lundi 20 septembre 2010

HISTOIRE DE JIM - Sixième mouvement : les fâcheries. 2

Sixième mouvement: les fâcheries (suite).

2 - Assis sur nos sièges, nous étions cernés par les nuques. A moins de se contorsionner pour viser entre deux épaules en jouant du quinconce, il fallait se contenter de la foi qui sauve pour imaginer que des musiciens jouaient là-bas, très loin, sur une estrade trop basse entre deux écrans mal posés. Il aurait suffi de remonter l’estrade d’un mètre. Parfois j’apercevais la tête d’un joueur. Un petit mètre d’échafaudage, Monsieur Jim, juste un petit mètre, et nous aurions vu. La grande armoire normande s’est gaussée ; mais je pouvais toujours me hausser pour voir, la géométrie est implacable. Certes, les écrans étaient utiles, surtout celui de notre côté, à droite. Mais je n’étais pas venu chez Jim pour regarder la télé, et si adroits que fussent les caméramans et le réalisateur, voir de mes yeux m’eût été plus utile pour entendre de mes oreilles.

J’ai pu voir le dos de John Zorn, encore un impoli, parce que tout le monde partait. Comme en mer, de temps à autre l’horizon s’est dégagé, révélant le paysage. La chance a voulu que j’en profite souvent. J’ai pris ce que Jim m’a donné et ce qu’il m’a refusé, j’ai fait semblant de ne pas en vouloir. Dans les va-et-vient continuels des gens, impolitesse encore, va-et-vient de gens plus pressés d’être vus que de voir, il arrivait que nous vissions.

L’ironie de ‘Aliénor n’a pas manqué ; toi qui n’aimes pas la foule ni le bruit, qu’es-tu venu faire ici, et moi qui t’accompagne en n’y voyant rien, qu’y fais-je ? Que lui répondre ? Que je n’y vois rien non plus, que je suis malade de la foule agglutinée, que la toile du chapiteau m’étrangle, que j’ai le mal de mer dans l’océan des sièges, que de m’éloigner des bords pour m’approcher de la régie me tord l’estomac, que je lutte contre la panique en embuscade, et que seule la musique quand elle commence remplace ces spectres par mes fantômes.

Impolitesse enfin, avec les maigreurs de ma rangée. Leur taille ne nous a pas gênés, ce fut pire. Mais oui, elles étaient minces ; on voyait bien que la maigreur provenait de décennies d’efforts, et on pouvait compter les décennies dans leur maigreur. Travail de longue haleine et non point maladie, rides de frustration, vieillerie galopante et prématurée sans doute, et pourtant l’air content de qui se sait svelte et se croit belle. Deux caricatures à la mode vêtues de slim blanc.

Il y a une forme d’agression dans ces minceurs artificielles, non seulement à l’encontre du corps de la femme ainsi rendue mince, mais à l’encontre de toutes les femmes transformées en porte-manteau, entre les fourches tu passes ou tu casses, à l’encontre de tous les hommes. Vous vous êtes voulue laides et je ne vous aime pas. Je préfère le monde des petits gros même s’ils ne voient rien. Elles arboraient l’air initié de celles qui font toutes les charrues de France et de Navarre, alors pour bien montrer qu’elles captaient la musique, pour bien montrer qu’elles faisaient corps avec le musicien, elles tapaient du pied.

Jim m’a raconté que naguère, il n’y avait pas de plancher dans son hangar. Il m’a expliqué qu’il marchait sur ce qui restait d’herbe du terrain de rugby, qu’il mangeait la poussière ou pataugeait selon la météo, il y a encore trois ans. Il était content de son plancher, enfin la musique pouvait se déployer. Il avait probablement fallu revoir toute l’acoustique, mais le résultat justifiait l’effort accompli. Quelle idée de taper du pied sur un parquet ?

Intolérance ? Ma chaise tressaute à chaque fois, juste un peu, un choc minuscule, à peine perceptible. Mais le moyen de ne pas l’entendre, le moyen de se laisser porter autrement ? Si encore il était synchrone ! Je ne prétends pas être dans le tempo, être exactement là où il faut être, je ne suis pas bon élève et j’entends ce que je veux, ce que je peux, je suis là où je suis et où je suis bien avec le musicien qui joue. Alors je déteste qu’on frappe à ma porte à ce moment là, à contretemps, à contre-pied, à contre-courant. Un point c’est tout. Elles n’ont qu’à taper dans leur for intérieur et me laisser à mes rengaines et à mes hologrammes. Je ne les bouscule pas, pourquoi le font-elles ? Ils sont assez difficiles à maintenir en équilibre, les hologrammes, un minuscule tapotis suffit à les faire effondrer. Alors, intolérance ou impolitesse ?

On devrait interdire les chaussures à semelles dures dans la maison de Jim.

6 commentaires:

Marie a dit…

Rien de tel que les espadrilles ... Tes banderilles vont-elles atteindre les perturbateurs ?

Marie a dit…

J'avais sauté les petits gros, tu ne précises pas que tu aimes les rondes.

Lyjazz a dit…

Mais depuis JIM, es-tu allé dans un autre grand lieu de concert ?
As-tu fait la comparaison ?
D'accord, c'est perfectible. Mais la musique est ainsi en accord avec les éléments. C'est dire que tu as raté l'orage qui ne manque pas (sauf cette année) de ponctuer un des concerts. Et alors tu apprécies pleinement le plancher (neuf de 3 ans en effet)mais tu peux regarder dehors, entendre la pluie tomber dans l'herbe, en écoutant, au hasard Uri Caine (véridique !).
Tu viens de te rendre compte qu'il n'est pas utile de payer les places trop cher : le gradin est suffisant pour regarder les écrans, et souvent on peut s'avancer pour mieux voir....
Et si la scène était surélevée d'un mètre ceux de devant ne pourraient rien voir... sauf à s'allonger.

Andrem Riviere a dit…

Le plancher est une très bonne installation et je suis heureux de ne pas avoir respiré la poussière grâce à lui. Ayant échappé aux orages, je n'ai pas eu à échapper à la pataugeoire.

Je ne crois pas avoir écrit autre chose, d'ailleurs.

Concernant les écrans, je ne vais pas au concert pour regarder la télé. Je l'ai aussi écrit.

Je ne savais pas que l'on calait la hauteur de la scène pour les cinq premiers rangs. je sais qu'on peut s'avancer pour mieux voir. On se lève, on se glisse entre les genoux des gens assis sur le même rang et le dos des gens assis sur le rang de devant tout en coupant la vue des gens assis sur la rangée de derrière, puis on marche dans l'allée en cherchant la place libre, puis on se glisse entre les genoux des gens assis sur la même rangée et les dos des gens assis sur la rangée de devant tout en coupant la vue des gens assis sur la rangée de derrière.

En gros, on dérange. Mais ce n'est pas grave, à ce qu'on dit. Toutefois, on ne pourra pas rembobiner le musicien qui vient de jouer pendant dix minutes. Peut-être n'est-ce pas grave non plus, la terre continuera de tourner.

Oui, il m'arrive d'aller à de tels concerts. Ce que l'on fait ailleurs n'a jamais excusé ce que l'on fait ici. Et je n'ai jamais pu m'y habituer.

Lyjazz a dit…

Non,non, je n'ai pas dit qu'on calait la hauteur de la scène pour les 5 premiers rangs ! Seulement qu'il y a de plus en plus de public, donc il faut mettre des sièges partout, de plus en plus serrés, près de la scène comme sur les côtés (face aux écrans). Il y a peu on était 5000. Maintenant 6000 : il faut bien les mettre qque part !
Cela n'excuse pas les malotrus, qui sont partout, chez JIM comme ailleurs. Et je sais que c'est difficile à vivre.
J'en ai pris mon parti, à force. Je réussis à écouter tout en faisant autre chose. J'ai eu du mal au début : je fermais les yeux pour entendre, et je n'avais pas besoin de voir tout le temps. Quand je regardais je trouvais que je n'entendais pas assez bien, pas tout.
Mais un concert n'est pas non plus un salon feutré. Ce que j'apprécie là c'est justement de ressentir ce que ressent mon voisin, sans parler des 6000 autres.

Andrem Riviere a dit…

Ecouter la musique dans son salon feutré, ou dans ma cave humide, est un plaisir. Tout comme regarder sur le téléviseur un film du genre "my darling clementine". Mais il manquera toujours la part de grandiose que nous donne le grand écran, le cinémascope, la scène et ses hommes en nage.

Il faut bien accepter que, dans six mille personnes, il y en ait qui dérangent. J'y parviens, c'est parfois facile, la musique le permet, les conditions sont requises. Parfois c'est plus difficile, l'hologramme est fragile et il en faut peu pour qu'il s'effondre.

Les douze mille oreilles tendues participent à cette écoute, à cet hologramme. Il y aurait la même musique, le même chapiteau immense, mais un seul auditeur, moi, je ne suis pas sûr que le concert aurait le même goût, ou plutôt, je suis absolument certain qu'il n'aurait aucun goût. Les musiciens jouent pour moi, je le sais, mais je les entends d'autant mieux que je sais que les murs ont des oreilles.

Pour autant, il importe de se tenir le plus respectueux possible de ses voisins et des musiciens, et la règle doit être d'autant plus stricte qu'on est nombreux. J'ai vu trop de malotrus et de malotruses pour m'en accommoder, chez des personnages qui pourtant présentent a priori toutes les raisons d'être éduqués et informés, même qu'ils et elles prétendent avoir une conscience politique.

Ouais, malotruses, au féminin très pluriel. Le mot n'existe pas, probablement, mais le fait existe, alors j'invente le mot pour ce mal.

Voilà ma colère. Mais je vais passer à autre chose. Il fallait bien que je me dispute un peu avec Jim.