Une suite improbable
Une suite improbable
Finalement, je me suis rabiboché avec la vieille. Ne croyez surtout pas que je me suis mis à l’aimer. Les miracles n’existent que dans les histoires inventées. Seulement il fallait bien trouver la faille.
Un jour, en désespoir de cause, elle a été obligée de m’appeler au secours. Dimanche soir à 20heures, je ne sais pas pour vous, mais moi, et dans tout mon quartier, c’est très difficile de trouver un dépanneur électronicien. Et quand je dis très difficile, c’est parce que je fais volontiers dans l’euphémisme béat.
Pour que vous compreniez bien, je dois vous dire que je suis dans l’électronique. Le Hard. Evidemment, les imbéciles rigolent à chaque fois, avec ma petite gueule de pédé comme ils disent, m’entendre parler de hard les fait rigoler. N’importe quel humain digne de ce nom sait bien que c’est par opposition au Soft, mais les imbéciles n’ont pas besoin d’être humains pour pouffer.
Mes collègues m’appellent doigts de fée. Là aussi ils rigolent, mais ils sont braves mes collègues, et derrière la plaisanterie douteuse je sais qu’il y a la reconnaissance de mon talent. Personne ne sait mieux que moi repérer la soudure défaillante dans l’ordinateur qu’on m’apporte en catastrophe, d’ailleurs rien qu’à le regarder de loin, je sais ce qu’il a, une sorte de don, de magie. J’entre en symbiose avec la souffrance de la machine, et je vais direct au circuit défaillant, parmi les trois millions de circuits de l’appareil. On dit que je serais capable de réparer un transistor dans une puce d’un demi millimètre carré avec un chalumeau de chantier naval.
Alors, la vieille et sa télé en panne, il fallait bien qu’elle en passe par moi. Elle devait ronchonner depuis un long moment quand elle s’est enfin décidée à monter me voir, vous vous rendez compte, l’humiliation grave. Mais De Villiers devait passer à 20 heures, elle ne pouvait pas le rater. Il me restait cinq minutes pour remettre la vieille carne en route, parce que la télé était à l’image de sa propriétaire. Pleine de boutons, aucun programme. J’ai fait la réparation.
Alors depuis, on est copains. Elle le croit, du moins. Elle me fait des sourires quand je la croise, et elle n’hésite pas à me faire descendre chaque fois que l’image se brouille. A chaque intervention, mon Dieu que je suis délicat, je lui mets un petit plus. Une chaîne supplémentaire qu’elle ne pouvait régler, un signal plus fort, une netteté mieux réglée. Un jour, je lui ai suggéré d’acheter un magnétoscope, je lui promettais de l’installer et de le régler. Ce quelle fit, afin de pouvoir enregistrer et se passer en boucle les discours de Villiers et ceux qu petit Nicolas qu’elle venait de découvrir. Il ira loin, celui-là, qu’elle me disait la larme à l’œil.
Pendant ce temps, je continuais patiemment à explorer le trésor de ma cheminée. Ce que je dois vous dire ici de mes découvertes ne pourront être répétées par personne. Les historiens eux-mêmes seraient obligés de revoir leur copie de tous les événements marquants du XXème siècle. Ma grand-mère avait soigneusement filmé tous les passages dans son immeuble du temps de sa splendeur, et sans rien vous dire de plus, je peux vous dire que du beau monde il y en avait, et que tout ce beau monde s’y croisait, s’y saluait, et quel meilleur endroit qu’ici pour manigancer l’Histoire.
Ma grand-mère avait un associé très performant dans les techniques de l’époque, celui qui devint son mari, comme quoi les talents ne viennent pas de nulle part, et sous sa couverture de menuisier savait très bien installer les caméras et les microphones discrets au quatrième étage, justement dans mon appart. J’ai retrouvé des traces des anciens circuits, et je dois dire que mon grand-père, c’était un fortiche.
Vous avez compris que la fortune de ma grand-mère ne venait pas tant des activités de va-et-vient de l’immeuble que des activités postérieures. Elle a toujours promis de ne jamais rien divulguer et elle a toujours tenu parole. Mais, pas folle, tous les films ont été soigneusement encastrés dans le mur de mon trésor. Nul ne saura jamais la vraie histoire du XXème siècle, sauf si…
Je me suis amusé à faire un petit montage des séquences les plus affriolantes. Le transfert d’un 8mm hors d’âge mais en bon état sur une cassette vidéo ne présente aucune difficulté pour moi, même sans lecteur de 8mm. Je ne vous donnerai pas la recette, c’est mon gagne-pain. Comme tout bon monteur, entre chaque séquence j’ai placé une jolie transition : un gros plan da la page du livre de compte où sont répertoriés tous les versements effectués par l’acteur de la séquence précédente, avec l’enregistrement sonore de la négociation. Ma grand-mère est d’une méticulosité extraordinaire, tout y est, surtout les liens de cause à effet.
Alors, le jour où madame Arthur, ma grand-mère, m’a demandé de lui montrer comment marchait son magnétoscope tout neuf, je ne me suis pas fait prier et nous avons visionné ensemble la cassette. J’avais précisé juste avant que si le magnétoscope marchait mal et devait détruire la cassette, ce n’était pas grave, j’en avais une autre en lieu sûr, et ma grand-mère m’avait même félicité pour mon professionnalisme.
Depuis cette soirée, tout va bien. L’appartement du quatrième situé sur le même palier s’étant libéré, un petit vieux qui ne payait plus et qu’elle avait fait expulser en février, elle m’a spontanément proposé de le raccorder au mien, sans augmenter mon loyer.
Le plus grandiose est qu’elle me laisse garer ma voiture devant la porte, et que quiconque prendrait la place serait gratifié de la rayure du siècle, on le sait dans le quartier et on se demande pourquoi une Ferrari seule à le droit de rester stationnée là sans encombre.
Je n’ai plus trop le temps de vous parler de ma mère, et de comment tout s’est su à la fin. La jolie fille qui tient la réception de l’Hôtel juste derrière chez moi, Cité Bergère, à qui je n’ai pas tout raconté mais un peu quand même, nous sommes copines et quand elle me regarde avec gourmandise elle se reprend en me traitant de confiture aux cochons, a eu récemment l’occasion de parler longtemps avec elle, juste avant le drame.
Elle saura vous en parler bien mieux que moi.
3 commentaires:
Tu charie quand même ! :-))
Bon, je ne suis pas contre que tu t'essaie à une suite, je n'avais pas l'intention d'en faire, avant… peut-être, éventuellement, si un jour j'avais eu le temps. Le texte était conçu pour se terminer sur la chanson. De toute façon, ta suite ne m'empêchera pas d'en faire une autre. Donc pas de problème sur le principe. D'autant moins que ta suite est très amusante et m'a bien fait rire, surtout la chute.
Mais j'ai un soucis, la concordance des temps. Mme Arthur exerçait ses "talents" au début du 20e siècle. Béatrice est née juste avant le 2 guerre mondiale, et le jeune freluquet un chouille vers 65. L"histoire se passe donc il y a une dizaine d'année. Pour en revenir à Mme arthur, je ne suis pas sûre qu'à l'époque, filmer les gens fut à ce point possible. En tout cas certainement pas en super 8…
Voilà… Tu crois que c'est amendable ?
Cela dit, si je rebondit sur toi, ça nous faire un jeu dans le jeu et on pourra toujours demander à celui qui veut de faire encore une suite :-)
Alors toi aussi tu l'as vue, la concordance des temps!
Encore que Mame Arthur n'est pas si vieille, enfin celle de l'histoire. Un petit 80 ans sur la photo, ce qui la rend opérationnelle plutôt entre 1935 et 1945. Du genre à avoir su échapper à la tonte par un retournement de veste in extremis.
C'est pour cela que j'avais mis du 8 mm et non du super 8.
Mais bon, je ne connais pas bien l'histoire des formats de film, ce qui permet aux invraisemblances d'aller bon train.
J'ajoute que j'écrivais pendant la réunion et que je pouvais difficilement m'absenter pour faire des vérif.
Et d'ailleurs, j'ai dit que mon grand père était un as. Pourquoi n'aurait-il pas inventé le super 8 avant tout le monde, hein, pourquoi, et télécommandé en plus?
Un régal de tranche de vie. Je ne dirai rien de plus, ce serait révéler beaucoup de choses et je redoute autant l'effet miroir que l'effet boomerang. Merci Monsieur ANDREM
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