mardi 28 septembre 2010

HISTOIRE DE JIM - Neuvième mouvement : Les fleurs 1.

Neuvième mouvement : Les fleurs.

1. La désinvolture, le son et la terre promise.

Jim m’a offert perles et pépites. Il m’a aussi offert des fleurs. Pourquoi faut-il que je nomme fleurs certains concerts et d’autres perles ou pépites ? Mystère et métaphore. Une affaire de coquille et de gangue pour ceux-ci et de terreau pour ceux-là, sans doute. Les David étaient des pépites et mes trois compères relevaient du bouquet, Galliano la rose, Lockwood le dahlia, Biréli la graine. Je jure que je n’ai pas fait exprès, sinon de l’avoir gardé. Après tout, pour leur plus grand plaisir, ils s’étaient laissé aller à quelques facilités. Alors je m’en offre une aussi pour le mien.

J’ai passé un bon moment en leur compagnie, c’était un cadeau de Jim attendu de belle lurette et j’aurais mauvaise grâce de cacher que, sans avoir décollé de mon siège comme il m’arrive parfois à l’insu de mon plein gré, je n’ai pourtant pas été déçu. Je suis bon public, et sans être dupe des roueries j’ai d’avance de l’indulgence pour ceux que je viens écouter. Il ne faut pas attendre un miracle à chaque instant, sinon que vaudrait le miracle ? On peut leur reprocher une certaine désinvolture, mais si les trois compères n’ont pas tutoyé le génie, ils se sont régalés et nous ont régalés de leurs entrelacs, et des étranges accords entre leurs instruments si différents. On a tout entendu, on les entendait tous ; les sons les plus étrangers se sont mariés les uns aux autres sans se contrarier, suraigu et gravissime, pianissimo ou péremptoire, un vrai miracle d’acoustique.

J’y pense soudain, je n’en ai rien dit et il me faut écrire sur elle, sur celle sans qui je n’aurais rien entendu, sans qui personne n’aurait rien entendu, ni rien vu d’ailleurs, l’acoustique et celle qui en est la meilleure servante, la régie.

C’est l’usage dans ces lieux de gigantisme. On met la sono à fond, on fait défiler sur tous les tympans présents assez de décibels pour enrichir tous les oto-rhinos de la région et les fabricants de prothèses auditives, et tout le monde est content, les organisateurs qui n’ont pas eu besoin de penser l’acoustique et les spectateurs qui ont pris pour de la communion musicale ce qui n’était qu’ondes stationnaires ventrues.

Chez Jim, point de ventre sonore, point de bruit, mais du son. Même lorsque certains musiciens lâcheront leurs chevaux, ces messieurs des consoles garderont la tête dans leur casque et sauront funambuler entre les enceintes géantes pour nous permettre d’entendre le plus petit frémissement de triangle. Il n’y avait pas de triangle chez Jim ? Justement, on l’entendait quand même. L’exercice est très difficile : l’immensité de la toile, le bruit de la foule en mouvement, personne ne s’arrête dirait-on et c’était presque aux musiciens de s’excuser de déranger, la diversité des instruments, la diversité des pratiques. Ils surent restituer la moindre subtilité y compris lorsque rien ne l’annonçait, le doigt effleurant le Steinway au milieu des saxophones en colère, des trompettes époumonées, des caisses claires dévergondées et des cymbales endiablées, des tambours bavards et des clochettes dans les alpages.

Mission accomplie, j’ai tout entendu, jusqu’au moustique sur la joue de la petite chanteuse à la grande voix, même la corde cassée de la guitare rythmique, même le tremblement de la voix de Trottignon intimidé par sa propre folie. Nous nous entendons bien Jim et moi, finalement, et nous nous envoyons l’un à l’autre des fleurs.

Mais les fleurs viennent aussi d’ailleurs, de l’ouest ou de l’est, encore un peu plus loin à l’est, l’est méditerranéen, la terre promise, le pays où pourrait couler le lait et le miel sans la stupidité qui guerroie contre la stupidité. Le pays de ces millions de fleurs rouges qui poussent le long des routes et d’où nous vient le contrebassiste chantant.

J’attendais Avishaï Cohen au tournant. Une part de ce qu’on entend de lui dans le poste me plaisait et j’ai même déjà usé des galettes pour mieux l’écouter quand je veux. Autant l’avouer, au début je croyais que le pianiste de ces écoutes invisibles était le héros de l’histoire, et il me fallut quelques mois avant de comprendre que ce n’était pas toujours le même pianiste mais toujours le même contrebassiste, et qu’il était le cœur de cette musique nouvelle qui me charmait. Ils ne sont pas nombreux dans le siècle, en grande jaserie, les contrebassistes compositeurs et organisateurs dont on reconnaît la musique immanquablement même sans qu’il ait encore joué. Je ne vois guère que Charles Mingus. Dit-on de Mingus qu’il vaut par la qualité de son pianiste pourtant habile, de son tromboniste, de ses saxophonistes ? Malgré le talent de Byard, de Knepper, de Dolphy, et de tous ceux qui sont passés sous sa férule, sous son archet, c’est toujours la musique de Mingus que j’ai goûtée. J’attendais Cohen au tournant et il a su me conquérir. Certes son pianiste ce soir là était remarquable, et on donnera l’oscar à tous les autres, chanteuse, Oud, percussion, mais on comprit vite que c’est le contrebassiste qui tient l’édifice d’une main ferme ; sans lui pas d’hologramme. Fleur d’Israël enracinée à New York, à moins que ce soit le contraire.

1 commentaire:

Lyjazz a dit…

Oui, depuis des années Futur Acoustic fait un travail de sonorisation impeccable.
C'est bien de leur rendre hommage. Sans compter les ingénieurs du son de certains musiciens, comme celui de Wynton Marsalis. Toujours très sérieux.
Et y compris lorsque le chapiteau était du type "barnum". Tu peux le voir là : http://www.ina.fr/video/RBC03023083/marciac-gers-finale-festival-de-jazz.fr.html
Les contrebassistes sur le devant de la scène ? Il y a en a eu quelques uns chez JIM. Je pense à NHOP, ou Dave Holland... mais effectivement pas comme meneurs.