mercredi 13 octobre 2010

HISTOIRE DE JIM - Douzième mouvement : Rambla et paseo.

Douzième mouvement : Rambla et paseo.

J’ai oublié beaucoup de choses. Mais faut-il les retrouver ? Faut-il gratter mes notes de musique jusqu’au sang sous prétexte de montrer qu’on a été bon élève, qu’on a fait tout comme il fallait, tout lu tout vu tout su, et qu’aucune étoile montante ne nous a échappé ? Je n’ai pas été bon élève, je n’ai pas tout lu tout vu tout su, et nombreux sont les artistes de talent qui se sont évertués sur la place ou dans les recoins sans que je les remarque. Le brouhaha, la fatigue, la faim, les ivresses, m’attiraient trop loin même lorsque j’étais à côté. Je vis en désordre et mon cerveau éponge ramasse par hasard bien plus que par calcul.

Comment apprécier Jim autrement que dans ce désordre ? Plutôt que de déambuler de boutique en pacherenc, de tartine en verroterie, d’artisan touareg en chapelier, j’aurais volontiers posé mon cul dans un fauteuil en rotin pour mieux savourer un grain de voix de raisin, pour mieux suivre la courbe du Jurançon, pour mieux caresser le foie onctueux et le saxophone râpeux. Un petit carnet de notes à la main, j’aurais humé la gueule d’atmosphère et j’aurais écrit mon paquet de cartes postales depuis le monde à l’envers.

J’aime écrire des cartes postales. C’est un exercice périlleux et délicieux. On dispose de 15 lignes tout au plus et de 10 mots par ligne en pattes de mouches. On n’a droit qu’au premier jet. Dans une habile progression, il faut décrire l’ambiance du lieu et l’humeur de l’écrivant, demander des nouvelles du petit dernier et de la grand-mère, prendre rendez-vous pour le prochain BBQ du retour, évoquer l’image au dos de la carte, parler des projets d’avenir et des derniers épisodes de la chasse aux roms. Une pointe d’humour, deux calembours aussi laids que possible, et, raffinement suprême et pirouette finale, conclure par ce par quoi on a commencé. Adresse, timbre, et hop glisser dans la boîte à l’angle Nord-Ouest de la place.

Trop facile.

J’aurais vraiment aimé faire tout cela. A tel point aimé que finalement je l’ai fait. J’ai déjà révélé mon quartier général d’où l’écoute était bonne mais la visibilité mauvaise. Pour écrire, il suffisait d’écouter et les voisins, dans ce lieu, était calmes et peu nombreux. De ne pas voir, sans doute. Les serveurs ne parlaient pas un mot de français ce qui renforçait le charme de l’établissement. Avant de prendre position nous faisions le tour de la bastide de Jim, des avant-postes aux arrière-cours, histoire de repérer les moindres indices et croiser des regards.

Nous nous sommes fâchés avec le vendeur de panamas. Le panama est très porté chez Jim. Je ne sais pas si le millésime y est pour quelque chose et si l’année prochaine sera chapka ou casquette blanche, ou bien si chaque année le petit monsieur nerveux vend ses chapeaux à tout le monde. Il faut reconnaître que ‘Aliénor n’avait pas parlé dans la dentelle. Ils sont trop chers vos chapeaux, dans six mois je vais à Panama et je les achèterais là-bas. Le petit monsieur n’était pas content de la remarque. Déjà, le touriste qui achète sur place des produits So-typics achète toujours trop cher une cochonnerie qui ne résistera pas au retour. De plus, le panama comme son nom l’indique est fabriqué en Equateur. Alors à quoi bon acheter un panama à Panama, il faudra payer aussi le transport, on peut aussi bien acheter chez Jim. Le monsieur était très fâché, nous sommes partis sans rien lui prendre.

Nous avons longuement philosophé avec les touaregs, ce qui nous a coûté trois paires de boucles d’oreille, cinq bagues et deux colliers. Honni soit qui Mali pense, peut-être venaient-ils de Montreuil. La sagesse du désert à deux pas de chez moi. A vrai dire, il y a à boire et à manger dans cette sagesse là, mais il faut des sujets de conversation pour faire connaissance et le marchandage ne suffit pas. Ils ne s’en laissent pas conter et leurs répliques sont acérées, prend garde à toi et n’oublie jamais de réfléchir. Ils étaient beaux dans leur houppelande.

Nous nous sommes arrêtés dans le coin des guadeloupéens. J’ai eu cette impression d’un chef qui surveillait tout son petit monde, un grand bonhomme coiffé multicolore au sourire de neige. Je l’ai vu interpeler une fillette traînée par sa mère. Quel âge as-tu comment t’appelles-tu, bien à sa hauteur, accroupi comme il faut, les questions qu’on pose pour que l’enfant réponde. La fillette un peu surprise et la mère un peu pressée. J’ai quakran. J’ai quatre ans moi aussi répondit le grand noir, et elle ouvrit de grands yeux. Je me mets derrière les yeux étonnés de la fillette pour avoir la vision qu’elle eut de la tête hilare au milieu des masques multicolores.

Elle recule dans les jambes de sa mère qui ne remarque rien trop branchée sur je ne sais quelle robe quelle étoffe quelle bibelot, elles s’éloignent l’une tirant l’autre et disparaissent. Le chef se redresse et s’avise du petit gros qui regardait la scène. Elle a raison, la petite, je n’ai pas quatre ans. En effet, vous ne les faites pas, dit le petit gros qui portait un sac noir à surpiqûres blanches justement acheté dix ans plus tôt en Guadeloupe. Non je ne les fais pas, reconnais le chef, en réalité j’en ai quatre cents.

Et vous savez pourquoi j’en ai quatre cents, insiste-t-il ?
C’est à force de réfléchir, répond le sac de Guadeloupe.

Le noir partit d’un grand éclat de rire à couvrir la musique qui continue au milieu de la place et sur les côtés aussi. Et il ajouta, après avoir tapé dans la main de l’homme au sac, celle-là, on ne me l’avait encore jamais faite. Et chacun repartit dans sa vie à lui.

C’était dimanche. Il restait un peu de temps à tuer avant que Jim nous présente à Monsieur McCoy. J’étais encore sous le charme de Virginie Teychéné que je ne connaissais pas le matin même et qui avait réussi à franchir la barrière des bavards de la place. Je humais l’air de l’heure, les airs et les rumeurs, le petit goût de sang du dernier foie gras encore en bouche. Laissant le grand noir à son rire, nous avons fait quelques pas pour nous rapprocher des frères Marc zéro-zéro-sept, installés chez Challan du coin sud-ouest sur le petit podium où officient des artistes de passage. De la jaserie manouche qui ne dépareillait pas l’endroit, aussi boui-boui que les puces.

Nous pouvions les écouter debout sans gêner les dîneurs ni les serveuses. Une vingtaine de personnes étaient là, petit groupe compact goûtant les nuages, les manoirs de rêve et le souigne mineur. On n’aurait pu y glisser une feuille de cigarette. Un petit gitan a su pourtant se faufiler, ils se faufilent partout ces gens là, six ou sept ans je ne sais pas lire l’âge des enfants, regard profond et mèche rebelle. Il était là pour entendre de toutes ses oreilles et s’était mis devant tout le monde, il n’était pas plus gitan que moi, pas moins non plus, pantalon un peu trop court de qui a grandi trop vite, cotonnades kaki ou grises ou vaguement bleues, j’ai la mémoire daltonienne et ce n’est pas important. Je me souviens de la mèche et du regard farouches.

Survient un second larron. Je savais d’avance qu’il surviendrait et qu’il aurait une tête bouclée. Il avait la tête bouclée avec une micro tresse sur le côté. Je n’avais pas prévu la micro tresse sur le côté. Cinq ans tout au plus, ou six, va savoir. C’est à cet instant précis qu’est apparu le regard farouche du premier, genre tiens voilà Concurrence. Il avait déjà deviné la suite. Le petit lui tire la manche et lui murmure à l’oreille qui écoutait ailleurs. Il lui murmure l’appel de la vraie vie, loin des musiciens qui ne jouaient que pour lui, loin de la découverte, il lui murmure le renoncement, Thanatos au lieu d’Eros. Il lui murmure l’appel de l’autorité probable, de l’autre côté du groupe compact. Il fallait partir, abandonner la jaserie à son sort, lui faire perdre sa raison d’être. Ils disparurent du côté des acras de morue et je ne les ai plus revus.

Ils m’ont donné la joie de faire mentir la prunelle de mes yeux qui dans ses habits de petite peste des beaux quartiers me serine que ma jaserie est une musique de vieux. Elle me le dit en prenant sa tête de merveille du monde façon phare d’Alexandrie, englouti à jamais. Il faut avouer qu’elle ne jure que par Renan Luce. Chacun sa croix et il n’y a plus d’enfant.

1 commentaire:

Lyjazz a dit…

Eh, oh ! Je commente et rien ne parait !
Espérons que celui-ci pourra être lisible !
J'ai bien rit de l'histoire du grand noir.
Et je peux t'assurer que les touaregs sont vraiment touaregs. Comment je le sais ? Ils logent dans le même camping que moi, je les ai tous croisés aux sanitaires, attendant devant le wc turc au robinet. Si c'est pas une preuve....