jeudi 9 septembre 2010

HISTOIRE DE JIM - Troisième mouvement : du flamenco sans gêne

Troisième mouvement : du flamenco sans gêne.

La vérité est que j’aimais ces musiques de joie depuis longtemps sans me l’être reconnu. Je me souviens petit, enfin, déjà grand mais petit quand même, de la fascination pour l’accordéoniste du village lorsqu’il jouait un air de tango ou de musette ou de paso-doble. J’en avais des frissons partout ; j’étais féru de Bach, Beethoven, Brahms, mais je ne savais pas ce qu’était la jaserie. Les filles pouvaient tenter de me tenter, je ne voyais que les bretelles du piano, et seul le bon vieux Sigmund pourrait me montrer pourquoi à ce point j’avais renié ces premières amours. Je pris goût à ces histoires d’adultère musical. La musique brésilienne se frayait un chemin à travers mes osselets endurcis, le sitar de Shankar, et le bandonéon, l’Oud, les bongos, le charango, la kora, le nay, la kena et le steel-drum, et tant d’autres jusqu’à, comble du puriste pris la main dans le sac, l’accordéon musette et le cymbalum tzigane, et la guitare flamenco.

L’eau a coulé sous les ponts, et j’en ai dévoré, des moules-frites à la chope des puces. Nougaro m’a présenté Galliano ; les enfants de Django, les trottoirs de Buenos Aires, les hauteurs de Tanger et d’Oran, el Cante Jondo de Ronda, m’ont décrassé les esgourdes et ont mêlé leurs voix à mes raucités saxophonistes. J’ai échappé aux années septante et leurs semelles de plomb, j’ai découvert l’immensité du monde et le fourmillement de la jaserie, cette façon d’inventer la musique devant moi, pour moi, pour moi seul, par transmission orale, ou mieux, par transmission sonore, non pas comme une improvisation surgie de nulle part mais comme la reconstruction à chaque fois d’un travail de longue date. C’est cela, la jaserie, à la fois écrite et soudaine, à la fois nouvelle et répétée.

Elle a fécondé les vieilles musiques endormies et les nouveau-nés multicolores font danser leurs berceaux.

Je m’assoie et j’écoute Raynal Colom. Il faut encore attendre un peu, un quart d’heure de retard sinon rien, Jim prend ses aises mais j’avais été prévenu, j’ai du temps pour savoir ce que flamenco veut dire. Deux ou trois chefs-d’œuvre de jaserie sont nés de cet accouplement andalou, sont nés de ces retrouvailles après tant d’errance ; des parents venus d’Afrique, l’un qui a traversé l’Océan et s’est établi dans les grandes villes après avoir échappé aux champs de coton, l’autre qui a traversé le désert puis le détroit et s’est établi dans la grande plaine du Guadalquivir, jaserie mâle et flamenco femelle. Je connais trois de leurs plus beaux enfants, les trois plus beaux ; ils se nomment Sketches of Spain et Flamenco Sketches, nés sous la houlette d’un trompettiste vêtu de cuir, et Olé de JC et Monsieur McCoy. Tout s’entremêle. JC est présent dans Flamenco, et Monsieur McCoy sera chez Jim dans deux jours.

JC, Olé. Faudrait-il un dessin ?

Olé. Avec un accent si je veux. On ne pouvait faire mieux que la sorte de bleu des deux premiers nés, et il fallut du génie pour en réussir un troisième l’année d’après. On pouvait faire confiance à JC pour qui miracle est routine, mais rien n’aurait été si parfait sans le bon Monsieur McCoy. JC tout à ses élans commençait à tourner sur lui-même, quand Monsieur McCoy a posé les mains sur l’ivoire et a joué le fameux contre-thème qui relance la machine ; puisé directement dans la besace des chants républicains espagnols, il rappelle JC à sa vie terrestre, à la souffrance de la glèbe.

Monsieur McCoy nous réserve un autre tour de sa façon.

Olé est l’enfant de JC et du Flamenco, de Harlem et de l’Espagne, de la guerre de sécession et de la guerre civile, naître à New York et mourir à Madrid.

Jim et Colom s’impatientent. Mais il faut bien que je pose mes bouées, mes balises, mon passé et mon passif avant de sauter comme les autres six mille dans le grand bain de la fosse aux lions. Ensuite, il sera trop tard. Raynal Colom est catalan. Un catalan n’est pas un castillan, encore moins un andalou. J’avais un léger doute sur le métissage annoncé, que venait faire le flamenco à Ripoll ou à Manresa ? A quoi bon chipoter sur les étiquettes géographiques, l’homme avait déjà traversé l’Atlantique et découvert la grosse pomme, il s’était entouré de complices madrilènes, et si j’étais venu au mariage officiel de la jaserie et du flamenco chez Paco de Lucia, autant être de tous les voyages et embarquer sur la caravelle de Colom.

3 commentaires:

Marie a dit…

L'histoire se pimente, quoique poivre n'est pas piment ...
Dis-moi que je me trompe !

Anonyme a dit…

Le flamenco ; un chant qui viens du ventre, une musique qui viens de la tête, et une danse qui vient du cœur, le flamenco et la mère des douleurs.
Le flamenco ; un chant qui viens de la misère, une musique qui viens de la folie qui guète, et une danse qui viens du besoin de tous donner avant de partir. Oui tous donner ne pas se vendre au malin plutôt mourir. Le peuple andalou un peuple don les racines sont multiples et pourtant identique a tout l’humanité, tous les glébeux de la terre sont andalou. On ne née pas andalou il le devient ; riche de sa pauvreté!
julio

Andrem Riviere a dit…

Beau commentaire, Julio.