lundi 29 octobre 2018

Une aventure de NKM



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Où l’on va croiser dans l’ordre :
 un conciliabule, une aubergine, des rétrofusées, une barboteuse, l’éléphantiasis, Farinelli, une gargoulette, de l’olivine, des gymnospermes, un tiramisu, le duodénum, le monokini, le Burkina-Faso.

Et pour commencer, ceci :
Je n’aurais jamais cru que je tomberais sur NKM dans un endroit pareil. Des canettes vides par terre, des seringues et pire encore si c’est possible.

A vous les studios.


Je n’aurais jamais cru que je tomberais sur NKM dans un endroit pareil. Des canettes vides par terre, des seringues et pire encore si c’est possible. Elle était avec un groupe de messieurs costard-cravatés tenant un conciliabule à même le pavé, formant une sorte de cercle de palabres dans le vacarme ambiant comme on le connaît au voisinage de la Gare du Nord. La manifestation s’était éloignée et tout peu à peu rentrait dans l’ordre dans le quartier, enfin dans l’ordre je ne sais pas trop, mais au moins dans son désordre habituel.
 
De quoi pouvaient-ils parler, ces gens autour de cette dame ? L’un d’eux avait commencé à tracer des lignes sur une grande feuille de papier et pour mieux voir, il fait si sombre dès qu’on s’éloigne des carrefours dans le coin, quelqu’un avait allumé un grand chandelier d’argent qui tremblait au milieu du cercle et jetait sur le pavé humide des ombres biscornues.
 
Je me suis approché pour comprendre ce que pouvait bien signifier cette scène étrange, comme déconnectée du monde. NKM tentait de s’imposer en vitupérant face à ces six messieurs, ils étaient six, et son nez prenait une teinte aubergine dans l’effort. Elle ne parvenait pas à fracturer la solidarité masculine qui unissait les messieurs malgré leurs apparences de désaccord. Chacun tour à tour semblait prendre son envol comme un dessin de Topor ou de Folon mais bien vite les autres le ramenaient à la raison à grands coups de rétrofusées, on se serait presque cru dans un débat à la télévision, de ceux qui n’intéressent que les barboteuses.
 
Finalement il m’a semblé mais je ne jure de rien, qu’ils se disputaient pour savoir qui prendrait en charge le nouveau buffet de la Gare du Nord qui va être mis en service le 15 novembre prochain. Après avoir échappé à des projets pompeux atteints d’éléphantiasis, il fallait donner un contenu digne du résultat obtenu sans le dénaturer, et les idées les plus folles surgissaient de la conversation pour faire assaut d’inventivité, d’originalité, de compétence. En secret j’imagine que tous voulaient se faire mousser devant la dame, parade de paons, combat de coqs. J’en avais surnommé un Farinelli à cause de sa voix haut perchée. Il avait une tête de gargoulette toute transpirante qu’on aurait dit sculptée dans de l’olivine par sa teinte contrariée. Son projet était le seul audible, Farinelli savait se faire entendre. Il s’agissait d’une immense verrière envahie de gymnospermes, pourquoi ce mot plutôt que conifères sans doute pour impressionner, avec des tables quasi invisibles disséminées dans les allées, et du tiramisu en dessert unique quel que soit le repas choisi.
 
J’ai un duodénum allergique à ce dessert et c’est pour cela que l’idée m’a frappé. J’aurais préféré que les serveuses soient en monokini, d’ailleurs les autres de la bande lui en ont fait la remarque dont NKM n’a pas du tout apprécié la teneur. Elle objecta derechef que ce n’était même pas envisageable au Burkina-Faso. Je compris alors que c’était elle qui, le soir même, devait décider du sort du buffet de la gare et par conséquent du mien, moi le meilleur laveur de verrières de la place de Paris.
 
Voilà, c'est tout pour aujourd'hui. Vous reprendrez bien un peu de tiramisu.

jeudi 18 octobre 2018

PERE NOEL EN FUITE



Le Père Noël était coincé en ce soir du 24 décembre 1942. Il faisait un froid épouvantable et n’en déplaise aux beaux esprits qui ricanaient qu’à Noël il fait toujours froid, il faisait beaucoup plus froid que froid et même le ciel étoilé était verglacé. Il avait dérapé dans un virage en pente de la voie lactée et s’était enfoncé dans le bas-côté entre Bételgeuse et Andromède. Impossible d’en sortir.

Plus personne n’allait passer dans le coin, sauf bien entendu l’inévitable patrouille allemande. « C’est bien ma chance, pensa Harry Baur dans son déguisement de Père Noël, moi qui croyait être définitivement invisible ». Trop sûr de lui, il n’avait même pas emporté son ausweis, et les costumes de renne dont il avait affublé ses trois mules commençaient à partir en charpie.

Il ne fallut pas longtemps aux soldats pour éventer la comédie, contrariété supplémentaire pour un grand acteur comme lui, et pourtant ce soir là ils n’avaient pas du tout envie de faire du zèle. Mais ce n’était pas permis d’être à ce point cousu de fil blanc, ils ne pouvaient fermer les yeux. Après un long moment d’efforts, le chariot était lourd, le terrain plus glissant que jamais, la neige tombait à travers le ciel noir, et les mules faisaient de la résistance, ils réussirent à redresser l’attelage et quittèrent Orion pour emmener tout ce petit monde à la kommandantur. Harry Baur quant à lui était résigné.

Malgré l’heure tardive, et après avoir renvoyé les soldats dans leurs foyers réquisitionnés, visiblement épuisés par l’aventure, l’officier de garde décida d’interroger ce père noël inhabituel que chez lui on appelait Santa Klaus. Il aimait interroger les gens, une sorte de péché mignon, surtout les nuits de Noël. Après tout, cet énergumène massif était peut-être un aviateur anglais, un espion américain, un terroriste, un juif. Ne l’avait-on pas déjà signalé comme juif, Harry Baur ? Il y a tant de gens soucieux de rendre service.

Il voulait en avoir le cœur net. Personne ne se souvient du nom de cet officier qui décida de sacrifier son réveillon pour faire éclater sa vérité et qui échoua : quatre mois plus tard il dut relâcher le citoyen Baur qui ne lui avait rien appris ne sachant rien, sans parler de l’entretien des mules et du parking du traineau. On peut l’appeler Hans, ce n’est pas garanti mais c’est commode.

Hans est celui qui, pour de mauvaises raison mais en est-il de bonnes, eut la peau du plus grand acteur français d’avant-guerre et peut-être de tous les temps. Hans a survécu à la défaite de son pays. Il est devenu homme d’affaires prospère et a voyagé à travers le monde. Un jour, se promenant sur Colombus à San Francisco, fatigué, il s’est assis sur un des rares bancs de l’avenue. A côté de lui se tenait un vieil homme qu’il reconnut aussitôt.

« Que faites-vous ici, Monsieur Baur ?
- Je ne suis pas monsieur Baur, bougonna le vieux. Je suis le Père Noël ».