber de leurs semelles de vent un peu de terre qui danse, elle se perdra dans le granite et lui apprendra la tectonique.


Jean-Marc aura gagné son pari, le pays inusable aura commencé à trembler. Et l’on mangera la crêpe jaseuse et l’huître bougonne, au son de l’accordéon, de l’hélicon, du balafon, du bandonéon et du tromblon, du saxophon et du piston.

Aucun commentaire: