mardi 22 novembre 2005

Histoire de Michel de Montaigne.


Il en est qui se prennent pour Michel Sardou. Tout arrive, même qu’on se prenne pour Michel Sardou. Ce n’est du ressort ni de l’Hôpital ni de la Charité ni de la Prison, et la société n’est pas en danger. Michel Sardou lui-même est plutôt inoffensif. A fortiori les clones.

D’autres se prennent pour Michel Houellebecq. C’est déjà plus grave, mais bon, on ne va pas brûler des voitures pour autant. D’autres encore pour Michel Drucker, Michel Debré, Michel Gorbatchev, Michel Piccoli. N’y voyez aucune progression, les mots viennent comme ils viennent, et Piccoli a débarqué comme je ne m’y attendais plus. Chacun jugera comme il l’entend de la gravité du cas. Mais ni l’Hôpital ni la Charité ne devront se mobiliser, et encore moins la Prison ni la case départ. Le monde pourrait tourner en paix s’il n’y avait que cette douce folie pour nous faire l’article.

J’avoue que j’ai moi-même un faible pour Michel Rocard et pour Michel del Castillo. A chacun sa tentation, et la pente savonneuse nous guette tous qui va nous précipiter dans l’abîme.

C’est exactement ce qu’ils m’ont dit, à la Mairie. Ils m’ont dit, l’air navré, monsieur nous ne pouvons rien pour vous les trottoirs de Buenos-Aires sont déjà pris ; nous pouvons seulement vous proposer l’avenue Montaigne. Il faut vous dire que j’étais déçu. Pour être déçu j’étais déçu. Mais alors vraiment très déçu. Ce qui s’appelle, mais bon je ne vais pas en rajouter. J’avais révisé mes pas de tango d’arrache-pied au sens propre de terme, et c’est avec les deux genoux et les deux chevilles foulés que je m’étais présenté, arborant ma plus belle cravate, vous la connaissez, la rouge à pois rose et orange.

A-t’on idée de danser le tango avenue Montaigne ?

Mais voilà, j’ai trois femmes et quinze enfants à nourrir, sauf quand ils vont s’occuper de la voiture du petit Nicolas et qu’ils sont alors nourris par le grand chef. Le grand chef, ils l’appellent la princesse, je ne comprend pas pourquoi. On va manger aux frais de la princesse, qu’ils disent. C’est leur affaire, du moment que j’économise quelques repas. Alors, l’avenue Montaigne, il a bien fallu que je l’accepte.

Ne croyez pas que j’y suis allé à reculons, en rechignant, en tempêtant : je n’ai pas vraiment dû me forcer et je l’ai pris avec philosophie, bien que ce ne soit pas mon genre de graver sur le bâti aphorismes et maximes, exhortations et sentences, platonismes et aristotécies. Mon job consistait même plutôt à les effacer. Pas question de tanguer ni de valser. Agent temporaire de nettoyage et d’entretien de la voirie et de ses avoisinants, qu’ils m’ont dit que j’étais.
Temporaire. Ils doivent avoir du temps une notion qui m’échappe, voilà quarante-cinq ans que je suis temporaire, et encore je suis né un vingt-neuf septembre. Mon petit pois mental me souffle qu’en attendant encore un peu on verra bien que c’était temporaire.

Puisque mon petit pois l’a dit.

Si vous voulez me trouver c’est très simple : j’ai installé mes quartiers d’été devant le grand théâtre. N’y voyez aucune prétention à je ne sais quoi d’impossible. C’est juste que le bar est en face et que j’y tiens mes quartiers d’hiver. Le matin j’y bois mon dix-huitième pastis avant de prendre le poste. Je commence toujours par le dix-huitième ; ainsi, je ne dépasse jamais la dose, bien obligé d’arrêter un fois avalé le premier, et de me mettre au travail. Mon chef, qui me connaît, arrive juste à ce moment là pour me donner la liste des graffitis de la nuit à effacer.

Ce matin tu as trois platon, cinq aristote, deux plutarque, un averroès un petit nouveau paraît-il je ne sais pas qui c’est, une dizaine de cicéron et quatre Héraklite. Il me tutoie, le chef ; c’est un petit jeune bien blanc et bien bec, alors il me tutoie avec mes mains plus sombres au dessus qu’en dessous mais n’allez pas croire, il est gentil mon chef, et il me fait confiance. Je sais que deux choses l’agacent mais il n’a jamais osé m’en parler : ma manie d’écrire Héraklite avec un cas, et mon refus maladif d’effacer ses graffitis à lui. Pas les graffitis du chef, ceux d’Héraklite, vous bien comprendre, hein ?

Justement, c’est un cas l’Héraklite. D’où mon orthographe. Cette idée de philosophe au rabais de se guérir en se trempant dans de la bouse de vache turque ! Il ne s’appelait pourtant pas Alain F., et c’était pour le reste un vrai philosophe de vrai, si j’en crois ce qu’on dit qu’il a écrit. Parce qu’on n’est même pas sûr qu’il ait écrit ce qu’on dit qu’il a écrit, puisqu’on ne sait de ce qu’il a écrit que ce qu’on a dit qu’il avait écrit. Mon petit pois a du mal à suivre, mais du coup je n’arrive pas à effacer des murs de mon avenue ce qui est écrit dont on dit que c’est lui qui l’a écrit. Surtout que, je vous dit tout ici, je suis plutôt très d’accord avec lui sur bien des choses et nous ferions mieux d’y repenser et d’y revenir.

C’est un cas majuscule, mon Héraklite et je le garde ainsi. Mais j’efface aristote et platon et les autres, je gratte et j’efface. Christian Dior, Valentino et le Plaza-Athénée ne balayent jamais devant leur porte, c’est moi qui les balaie.

Et sous la paille de riz vole un nuage de poussière de diamant.
Ecrit le 22 novembre 2005.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Il est mort Alain Fournier ? et mon pois chiche n'est pas capable de suivre, il faut m'expliquer. Chiche ?

Andrem Riviere a dit…

Tous les Alain ne sont pas mort. Il en est même qui se croient philosophes.

Qu'ils se prétendent ainsi n'est pas grave. Mais ils croient ce qu'ils prétendent, ils ne le sont donc pas.

Andrem Riviere a dit…

Tous les Alain ne sont pas mortSSS.