INTEMPERIES
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Où il est question de l’hiver, des sensations de l’hiver, du souvenir des sensations de l’hiver, de l’oubli du souvenir des sensations de l’hiver, sans parler du climat.
On m’a dit, il y a bien longtemps, que la neige était un phénomène météorologique qui se produisait de préférence en hiver. Qu’il remplaçait avantageusement le crachin interminable ou la drache soudaine des jours sans parapluie. On m’en a dites, des choses au sujet de la neige, on m’a même interdit d’en faire des batailles de boules, des bonhommes tout blancs avec ou sans carotte, des glissades tourbillonnantes, peut-être dans le secret espoir de me voir désobéir et batailler, bonhommer, glisser.
Rien n’y fit : je n’aime pas la neige, je ne l’ai jamais aimée. Elle nous tombe dessus et nous réduit au silence, puis insidieusement nous glace les os ; elle nous barre la vue, la route la direction, l’orientation. Toutes les vessies deviennent lanternes et les lacs gelés guettent nos pas pour nous engloutir.
Je pourrais en raconter, des histoires où la neige s’est mise en travers de ma route. Je préfère encore les brouillards épais du petit matin à avancer à petits pas en guettant l’ombre d’un obstacle pouvant surgir à tout moment, mais qu’on peut repérer à l’oreille avec quelques précieuses secondes d’avance. Sans compte qu’on peut s’arrêter pile, alors qu’avec la neige il n’en est pas question.
Hypocrisie suprême, la neige ne tombe jamais quand on l’attend. Elle tombe mi-novembre sans crier gare, elle tombe début mai quand fleurissent les bulbes et qu’on a rangé les boots pour l’année prochaine ; mais tout l’hiver les stations de ski l’ont attendue en vain et se préparent à déposer le bilan. Ce n’est pas grave, je hais le ski.
Alors il n’y aura aucune circonstance atténuante dans ce procès, bien au contraire, une aggravation caractérisée. Par un beau soleil enchanteur, j’entrepris de franchir un bout des Montagnes Rocheuses pour accéder au parc de Yellowstone. Le mois de juin brillait de tous ses feux. A peine franchi le Bear Tooth Pass, trois mille trois cents et quelques, le Col de la Dent de l’Ours en version française, un nuage descendu du Canada a déversé sa marée de flocons. Le piège s’est refermé, il m’a fallu plusieurs heures pour rejoindre le bungalow d’été que j’avais réservé, et je ne sais toujours pas par quelle succession de miracles j’ai pu finalement le trouver.
Le lendemain, après une nuit à moins cinq degrés Celsius, la porte était bloquée par la glace. Il a encore fallu un miracle. Je pourrais bien ensuite verser dans la description enthousiaste de la magie des paysages immaculés parcourus en longues trainées sombres par des troupeaux de bisons, d’élans, et autres bestioles finalement tout aussi larguées que moi dans cet hiver inattendu, car la magie des paysages immaculés avec ses troupeaux désemparés était bien du voyage, je pourrais aussi évoquer la blancheur foudroyante de la vapeur du geyser Old Faithfull sur fond de forêt enneigée et de chute dense de flocons, façon blanc sur blanc sur blanc à damner un amateur de peinture conceptuelle, du jamais vu de mémoire de photographe, avec rayon de soleil soudain pile à l’éruption, j’ai les photos en archives si l’on ne me croit pas, je pourrais ne serait-ce que pour plaider les circonstances atténuantes, je pourrais je pourrais mais je m’en garderai bien, je ne suis pas l’avocat de la défense.
Que personne ne me parle de neige ni de flocon.
Autre chose ?
Étendue neigeuse
Le silence de l’hiver
La fleur a percé
L’étang est gelé
Là-bas au fond des bois noirs
Un canard s’envole
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