dimanche 26 octobre 2008

SOUFFLER N’EST PAS JOUER.

Encore un aveu qui coûte cher à mes chevilles : je ne jouerai pas au cinquième et dernier jeu de la quatrième session du diptyque d’Akynou. Ne prends pas ta plume pour écrire un mot, il n’y a de lune qu’au dernier bistrot, a dit le poète. Cette photo m’a sauté à la gorge à peine vue, et je ne peux me débarrasser de ce qu’elle m’a injecté, comme une sorte de poison remontant à l’une de mes vies de chat antérieur. Elle ne lâche plus la trachée, c’est dire que je n’en peux rien dire, il ne me reste qu’un doigt pour parcourir le clavier en tous sens.

J’aurais pu. Par exemple, lire tout ce qu’a écrit le joli monde de l’or calmant, picorer mine de crayon de rien une idée de ci d’au-delà, passer le mixeur et servir frais l’air innocent. J’ai déjà fait le coup. Non, j’ai pris soin d’éviter les parages de la salle de jeu et les blogues d’origine. Je suis tombé par hasard alors que je butinais ailleurs sur le dernier billet de Lyjazz, trop récente pour que je méfie, et comme la photo n’apparaissait qu’à la fin j’ai lu. De toute façon, si tu lis le début d’un texte de Lyjazz, tu es obligé de tout lire. Voilà la seule tricherie de mon insu, et le joli billet lu me reléguait définitivement dans ma coquille.

J’aurais pu aussi décrire la sensation d’une photographie agrippée de ses griffes à ma pomme d’Adam. Alors c’en était fini de mon image longuement polie d’Andrem, du Moine pompeux sans qui l’ennui n’aurait rien à se mettre sous la dent, du voyageur qui baguenaude parmi ses rêves en oubliant ce qu’il voit, du donneur de leçons empêcheur de commentir en rond, du bavard importun qui piétine les tapis précieux des salons où vous causez juste le temps d’y laisser l’empreinte de ses bottes embouées. Par simple jeu, aurais-je pu détruire une statue si solennelle ?

Que non, que diable. Je ne dirai donc rien. Je ne dirais jamais à quel point cette photo me plonge dans un gouffre de sexualité, ce gouffre interdit de l’orgasme féminin ; dans cet instant magique et terrifiant auquel la plupart des hommes ont assisté quelques fois dans leur vie, cet instant où ils deviennent spectateurs et accompagnateurs d’une métamorphose de la femme qu’ils aiment juste le temps de cet instant et parfois pour le reste de leur vie, métamorphose qui les dépasse tous deux.

C’est beaucoup trop intime pour que j’en parle. Approcher ainsi au cours de sa vie un secret que nous ne saurions jamais découvrir, le secret du grand abandon de la petite mort, ce moment d’éternité où la femme cesse d’être elle-même pour devenir monde et pas seulement son origine ; oubliée l’origine, oublié le temps, emportés dans les torrents.

Même les pavés des rues se mettent à tournoyer tous en chœur et en cœur, et l’homme qui passe jette un œil inquiet. Pour se sauver de sa peur, il se répète et le répète, je possède je la possède, pauvre refuge illusoire ; ou alors, il se retire vite fait dans son capuchon, il sort du tourbillon, il ne saura jamais les senteurs du tréfonds, du fin fond, là où gît le secret.

Les hommes ont si peur qu’ils tentent d’endiguer la vague. Ils construisent des dalles si bien alignées qu’elles restent de marbre, ils creusent des caniveaux qu’ils n’oseront jamais appeler rigoles, et ils prétendent ainsi canaliser le destin. Ils se réfugieront dans l’orthogonalité froide comme pierre et métal. Ils n’auront pas pensé au grès qui fond dans la main avant de se fracasser d’une belle parabole ventrue sur un casque médusé.

Les hommes ne sauront jamais qui était cette rivière asiatique que j’ai aimée dans ma sixième vie, je ne le sais pas non plus. Vous comprenez maintenant pourquoi il est hors de question que je vous raconte cette photo, pourquoi j’y suis perdu.

Je ne dis rien.

lundi 20 octobre 2008

Un film à la télé

Fr3 - dimanche soir. Round about midnight.

C'était un film sur Pigalle et ses couleurs, multiples et souvent sombres. Et tout était bien montré, sans voyeurisme ni complaisance ce qui est extraordinaire pour un tel sujet à la télé. Je suis resté ému et intéressé, simplement saisi du besoin de comprendre ces choses si banales et qui pourtant m'échappent, être stripteaseuse, être alcoolique sans retour quoique parfois si, être patron de boîte, ou videur à la porte d'icelle.

Paillettes et envers du décor, paillettes parfois plus tristes que l'envers où l'humain trouve son chemin entre deux répliques, deux colères, deux portes, deux réunions. La copine indestructible qui craque un court instant face à l'indifférence des choses, au poids du quotidien, l'alcoolique désespérant qui part se sevrer chez les moines mordicus, le videur Carlos qui se tue au volant de la première voiture qu'il avait achetée au lieu de la voler comme d'hab. Je crois bien qu'il se nommait Carlos, le gars de l'entrée de la boîte.

Le patron attentif à ses filles, est-ce une tricherie du film, un piège où je suis tombé, attentif plus comme un père qu'autre chose, je rêve ou quoi ?

Et quoi ? Pourquoi ne pas rêver, pour peu que l'on connaisse un peu la face sud de la colline, terre de contrastes au microclimat particulier inconnu des météorologues.

Nous y passons souvent, 'Aliénor et moi; pour y prendre un peu d’Oxygène rares dans les banlieues chics et mortes. Je marche distraitement plus vite qu'elle. Ainsi je fus aguiché par une de ces dames. Rabrouée par Aliénor qui soudain s'est retrouvée à ma hauteur me délivrant de mon embarras mais oui, la dame a rougi comme une midinette au dessus de son décolleté impressionnant, elle s'est excusée d'une petite voix de petite fille plus embarrassée que moi. Je ne suis pas certain qu'il en aurait été de même ailleurs.

Moralité : marche lentement qui le fait exprès.

Un an plus tard, il termine sur ce qui perdure (la lutte pour les enfants), ce qui réussit (l'alcoolique ne boit toujours pas), ce qui s'est arrêté (la boîte), celles qui s'acharnent à se faire une place, à être. Le film a eu cette politesse rare de donner du temps au temps. De quoi me réconcilier avec la télé, enfin presque, il ne faut pas exagérer non plus.

Je cause je cause, et je ne m'occupe pas de la photo à raconter. Alors à bientôt en place publique pour un cinquième numéro. Si je peux.

Ce billet n'était pas un jeu mais juste une réponse place des abbesses, ou non, mieux, place Charles Dullin.

mardi 7 octobre 2008

Arrêt sur image.



Je me sentais bizarre ce mardi matin. Je me souviens, c’était un mardi sept. Sept comme les piliers de la sagesse, les doigts de la main, les dix commandements. J’avais rêvé que j’avais arrêté le temps comme on casse la voix, comme on met le feu, et je m’étais réveillé bizarre.

A vrai dire, j’ai l’habitude de me sentir bizarre le matin ; je n’aime pas me dévêtir trop vite de ma brume de sommeil. C’est pourquoi je ne prends jamais de café avant d’arriver au bureau. Entre mon petit lever et l’entrée dans le néon de mon deux-modules, je traverse la vie et la ville dans une sorte de poursuite de la nuit.

Rien n’y fait. Ni la douche bien tiède, qui a dit froide veut ma mort subite, trente-sept deux le matin, ni le bol de céréales en un soigneux mélange de graines assortis de ma blanche main entièrement récoltées à la machine, ni le petit trajet frisquet le long du boulevard jusqu’au garage, ni le trajet pensif avec Ali Badou et ses complices de mon garage à leur parking, ni l’ascenseur et ses amabilités matinales si quelqu’un s’immisce en route, ah salut – silence – allez bonne journée, rajouter dans le milieu du silence ça roulait bien ce matin si je tombe sur un chef, ne jamais être négatif, et le chef continue vers les étages supérieurs guettés par les boeings.

Je suis réveillé, enfin presque. Deux-mille-trois-cent-douze étiquettes jaunes collées la veille sur les murs autour de ma table par moi-même me rappellent le travail qu’hier j’ai reporté au lendemain. J’en prends une au hasard.

Aujourd’hui, tiens j’y songe, personne ne s’est immiscé dans l’ascenseur. Oui, je suis réveillé mais mes pensées restent décousues. C’est de naissance et le café n’y pourra rien. L’étiquette, tu ne voudrais pas que je l’innommasse post-it quand même non, me signale que je devais faire un tour au dépôt. Je finis mon café et j’en reprends un second tiens, capsule violette, Arpeggio mais très long, il ne faut pas brusquer monsieur Stomaco, puis j’enfile mon blouson réglementaire avec bandes réfléchissantes appropriées comme dit la norme, et bottes à coquilles.

Je reprends l’ascenseur, je suis soulagé de n’y rencontrer personne, je suis encore trop bizarre pour parler même en banal de chez commerce. Touche zéro, rez-de-chaussée. La demoiselle de l’accueil doit être aux toilettes, à cette heure elle est encore seule à ce poste. Je fais le tour de la bâtisse en métalébéton et je me dirige vers la barrière du dépôt. Soudain, je comprends.

L’émission d’Ali Badou répétait exactement celle de la veille ; les voitures du trajet peu embouteillé étaient toutes arrêtées éparses ; il n’y avait personne dans l’ascenseur, oui, mais personne dans les bureaux non plus, personne dans le service, mon service, il n’y avait pas d’hôtesse d’accueil. Et là, devant moi, devant l’entrée du dépôt, huit individus tibulaires cinq hommes et trois femmes étaient statufiés, comme figés dans la posture où ils avaient été saisis.




Depuis ce matin, j’étais dans une photo et je ne le savais pas.

.Crédit photo: bladsurb

lundi 6 octobre 2008

Je hais les draps de soie

Merci pour le titre, Akynou.


Trop forte, la série des textes. J'ai du retard, comme quoi les dames n'ont pas seules cette faculté. En fait, c'est la panne blanche de la feuille, dans de noirs draps, je n'avais même pas remarqué qu'ils l'étaient.


Alors, plutôt que me raccrocher au tissu trop soyeux pour me sauver du précipice, je me précipite dans un commentaire d'avant midi à quatorze heures, histoire de ne pas être en retard, faute de texte.

De toutes façons, je hais les draps de soie, qui glissent qui s'immiscent, qui séparent et dont la douceur fait oublier celles des chairs qui se cherchent, dans le noir forcément. On n'aime pas dans la soie, on pète.

Pour aimer, un bon vieux coton sous un ventilateur enroué, quand dehors transpire la chaleur mouillée des vagues tropicales.

Noir.

Merci Akynou : c'est ma participation improvisée d'extremis à la session trois du quatre.
11:38, par Andrem

lundi 22 septembre 2008

Bière pression.


...

Voilà ce qu’elle me disait mine de rien, par-dessus la nappe à carreaux : « Tu seras très bon sur la fourchette ». Ensuite, chacun de se récrier avec des airs de nitouche, mais non mais non elle ne te met pas la pression. Mais non, voyons, la pression.

Si encore c’était une bière !

Justement, c’en était une, mais pas celle-là, pas même une mort subite. Une grande boîte capitonnée pour une mort lente, voilà la bière qu’il me fallait avaler sans pression aucune, meuh non. Promis juré. Le cimetière était très loin, il pleuvait de la neige fondue et personne n’était vraiment équipé pour marcher dans la gadoue de sel et de floc pendant deux heures, sans parler du temps sur place en plein vent.

Quelle idée aussi qu’ils soient tous venus par le bus comptant sur la voiture des autres, dans ce village du plateau de nulle part où l’on garde jusqu’à la septième génération le moindre mouchoir, la moindre tomette, le moindre napperon. Cette nappe somme toute était récente, elle datait de la naissance de Fardeau la Frigide, la vieille dans la maison du bord de l’ancienne baignade avec son âne.

Maintenant nous étions bons pour aller à pied au cimetière derrière la colline des Gueuzes. Alors, sans s’être vraiment concertés, nous avions lancé le pique-nique prévu pour après ; il y avait largement de quoi pour deux, d’ailleurs, et nous avions besoin d’engranger des réserves avant l’épreuve. Autant chanter « didn’t he ramble » tout de suite.

photo alibaba.
Quelqu’un avait sorti la nappe somme toute récente, posé les couverts, l’argenterie granuleuse gage de vieillerie authentique mais plaquée, de la première catégorie disait le défunt, déniché des serviettes en tissus, en papier, des torchons présentables ; et on avait déballé sur la table les rillettes, les galantines, les pâtés, les terrines, et les saucissons. Les saucissons ! Comment peut-on vivre sans saucisson ? Ils servent à tout, même aux calembours.

On les avait disposés devant moi. Réputé roi des coupeurs de saucisson, je faisais d’ordinaire des lamelles transparentes aussi goûteuses que les épaisses. D’où un plaisir multiplié. J’avais émis un doute, ce jour là je ne me sentais pas bien dans mon assiette, et elle m’avait cloué le bec avec son « tu seras très bon sur la fourchette ».

La fourchette, bon d’accord. Mais le couteau ? Enfin, tu l’as regardé, le couteau ? Une fine dentelure qui sert de prétexte à ne jamais l’aiguiser, et qui se bourre les dents de chair déchiquetée à la moindre pression, un bout rond, désespérément rond, comme une lune de loup-garou, comme un œil de bœuf. Je n’ai jamais su offrir galamment aux dames du saucisson autrement que fiché au bout de ma pointe, alors un bout rond, de quoi j’ai l’air ?

Tu devines déjà que, gourmand comme je suis de tout ce qui cholestérise, j’ai été très bon à la fourchette. Nettement moins pour les rondelles aux formes ni faites ni à faire, épaisses et vrillées comme jamais je ne fis, ni avant ni depuis. Et ces dames ont dû se servir elles-mêmes à la main sans serviette citronnée.

Je mangeais et buvais dans mon coin, en tentant pour m’occuper de reconstituer un puzzle. Toute la salle s’échauffait au gré du gros rouge et des Gueuzes. La pression montait, en quelque sorte. Nous avions oublié le froid d’un automne précoce au point d’être hivernal, les kilomètres et la boue qui nous attendaient impassibles comme des fleuves, et peut-être aussi l’heure et le mort qui enfin ne demandait plus à goûter dans les assiettes des autres. Soudain quelqu’un s’avisa du retard. « Hé, on nous attend là-haut, faut hialer et vite sinon Y zauront pas le temps de reboucher avant la nuit ».

Je venais juste de finir mon puzzle. Le silence est brusquement tombé sur la salle, une pétrification dans l’urgence. Quand on avait refermé la bière en mettant la pression, on n’avait pas remarqué que la main du mort s’était éclatée dans la charnière. C’est pourquoi j’avais eu du mal à la reconstituer dans mon assiette.
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Modifié le 23 septembre 2008 à 9h45.
Remerciements:
à Alibaba pour la photo qu'il a confiée à Akynou.
à Akynou pour le terrain de jeu à conquérir.
à Anne (Chiboum) pour le coup de pied de départ et les suggestions salvatrices.

vendredi 19 septembre 2008

Prédiction fatale

Ce matin, dans culture matin, à 8h17mn28secondes, Alexandre Adler a prédit la victoire de Barack Obama à l'élection présidentielle américaine.

Le doute n'est plus permis, je lance la construction de mon bunker, Mac Cain va gagner.

mercredi 17 septembre 2008

Auriez-vous dit Dieu ?

Qui ? Dieu !

Je suis allé me promener chez Embrun dont la rumeur persistante annonce son départ pour de froides contrées ou, sinon Dieu, au moins l’Ours le plus civilisé de la terre existe. Il y était question d’un castrat agnostique, pour parler chic.

Je m'arroge le droit d'ajouter un caillou dans ce jardin. Je ne me focalise pas sur la querelle sémantique entre athée et agnostique. Il me semble cependant qu'il y a bien deux sortes d'athéisme. L'un serait d'ordre religieux, à l'instar des théories de Michel Onfray exposée dans son traité "d'athéologie", et que je résume, impertinent, par la déclaration : je CROIS que Dieu n'existe pas.

L'autre serait de l'ordre du laïc (je n'ai pas trouvé d'autre mot). Il consiste à prendre Dieu au mot ; tu me déclares libre de mes choix, donc je DÉCIDE que tu n'existes pas, et je construis ma vie sur cette décision. On sort de l'orbite de la révélation positive ou négative, de l'orbite du subi, de la soumission acceptée, on passe à autre chose. On ne croit pas, on ne croit pas que Dieu existe. Au fond, qu'il existe ou non n'a aucune importance. La négation porte sur la croyance en lui, non sur son existence.

Je suis de cet athéisme-là. Aucune arrogance, aucune volonté d'en imposer à qui que ce soit de ma vérité ou de mes doutes. J'en ai décidé ainsi pour moi et toi, tu fais ce que voudras, comme le proclamait ce bon moine de Rabelais.

Etymologiquement, les deux formes sans Dieu sont bien des a-théismes, athéismes. Que l’on reproche au mot agnostique de constituer un euphémisme qui serait plus facile à assumer n’est pas en débat. Chacun emploiera le mot qu’il peut, selon son degré de détermination, son degré de liberté, et la force de ses doutes. Le doute est ce qui te saisit chaque matin en te levant et chaque soir au moment de l’abandon. A chacun de s’en sortir, ou de cohabiter. Ce n’est pas le choix du mot qui le vaincra, le doute ; il ne sera jamais vaincu. Il faut donc prendre une décision, seul, devant ton miroir. Dieu te laisse seul si par hasard il existe, il ne te donne pas d’indices, il ne te tient pas la main. Il l’a voulu ainsi : tu es homme donc libre, tu décides. Et ta décision ne sera ni récompensée ni punie, quelle qu’elle soit, ou alors elle ne serait pas libre. Tu pourras même changer d’avis en cours de route si tu y tiens ou si tu ne peux plus continuer comme tu pensais pouvoir le faire.

Pardon pour le dérangement.

mardi 16 septembre 2008

La chute.

...

Il faut toujours finir par une chute. Le conteur le sait, bonne ou mauvaise, son histoire s’achève ainsi. Il lui faut sauter dans le vide, sans aide ni ailes, sans parachute ni parapet, sans filet ni défilé, il est condamné au point final.

S’il lui arrive que l’image l’entraîne dans son tourbillon de pesanteurs, il n’a plus moyen de s’en sortir. Il pourra tenter de s’évader, parler d’autre chose, se cacher dans le second degré, ajouter du flou à son imprécision, invoquer le sommeil et décrire un vagabond, monter un théâtre et sombrer dans l’ivresse, il sera aspiré comme un haricot et il tombera sur la chute à la fin.

...photo Akynou

J’ai gagné mon pari.

Il faut avouer que la soirée avait été copieusement arrosée et que les discussions avaient fait chauffer le plafond. Plus personne ne savait trop ce qu’il proférait, la foire d’empoigne battait son plein. Le maître des lieux commençait à prendre un air inquiet devant nos enthousiasmes et nos échanges musclés d’arguments définitifs et inopérants.

Une cour de récréation mais en plus vieux, si tu vois ce que je veux dire. Tu ne vois pas ? Je veux le dire malgré tout et je le dis : une cour de récréation pour garçons seuls entre eux. Si j’avais été le maître, j’aurais été plus inquiet encore qu’il n’était. Mais il avait arrosé lui aussi, alors ses brumes le maintenaient dans la protection de son euphorie.

Bien entendu, je ne savais plus de quel pari il s’agissait. Mais il fallait le gagner, c’était devenu une question essentielle, je ne pouvais me dérober. Une affaire d’honneur si tu veux, d’orgueil en vérité. Depuis toujours j’avais toujours gagné mes paris, si bien que chaque fois ils montaient la barre un peu plus haut, ils ajoutaient une marche, un tabou, un escalier. La grande difficulté avec ces histoires s’il manque un maillon, on reste flou et l’on flotte. Il y avait une histoire de flottaison en effet, une rambarde de flottaison.

Il me manque le maillon du pari.

J’avais observé que le maître m’observait, moi c’était en douce, lui ostensible. Probablement que le pari ne lui plaisait pas, du genre ils ne vont quand pas le faire chez moi. Il ne faudrait jamais faire en sa présence des soirées chez le maître, il casse la rigolade. Je ne l’aimais pas du tout, ce proprio avec ses airs d’à la cool, à la coule disait-on de mon temps. J’étais le plus vieux de la soirée, alors je tenais aux prérogatives de mon âge et pour être sûr que nul n’oublie, je répétais sans cesse de mon temps. Ils voulaient tous se débarrasser de moi, avec mes façons de gagner contre toute attente et chaque fois de gros enjeux, bien obligés qu’ils étaient pour motiver mes participations aux paris.

Après, il leur restait à se cotiser. Depuis l’âge de cinq ans qu’on se cotisait pour me payer mes paris gagnés, j’avais acquis une petite réputation à Landerneau, et à chaque soirée un journaliste, un huissier et un policier étaient présents pour vérifier que je ne trichais pas. On en était à la Ferrari, mon vieux rêve. Nous avions tous réussi, ce qui s’appelle réussi, et ceux qui ne souscrivaient pas à l’ISF et au bouclier fiscal étaient depuis longtemps bannis. Les paris étaient indexés sur nos succès en bourse, en télé, en foot, en politique (du bon côté, celui des portefeuilles qui porte à gauche pour les droitiers), enfin toutes ces filières de haute productivité où tu gagnes un max en montrant juste ta trombine au bon endroit.

Aujourd’hui lundi c’était Ferrari.

Neuf étages, quand même. La barre était haute et basse la rambarde. J’avais mon panier volant à la main et je me suis approché du vide. Lentement, très lentement, la tête me tournait, vertige ou arrosage, les deux sans doute. Moi qui ai le vertige sur un tabouret, à vingt-deux mètres, vous pensez. Je ne me suis pas retourné, je sentais le regard fixe du propriétaire braqué sur ma nuque. J’ai délicatement posé le panier en équilibre sur la main courante. Un souffle de dernier soupir de phtisique l’aurait fait basculer d’un côté ou de l’autre.

Le trottoir tournoyait sous moi ; la question était ces poteaux qui empêchaient les voitures de se garer sur les piétons, il fallait pouvoir les éviter sinon la photo serait ratée. J’ai toujours haï les poteaux anti-voiture. Ils m’en ont cassé, des pare-buffles. Voilà qu’ils se préparaient à me casser mon pari, un comble, et me faire perdre la Ferrari. J’ai longuement inspiré, calculé dans ma tête chaque millimètre de geste, chaque succession de mouvements à accomplir. Et quand dans un grand élan soudain le proprio a tenté de me rattraper, j’ai sauté de côté et il a basculé dans le vide juste à l’emplacement du panier. J’ai eu le temps de prendre la photo un millième de seconde avant le choc, et on ne voit pas le sang.

J’ai gagné mon pari.

FIN.

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dimanche 17 août 2008

Propos... #8&9. Faux et vrai.

8. Vrai-faux et faux-vrai.

Nous ne sommes ni plus faux ni plus vrais dans cette virtualité électronique que dans nos conversations mondaines, nos déambulations de supermarché, nos contemplations de boutiques de colifichets, nos discours chez le coiffeur, nos relations professionnelles, couloirs de bureau, salles de repos, chantiers urbains, machine à café, chaînes de montage, galeries de mine, salle des profs, cafétéria, et il faut bien le dire, famille et amis. Nous sommes toujours en représentation, y compris quand, en toute innocence et en toute bonne foi, nous nous croyons sincères. Il n’y a aucun jugement moral dans ce que je dis.

Un tiers de cinéma, un tiers de tragédie, un tiers de comédie, et un grand tiers de maquillage, hommes et femmes, tous en représentation, tous en scène, nous sommes notre meilleur public nous-mêmes, la seule chose importante reste : tout ce cirque parvient au bout de la nuit à nous construire une vérité. Tu peux donc ne pas l’admettre, mais il y a ta vérité sur mon écran, et ce n’est pas à mon bonnet mais à elle que je parle.

Ecce homo. Il n’entend rien ; il n’entend pas les appels, il n’entend pas les plaintes, comme moi autrefois je ne les ai pas entendues, comme le père n’a pas entendu sa fille quand il aurait dû.

A de rares exceptions près, on est rapidement fixé sur le sexe des écriveurs de l’agora. Quelques détails orthographiques, et hop le tour est joué, une fois éliminé le risque de la faute accidentelle. Il y a quelques exceptions, comme toujours, des petits malins qui alternent, ou qui détournent, ou qui manient le neutre avec une virtuosité admirable. Ils en ont le droit. Dans ce cas la silhouette a du mal à se former et j’ai du mal à lui écrire.

Il faut te dire que notre ami Hank, dans sa hâte de nous clouer sur place, avait interpellé « Monsieur » celle que tous savaient être une dame, charmante en écrit. Et bien sûr je n’ai pas manqué de relever ce point qui révélait son incapacité d’écoute, pour autant qu’on puisse écouter un écrit, or la dame écrivait beaucoup en ce temps là.

La plupart du temps, on sait vite à qui on a affaire pour peu qu’on soit vaguement attentif, inutile d’arriver avec loupe et costume à carreaux. Hank, tu n’as même pas su écouter vaguement. C’est pourquoi je considère que ton « monsieur » destiné à l’une des silhouettes était une preuve ; je te concède que le mot preuve est mal choisi, j’aurais dû dire symptôme, symptôme caractéristique, révélateur, décisif, finalement pas si éloigné de la preuve. Tu n’as pas commis là une erreur anodine que je viendrais exploiter pour éviter de parler du fond, bien au contraire tu as commis l’erreur fatale qui établit de façon définitive ton incapacité à entendre.

9. Conclure ?

Tu le vois : nous ne sommes pas dans le registre de la démonstration.

Nous n’y avons jamais été, nous sommes dans le registre de la chair. Il faut plonger ses mains dans les entrailles chaudes, il faut écouter les paroles tremblantes, il faut accepter que d’autres vivent ce que tu ne vivras probablement jamais et c’est tant mieux pour toi, il faut survivre à ne pas avoir compris, à ne pas avoir pu. Je souhaite que le ciel ne te tombe jamais sur la tête.

Mais il ne faut jamais cesser de tendre l’oreille, et admettre un jour que le bruit qu’on entend est plus important que le bruit qu’on fait.

Envois 7, 8 & 9 confirmés TRA le 25/04/2004

FIN.

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samedi 16 août 2008

Propos... #7. On n’a pas besoin de souffrir soi-même.

On n’a pas besoin de souffrir soi-même.


On n’a pas besoin de souffrir soi-même pour savoir que la souffrance existe. Voir souffrir ses proches, ses plus proches, est douloureux aussi sinon aussi douloureux. Ne pas comprendre ce qui se passe, ne pas savoir quoi faire, faire ce qu’il ne faut pas faire, découvrir qu’il y a des années que le mal mijote et qu’on n’a rien vu rien entendu alors qu’on se croyait bon père, pour certains bon mari ou bon ami, et un beau matin repêcher quelqu’un in-extrémis dans la baignoire ou dans la rivière, moi c’était plutôt baignoire, rend inacceptable que quiconque prenne des airs supérieurs en disant que tout ça c’est du chiqué.

Petit Hank, tous les gens de cette place publique où tu viens te pavaner t’on déjà raconté ce que j’écris. Ils ont tous, subtilement, discrètement, pudiquement, parce que ces cicatrices là sont fragiles, tenté en te montrant leur réalité de te faire admettre qu’on était bien au delà du nombril, et que la vie est en jeu dans cette affaire. En vain.

Et voilà pourquoi j’ai choisi d’interpeler l’homo Hank. Je ne te connais pas, ni ton nom, ni ton visage, ni tes petites manies ni tes grandes qualités, je ne sais rien ; et je prétendrais t’interpeler ! Tu vas penser, tu penses déjà, que la plaisanterie est facile, puisque je peux inventer n’importe quoi à ton sujet. En réalité, je ne peux pas inventer n’importe quoi car je te connais bien plus que tu ne crois. La réciproque pourrait l’être aussi si tu avais fait un peu attention, je laisse assez de traces de moi, les escargots ne font pas mieux. Ainsi, j’interpelle une silhouette qui s’est dessinée sur mon écran au fil des jours, au fil des fils ; j’interpelle la silhouette dessinée par tes écrits ; j’interpelle la silhouette que tu as toi-même construite et qui te ressemble.

Nous formons tous un théâtre de marionnettes, ici, où nous sommes nos propres décorateurs, maquilleurs, et manipulateurs. Il arrive que sa silhouette échappe à celui qui la construit, sur l’écran d’un autre. Il arrive que la création à deux, écriveur et lecteur, ne ressemble pas à l’original, et que d’un écran l’autre les silhouettes issues du même inventeur deviennent toutes différentes. Il se peut que l’homo Hank que j’interpelle ne soit pas du tout celui que tu crois être.

Celui que j’interpelle, où qu’il soit, se reconnaîtra bien. Je sais qu’il existe, et au moins sur l’écran.

#8 à suivre.

vendredi 15 août 2008

Propos... #6. Catilina et compagnie.

Diantre.

Ad hominem ! Voilà longtemps que je n’avais été interpelé en latin. La dernière fois, je crois qu’on m’avait traité de quousque tandem, un certain Cicéron. Avec mon légendaire sens de la répartie, je lui avais répondu vélo toi-même. Du coup il m’a accusé du crime d’abus de patience notoire, et je me suis retrouvé en taule. Alors tu penses, me faire interpeler en latin me rajeunit de plus de 2000 ans, plus aucune clochette ne pourra me traiter de vieux.

Tu m’arrêtes si je me trompe, l’attaque ad hominem est un procédé très répandu dans les débats publics, notamment à la télévision, consistant par un bon mot, un sous-entendu perfide, une révélation personnelle, à détruire en plein vol le contradicteur qui venait de présenter un argumentaire imparable. On évite ainsi de répondre sur le fond, ce qui pourrait être très difficile, on fait oublier le fond, et, suprême avantage, on lui fait toucher le fond, au contradicteur trop habile. J’ai bon ?

Je suis donc celui par qui le scandale arriverait, j’ai pratiqué l’attaque ad hominem. Au passage, hommage du vice à la vertu, j’aurais ainsi validé la solidité de ton axiome, puisque je me serais abaissé à des procédés de petite forme. Tout bénéfice pour toi, c’est bien ainsi qu’il faut dire, n’est-ce pas ? Je reconnais que c’est bien joué, tu retournes le gant en m’accusant de l’attaque, ce qui te permet de ne pas avancer sur le fond. Habile mais spécieux, tu t’évites ce qui gêne, et finalement tu obtiens ce que devrait obtenir l’attaque ad hominem.

Tu as tout faux, mon cher Hank, et je vais t’expliquer ce que tant d’autres ont tenté de te dire mais que tu n’as pas entendu. Tu ne seras obligé ni de me croire, ni de me suivre, ni de me répondre, et je n’abuserai pas de ta patience quoique tu n’aies pas l’éloquence de Cicéron, et ce n’est pas là une attaque ad hominem, c’est juste un constat, une digression, une respiration.

La souffrance ne se démontre pas, Hank, elle se vit, elle peut parfois se deviner si l’on écoute et regarde. La souffrance diminue lorsqu’on est écouté et regardé, souvent, pas toujours. Tout dépend de qui écoute et qui regarde, et comment. Alors tu vois, tes démonstrations, tu peux te les garder. Celui qui n’a jamais eu de rage de dents au milieu du désert à 3 jours du médecin le plus proche n’a aucune idée de ce qu’est une rage de dent, même avec beaucoup d’imagination.

C’est une image, là, Hank, avec toi je me méfie et je préfère mettre les points sur les zi et les barres de chocolat aux thés, respire. La dépression ne guérit pas si vite qu’une rage de dents. Mais je conçois parfaitement que celui qui n’a jamais approché de dépression ne soit pas capable de l’imaginer, même avec beaucoup d’imagination. Je suis bien incapable, moi-même, d’imaginer ce que peut être une rage de dents au milieu du désert à 3 jours du médecin le plus proche. Elles sont toutes là, trente-deux dents bien alignées, blanches et brillantes, une vraie pub de dentifrice, prêtes à mordre. Alors les douillets qui ont peur du dentiste me font ricaner, comme toi les mijaurés.

Point sur le zi : nous sommes dans la métaphore, Hank, on est bien d’accord. Je tente une image, je ne cherche pas à établir de parallèle entre carie et carence, entre émail et émoi, entre racine et corneille (respire, Hank). Je dis seulement que si la rage de dent est une maladie objective et rationnelle, identifiable et mesurable, tout pareillement la dépression est une maladie avec symptômes, causes, conséquences, et soins appropriés, nettement plus difficiles à identifier c’est tout, ce n’est pas rien.

Elle peut provoquer des souffrances abominables, et qui ne les a pas connues ne peut les imaginer.

Envois 5 & 6 confirmés chez TRA le 24/04/2004 à 19h44

#7 à suivre

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jeudi 14 août 2008

Propos ...#5. Il te faut une démonstration.


J’ai bien compris la situation : tu attends, bien campé sur tes positions, ta position car elle est singulière sinon originale, que l’on vienne te démontrer ton erreur. Entre nous, tu n’as pas davantage démontré ton exactitude. Mais qu’importe ; tant que la démonstration n’a pas été faite que c’était faux, tu as décidé que c’était vrai. C’est un grand principe en mathématiques, tant qu’une proposition même non démontrée n’a pas abouti à une conséquence fausse, alors on la considère comme vraie. On appelle ce genre de proposition un axiome, enfin je le crois, je n’ai pas de mathématicien sous la main pour me le confirmer. Tu le sais probablement mieux que moi.

Te voici donc campé sur ton axiome, les bras croisés tel un gladiateur, contemplant l’agitation de la basse-cour. Tu as juste oublié un petit détail : nous ne sommes pas en mathématiques. Nous sommes dans la boue de la vie de tous les jours, et il n’y a pas de démonstration qui tienne. Ici, on ne démontre rien, ici on vit, on survit, on réchappe, on fait avec.

C’est pourquoi il est inévitable, indispensable, obligatoire, d’écouter ce que disent ceux qui parlent, ceux qui écrivent, et même ceux qui se taisent parfois leur regard en dit bien assez. Je ne te demande pas de me lire moi en particulier, tu peux zapper, je n’ai aucun orgueil. Enfin si, mais il est placé ailleurs. Mais je fais partie de la basse-cour, poulet grassouillet prêt à cuire, et c’est toute la basse-cour que tu dois écouter. Ecoute la, Hank, parce que tu y entendras le bruit de la vie même, y compris la tienne.

Tu n’auras pas ta démonstration. Tu peux camper dans ta vérité tant que tu voudras, je t’y laisse volontiers. Je vais vite me replonger dans mes erreurs et mes caquetages de poulet, mais je dois aller jusqu’au bout de cette explication, c’en est une à défaut de démonstration. En effet, tu m’as reproché de t’attaquer ad hominem, ce qui mérite un développement.
écrit le 24/04/2004 chez TRA
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mercredi 13 août 2008

Propos ...#4 - Parlons peu parlons moëlle.

Parlons peu parlons moëlle.

Tu nous interpelles au sujet de la dépression. Je dis nous, non par majesté mais par sentiment de ne pas être seul interpelé ici ; ce n’est peut-être qu’une impression. Impression, dépression, juste une affaire de bars et de barres, après tout. Allez, respire.

La dépression serait, dis-tu, une sorte de fausse maladie de création récente pour pays riche et gens oisifs, qui s’abattrait sur les faibles, les paresseux et les mijaurés, mis au masculin parce que je ne vois pas pourquoi seules les femmes auraient ce privilège de l’être, mijaurées, allez respire, respire ! Sur ces gens de basse-cour, cette maladie aurait pour effet principal de leur permettre de pratiquer l’absentéisme, la dé-responsabilité, le nombrilisme, et tu trouveras d’autres mots à ajouter à la liste.

En poursuivant ton idée, cette maladie remplit les poches de ceux qui l’ont inventée et qui nous l’inoculent à coup d’émissions de télévision, c’est le plus sûr vecteur de l’épidémie, et vide celles de la Sécu, parce que naturellement toutes les consultations, médications, hospitalisations, analyses et autres divans sont remboursés. Tout le monde est content.

Pendant ce temps-là, les courageux travailleurs, les hommes de bonne volonté, les battants dynamiques, et les cerveaux musclés, sont obligés de mettre les bouchées doubles pour faire avancer le pétrolier et nourrir les vieilles mères, pour entretenir la basse-cour des faibles, des paresseux et des mijaurés. Tu nous contemples avec une moue de mépris, et moi je revendique mon appartenance pleine et entière à cette basse-cour, en tant que poulet grassouillet prêt à cuire.

Ai-je bien extrait ta moelle ? Ai-je bien exprimé ta pensée ? Moi j’ai compris ce que j’ai compris ; et pour ce que j’ai compris, maintenant j’écris. Le lecteur ne se trompe jamais sur ce qu’écrit un écriveur ; le lecteur mêle sa moelle à celle de l’écriveur, qui à son tour doit accepter le mélange. Et c’est bien plus qu’une acceptation : le travail de l’écriveur n’a de sens que si ce mélange se produit. Sinon, pas d’écriveur, pas d’écrivant, pas d’écrivain.

Il reste une alternative à l’écriveur : ou bien il accepte que son lecteur invente une moelle qui ne soit pas la sienne, d’écriveur, et le lecteur en devient alors seul responsable, ou bien il reprend sur le métier son ouvrage, cent fois s’il le faut, pour enfermer le lecteur dans sa moëlle d’écriveur. Je choisis la case numéro 1 de l’alternative. J’aime la liberté du lecteur, j’aime qu’un écrit se construise à deux. Tu vois, tu es libre de comprendre ce que tu veux à ce que j’écris, même ce qui t’arrange. Tu n’y manqueras pas d’ailleurs.

C’était juste une petite digression pour respirer. Si tu permets, je souffle moi aussi, je pars vite et je reviens (plus) tard. C’est l’heure de la pub. Attends-moi au bar de Tony, nous n’avons même pas commencé les choses sérieuses.

Envoi 1 à 4 confirmés chez TRA le 24/04/2004 à 09h44.

#5 à suivre

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mardi 12 août 2008

Propos...#3. Je crains d'être un peu long, Hank.


Je vais faire brûler un cierge aux dieux concision et sobriété, sans grand espoir, ces dieux ne m’aiment pas. Mais vient le moment où il faut renoncer aux métaphores, aux digressions, aux fantaisies, aux billevesées. Pour autant, il ne faut pas compter sur moi pour répondre point par point à tes réponses point par point. Je connais ce genre de méthode, où l’on s’attache, phrase après phrase, à réfuter chacune en trois mots énergiques, façon je te cloue le bec.

A force de mettre point par point des points sur tous les points, on finit par se retrouver avec une vraie suspension. Je ne suis pas un thuriféraire de ce genre de macramé. Une phrase n’a de sens qu’avec toutes les phrases qui la précèdent et toutes celles qui la suivent. Je t’accorde deux exceptions, la première phrase du texte qui n’a pas de précédente, et la dernière, je te laisse le soin de deviner pourquoi, tu es grand.

Démanteler chaque phrase une à une n’a jamais réussi à démanteler un texte, sa logique, sa substantifique moelle, disait-on au XVIIème siècle. Il serait utile que tu t’intéressasses à la substantifique moelle, Hank, sans te figer sur mes plaisanteries faciles éparpillées ici ou là, et qui ne sont que soupirs et respirations de la pensée. Peut-être la mienne fait-elle du rase motte, mais elle n’a pas de gros sabots.

Je n’ai pas fini, je reviens.
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lundi 11 août 2008

Propos d’un poulet de basse-cour #1&2.



1. De ma façon de penser.

Il était une fois un monsieur prénommé Hank. Ne me demandez pas pourquoi il se prénommait ainsi, ce serait une histoire sans aucun lien avec mon affaire, et peu importe qui il est en réalité. Je vais dire assez de mal de lui pour ne pas me permettre de gloser sur le nom. Il peut entrouvrir la porte de chez moi et me répondre vertement, tant qu’on reste dans la limite de la décence je valide les réponses. Parfois mes pires contradicteurs sont ceux que je me régale à publier.

Il était donc une fois un contradicteur prénommé Hank qui sévissait sur un de ces forums de la toile où chacun peut allègrement dégoiser et plastronner, bombant le torse et les aphorismes. J’en fais partie. En réalité, je serais curieux de savoir s’il existe des forums où ces pratiques n’existent pas et où chacun se lit et se respecte, sans pour autant sombrer dans la flagornerie et l’amitié de façade, dans le seul but de devenir soi-même un blogueur lu, ce que j’aimerais être soit dit en passant, mais bon je dois être aussi mauvais dans le bombage de torse que dans la flagornerie liquéfiante.

Il y fut question, un jour, dans ce forum, du pourquoi du comment des psys et de leur rôle, du comment du pourquoi de la dépression et des névroses, des psychoses et des troubles de cet acabit. Pour en avoir approchés des verts et des pas mûrs, de ces troubles, je me suis risqué à valider l’existence de cette corporation, son utilité, sa nécessité parfois immédiate, et ses bienfaits. Sans nier qu’il puisse exister là comme ailleurs des charlatans, des profiteurs, des incompétents, des fautifs. Maître Eolas nous a donné dans un billet récent de charmants exemples d’erreurs de médecins de la vraie médecine pour de vrai, comme quoi ce n’est pas l’apanage de ces métiers du mental que certains décrivent comme relevant de la secte et non de la science.

2. La dépression est-elle une maladie?

C’était exactement l’objet de la dispute : la dépression est-elle une maladie ? Il n’est pas question ici d’y revenir, je l’évoque pour que la suite ait un sens. D’un côté était moi, qui donnait leur chance à ces malades, affirmant qu’ils souffrent, qu’ils sont écrasés de douleur sans la moindre atteinte physique, et que pourtant ils peuvent parfois guérir ou au moins s’en remettre. Je prétendais que devions les accompagner dans leur chemin tout en laissant le psy faire son travail souterrain, celui d’écouter, parfois de provoquer, et de temps à autre de piquer parce qu’il n’y a plus d’autre solution pour franchir la crise, sans garantie de résultat mais avec garantie de moyens, présence, confiance, réactivité, expérience.

En face était Hank. J’hésite à caricaturer, pour tenter de décrire le débat, ce serait trop facile en son absence. Pourtant, comment faire autrement ? Il était sa propre caricature. J’ai décrit ce que je soutenais, prends donc exactement le contre-pied de tout et te voici devenu Hank.

Ce qui me choquais et me choque dans les écrits de Hank, au-delà du principe asséné que les psys n’étaient que des escrocs pratiquant dans le champ d’une vaste fumisterie inventée par Freud, était l’idée que les troublés mentaux étaient des mauviettes incapables de se tenir. Il prétendait qu’un coup de pied au Q leur aurait été beaucoup plus profitable qu’une écoute et un soutien, des béquilles médicamenteuses et des présences constantes ; dans son savoir proclamé et sa lucidité courageuse et impitoyable, il était certain que ces ectoplasmes de la vie jouissaient et profitaient de notre compassion et que, bien entendu, ils faisaient durer à plaisir leur plaisir. Sans prétendre que ce genre d’assistés n’existe pas, j'aimais de près un de ces malades depuis trop longtemps pour que le mot de mauviette et ses synonymes plus dépréciants ne me fasse tourner le sang. Le débat s’est envenimé, et j’ai pratiqué la plaisanterie foireuse, le calembour laid et la réponse pirouette cacahuète pour éviter de tomber dans la méchanceté.

Je me suis ainsi rendu coupable d’attaques ad hominem. Il faut dire pour ma défense qu’une fois échangées les explications détaillées de ce que je savais du quotidien de ces personnes, lire que je n’étais pas convainquant et que faute d'une "démonstration" Hank restait "sur ses positions sans rien changer" m’avait irrité. Je pouvais n’être pas convainquant. Il pouvait rester sur ses positions. Puisqu’il avait engagé le débat, il se devait au moins d’expliquer en quoi un vécu bien décrit ne le faisait même pas vouloir réfléchir, je ne rêve jamais de convaincre qui que ce soit, encore moins de démontrer, même s’il pensait probablement que mon vécu ait été inventé. D'autres pourtant avaient donné aussi leurs témoignage autrement plus difficiles que le mien : ceux qui ont côtoyé de tels malades en jugeront, s’ils veulent. Hank était dans l’ignorance et souhaitait visiblement y rester, et avec cette attitude du « je sais rien et j’en suis fier » j’ai un peu de mal à rester calme.

Voici quel fut mon dernier tir groupé vers Hank avant mon départ du champ de bataille.

vendredi 1 août 2008

Je vais décevoir

J'écris peu. Peu de temps, peu d'idées, peu d'énergie. Des mauvaises raisons qui ont raison de moi et de mes bonnes raisons, de mes bonnes résolutions. Je vais écrire ici et là chez les amis, mais rien ne vaut un rendez-vous chez soi, où vient qui veut pourvu qu'il apporte sa pierre à la construction, pourvu qu'il m'aide à construire, puisque après tout un blogue est une lente construction, billet après billet, de ce qu'aucun architecte n'a pu mettre en maquette.

On ne sait ce qu'est un blogue que le jour où il meurt.

Nous sommes le premier août. Loin de mes habitudes à préparer des textes, à les moudre, à les remâcher, avant de me jeter dans le bain en les recopiant dans le cadre prévu à cet effet, aujourd'hui j'écris directement dans ce cadre comme si je commentais ailleurs, pour commenter par voie affirmative ce qui me tourne dans la tête depuis quelques jours, pour te dire quel camp j'ai choisi.

J'ai choisi mon camp. Oui.

Il m'arrive de choisir mon camp. Y compris dans des débats sans queue ni tête, sans arguments ni analyse, sans mise en profondeur en perspective, sans examen soigné du point de vue adverse. Débat? Non, mais combats de chefs et cheftaines, combat de poulettes et de coquelets, ergots sans thérapeutes, egos sans somme, boulets sans chaînes qui dévalent leur pente naturelle pour finir en ronds dans l'eau. J'ai donc choisi.

Sonnez tocsin, j'ai choisi le camp de Philippe Val contre celui de Siné. J'ai choisi le méchant patron contre le malheureux prolétaire. J'ai choisi sans hésiter dès le premier jour, et je n'ai pas changé d'avis malgré le vacarme et la force des adversaires. Et malgré leurs anathèmes, je ne suis pas sûr, ainsi, d'être du côté des bien-pensants. Peu importe d'ailleurs, on est toujours le bien-pensant du voisin.

Un jour j'aurai peut-être envie de m'expliquer, mais aujourd'hui non. La poussière et la boue de la basse-cour me rebutent et je n'irai pas combattre les coqs ni défendre les poules. J'attendrai que de belles plumes fassent le ménage dans ce tohu-bohu d'invectives et de préjugés, de slogans et de faux procès, de certitudes et de lapalissades.

Petit détail: je vais partir pour quelque temps, sans pouvoir ouvrir la fenêtre. Alors déchaînez vos appétits sommaires, rien ne paraîtra avant mon retour, et alors la censure sera sourcilleuse. Non point contre des avis de désaccord, il me va bien qu'on conteste. Mais contre ce qui pour l'instant remplace la pensée. Oui, vient qui veut chez moi, mais c'est chez moi quand même. Et je tiens à la propreté de ma terre battue et de mes tomettes.

Les pierres qu'on y apporte sont des matériaux de construction, pas d'intifada.

fin
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lundi 21 juillet 2008

La légende de Joséphine de DEHAIX.

1. Il avait fallu tirer au sort. Chacun avait sa liste, ses préférences, ses ruses, et décider autre chose aurait ruiné tous les bons plans qu’il tirait sur sa comète. Malgré l’inévitable histoire de chacun, nous ne pouvions pas ne pas choisir, nous ne pouvions pas aller partout ; tout le monde parlait parlait, et devant le tohu-bohu de ce que appelions encore une concertation, de sa voix chaude et dominante qui la rendait reconnaissable même à qui était loin de celui qui lui téléphonait, Joséphine a dit : « et si on tirait au sort ».

2. On, justement. Qui est hon ? Hon fit le tirage au sort dans quelque arrière-salle obscure avec quelque comploteuse émérite à la chevelure foisonnante, et le résultat s’avéra tellement cousu de fil blanc que nul ne douta quel était ce sort et qui était hon. Il s’ensuivit un pur moment de Rock’n Roll, un grand tapage de revendications et de protestations, chacun réclamant qui d’aller à Cythère et qui à Mieux-mieux, un déchaînement que la légende colporta à travers les siècles jusqu’à aujourd’hui. Mais la règle est la règle et l’huissier commis d’office mis bon ordre à la tempête : ce fut le voyage de Joséphine qui tomba des dés et du dais où elle paressait, rêveuse et l’air de rien.

3. Elle était bien la seule du groupe à ne pas tenir spécialement à ses envies de voyage. Quelque chose, ou quelqu’un, la retenait sur l’île ; mais elle avait appris que le meurtre de Samedi-Gloria avait été élucidé dès la Trinité, et qu’il lui fallait partir pour son salut et d’autres saluts, pour que la vie garde un sens ou le retrouve. Alors elle s’était prêtée de bonne grâce au jeu du voyage et avait sagement placé son château dans l’escarcelle du sort. Une façon de poser la vacance sur son vide, mettre la distance pour rapetisser la peur. Dormir, longtemps longtemps, qu’aucun prince ne vienne poser son nom, qu’aucun NOM ne s’y prétende prince. Ne restait plus que le sort pour en décider, et il décida. Enfin, Hon décida.

4. Tout le monde a donc suivi Joséphine ; On traversa les Océans, on conquit les continents, on vint aux portes du château qui attendait. Il ne fut plus question d’Île Mystérieuse ou d’Est d’Eden, et le monde selon Garp dut aller se rhabiller, le sort en avait décidé ainsi. Joséphine pourtant gardait derrière la joie de façade son air triste. Tous croyaient qu’elle aimait rester seule et pourtant elle m’a dit un soir, mais est-ce moi qui l’ai rêvé, je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part.

5. Elle avait bien su le choisir, le château. Derrière la végétation déjà dense et non loin du grand fleuve qui suit le beau pays d’ardoises, on devinait l’enchevêtrement des tours et des toitures. Un peu isolé, et nous étions plusieurs à maugréer en le voyant, elle souriait en nous entendant ainsi, nous la bande des pécharmants comme elle nous appelait, Joséphine. Je n’ai jamais su pourquoi. Nous protestions que les magasins étaient à perpète comment trouver son paquet de nocif, juste un petit Tours répondait Joséphine, nous pleurions que les broussailles nous écorchaient le tympan juste un petit sourd moquait Joséphine, et nous tremblions que cernés comme nous sommes par rien il nous faudra cent ans pour ressortir pars vite et reviens tard rétorquait Joséphine.

6. Elle savait très bien que derrière nos grands airs nous étions enthousiastes de l’aventure. Elle savait très bien qu’elle nous emmenait au monde du silence, le monde de son silence où elle voulait se rouler en boule entourée de nous, pour panser des blessures que nous ignorions quand nous croyions à un coup du sort. Peu à peu nous avons cessé de chercher le nocif, et sous son regard attentif et attendri nous nous sommes endormis dans les longs corridors. Seule face à elle-même, la pesanteur qu’elle avait traînée dans son ventre jusqu’ici s’est lentement désagrégée, s’est imperceptiblement répandue dans les escaliers, chassée par le flux léger de nos respirations. Joséphine, sous les armoiries poussiéreuses et les dorures ternies, se vit flotter vers la chambre de l’impératrice et se trouva allongée sans vraiment s’être couchée ; le vaste baldaquin la contempla du haut de ses brocards, et Joséphine, enveloppée de l’insoutenable légèreté de l’être, enfin, s’endormit.

7. Epilogue. Le silence dura cent ans. Les broussailles gagnèrent toute la contrée jusqu’aux rives du fleuve, et je vous raconte cette histoire aujourd’hui parce que j’avais déjà repéré la légèreté que le sort ne m’avait pas attribuée et que je l’avais introduite dans le château par une porte dérobée.

Je ne sais pas si l’histoire finit. La légende vous le dira, j’ai encore sommeil.

lundi 7 juillet 2008

INGRID

INGRID


J’avais répondu très longuement à quelques commentaires posés sur le plaidoyer pour Ingrid. J’ai eu envie de reprendre la réponse un peu brouillonne et de la transformer en billet. Un peu d’ordre, quelques corrections de formes, et voici.

Je suis heureux de la libération d'Ingrid Bétancourt. Je n'y croyais pas trop, et je restais plutôt dans l'état d'esprit d’inquiétude fataliste, devant l’inexorable avancée de la bêtise simultanée des FARCs et des militaires Uribéens. Ainsi l’avait aussi ressenti Loïs.

J'avais surtout cette idée que les rodomontades militaristes d'Uribe allaient à l'inverse de leurs objectifs, de même d'ailleurs que les FARCs, qui avaient perdu à mes yeux toute légitimité dans leur faux combat, et étaient devenus rien de plus que des mafieux parmi d'autres. Et ce depuis fort longtemps, et indépendamment du sort réservé à Ingrid Bétancourt. Le seul fait de recourir à des otages avait révélé leur véritable nature, aggravée d’une incompétence manifeste dans l'art de faire accepter les faits d'armes par les opinions publiques locales et internationales. Il en est ainsi quelle que soit la cause qu'on défend et quels que soient les otages dont on se saisit, civils passés là par hasard, militants de la cause adverse, paramilitaires au lourd passé, ou, comme c'était le cas ici, militante d'une cause qui aurait dû être commune au départ.

Je veux bien, à l’extrême rigueur, accepter qu’il n’en était pas ainsi au début, et que les rêves des jeunes guérilleros étaient nobles. Ils n’ont pas su éviter la dérive, trop fréquemment rencontrées de par le monde pour ne l’attribuer qu’à des contingences locales.

Leur combat est perdu d'avance et la seule incertitude est le nombre de morts qu'il faudra pour le voir cesser. En réalité il a déjà cessé, et la libération des paysans n'a pas besoin des FARCs, bien au contraire. Reste la cocaïne, l'argent sale, et les soldats perdus qui ne savent plus ce qu'ils sont, restent d’autres otages qu’il ne faut pas oublier.

Restent quelques imbéciles qui font la moue devant la libération d'Ingrid Bétancourt, au motif que ce ne serait pas un évènement politique, au motif que la dame est sans importance, au motif que les affaires familiales ne nous regardent pas, au motif que cette libération donne du prestige à Uribe et, pourquoi pas, à Sarkozy.

Pour Sarkozy, et malgré les remerciements de la dame à ce Monsieur, je pense que c'est à la France, à nous dans notre modestie multiple, qu'elle s'adressait, ne la bafouons pas par un mépris de mauvais aloi et d'arrogance insupportable. Pour Uribe, je reconnais bien volontiers avoir sous-estimé ses capacités à prendre en compte les échecs passés, et pour autant je ne lui donne pas un blanc-seing pour sa politique. Je note cependant son actuelle popularité, et je me dois de la respecter, si je veux contribuer à ce que la Colombie devienne, lentement, une démocratie.

Il est des gouvernements de droite et affiliés aux américains qui peuvent, par le fait des évènements, prendre un virage démocratique presque à leur corps défendant, et c'est peut-être ce qui arrive.

Ingrid n'est pas une femme d'importance méprisable par nos ridicules arrogants aux pensées de marée basse des blogues d'ici et là, elle est devenue, et elle se serait bien passé de ce chemin pour y parvenir, une voix majeure dans le concert des nations, une voix majeure de la Colombie, qu'on le déplore ou s'en réjouisse.

Ne me dites pas idolâtre ; ses gesticulations religieuses lourdes et papales m'agacent déjà. N'empêche, je ne retire rien de mon admiration, ou plutôt, de mon respect pour elle et ses idées, quant elle deviendrait un jour une alliée d'Uribe en Colombie, ou pire, un porte-voix de Sarkozy pour remonter ses bretelles de popularité défaillante.

jeudi 19 juin 2008

Les actrices deuxième, moteur

Pourtant je me méfiais. J'avais, ici et là, évoqué des noms, soupiré des références, distillé des indications. Il faut croire que j'ai été trop explicite.
Cyd Charisse est morte.
Au moins puis-je espérer que j'en aurai une belle jambe?

lundi 26 mai 2008

Les actrices

Les actrices
(modifié le 26/05/2008)


Il est grand temps que je tienne ma promesse à Clopine. Je ne te la présente pas, si tu ne la connais pas, tu ne pourras que t’en prendre à toi-même. Elle a longuement expliqué comment et pourquoi elle aimait tant d’acteurs, pour en finir par un personnage secondaire de Notre-Dame de Paris le roman. Tu te souviens de Notre-Dame de Paris le roman, dont l’auteur n’est jamais venu parler à la télé. Franchement, un tel auteur peut-il seulement exister ?

Sous prétexte de pseudonyme, elle m’a entrainé sur des terrains intimes que je ne regrette pas d’avoir parcourus. Mais il me faut aller au bout de ce voyage, et puisqu’elle s’est intéressée aux acteurs de second rôle qui dominèrent et dominent encore le monde du cinéma français et que son Clopin préféré lui a rétorqué de masculine façon comment il fallait décemment s’intéresser aux actrices, je me trouve enfermé dans la nécessité d’écrire aussi sur ces femmes qui s’exposent. Non que Clopine m’ait enfermé, mais tout seul comme un grand j’ai claqué la porte en oubliant la clé à l’extérieur, et il me faut donc passer par le trou de la serrure.

Alors je peux m’aventurer sur le thème du parler direct : bandantes ou non ? Ou bien sur le thème : icône ou déesse ? Ce qui signifie la même chose dans les dîners chics. Je peux aussi faire preuve de francophobie, genre le cinoche français est nul introverti et intello rien ne vaut les stars américaines, Ava et Marilyn, Cyd et Ingrid, et les bombes italiennes, Monica et Monica, Sophia et Stephania. Parce que chacun sait que le cinéma s’est arrêté en 1965. Quoiqu'une des Monica ne soit pas encore née à cette date, je ne l'ai citée que pour le doublé.

Ou alors, je vais me jouer le dernier TF1 du dimanche soir du temps qu’il y avait un film sur TF1 le dimanche soir, et vanter les mérites testotéronesques des belles potiches. Pas de noms ici, je sais qu’elles ne sont pas potiches et je les aime aussi. Mais telles on nous les y montre. C'est le regard du cinéaste qui m'insupporte. Petit aparté pour Clopine: j'aime le regard d'Almodovar sur les femmes, pour les raisons déjà très bien expliquées par d'autres femmes.

Comment en parler, des actrices ? Assumer son désir, du trouble adolescent boutonneux devant un décolleté magnifique à l’émotion qui nous renverse devant un si beau visage et accueillir la soudaine jeunesse qui nous revient devant une larme discrète ou un rire éclatant, dont bien sûr nous vanterons savamment l’éclairage habile et le chef-opérateur surdoué, car le désir participe au plaisir du cinéma. Hommes, nous pouvons désormais entrer dans le film en se choisissant son propre rôle. Nous avons tous un rôle dans les films que nous regardons, et parfois nous devenons la femme que soudain nous aimons comme nous-mêmes et haïssons l’homme qui nous abandonne alors que nous devrions nous en réjouir.

Lorsqu’on en oublie le jeu parfait et le rôle habité, l’actrice gagne son pari. Elle est devenue actrice en effet et le film est bon. J’ai cité quelques prénoms, et je ne les ai pas cités au hasard, elles font bien entendu partie de mon panthéon. Comme beaucoup d’autres, et n’y sont pas nécessairement les mieux placées, mais inévitables si je veux que tu me croies, exceptée la jeune Monica, qui n'a jamais gagné le pari.

L’idée des seconds rôles est une très bonne idée. Ces actrices dont le passage, parfois bref, parfois répartis en courtes séquences sur les deux heures, font qu’on va revoir le film sans savoir que c’est juste pour elles qu’on revient; on ne s’en rend compte qu’à la septième fois quand les murailles tombent. Ces actrices qui mettent toute leur force dans ces moments de tournage qui n’appartiennent qu’à elles et dont elles savent qu’ils seront plus précieux dans le cœur de beaucoup que les répliques cultes des grands projecteurs, car elles savent toutes pourquoi elles sont là, pourquoi elles s’exposent, pourquoi tant de dangers ne leur fait pas peur, toutes ces amazones qui le chantait si bien de leurs sœurs l’ami Claude font la guerre quand nous ne faisons qu’un match, pourquoi certaines d’entre elles en meurent, sont celles qui m’intéressent vraiment.

Oui monsieur correcteur, la phrase est longue et je t’emmerde. Je suis liseron quand je veux.

Je ne vais donner que deux noms. Je n’en aurais bien donné qu’un, mais il en résulterait des déductions mal placées. Il me faut trouver une combattante, émouvante et fragile, mais intraitable, qu’elle soit victorieuse à la fin ou qu’elle se prenne injustement une balle perdue, qu’elle obtienne réparation ou vengeance équitable, qu’elle devienne la malfaisante secrète ou la passante à peine entrevue même pas importante dans l’histoire. Sa seule apparition m’illumine le film et me décolle imperceptiblement du fauteuil, ce qui dans le quartier latin soulage le train. Elles sont nombreuses ainsi, et n'en citer que deux sera les citer toutes, ne tente pas d’isoler le nom du reste.

Avec deux je ne ferai pas d’ombre aux tues, de Binoche à Emmanuelle je préfère la première à la seconde, de Mathilde à Catherine malgré la différence d'âge, de Viard à Baye, de Morgan à Mastroianni le champ s'agrandit au point de les contenir toutes entre elles deux. Ajoute qu'on trouve la mère et la fille dans la même phrase, il est de ces hasards qui n’en sont pas venant des plus récentes rencontres, tu auras compris que peu vont échapper à ces fourchettes.

D'avoir cité les extrêmes ne signifie pas que je les préfère obligatoirement à celles que je passe sous silence. Je me risque ainsi à citer Marlène Jobert et Miou-Miou qui ont une petite place à part qui échappe au précédentes catégories, je ne les ai pas placées au panthéon, je veux ne me les garder que pour moi, hors de question que je les cite comme les deux noms emblématiques que je t'ai promis, déjà je m'en veux de t'en avoir parlé.

Voilà pourquoi il serait absurde de nommer celle qui serait la meilleure, ou celle qui serait ma préférée. Je n’ai pas croisé mes deux noms depuis assez longtemps pour éviter l'écueil du dernier bon film vu ou de la dernière promo en date, comment échapper aux promos? Peut-être ne les connais-tu même pas. Pourquoi ces deux noms plutôt que d’autres ? Tu le comprendras en relisant du début, et ce que tu ne comprends pas restera secret.

Marie Bunel. Anne Kessler.

jeudi 22 mai 2008

André et la rivière


Commentaire à Clopine devenu billet par la force de la paresse. Il fallait bien aussi relancer ce blogue endormi.


Il n'y a que vous, Clopine, pour poser des question auxquelles je ne veux pas répondre et auxquelles pourtant je réponds parce que c'est vous justement qui me la posez.

Rivière est un nom qui coule de source. C'est un pseudo, aucun officier d'état civil nulle part dans le monde n'accepterait de m'attribuer ce nom. Et pourtant, voyez comme il me va comme un gant, moi qui ne me baigne jamais dans le même fleuve et qui ai des accointances avec le vieil Héraklite.

Ma grand-mère paternelle se nommait Marie Rivière, de naissance. Au début du siècle dernier, tout le monde se nommait ainsi, on ne peut faire plus banal et transparent, si banal et si transparent que personne ne m'a jamais parlé de cette grand-mère que je n'ai jamais connue, morte trente ans avant ma naissance.

C'est probablement pour lui redonner chair et os, lui rendre justice, que j'ai pris son nom pourtant si courant. Et un peu littéraire aussi quand même. J'ai découvert sa tombe après force recherches dans un cimetière perdu au fin fond de rien, très loin de sa campagne poitevine où elle vécut, et rien ne m'explique ce que fait là-bas ailleurs cette plaque à moitié renversée qui n'attend plus que le bulldozeur, le bouteur comme disent les puristes minoritaires, pour faire la place aux jeunes. Des secrets de famille insondables, que même des baudets du Poitou ne sauraient brouter sans dommages, et qui disparaîtront avec la rénovation programmée des espaces municipaux d'ailleurs là-bas du fin fond de rien.

La glèbe du Poitou ne saura rien d'elle. J'ai fait tout un livre déjà de son histoire imaginée qui jamais ne sera blogué, et qui est retourné au fond de mon tiroir après n'avoir jamais réussi à franchir la barrière de la lettre type des éditeurs.

Voilà pour le pseunom.

Le prénom a suivi un chemin plus tortueux, qui a duré plusieurs années avant que j'en accepte l'évidence. Il a fallu des convergences. Celle du prénom quelle donna, ma grand-mère Rivière, à son fils aîné, qui se trouve être devenu mon père quelques années plus tard. Celle de la Cathédrale où je fut baptisé (mais je suis guéri), en la bonne ville de Bordeaux que je ne saurais renier sans disparaître, non que mon nom soit ce prénom là, mais après tout, n'est-ce point la cathédrale Saint-André?

Vous voyez, même le pseuprénom a à voir avec Marie qui nomma son fils André qui baptisa le sien chez Saint-André. Convergences, disais-je.

Quant à l’Aime qui se colle à l'André, l’Aime d’Andraime, d’Andrem, c'est une autre affaire ; l’affaire d'aimer peut-être, l’affaire d'un vrai prénom mais ce n'est pas certain, un prénom à faire chauffer, l’affaire de l'aime de Marie, c'est bien possible. Il me la fallait, cette Aime, pour qu'enfin je me résolve à l'évidence que je ne pouvais être que lui, Andrem Rivière, et que je ne pourrai jamais en changer.

Il m'est plus littéralement indispensable que mon nom de citoyen, de mari, de père, de grand-père, et de fils de ma lignée. Il la contient secrètement et entièrement, la lignée.

Vous comprendrez ainsi pourquoi ce prénom de Marie m'est si important et pourquoi je ne pouvais pas ne pas répondre à votre question à laquelle je ne réponds pas.

Commentaire chez Clopine, Posté par andrem, 20 mai 2008 à 10:19