vendredi 20 janvier 2012

Ardoise magique

Je vous rejoins, Clopine. Je suis un amoureux des livres. Ils en ont lâchement profité pour envahir ma maison, du sol au plafond comme dit la chanson. Ils ont le bon goût de ne pas être tous de la même hauteur, ce qui me permet de conserver ici et là des interstices où ranger autre chose.

Des assiettes, des caleçons, des PV de stationnement, des disques vinyles, entre autres.

Ces livres à l’odeur entêtante, au froissé délicat, sont dit-on menacés par la naissance d’une petite machine rectangulaire dont on n’a pas su trouver le seul nom qui lui aille, l’ardoise magique. Les penseurs pressés et les gardiens du langage ont décidé de l’appeler liseuse, alors que tout le monde sait qu’une liseuse est une sorte de canapé, liseuse et non tablette, encore un barbarisme à nom de meuble. Une chose est sûre ; cette machine minuscule est modelée dans de la matière savante, polymères pétroliers, silicium organisé, cristaux électrifiés, capteurs aux aguets, et toutes sortes de champs électromagnétiques dûment canalisés, contrôlés, organisés, mais vous en savez plus que moi sur le sujet.

Je me désespère de ces appareils tout petits qui vont enfermer les pyramides d’Égypte dans trente gramme de polyéthylène haute densité. Je lis toutes les invectives qu’ils déchaînent à travers les journaux vengeurs et les radios cultivées. Je pleure sur la mort du livre qui n'a pourtant jamais été aussi envahissant que ces jours-ci. Des morts aussi envahissants, il y avait longtemps que je n'en avait croisés.

Et je me dis que je ne vais pas tarder à m'en offrir une, de ces ardoises. Tout Balzac sur la plage, tout Bourdieu, toutes les anciennes critiques de disque de Jazz-Mag et de Jazz-Hot réunies en un clic, tout Clopine, tout Proust, tout moi.

Les moines copistes iront se rhabiller et rangeront soigneusement leur plume sergent-major et leur duvet d'oie, les forêts recommenceront de pousser sans craindre les éditeurs de la rentrée, et l'on a encore rien vu ni rien lu de ce gigantesque chantier que ces petits écrans sensibles ont ouvert.

Et croyez-moi si vous voulez, ou ne me croyez pas, mais le livre lui-même ne s'en portera que mieux. Et avec lui, la lecture.

Qu'était l'imprimerie cinquante ans après Gutenberg ? Montaigne avait neuf ans, et l'encre de l’Édit de Villers-Cotterêts à peine sèche. Nous sommes à dix ans de numérique, à tout casser. Vingt si l'on veut prendre les tous premiers balbutiements publics d'internet. C'est bien ce que je dis: on n'a encore rien vu.

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lundi 9 janvier 2012

Inconciliables intouchables

Il y a un bon vieux syndrome qui rôde: lorsqu'un film rencontre un accueil public enthousiaste, en d'autres termes s'il est un grand succès commercial, il devient suspect, et ce qui n'aurait dû être que réserves et méfiance devient péché mortel, aux yeux du tout un chacun à qui on ne la fait pas.

Le film manie avec complaisance les stéréotypes, c'est un fait, c'est même un parti pris. Il fallait que ce parti fût pris pour cette histoire, et donc il faut jouer ce jeu là. Le film n'est ni un reportage sur la banlieue, ni un reportage sur la condition du handicap en France. C'est un conte. Et comme tous les contes, il se construit sur une base stéréotypée.

On pourra objecter que c'est une histoire vraie. Rien ne m'agace autant dans la promotion des films (ou des livres) lorsqu'on m'annonce à grandes trompettes que c'est une histoire vraie, comme si d'être vraie rendait l'histoire plus intéressante, plus émouvante, plus crédible même qu'inventée de toute pièce. Jean Valjean n'a pas existé, ni Salammbô, ni Rastignac. N'en sont-ils pas moins présents et vivants en nous depuis que nous les avons lus?

Exit l'histoire vraie. Reste le conte. Reste la représentation d'une confrontation de deux mondes inconciliables, les fameux stéréotypes. Confrontation qui ne comporte aucun compromis de part et d'autre, il ne s'agit pas de montrer je ne sais quelle tolérance, quelle compatibilité, quelle compréhension rassurante. Les caricatures bourgeoises et populaires restent intactes jusqu'à la fin.

Et pourtant, ces deux mondes vont se connaître, et c'est cela le film. Le reste n'est que décor, des escaliers des HLM à l'hôtel particulier, du grand costaud au paraplégique. Et c'est cela que le grand public que l'on dit ignare a aimé, moi avec.

C'était mon piquant du nouvel an. Bonne année à tous.