samedi 18 septembre 2010

HISTOIRE DE JIM - Sixième mouvement : les fâcheries. 1

Sixième mouvement : les fâcheries.

1 - Tout a été dit. Il suffirait maintenant de dérouler les rencontres dans le bon ordre. Jim le sait mieux que moi, on ne construit pas sa maison en commençant par un bout et en finissant pas l’autre, tout doit se mêler en se gênant le moins possible, on ne construit pas un monde en inventant un début et en fermant une fin. Quatorze échanges nous ont permis de faire connaissance, de nous déplaire et de nous plaire, de nous bouder et de nous réconcilier.

Jim n’a pas toujours bon caractère. J’ai déjà décrit une dame de ses fréquentations et elle n’est pas seule dans ce cas. Ils sont nombreux, ceux qui sont sûrs de leur originalité ostensible, étalant leur refus des conventions si partagé qu’il en devient convention à son tour. Par exemple, la politesse, cette vertu un peu délabrée qu’il convient de reléguer au rang de vernis suspect, à mi-chemin du paraître et de l’hypocrisie, comme me disait Jim.

Se planter debout devant celui qui a difficilement pu trouver un siège sur la place est un sport très en vogue. S’installer à une table où nous sommes déjà assis sans demander ni même saluer est une pratique très courue. Il est de bon ton de s’afficher révolutionnaire dans le salon de Jim, et peut-être que la révolution de ces messieurs-dames est ainsi faite. Ou alors, on s’installe sur la table voisine pendant le concert de l’après-midi, à huit de préférence, et on se met à parler haut et fort, alors que nous tendions l’oreille pour vaincre une acoustique imparfaite. Les jeunes musiciens que nous souhaitions découvrir peuvent s’époumoner, leurs traits de génie s’évanouiront dans les voiles blanches et rouges. On n’entend plus la musique : j’aurais aimé être Prévert pour avoir un grand couteau de dessous la table.

Il ne s’agit pas de cas isolés, il ne s’agit pas de jeunes. Ils étaient plutôt attentifs, les jeunes de Jim, je l’ai remarqué, et ils étaient loin d’être majoritaires ; ici, au doigt mouillé, on donne dans le quinquagénaire moyen. Il faudra que Jim m’explique le pourquoi de ces gens qui ne lui font pas honneur. En ferais-je partie moi aussi ? Pourtant, il le semble que je rejette cette forme de contestation bas de gamme qui consiste à mépriser la bienséance la plus élémentaire, qu’elle soit voulue ou inconsciente. On est en vacances, on ne va pas se prendre la tête avec des règles surannées, voilà ce qu’ils disent, voilà ce qu’on m’a dit. Mais quand on est cinquante mille, le moyen de se supporter s’il n’y a pas un minimum de respect, pardon pour le gros mot, ne serait-ce que pour les artistes qui sont venus juste pour nous ?

Petit bourgeois. Oui madame. Oui, tiens, voilà, je le confirme tant qu’à faire : je suis un petit bourgeois et je fais la noce quand je veux.

Il aurait fallu nous prévenir. Nous ne sommes pas des habitués des lieux, c’est notre première fois. Je n’ai pas fait les vieilles charrues, comme elle a dit, ni Vienne ni Aix ni Nice, ninisse. J’ai bien roulé ma bosse quand elle avait vingt ans en Avignon chez Vilar et à Juan-les-Pins où JC, sorti de la petite case où on l’avait enfermé et lancé dans un Love Supreme devenu culte se préparait à sa proche ascension.

Il aurait fallu nous prévenir. Tout a bien changé depuis mes temps préhistoriques. Le gigantisme a planté ses chapiteaux ; les économistes patentés appellent cela la croissance, bonheur ou cataclysme ? J’ai compté : sur une rangée, il y a entre quatre-vingt et quatre-vingt-dix sièges, et de la rangée A à la rangée BZ il y a trois fois vingt-six rangées. Mettons six mille places, je ne dois pas être tombé loin.

Il aurait fallu nous prévenir. J’avais cassé ma tirelire et vendu des actions à perte, et j’avais pris deux abonnements pour six concerts en première catégorie. Nous étions à côté de la régie centrale, un peu en avant de l’écran du milieu. Nous étions cernés par des larges d’épaules, des chevelures léonines, des sumos, des catcheuses. Une ou deux maigreurs, interminables.

J’y reviendrai, aux maigreurs de ma rangée.

Il aurait fallu nous prévenir que Jim n’aimait pas les petits gros.

2 commentaires:

Marie a dit…

Un maître-mot que je professe depuis fort longtemps : la politesse. C'est vraiment ce qui manque maintenant en toute occasion. Je comprends fort bien ton agacement (déguisé en claires explications) et je suis rassurée, Feedly semble assez pratique, Frengly m'a bien aidée ..

Marie a dit…

Mon commentaire fut avalé ...
non available qu'il m'a dit à la fin du direct. Je recommencerai.