lundi 19 mars 2007

‎1955 – Neuf ans. Le lait de la République.‎


Probablement à cheval sur 1954 et 1955 mais entièrement confondu avec mon année de cours moyen première année à en croire le décompte que je fais sur mes doigts et les indications du dictionnaire, lettre M après les pages roses, j’ai bu du lait à l’école. Deux fois par jour.

On disait alors cours moyen première année en toutes lettres, et parfois on disait la seconde car il s’agissait de l’année précédant celle de l’examen de passage en sixième, pauvre petit traumatisé par le vilain examen qu’on a supprimé deux ans après mon passage en question, mais n’allons pas si vite.

Le cérémonial. Le lait stérilisé. La politique. Les guerres à la mode.






Chaque jour, et en plus de la récré, vers 10h et vers 15h, il fallait passer à la cérémonie du lait. Nous nous déplacions en rangs d’oignons, selon un rituel hiérarchique très précis que ces messieurs avaient dû mettre des heures à peaufiner sinon des jours, prendre notre petite bouteille de lait gouvernementale ; et nous la buvions consciencieusement sous l’œil sévère du chef de lait, un des instituteurs à tour de rôle.

Pas question de gâcher la marchandise.

Mes premiers bourdonnements politiques datent de cette époque. En y réfléchissant bien, je n’ai jamais bien su si mes parents étaient de gauche ou de droite. Je les avais longtemps placés à gauche ; cette année du lait j’avais remarqué qu’ils étaient de grands admirateurs de Pierre Mendès-France, mais ils n’aimaient pas trop son ministre de l’Intérieur.

J’ai déchanté beaucoup plus tard, comme une sorte de trahison totale, ils m’ont lâché au moment où je les croyais de tout cœur avec moi alors que non, et jamais. Mais dans l’ordre, les histoires, s’il te plaît.

Je ne prétends pas que ce soit un souvenir, mais une reconstitution en costumes d’époque, évidemment. Mais l’enfant se souvient de la tension qui régnait quand débarquait à la maison un oncle militaire ou une tante associative. Le schéma était conforme, le militaire antisémite et l’association ‎communiste, le mot d’ailleurs sonnait à mes oreilles comme une vague menace comme il le prononçaient. J'aurais dû déjà me méfier.‎

La guerre se finissait en Indochine, et commençait en Algérie. Chacun peut faire le malin aujourd’hui et dire qu’elle n’était pas prête de finir là-bas, et dire aussi qu’elle avait commencé depuis longtemps en face de la Méditerranée. Je vous écris de ce temps là où l’avenir n’était point su et où le passé était à découvrir. En Algérie, la guerre n’avait jamais cessé depuis cent cinquante ans que les français y étaient et faisaient semblant de rien, mais qui l’aurait dit alors ?

Mon père le disait. Je me souviens qu’il le disait et que personne n’écoutait. Alors il ne disait rien, mon père Concordance.

Un répit apparaissait par la grâce d’un président du conseil avisé, et chacun buvait du lait, petit lait à domicile, lait stérilisé à l’école.

Je ne connaissais pas le goût du lait stérilisé, ce caramel qui remontait en fin de gorgée, un arrière goût qui régalait mes papilles. Tu penses bien que je n’aurais jamais eu l’idée d’évoquer la rétro-olfaction, vas donc expliquer le phénomène à un môme. L’important est de se régaler, non ? Lors du cérémonial, aucun instituteur n’avait à se soucier de moi, j’en aurais plutôt redemandé quand d’autres rechignaient.

Il paraît qu’on lui a reproché, à Mendès, d’avoir eu cette idée de débit de lait juste pour se remplir les poches ; l’antisémitisme rampant bien de chez nous n’avait pas dit son dernier mot. Ce dont je suis certain, au moins aujourd’hui que l’histoire se fait et se relit, c’est l’abbé Pierre et ses premières colères. Alors du lait pour tous à l’école, du lait de la République, était forcément une bonne idée et nombreux furent ceux qui eurent dans l’estomac de quoi pouvoir étudier jour après jour cette année là, qu’ils n’auraient pas eu.

Aujourd’hui il en est qui découvrent extasiés les mérites de la cantine gratuite le temps d’une élection.

Les incidents d’Algérie allaient devenir une guerre pour de vrai, pour de sale, et pour longtemps, l’Indochine allait tomber dans le grand jeu des personnes interposées, l’USA contre l’Ourse avec un zeste de porcelaine, et Mendès allait disparaître avec son savoir faire dépourvu de faire savoir, sur un claquement de doigts de quelque spadassin. On ne le reverra plus.

Je commençais déjà à chercher ma place dans ce brouillamini, en écoutant sans rien dire, comme toujours.

1955. FIN.

La suite viendra en fin de quarantaine. Si je veux, si je puis.



3 commentaires:

Anonyme a dit…

Un steack à cheval, oui, même si elle est incorrecte, l'expression est usitée. "steak saignant sans feu" comme tu dis, mais du lait à cheval, là je m'y perds !
C'est vrai que la distribution de lait - prévue au départ pour les écoles maternelles - a été effective à la rentrée 1954. Quel goût infect ! ça sentait aussi le médicament et c'était aussi dégoûtant que l'huile de foie de morue ... c'est dire ! Il faut reconnaître que nous avions la chance d'avoir du lait frais tous les jours à la maison, ce qui n'était pas le cas de tous les enfants. Imposition jusqu'au certif'. Voilà pourquoi nous survivons avec tout ce calcium ajouté ...

Anonyme a dit…

Avec du lait dans le fond du puits

Anonyme a dit…

Dis : pour quoi elle dure ? dur
pour qui ?