lundi 28 janvier 2008

Les paillettes et la vérité #4/10.

4. La forme et le fond.

Je n’ai jamais voulu distinguer l’un de l’autre, sinon parfois pour quelque commodité subalterne mais non sans danger. Ils sont étroitement liés, et une forme mal soignée trahit ou traduit un fond délétère, un laisser-aller de la pensée. Ainsi je n’aime pas les prestations publiques de ce président, son agitation, ses ricanements, son air de roquet arrogant, qui sont la claire signature de ses lois, décrets et décisions dont peu me conviennent si j’en reste aux euphémismes.

Vous allez me répondre que j’évite ainsi les sujets de fond en m’intéressant aux formes, en critiquant le visuel, et que je pratique le détournement de la pensée en prétendant dénoncer cette même manœuvre chez l’autre. Il n’en est rien, chère Alliolie, et de faire cette critique sur la forme est le premier pas vers les critiques dont je ne me sens pas dispensé mais qui en font résolument partie, les critiques des lois, décrets et décisions, les critiques de la pensée et l’action de ce monsieur et de son scribe, sans parler même du pillage éhonté d’autrui et des détournements scandaleux ; critiquer ce que vous tentez de minimiser en le nommant forme est déjà en soi une attaque sur le fond, quand même on voudrait séparer ces deux notions. Et l’homme lui-même en est conscient qui utilise l’une pour faire avaler l’autre.

Tous les pouvoirs l’ont compris depuis la tribu primitive et ses sorciers accoutrés jusqu’aux fastes lourdingues des empires communistes. Les derniers rois de France ont construit Versailles pour clouer le bec aux petits hobereaux et aux grands ducs, les empereurs de Chine la cité interdite pour se rendre inaccessible et divins, et les républiques ne sont pas en reste qui ont construit une maison blanche là-bas ou qui dans nos parages ont installé leurs pompes dans les anciens palais aristocratiques. Le pouvoir n’existe que dans l’apparat et la manière, et un changement de manière est en premier lieu un changement de politique, un changement de fond.

Ne me parlez pas de rupture j’ai les lèvres gercées et le rire m’est douloureux. Je crains que ce ne soit pas que les gerçures.

Les gesticulations de notre agité ne sont pas indifférentes ; leur mettre un cache-sexe dénommé vie privée est une façon indirecte de reconnaître que la forme n’est pas satisfaisante, et donc une façon de tomber d’accord avec moi que cette présidence démarre sur de mauvais auspices politiques. Il y a à mon sens une cohérence absolue entre les gesticulations médiatiques de l’individu et les mesures qu’il prend en leur donnant le nom de réformes, encore un mot comme écran de fumée. Je lui reconnais bien cette cohérence, tout comme la cohérence avec ses discours de campagne. Pour une fois qu’un président confirme les engagements qu’il avait pris, voilà que je m’en plains ; c’est logique que je m’en plaigne n’ayant pas voté pour lui mais alors pas du tout, mais je reconnais qu’il tient ses annonces, que je ne qualifierai pas de promesses.

Rien que par l’image qu’il nous donne de lui, n’oubliez jamais que cette image est soigneusement construite et n’est due à aucune malveillance médiatique du genre tous contre lui, bien au contraire, ses conseillers y travaillent d’arrache-pied et suivent ses consignes féroces sous peine de jeté à la rue, rien que par cette image voulue, il me donne toutes les bonnes raisons de le rabaisser dans mon échelle à moi et d’avoir honte de sa présence dans le monde, d’avoir honte pour mon pays. Honte.

Laissons là ce point de vue, il est ici seulement pour illustrer mon propos de fond et de forme ; je ne vais pas défendre plus avant mais je ne perds rien pour attendre, la honte j’en traite ailleurs et longuement. Ce n’est pas le sujet qui nous intéresse ici, même si tôt ou tard nous devrons en débattre, y compris dans le présent discours. Si par hasard la façon d’être et de paraître de notre pouvoir actuel devait vous embarrasser, la forme pourrait-on prétendre, une supposition que je vous demande ni d’infirmer ni de confirmer, soyez en sûre : quelque chose vous embarrasse dans les décisions qu’il prend qui engagent votre avenir, bien davantage que le mien au demeurant, le fond en quelque sorte.

#5/10 à suivre

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vendredi 25 janvier 2008

Les paillettes et la vérité #3/10

3. Le coup de pied de l’âne.

Je ne suis pas dupe, et votre façon de viser la complaisance pipeaulisante des journalistes a visiblement voulu atteindre Ségolène Royal. Ce que j’appelle votre coup de pied de l’âne à Ségolène. Des nombreuses déceptions que j’ai ressenties en vous lisant, celle-ci est la plus désolante. Vous auriez pu au moins avoir la prudence de noter qu’en matière de pipeau, l’un comme l’autre des deux anciens adversaires ont fait très fort, et que aucun des deux n’a de leçon à recevoir de l’autre. Ce serait une sorte de minimum entre nous.

En supposant que j’aie la conviction contraire, nous ferons chacun un effort, et nous observerons qu’ils ont tous deux largement utilisé cet artifice lors de leur campagne.

Nous observerons aussi que Monsieur Sarkozy a mieux réussi son coup que Madame Royal, et que le plan pipeaule a probablement nettement moins joué dans la réussite de l’une que le plan pipeau pour l’autre. En cette matière je reconnais à Monsieur Sarkozy une bien plus grande compétence que Madame Royal. Depuis belle lurette, les journalistes et surtout les bien pensants de service et de toutes obédiences, s’en donnent à cœur joie sur la pipeaulisation de Ségolène qui en vérité ne se plaint pas du phénomène et va parfois au devant, je le déplore sincèrement comme, je le suppose, vous.

Il y a plus inquiétant. Il n’y a pas de réciprocité, même sur ce sujet, et les journalistes, je veux dire les plus bruyants et les plus envahissants, ont largement choisi leur camp. Bien avant le résultat final, peu me chaud en vérité qu’il y ait complot ou non, ils ont déroulé le tapis rouge pour l’un et les peaux de banane pour l’autre, et que l’une ait eu une rare faculté à glisser dessus quand l’autre savait très bien descendre l’escalier d’honneur n’y change rien.

La Royal, ils n’en attendaient que les mots étranges pour les transformer avec allégresse en bourdes puisque mots incongrus et inattendus, les journalistes ne savent que faire des mots incongrus ; en bourdes aussi puisque parfois incompréhensibles sans un minimum de réflexion ce dont les journalistes sont dépourvus non par manque d’intelligence mais par soumission à l’audience et peu importe le support, écrit, entendu, vu ; en bourdes puisque parfois vraiment incompréhensibles et en cela Ségolène Royal est fautive en effet.

Oui, même pour les journalistes, il faut bien vivre parfois.

Vous avez affirmé que les journaux auraient tu le goût pipeaule de Ségolène quand ils en rajoutaient pour Nicolas, et vous laissez croire que ce serait par soumission à la dame blanche ; c’est évidemment Ségolène que vous visiez ainsi, non les journaux et leurs plumes, leurs voix. Emportée par votre envie de dégommer, vous n’avez pas songé que la sévérité avec les journalistes étaient bien plus opportune que celle à l’encontre de la dame. D’autant que votre affirmation est parfaitement fausse pour ce qui est du passé récent, ou alors vous avez tellement eu envie de le croire que vous l’avez cru. Et prétendre que la pipeaulisation d’aujourd’hui serait moins envahissante si Madame Royal l’avait emporté hier relève de la pure fiction que rien n’étaie, sinon pour sous-entendre et c’est le sous-entendu que je vous reproche, que Madame Royal serait plus manipulatrice que Monsieur Sarkozy.

En tous cas, j'aurais espéré en effet qu'elle eût moins fait de pipeaulisation, mais je n'en suis pas certain du tout. Le coup de pied est malséant et mal venu, car personne ne pourra jamais dire ce qui aurait tété si. Malséant car trop facile, indémontrable, irréfutable, et inutile.

Ségolène victorieuse, la mangeoire n’aurait pas changé de camp, et les patrons des journaux seraient restés les amis de ceux dont ils sont les amis. Ils auraient fait semblant de soigner la forme, en feignant de croire que c’est suffisant alors que c'est impossible. Je précise que j’ai tenté de rester simpliste en amalgamant les journalistes en une sorte d’engeance détestable. Je restais ainsi sur le terrain que vous aviez choisi, vous. J’aurais pu me lancer dans des précautions oratoires permettant de distinguer les bons de l’ivraie, les caméras des plumes, les soignés et les négligents, les paillettes et les réflecteurs.

Nous savons, vous et moi, qui est concerné dans l’affaire et nous ne chercherons pas des disputes collatérales, qui seront savoureuses aussi, je n’en doute pas. Nous savons, vous et moi, que l’engeance journalistique est précieuse et qu’il vaut mieux avoir de l’ivraie dans son jardin que des barreaux à sa fenêtre.

Suffisant est le mot. J’observe que la complaisance des journaux est à l’unisson de la complaisance affichée de l’homme pitre en question. Que parfois il interrompe brutalement cette complaisance en cassant le bras d’un photographe n’enlève rien à cette complaisance, et prouve seulement le mépris qui l’habite pour l'engeance, toujours elle, photographes, paparasoirs, journalistes. Il les veut à sa botte, il veut surtout que rien ne dépasse. Je réprouve cette forme d’apparence de complicité entre pouvoir et relayeurs, dont la seule victime est finalement la liberté d’information.

Brutalement. Vous avez su comme moi la mésaventure arrivée à ce photographe en Égypte, qui pourtant ne faisait rien de plus que ses collègues. Mais il est vrai qu’à ce moment là le petit chef ne faisait pas le pitre avec la belle mais avec ce Kouchner et qu’il s’agissait là d’info et non plus d’intox. Alors, évidemment, casser le bras. Exprès. L’intox est salutaire à ce monsieur, mais l’info est dangereuse.

Certes, je n’aime pas davantage lorsque Madame Royal s’exhibe chez Ruquier ou Fogiel en y prenant des airs de la Sainte-Nitouche qu’elle n’est pas et que je ne veux pas qu’elle soit, mais ces minauderies ne sont rien en comparaison du battage insupportable et ridicule dont nous affuble notre pitre de service manifestement très satisfait, devant qui nos journalistes sont comme caniches en manque. Et si nous l’écoutions un peu, la Sainte-Nitouche avec son air de n’y touche pas, nous verrions qu’elle a bien des questions à nous poser, des pistes à nous faire explorer, des révolutions invraisemblables à nous proposer. Peut-être ce sont ces révolutions qui nous font peur, et le fait est que parfois elles me font peur. Alors on donne le change, on n’écoute pas et on ricane sur son ton pincé et son air madonné.

Oui je sais le mot pitre n’est pas élégant. Il fait tache dans mon monde d’intellectuel précieux et snob. Je ne fais pas dans l’élégance et j’appelle un chat un chat. Je reviendrai sur ces sujets plus loin, la liste me permettra même d’y revenir plusieurs fois pour préciser la violence de mes idées, du moins la violence qu’elles ont prise depuis ces quelques mois. C’est incroyable comment ce qui pouvait passer pour un simple procès d’intention à l’époque est devenu plus grave que toutes les fictions que je me construisais en n’osant pas me croire moi-même. Car si j’écoute l’une, j’écoute aussi l’autre, et j’ai froid soudain. C’est pourquoi il n’aime pas trop qu’on écoute et décortique, c’est pourquoi les paillettes lui sont si nécessaires.

Que monsieur Sarkozy se répande et se mette en scène n’est en rien le fruit du hasard mais une politique de communication soigneusement organisée. Je mets des guillemettes à communication, tant ce mot me déplaît. Mais je dois bien l’utiliser dans ce cas, vous m’y contraignez. S’il y avait foule de caméra et de micro à Disney l’autre jour et plus récemment à Luxor, ce n’était pas un hasard et me le faire croire serait me prendre pour un imbécile. Après tout pourquoi pas.

Ce n’est pas parce que l’air du temps le veut ainsi qu’un président se doit de courir après une image, un Président dispose d’un pet majuscule, et si j’emploie à son sujet des mots trop, comment dites vous déjà, vulgaires, on ne manquera pas de me traîner devant les juges. En contrepartie, il pourrait éviter que les seuls mots qui me viennent à son sujet soient justement des mots vulgaires, et je les pèse.

Voilà, j’ai toutes les transitions qu’il me faut pour poursuivre, un peu trop même.

#4/10 à suivre

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jeudi 24 janvier 2008

Les paillettes et la vérité #2/10

Bonjour Alliolie.

C’est moi qui écris, désormais.

Vous avez dû soupçonner que je me réveillerais à ce billet et que je suis en désaccord avec vous. Vous avez deviné juste.

Votre billet traite simultanément de plusieurs sujets qui mériteraient de longs détours chaque, je vais donc faire dans le succinct et le simpliste. Tant pis pour vous, ce sera la punition de Noël.

Entendons-nous bien sur le domaine de mon intervention. Je n’ai pas lu l’article que vous stigmatisez, je ne connais pas le journaliste qui l’a écrit, ni en tant que journaliste de signature familière, ni en tant que personne en chair et en os. Je me fie donc entièrement à ce que vous en décrivez, sans suspicion d’aucune sorte sur une éventuelle incompréhension de votre part en l’ayant lu.

Vous avez ce talent de savoir transmettre l’essentiel de ce qui vous motive dans vos arguments, donc de me permettre de comprendre à quoi vous vous opposez. Le sujet de mon irruption ne consiste pas à défendre l’article incriminé, mais à exprimer mes propres idées et à me plaindre de votre façon d’attaquer et de l’usage que vous faites de ces armes de destruction massive que sont les poncifs et les lieux communs, rejoignant dans un même tourbillon les facilités que vous vouliez combattre.

Je vous avais cru d’une autre trempe.

Alors voyons quels sont les points qui me chagrinent dans votre texte. Un rapide aperçu servira de vade mecum dans le fouillis de mes idées, et m’évitera peut-être les emmêlements de pinceaux qui rendent ma tâche si lente à sortir.

  • La forme et le fond.
  • Ce qui est vulgaire (poncif n°1).
  • Ce qui est populaire (poncif n°2).
  • Les intellos et le café de Flore (poncif n°3).
  • Ce que doit être un président de la République.
  • Ce que n’est pas un chef d’Entreprise.
  • Le coup de pied de l’âne à Ségolène.

Certains sujets vont rebondir sur d’autres, j’espère éviter les redites inutiles, et j’espère échapper à la contradiction, ce qui ne manquerait pas de réveiller votre ironie. Tant pis pour moi, et votre ironie serait alors précieuse pour m’obliger à creuser davantage.

Il m’en faudrait, des pages à répondre. J’ai évoqué le succinct et le simpliste, je vais tenter d’y échapper au prix de la longueur et de l’ennui, de la dilution. Mais la compréhension est à ce prix, je veux dire la préhension, par moi, des thématiques que vous abordez. Vous avez ce mérite de savoir condenser en quelques paragraphes de quoi écrire un grand livre de colère inventive. Ici n’est pas fait pour un grand livre, et je commencerai par là où vous avez fini.

#3 à suivre.

mardi 22 janvier 2008

Les paillettes et la vérité #1/10

Janvier 2008. Présentation et introduction: l'objet de mon ressentiment.

Origine : un billet d’Alliolie, qui va me lancer dans une longue improvisation libre, du genre je tourne sur moi-même comme un derviche possédé.

Parfois des polémiques m'opposent, chez elle, avec Mademoiselle Alliolie. Tu ne connais pas mademoiselle Alliolie, vas-tu me dire. L'important n'est pas de la connaître, mais de la lire. Bien entendu, tu qui erres par chez moi, tu ne seras pas obligé d'aimer ce qu'elle écrit, ni d'approuver. Mais il con,vient de lire doucement et de sentir souffler le vent contraire.

A quoi bon réfléchir si aucun miroir ne nous renvoie la balle ?

Autant choisir le bon miroir. De ceux qui peuvent renvoyer des balles tordues, des balles limées, des balles traçantes. Tant pis pour moi si elle renâcle, ou si elle répond vertement, ou si elle ne répond pas. Je me lance dans un long discours sur un billet d'Alliolie, après beaucoup d'hésitation et de cogitations, car tel le lièvre en mon gîte je songeai. Car quy faire d'autre ?

J'avais étalé le billet ici même, depuis quelques jours. En réalité, il est plus juste de te contraindre à l'aller lire. Chez elle, dans son terrier, dans sa forteresse restée ouverte. Ensuite, tu pourra revenir ici pour me désapprouver, pour me compléter, pour m'applaudir ou me siffler. Tu auras peut-être un peu de mal, tant de choses sont dites qui s'entremêlent, s'entrimêlent, où le clair chemin du tenant vers l'aboutissant est embroussaillé, et où chacun puisera à sa guise l'eau et le sable du fond du puits, ou seulement la mousse qui donne un drôle de goût, juste en surface.

Alors j'ai effacé le texte de la belle, et je l'ai remplacé par son lien. Voilà le lien lié.

Un titre et un nom de blogue?

Vagues tentatives d'anticonformisme

DATE DU BILLET D'ALLIOLIE: Samedi 22 Décembre 2007

Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit


Réponse suit.

lundi 7 janvier 2008

Relayer une lettre d 'honneur

Relayer une lettre d’honneur

Une amie de toile m’a donné à lire cette lettre. Je n’ai rien écrit et je souscris tant à tout ce qu’elle porte que je ne peux que la mettre en billet de bloghumeur. Et je reste silencieux, que dire de plus et que dire mieux, dans cette honte qui nous accable, dans cette boue où patauge ce pays que nous aimions, et que peut-être nous continuons à aimer puisque justement, nous avons honte de la boue qui le souille.

Lettre ouverte de Danièle Dugelay adressée à Nicolas Sarkozy à la suite de l’allocution du Président de la République dans la basilique Saint-Jean de Latran, le jeudi 20 décembre 2007 (sur le site de la Ligue des droits de l'homme de Toulon).

Le 30 décembre 2007.

Monsieur le Président de la République,

C’est avec beaucoup d’attention que j’ai lu votre discours du 20 décembre 2007 à Rome. Je ne peux m’empêcher de vous écrire combien il m’a indignée et blessée, sans doute comme beaucoup de Français.

Votre perception parcellaire de notre Histoire et de notre culture est surprenante. Il semble, selon vous, que le monde a commencé à exister avec la chrétienté. Avant, c’était le néant et là seulement apparaissent les origines de notre culture. J’ai dû avoir de bien mauvais maîtres pour qu’ils m’aient enseigné l’existence des cultures antiques européennes ou d’autres continents. Ils ont même eu l’audace de me parler de mythologies ou de croyances païennes dont on trouverait encore des traces dans nos provinces. Il est exact que la religion catholique nous a imposé pendant plusieurs siècles son carcan culturel, sa confiscation des sciences et le pouvoir politique de droit divin, avec tous les malheurs, les guerres et les violences qui les ont accompagnés.

Toutefois, vous, Monsieur le Président, qui aimez les ruptures, vous ne pouvez oublier que nos ancêtres ont rompu avec le Divin, malgré plusieurs soubresauts, entre 1789 et 1905. Ces racines-là, avec celles issues de la Commune et de l’histoire du Mouvement Ouvrier, sont chères à beaucoup d’entre nous. Quant à nos grands écrivains, eux qui ont su faire la gloire de notre belle langue, vous n’en citez que quelques uns, oubliant peut-être les plus importants. Je n’ose croire que ce sont des lacunes, ce qui serait grave pour un Chef d’Etat ; je suppose qu’il s’agit plutôt d’une mémoire sélective et n’est-ce pas encore plus inquiétant ?

Les Françaises, les Français ne supportent pas qu’on touche à l’intégrité de leur territoire, de leur Histoire, de leur culture. C’est ce qui fait notre identité nationale et c’est aussi pour la défendre que la Résistance s’est dressée pour s’opposer au nazisme.

D’autre part, vous ignorez, certainement volontairement, la définition simple et précise de la laïcité donnée par tous les dictionnaires, notamment celui de l’Académie Française. Vous préférez en donner un concept, plus malléable, et qui finalement vous est personnel. La laïcité, Monsieur le Président, est ou n’est pas. Tout qualificatif, tout complément, serait réducteur et une laïcité réduite n’est plus la laïcité. C’est encore une spécificité française, inscrite dans notre Constitution qui ne peut être modifiée que par un référendum ou par un vote du Congrès. Tout artifice, toute ruse en la matière, constitue une atteinte à nos institutions dont vous êtes garant.

Par ailleurs, Monsieur le Président, je trouve surprenant votre classement des citoyens en deux catégories de valeurs inégales : les bons citoyens, croyants et donc aptes à connaître la morale, et les autres qui ne peuvent accéder à aucune éthique parce qu’ils n’ont pas l’Espérance. Juger ainsi une partie importante des Français, le faire en pays étranger, blesser ainsi des hommes et des femmes que vous êtes censé représenter, est-ce que cela fait partie de vos attributions ? Personnellement, j’ai été très choquée. D’ailleurs, est-il nécessaire de craindre le jugement de Dieu ou de vouloir mériter le Paradis, d’acheter des indulgences en allant à Lourdes lors de la visite papale, d’espérer un pardon en confessant ses fautes, pour distinguer le bien et le mal ? Vous refusez de reconnaître tout souci de la morale aux agnostiques et aux athées qui sont souvent des humanistes. Ceux-là sont seuls face à leur conscience, à leurs interrogations. Ils doivent affronter regrets et remords, réparer leurs erreurs éventuelles. Leurs efforts pour améliorer la condition humaine, les choix rationnels qu’ils font dans ce but en donnant ainsi un sens à leur existence, n’ont-ils pas autant de valeur qu’une morale imposée par un dogme et uniquement fondée sur l’Espérance ?

Il est vrai que la morale n’est pas la même pour tous les individus :

- Etablir des privilèges fiscaux et juridiques pour les plus fortunés d’une part , et d’autre part organiser la paupérisation des classes moyennes et des plus défavorisés,

- Risquer la désespérance dans nos ghettos de banlieue où le chômage des jeunes bat tous les records et n’y répondre que par l’envoi de la force publique,

- Etaler un luxe tapageur et, dans le même temps, diminuer le pouvoir d’achat des retraités et augmenter les dépenses des malades les plus atteints,

- Mettre en place la concurrence entre les salariés, les diviser à propos de prétendus privilèges, leur faire miroiter une amélioration « au mérite » et leur faire accepter ainsi le harcèlement au travail, l’idée de la nécessité d’un zèle qui en conduit certains à la dépression et parfois au suicide,

- Installer un tel climat de terreur que des adultes et des enfants se jettent par la fenêtre à l’arrivée de la police,

- Ecarter du domaine de la loi subrepticement des éléments essentiels de notre Code du Travail pour pouvoir les modifier plus facilement,

- Faire condamner la France, à son grand déshonneur, par l’ONU et par l’Union Européenne pour la manière dont y sont traités les demandeurs d’asile et les personnes incarcérées…

... et ceci n’est pas une liste exhaustive, mais des exemples.

Faire ces choix, c’est peut-être conforme à votre morale, Monsieur le Président de la République, mais certainement pas à la mienne. Il est vrai que je suis une pauvre athée, citoyenne de deuxième zone. Pourtant, je pense que suggérer que cela pourrait être inspiré par une éthique religieuse serait faire injure aux croyants.

Vous aimez, paraît-il, le « parler vrai », aussi je vous ai écrit ce que j’avais sur le cœur.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de mon respect pour votre fonction et de mon profond attachement à notre République.

Danièle Dugelay, citoyenne française, Saclay.



Je n’ai rien rédigé de tout cela mais pourtant je signe cette lettre aussi, des deux mains. Passant qui passe, prend la à ton tour dans ta besace et porte la au monde extérieur, où ne sont aujourd’hui que pleurs et grincements de dents.