mardi 2 juillet 2019

Une oeuvre d'art doit-elle avoir un sens?



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Ce fut en 2017, année cosmique, année comique, un sujet de philosophie au baccalauréat. J’ai trouvé devant un des centres d’examen une feuille qu’un candidat découragé avait abandonnée sur le trottoir au lieu de la remettre. Que risquait-il à la remettre de pire qu’à partir sans répondre ? Alors pour qu’il n’ait pas transpiré pour rien, je l’ai ramassée et je l’ai recopiée.
Je ne tente pas de fuir mes responsabilités en prétendant que ce devoir est d’un autre que moi. Je l’aurais volontiers écrit moi-même pour peu qu’on me l’eût demandé. Mais on ne me demande jamais rien, alors je fais ce que je veux et je n’attends aucune note d’aucun examinateur. Si je vous arrache un commencement de sourire ou une grimace d’agacement, je n’aurai pas recopié en vain.
 
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Une œuvre d’art doit-elle avoir un sens ? C’est une bonne question, mais insuffisante dans les détails où chacun sait que le diable se cache. Il se cache dans le sens, par exemple, ce qui est la moindre des choses pour l’Insensé qu’il est. Sens interdit, sens obligatoire, lequel est pertinent, lequel est nécessaire ? Où va l’œuvre et à quelle allure ? Le créateur, l’artiste, serait ainsi tenu d’être titulaire de son permis de conduire. Michel-Ange avait perdu tous ses points à force de prendre des sens interdits à contresens, et avait été obligé de se cacher en haut d’un échafaudage dans une chapelle. Pour s’occuper, il y avait laissé des graffitis. Il avait en cela un point commun avec Monsieur de Cro-Magnon qui lui opérait à six pieds sous terre.
 
Il en résulte que la question du sens n’a pas de sens si le sens n’est pas en question, si l’on ne donne pas un sens à sens. Alors que faire de la question ? Je préfère encore manger un bon camembert de Normandie tant que les lobbies n’auront pas eu la peau de cette appellation, avec un bon vin rouge exotique et charnu bien que certains penchent pour un blanc fruité et un peu vieilli et ils n’ont pas entièrement tort, avant de revenir à mes brebis.
 
Après tout, un bon camembert à point exactement, ne serait-ce pas une œuvre d’art ? Je réponds oui car il a du sens, lui ; la preuve, il ne coule pas dans toutes les directions mais uniquement dans un seul sens, celui de la plus grande pente, rendant ainsi hommage à l’intuition géniale d’Isaac Newton qui avait inventé le camembert à la pomme.
 
En revanche, un tableau de Canaletto ne coule pas. Il y a pourtant de l’eau dans ses tableaux, mais personne n’a jamais vu couler les canaux de Venise même à l’heure de l’aqua alta. D’où je pourrais déduire que les tableaux de Canaletto, de Guardi ainsi que le poème « le bateau ivre », dont aucun ne coule quand on les penche, ne sont pas des œuvres d’art à la différence du camembert, du gorgonzola ou du chocolat chaud.
 
Au fond, il aurait fallu, avant d’inventer les examens du baccalauréat et les concours de l’agrégation avec toutes les questions oiseuses qui en découlent, commencer par se mettre d’accord sur l’idée d’œuvre d’art. D’Œuvre d’Art, avec les majuscules afférentes. Un malentendu est si vite arrivé que nos vessies en deviennent lanternes et inversement. Alors je reprends tout depuis le début comme m’a dit l’inspecteur au commissariat, en partant du principe suivant que tout ce qui précède valide sans équivoque : est œuvre d’art ce qui coule dans un seul sens.
 
Et donc sans conteste, la réponse à la question est dans la définition même, ce qui rend la question inutile. Voilà.
 
J’ai bon ?