lundi 21 novembre 2016

UN CONTE DE NOEL

Mais pour qui te prends-tu, garnement ? On dirait que tu t’y crois déjà, dans l’attelage, à faire le mariole au milieu de tous les autres et à leur apporter ta part d’énergie. As-tu seulement idée de ce que représente une chevauchée mondiale en moins de vingt-quatre heure, un milliard et demi de foyers à servir et autant de cheminées à descendre puis remonter sans se salir, avec, au moins au départ, quatre millions de tonnes de marchandises.

Alors toi, petit avorton de Bambi, tu t’imagines capable de participer à cette folie douce ? Il y a beaucoup d’autres façons de voir du pays et, je te préviens tout de suite, tu te feras jeter comme je l’ai été quand j’ai voulu faire le malin. Je leur avais dit d’un air de défi, « moi, Rodolphe, ces deux villes Alep et Raqqa, je peux m’en occuper seul », j’en avais assez de courir, coincé entre quatre rennes sans rien voir du paysage.
 
Tu ne sais pas à quel point ce travail est difficile, comme il faut avoir tout préparé, tout minuté, la construction du chargement, la compatibilité avec l’ordre des visites, la taille des cheminées, la croyance des cibles. Oui, c’est ce qu’on dit, des cibles. Pourtant les deux villes n’étaient pas si grandes et le climat plutôt clément à cette date, mais j’étais mal préparé et j’ai fait n’importe quoi. Tu connais la suite.
 
Alors écoute-moi, petit Bambi, écoute ton aîné Rodolphe : tiens-toi loin de ce cirque commercial et reste sagement dans les cartons à dessin de monsieur Disney. Tu y feras carrière et même si ta fin y est tragique, tu deviendras éternellement célèbre.
 
Immortel, en quelque sorte.

samedi 5 novembre 2016

LE HUITIEME PECHE CAPITAL - 3/3 & fin Grégoire et Thomas

3/3 . Grégoire et Thomas.

·    Hassan.
Dis donc, nous en sommes loin maintenant, de ton huitième péché capital.
 
·    Ezéchiel.
Pas du tout. On y est pile dessus. Je te disais que nous étions tous condamnés à l’ignorance, à l’obscurité. Pour avancer dans cette obscurité, personne n’a de chemin à me montrer que je n’ai accepté et que je ne puisse révoquer à tout moment. Tant que les explications me conviennent, tant que la voie me permet d’avancer le moins mal possible, tant que je ressens une cohérence, j’accepte. Je peux même m’obstiner sur cette voie dans l’incertitude et le doute. Mais je peux aussi, sans avoir à m’en expliquer, lâcher prise et prendre une traverse pour voir si l’herbe est plus verte autrement. Aucun Platon sur terre n’a le pouvoir de me demander des comptes.
 
·    Hassan.
Alors, rien qui tienne de la Vérité, à t’en croire.
 
·    Ezéchiel.
Tu me fatigues, avec ton erreur et ta vérité. Et sans majuscule, s’il te plaît. Sais-tu ce que j’ai vu chez Gault et Gueule, en plus des listes de mes envies ?
 
·    Hassan.
Tu vas me le dire.
 
·    Ezéchiel.
La liste des sept péchés capitaux ne remonte ni à Mathusalem ni à Platon, ni même aux pères de l’église, aussi augustes soient-ils. Ils ont bien essayé de donner à ce fameux VRAI inventé par Platon une sorte de codification afin de définir le MAL, mais leurs listes tâtonnaient trop selon les humeurs du lieu et du temps, incertaines et variables. Platon était trop flou dans sa métaphore et les chrétiens qui lui ont emboîté le pas n’ont pas su s’y retrouver.
 
·    Hassan.
Et alors, mal et bien, on sait faire la différence, non ?
 
·    Ezéchiel.
Il est parfois des situations inextricables qui font la joie des romanciers et des dramaturges. Cette liste des sept péchés capitaux est récente. Après quelques siècles de débats ésotérique, le pape Grégoire a tapé du poing sur la table, fatigué, et a demandé une liste une fois pour toute. On a cherché, diverses propositions ont fleuri, Grégoire est mort et les débats ont repris. Comme quoi la Vérité a bien du mal à se faire un chemin, surtout avec sa majuscule qui l’embarrasse dans les passages étroits. Encore quelques siècles et Thomas est arrivé, il n’y a même pas huit cents ans. Thomas, un enfant d’Aristote.
 
·    Hassan.
Si je comprends bien, une idée de Platon mise en pratique par Aristote. Un grand classique, en quelque sorte.
 
·    Ezéchiel.
Si tu veux. Thomas a sorti la liste de son chapeau et il a bien pris soin qu’il y en ait sept. C’est pourquoi il ne peut pas y avoir de mot pour le huitième. Thomas a vu le danger, il savait que sept est un chiffre sacré, il en connaissait un sacré rayon en sacré, il lui en fallait donc sept pour fermer la porte à des petits malins qui auraient pu en rajouter. Il n’en avait que six au départ, in extremis il a placé la gourmandise.
 
·    Hassan.
(Six). Voilà pourquoi la gourmandise ! J’ai toujours eu du mal à accepter que ce péché là soit Kapital, ni même péché d’ailleurs. Remarque je me pose la question aussi pour la paresse, (et de sept), je me demande si le monde n’irait pas mieux si nous étions tous d’incorrigibles paresseux.
 
·    Ezéchiel.
Tu ne vas pas commencer à pérorer sur les sept péchés capitaux, surtout qu’on les a déjà tous placés dans la discussion. On n’en finirait pas et j’aimerais bien qu’on mette enfin le doigt sur le huitième maintenant qu’il est coincé dans la cage.
 
·    Hassan.
Je ne vois rien.
 
·    Ezéchiel.
Evidemment, tu t’es dispersé avec paresse et gourmandise. Alors je reprends. Que ce soit Platon, Aristote, un grand prêtre, un prix Nobel, un sorcier, un économiste, le Pape, l’Ayatollah, les dernier des Mohicans ou qui que ce soit d’autre, personne ne sait ce qu’on ne sait pas, ce qu’on ne sens par aucun de nos cinq sens, personne ne peut t’obliger à te soumettre à ce que qui d’autre que ce soit croit savoir. Croit. Du verbe croire. Voilà le verbe qui, en dernier ressort, cache le huitième péché capital.
 
·    Hassan.
C’est un péché capital, de croire ?
 
·    Ezéchiel.
Mais non, c’est un buisson qui t’obscurcit la vue. On peut admettre, accepter, décider, que ceci ou cela puisse être vrai, localement et temporairement, en restant sans cesse vigilant sur la possibilité de garder et de reprendre sa liberté au premier signe. A toi de savoir le reconnaître, ce signe, personne n’a autorité pour le faire à ta place.
 
·    Hassan.
Mais alors, où est-il, bon sang, ton huitième péché ?
 
·    Ezéchiel.
Il est dans le cœur de qui prétend asséner à l’humanité entière, à toi, à moi, comme autant de coups de massue, les sept péchés capitaux.

FIN
Printemps 2016

vendredi 4 novembre 2016

LE HUITIEME PECHE CAPITAL - 2/3 Retour à la caverne


2/3 . Retour à la caverne

·    Ezéchiel.
Tu n’as pas entièrement tort. J’ai été présomptueux, je voulais faire une révélation, parole d’Ezéchiel, et je découvre soudain que les mots me manquent. Ce péché est si bien caché qu’il ne porte pas de nom ; d’une certaine façon, d’une façon étymologique, c’est un péché innommable. Il nous faut en faire le tour, un peu comme un explorateur commence à contourner une terre inconnue avant d’y pénétrer.
 
·    Hassan.
Je connais, c’est le principe de Magellan.
 
·    Ezéchiel.
Si tu le dis. Alors, pour tenter d’éclairer ta lanterne, je vais remonter dans l’histoire de la pensée.
 
·    Hassan.
On n’est pas sorti de l’auberge si tu vas chercher Mathusalem.
 
·    Ezéchiel.
Non, je me contente de remonter à la caverne.
 
·    Hassan.
De mieux en mieux, nous voici avec Cro-Magnon. Tu as besoin de Cro-Magnon pour ton péché, c’est la meilleure, tu me perds dans tes décomptes, tes listes et tes litanies pour finir assis habillé de peaux devant un feu de camp. Ce n’est plus l’histoire de la pensée mais sa défaite.
 
·    Ezéchiel.
Tu n’y es pas du tout. Je ne parle pas de l’homme des cavernes mais de l’Homme de LA caverne. Platon. C’est là, dans cette caverne là, que se trouve le huitième péché capital, et il est assez bien caché pour que je sois obligé de tourner autour du pot au lieu de te balancer un bon gros mot bien senti comme à la télé qui clouerait le bec même à Socrate.
 
·    Hassan.
Attends. Je te rappelle que c’est moi qui t’ai raconté, détaillé, expliqué le premier cette histoire de caverne de Platon, tu me regardais avec des yeux en ronds de flan. J’espère que tu t’en souviens. Les hommes enchaînés, les ombres sur la paroi, et le philosophe qui par sa seule force mentale parvient à deviner sans rien voir l’ouverture le soleil et les personnages qui passent avec leurs pancartes, leurs banderoles, une vraie manif pour faire de l’ombre à l’humanité aveugle.
 
·    Ezéchiel.
Je me souviens très bien et tu n’as plus rien à m’apprendre. Mais ce que tu m’as appris m’a longtemps troublé. Quelle est cette prétention du philosophe de nous révéler une vérité qu’en fait il n’a pas plus vue que nous, nous sommes tous enchaînés à la même enseigne : « à la paroi de granit, graffitis en tous genres, illusions et ombres chinoises. Femmes et Enfants acceptés. Interdit aux animaux. Séjour éternel gratuit jusqu’à ce que mort s’ensuive ».
 
·    Hassan.
Tu me l’avais déjà sortie, celle-là, l’auberge espagnole.
 
·    Ezéchiel.
Il m’agace de plus en plus, ton Platon. Il peut imaginer ce qu’il veut, se faire exploser le cerveau d’hypostase en hypostase, voir des nains partout et des banderoles qui défilent, qui est-il pour nous imposer sa vision, son invention, son délire ? Pour le léguer aux générations futures qui vont s’en emparer pour les transformer en religions ? De quel droit ce qu’il imagine serait-il plus VRAI que ce que j’imagine moi ? Pourquoi ce que moi j’ai envie d’imaginer ne serait-il pas plus vrai que sa prétendue vérité ?
 
·    Hassan.
Attention, Ezéchiel tu cumules péché d’envie et péché d’orgueil (quatre et cinq, d’un coup).
 
·    Ezéchiel.
Mais je n’envie personne ni ne cherche à imposer mon imagination à qui que ce soit. Ces ombres que je vois sont le seul accès dont je dispose à l’univers où je vis, j’en déduis ce que je veux, ce que je peux, et je demande de l’aide à qui je veux si c’est trop difficile.
 
·    Hassan.
Mais on peut te raconter des salades bien tournées qui vont t’entraîner dans l’Erreur.
 
·    Ezéchiel.
Bien malin qui pourrait vraiment me dire ce qu’est l’erreur ? Mais tu as raison pour la salade, Hassan, alors j’en écoute beaucoup et je picore à ma guise ce qui convient à ma propre harmonie, je reste en éveil et sans cesse je soumets à ma lorgnette mes récoltes et celles qu’on m’apporte. Il y a beaucoup de déchets, j’en conviens, et je ne saurai jamais le vrai.

jeudi 3 novembre 2016

LE HUITIEME PECHE CAPITAL - 1/3 Les décomptes


1/3 . Les décomptes.

·    Ezéchiel.
Est-ce que tu peux au moins me réciter les sept péchés capitaux ?
 
·    Hassan.
Facile. L’orgueil, l’avarice, l’envie, la colère, la luxure, la paresse, la gourmandise. J’ai bon ?
 
·    Ezéchiel.
Ouais. Je suppose que tu as sagement recopié en allant voir chez Gault et Gueule, mais il n’y a rien à ajouter, tu as bon comme tu dis. Et sais-tu pourquoi ils sont sept ?

·    Hassan.
Je ne le sais pas. Gault et Gueule sont muets sur la question. Sans doute parce qu’il en faut sept, chiffre sacré ou magique, depuis les temps de la nuit. On est sûr que le compte est bon une fois arrivé à sept, six péchés ou huit péchés et tout part en choucroute. C’est comme les sept jours de la semaine, imagine les négociations si la durée variait d’une fois sur l’autre. Un péché par jour est un bon programme, je m’y tiens. Ou alors les sept piliers de la sagesse, chaque pilier posé sur un péché, en voilà une belle fondation. Je vais aller proposer ce plan à Lawrence.

·    Ezéchiel.
Tu ne vois pas plus loin que le bout de ton nez, Hassan. Il pourrait y en avoir davantage mais qui sont cachés, des péchés rampants bien plus dangereux que ces sept mercenaires vite repérés, à la façon de ton Imam qui pour certains des tiens est caché et qui pour d’autres n’existe pas, et que de toute façon personne n’a jamais vu.

·    Hassan.
Que veux-tu dire. Je ne sais pas de quel Imam à moi tu parles ni de qui sont ces miens, et ce n’est pas ton affaire. Pourquoi pas tant que tu y es les sept samouraïs, les ocean twelve, les douze salopards ? J’en passe, et des meilleurs.

·    Ezéchiel.
Toi et tes colères, je te reconnais bien (on en a déjà un).

·    Hassan.
Je préfère et de loin m’occuper avec les trois grâces qui dansent toutes seules là bas dans leur coin. Pour nous calmer et nous distraire un peu.

·    Ezéchiel.
Ne cherche pas à détourner la conversation avec un zeste de luxure (et de deux), et respecte un peu mieux les dix commandements. Non, ne me les récite pas, je les connais aussi, ils sont dix et c’est cela qui est important, comme les dix doigts de la main.

·    Hassan.
Des deux mains.

·    Ezéchiel.
Oui, si tu y tiens. Encore heureux que nous ne soyons pas mille pattes, avec tous les commandements qui viendraient avec. Ne thésaurisons pas avec avarice (et de trois), dix nous suffisent largement ainsi que huit péchés capitaux.

·    Hassan.
Parce que maintenant il y en a huit ! Qu’as-tu fait du nombre sacré ?

·    Ezéchiel.
C’est ce que j’essaie de te dire depuis le début mais tu ne cesses de m’interrompre. Il y a huit péchés capitaux, sept et un péché caché.

·    Hassan.
Et ce huitième, quel est-il ?

·    Ezéchiel.
J’aurais dû parier que tu allais me poser la question. Tu es d’un prévisible désespérant. Pourquoi faut-il que je te réponde ?

·    Hassan.
Parce que justement tu savais que j’allais te poser la question en m’annonçant un huitième péché capital, et que si tu n’avais pas voulu que je te la pose tu n’aurais rien dit. Alors maintenant assume et réponds-moi.