Ardoise magique
Je vous rejoins, Clopine. Je suis un amoureux des livres. Ils en ont lâchement profité pour envahir ma maison, du sol au plafond comme dit la chanson. Ils ont le bon goût de ne pas être tous de la même hauteur, ce qui me permet de conserver ici et là des interstices où ranger autre chose.
Des assiettes, des caleçons, des PV de stationnement, des disques vinyles, entre autres.
Ces livres à l’odeur entêtante, au froissé délicat, sont dit-on menacés par la naissance d’une petite machine rectangulaire dont on n’a pas su trouver le seul nom qui lui aille, l’ardoise magique. Les penseurs pressés et les gardiens du langage ont décidé de l’appeler liseuse, alors que tout le monde sait qu’une liseuse est une sorte de canapé, liseuse et non tablette, encore un barbarisme à nom de meuble. Une chose est sûre ; cette machine minuscule est modelée dans de la matière savante, polymères pétroliers, silicium organisé, cristaux électrifiés, capteurs aux aguets, et toutes sortes de champs électromagnétiques dûment canalisés, contrôlés, organisés, mais vous en savez plus que moi sur le sujet.
Je me désespère de ces appareils tout petits qui vont enfermer les pyramides d’Égypte dans trente gramme de polyéthylène haute densité. Je lis toutes les invectives qu’ils déchaînent à travers les journaux vengeurs et les radios cultivées. Je pleure sur la mort du livre qui n'a pourtant jamais été aussi envahissant que ces jours-ci. Des morts aussi envahissants, il y avait longtemps que je n'en avait croisés.
Et je me dis que je ne vais pas tarder à m'en offrir une, de ces ardoises. Tout Balzac sur la plage, tout Bourdieu, toutes les anciennes critiques de disque de Jazz-Mag et de Jazz-Hot réunies en un clic, tout Clopine, tout Proust, tout moi.
Les moines copistes iront se rhabiller et rangeront soigneusement leur plume sergent-major et leur duvet d'oie, les forêts recommenceront de pousser sans craindre les éditeurs de la rentrée, et l'on a encore rien vu ni rien lu de ce gigantesque chantier que ces petits écrans sensibles ont ouvert.
Et croyez-moi si vous voulez, ou ne me croyez pas, mais le livre lui-même ne s'en portera que mieux. Et avec lui, la lecture.
Qu'était l'imprimerie cinquante ans après Gutenberg ? Montaigne avait neuf ans, et l'encre de l’Édit de Villers-Cotterêts à peine sèche. Nous sommes à dix ans de numérique, à tout casser. Vingt si l'on veut prendre les tous premiers balbutiements publics d'internet. C'est bien ce que je dis: on n'a encore rien vu.
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Des assiettes, des caleçons, des PV de stationnement, des disques vinyles, entre autres.
Ces livres à l’odeur entêtante, au froissé délicat, sont dit-on menacés par la naissance d’une petite machine rectangulaire dont on n’a pas su trouver le seul nom qui lui aille, l’ardoise magique. Les penseurs pressés et les gardiens du langage ont décidé de l’appeler liseuse, alors que tout le monde sait qu’une liseuse est une sorte de canapé, liseuse et non tablette, encore un barbarisme à nom de meuble. Une chose est sûre ; cette machine minuscule est modelée dans de la matière savante, polymères pétroliers, silicium organisé, cristaux électrifiés, capteurs aux aguets, et toutes sortes de champs électromagnétiques dûment canalisés, contrôlés, organisés, mais vous en savez plus que moi sur le sujet.
Je me désespère de ces appareils tout petits qui vont enfermer les pyramides d’Égypte dans trente gramme de polyéthylène haute densité. Je lis toutes les invectives qu’ils déchaînent à travers les journaux vengeurs et les radios cultivées. Je pleure sur la mort du livre qui n'a pourtant jamais été aussi envahissant que ces jours-ci. Des morts aussi envahissants, il y avait longtemps que je n'en avait croisés.
Et je me dis que je ne vais pas tarder à m'en offrir une, de ces ardoises. Tout Balzac sur la plage, tout Bourdieu, toutes les anciennes critiques de disque de Jazz-Mag et de Jazz-Hot réunies en un clic, tout Clopine, tout Proust, tout moi.
Les moines copistes iront se rhabiller et rangeront soigneusement leur plume sergent-major et leur duvet d'oie, les forêts recommenceront de pousser sans craindre les éditeurs de la rentrée, et l'on a encore rien vu ni rien lu de ce gigantesque chantier que ces petits écrans sensibles ont ouvert.
Et croyez-moi si vous voulez, ou ne me croyez pas, mais le livre lui-même ne s'en portera que mieux. Et avec lui, la lecture.
Qu'était l'imprimerie cinquante ans après Gutenberg ? Montaigne avait neuf ans, et l'encre de l’Édit de Villers-Cotterêts à peine sèche. Nous sommes à dix ans de numérique, à tout casser. Vingt si l'on veut prendre les tous premiers balbutiements publics d'internet. C'est bien ce que je dis: on n'a encore rien vu.