1953 - Sept ans.
[nouvelle édition]
J’ai maintenant 7 ans. C’est la difficulté du sagittaire plus que des autres ; il ne peut faire la soustraction de l’année en cours avec l’année de naissance pour connaître son âge, puisqu’il lui faut parcourir la quasi-totalité de l’année en cours pour atteindre l’âge qu’il doit avoir à la fin de celle-ci.
Si tu ne comprends pas, c’est que tu n’as pas assez sagittaire pour servir. Je suis décalé d’un an, voilà tout. J’ai 7 ans pendant toute cette année là, et je ne deviendrai huit qu’à la tombée de la nuit hivernale. Anniversaire crépusculaire, l’automne est à bout. Je ne sais pas pour toi, mais rien n’y fait, chaque fois que j’entends, lis, prononce ou écris le mot décembre, chaque fois que simplement j’y pense, l’obscurité m’entoure qu’il fasse plein soleil ou que mille projecteurs m’illuminent. Il n’en est rien pour janvier tout aussi nocturne que décembre et parfois plus gris ; vas comprendre. Janvier est clair. Décembre est noir.
Sœurette, lieu commun, disputes.
1. Le problème de robinet.
C’est qu’il me faut un souvenir, pour 1953. Sinon le ricochet sera rond dans l’eau, bulle de savon sans savon, échec et mat. Un souvenir ? Voilà voilà j’arrive.
J’ai découvert que l’appartenance à une fratrie était une des structures les plus décisives de l’enfance, en lisant tous ces ricochets tendres ou tenaillés où tous en parlaient mieux les uns que les autres. Qu’ils soient doux ou bruts, ils dépassent le rôle de souvenir d’enfance et deviennent un piédestal nécessaire. Que ce soit la découverte de la concurrence, de la solidarité, de la séduction, de la domination, la fratrie nous enseigne par sa seule existence tout ce qu’on doit savoir de l’existence, justement. Nous nous construisons à la fois avec eux et contre eux, et les haines qui en résultent peuvent devenir aussi définitives que l’amour qu’on leur porte.
Bon, je suis un peu lieu commun, là, non ? Et que vont dire les enfants uniques, structurés pourtant eux aussi, et souvent beaucoup plus attentifs au monde extérieur, le seul à leur portée?
Du coup, j’en ai déduit que nous n’avions pas les mêmes frères et sœurs. J’ai observé : dans le mille, chacun juge les deux autres autrement que moi, et l’inverse ne me surprendrait pas davantage.
Il date de l’été précédent, et j’ai trop de retard pour un retour en arrière. Il est pourtant lié à celui-ci par ce fait certain : la découverte du genre, de l’autre genre. Mon nouveau-né Sœurette côté plomberie, et l’été précédent côté cœur.
2. Premier amour.
L’autre genre avait en effet commencé son travail de conquête un an plus tôt.
Pourquoi ne serait-on pas amoureux à six ans d’une vieille de neuf ? Deux ou trois choses que je sais d’elle : elle m’avait adopté, au milieu du monde impitoyable de la colo de Lacanau, encore Lacanau à la colo Les Hermines, le dernier Lacanau. Elle avait joué avec les autres sans me laisser. Elle m’avait laissé le cadeau de son prénom, jamais oublié.
Elle s’était intéressée au petit chétif encore convalescent. Qu’on jette un œil sur moi et soudain l’émotion me submerge, alors vous pensez, la jolie châtaigne qui me parlait au milieu des aboiements! Je me souviens de cet étrange goût de reviens-y quand elle me parlait puis repartait pour de nouvelles aventures. Elle jouait avec les autres vieux de son âge à des jeux qui me surprenaient, ils jouaient à se marier.
Je me demandais comment ils s’organisaient dans le jeu pour les enfants qui vont avec forcément, quand on se marie il y a des enfants, déjà je n’avais pas tout compris des histoires de graine dans le ventre visiblement des bobards pour me faire taire. Comme d’habitude, je me taisais et guettais le passage de la vérité, surtout ne pas rater l’occasion d’en savoir plus. Mais à ces jeux rien ne fut clarifié, et pas question de servir de poupon, la belle s’y opposait. Il me fallut attendre encore beaucoup d’années avant que la graine trouve le bon chemin, et ce ne fut guère que par des travaux pratiques très tardifs que les points décisifs ont été réglés pour de bon. Les bonnes vieilles années soixante de blocus ont fini par sauter, et moi aussi.
Pourquoi amoureux, franchement ? Une seule raison explique cette certitude. Aujourd’hui que me restent seules la clarté de ses cheveux bruns et cette affaire de graine, l’inconscient vous dis-je, je me souviens de son prénom avec la certitude qu’il s’agit du vrai prénom de mon vrai souvenir : Hélène. Elle aura toujours neuf ans, la vieille. En voilà une preuve qu’elle est irréfutable.
Et je n’avais pas encore traduit l’Iliade.
Assez bavardé, je pourrais écrire deux cents billets sur mes frères et sœur, juste pour cacher mon incapacité à me souvenir de rien cette année là, le CE1, et l’été qui suivi, mauvais en classe, été de devoirs de vacances, quand je vous disais traumatisme. Je ne suis rien qu’un pauvre chéri.
Année 1953. FIN
5 commentaires:
Ah les écarts : un an en date et presque deux en âge ... pas de difficulté pour suivre cette histoire de fratrie et nous partageons deux poings communs : l'aînesse et le goût pour les lentilles.
Mon souvenir de 1953 : 35°C le 24 mai
Pour l'âge ça ne colle pas bien, Hélène c'était ma grand-mère ...
Pour l'âge ça ne colle pas bien, Hélène avait bien du temps encore avant de prendre de la graine...
si je puis dire.
;^)
Et même si je n'avais rien à dire, j'avais envie de le faire savoir parce qu'en ce temps-là je ne savais pas grand-chose et ce n'est guère mieux maintenant !
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