mardi 28 septembre 2010

HISTOIRE DE JIM - Neuvième mouvement : Les fleurs 1.

Neuvième mouvement : Les fleurs.

1. La désinvolture, le son et la terre promise.

Jim m’a offert perles et pépites. Il m’a aussi offert des fleurs. Pourquoi faut-il que je nomme fleurs certains concerts et d’autres perles ou pépites ? Mystère et métaphore. Une affaire de coquille et de gangue pour ceux-ci et de terreau pour ceux-là, sans doute. Les David étaient des pépites et mes trois compères relevaient du bouquet, Galliano la rose, Lockwood le dahlia, Biréli la graine. Je jure que je n’ai pas fait exprès, sinon de l’avoir gardé. Après tout, pour leur plus grand plaisir, ils s’étaient laissé aller à quelques facilités. Alors je m’en offre une aussi pour le mien.

J’ai passé un bon moment en leur compagnie, c’était un cadeau de Jim attendu de belle lurette et j’aurais mauvaise grâce de cacher que, sans avoir décollé de mon siège comme il m’arrive parfois à l’insu de mon plein gré, je n’ai pourtant pas été déçu. Je suis bon public, et sans être dupe des roueries j’ai d’avance de l’indulgence pour ceux que je viens écouter. Il ne faut pas attendre un miracle à chaque instant, sinon que vaudrait le miracle ? On peut leur reprocher une certaine désinvolture, mais si les trois compères n’ont pas tutoyé le génie, ils se sont régalés et nous ont régalés de leurs entrelacs, et des étranges accords entre leurs instruments si différents. On a tout entendu, on les entendait tous ; les sons les plus étrangers se sont mariés les uns aux autres sans se contrarier, suraigu et gravissime, pianissimo ou péremptoire, un vrai miracle d’acoustique.

J’y pense soudain, je n’en ai rien dit et il me faut écrire sur elle, sur celle sans qui je n’aurais rien entendu, sans qui personne n’aurait rien entendu, ni rien vu d’ailleurs, l’acoustique et celle qui en est la meilleure servante, la régie.

C’est l’usage dans ces lieux de gigantisme. On met la sono à fond, on fait défiler sur tous les tympans présents assez de décibels pour enrichir tous les oto-rhinos de la région et les fabricants de prothèses auditives, et tout le monde est content, les organisateurs qui n’ont pas eu besoin de penser l’acoustique et les spectateurs qui ont pris pour de la communion musicale ce qui n’était qu’ondes stationnaires ventrues.

Chez Jim, point de ventre sonore, point de bruit, mais du son. Même lorsque certains musiciens lâcheront leurs chevaux, ces messieurs des consoles garderont la tête dans leur casque et sauront funambuler entre les enceintes géantes pour nous permettre d’entendre le plus petit frémissement de triangle. Il n’y avait pas de triangle chez Jim ? Justement, on l’entendait quand même. L’exercice est très difficile : l’immensité de la toile, le bruit de la foule en mouvement, personne ne s’arrête dirait-on et c’était presque aux musiciens de s’excuser de déranger, la diversité des instruments, la diversité des pratiques. Ils surent restituer la moindre subtilité y compris lorsque rien ne l’annonçait, le doigt effleurant le Steinway au milieu des saxophones en colère, des trompettes époumonées, des caisses claires dévergondées et des cymbales endiablées, des tambours bavards et des clochettes dans les alpages.

Mission accomplie, j’ai tout entendu, jusqu’au moustique sur la joue de la petite chanteuse à la grande voix, même la corde cassée de la guitare rythmique, même le tremblement de la voix de Trottignon intimidé par sa propre folie. Nous nous entendons bien Jim et moi, finalement, et nous nous envoyons l’un à l’autre des fleurs.

Mais les fleurs viennent aussi d’ailleurs, de l’ouest ou de l’est, encore un peu plus loin à l’est, l’est méditerranéen, la terre promise, le pays où pourrait couler le lait et le miel sans la stupidité qui guerroie contre la stupidité. Le pays de ces millions de fleurs rouges qui poussent le long des routes et d’où nous vient le contrebassiste chantant.

J’attendais Avishaï Cohen au tournant. Une part de ce qu’on entend de lui dans le poste me plaisait et j’ai même déjà usé des galettes pour mieux l’écouter quand je veux. Autant l’avouer, au début je croyais que le pianiste de ces écoutes invisibles était le héros de l’histoire, et il me fallut quelques mois avant de comprendre que ce n’était pas toujours le même pianiste mais toujours le même contrebassiste, et qu’il était le cœur de cette musique nouvelle qui me charmait. Ils ne sont pas nombreux dans le siècle, en grande jaserie, les contrebassistes compositeurs et organisateurs dont on reconnaît la musique immanquablement même sans qu’il ait encore joué. Je ne vois guère que Charles Mingus. Dit-on de Mingus qu’il vaut par la qualité de son pianiste pourtant habile, de son tromboniste, de ses saxophonistes ? Malgré le talent de Byard, de Knepper, de Dolphy, et de tous ceux qui sont passés sous sa férule, sous son archet, c’est toujours la musique de Mingus que j’ai goûtée. J’attendais Cohen au tournant et il a su me conquérir. Certes son pianiste ce soir là était remarquable, et on donnera l’oscar à tous les autres, chanteuse, Oud, percussion, mais on comprit vite que c’est le contrebassiste qui tient l’édifice d’une main ferme ; sans lui pas d’hologramme. Fleur d’Israël enracinée à New York, à moins que ce soit le contraire.

dimanche 26 septembre 2010

HISTOIRE DE JIM - Huitième mouvement : les David et la mort.

Huitième mouvement : Les David et la mort.

Fâcheries et chipotages finissent toujours par tomber du bateau. Il faut bien de la gangue à gratter pour dénicher la pépite, du coquillage à forcer pour extraire la perle, et où pousseraient les fleurs sans fumier, où flotterait le nectar sans lie ? Les doutes passent, le plaisir est intact. Les hologrammes sonores semblent s’évanouir pour mieux se déployer au premier chant du coq. La jaserie est phénix qui renaît de ses cendres après avoir elle-même provoqué l’incendie.

Les deux David. Il ne fallait pas moins de deux David pour détruire le Goliath de mon inquiétude. Il fallait ces deux saxophonistes déchiquetés pour couvrir le bruit des saxophonistes déchiquetants. Contre l’hirsute de Madrid et l’imprécis de chez les jumeaux, Jim le magicien a sorti de sa manche, encore elle, ses deux David de derrière les fagots, virtuoses flamboyants, archanges florentins. Je les connaissais déjà, je ne les savais pas à ce point atouts-maîtres, je ne savais pas qu’ils sauraient empêcher mon Titanic de sombrer. Plût au ciel qu’ils fussent dans l’orchestre de ce paquebot le soir de l’iceberg, l’histoire aurait changé de nez.

Ma grande réconciliation avec la libre jaserie a été leur œuvre, aussi différents qu’ils étaient par leur chant et par leur place, David El Malek qui a mis dans sa poche un orchestre entier, qui l’a hypnotisé, et David Sanchez, l’homme du Barron de la mort.

El Malek fut un des artisans essentiels de la réussite du concert de Trottignon. Malgré le contexte contraignant, malgré la baguette du chef, à cause d’elle, grâce à elle, grâce à l’écriture obligatoire dans laquelle il devait se fondre, ses folles envolées de volutes, ses cascades endiamantées d’écume, venaient rappeler que la libre jaserie n’est pas un déchaînement gratuit mais une construction joyeuse, une exploration, un chemin dans la jungle, tracé non point d’arbre en arbre au gré de l’instant mais d’étoile en étoile à la recherche du Graal, l’oreille tendue vers la conférence des oiseaux, le nez aux aguets, tous sens en alerte. L’hologramme sonore en témoignait, bien en place quelque part entre l’écran central, la scène, et ma tête.

Sanchez, David le second dans l’ordre chronologique. J’avais échappé à la noyade par le premier, mais le second avait une rude tâche aussi, celle de me faire oublier le Barron. Sa jungle était celle du tourbillon de notes balancées dans la nature par le trio carnivore du pianiste et ses deux complices. En voici une, de gangue à gratter. J’ai longtemps entendu chanter les louanges de Kenny Barron, la grande tradition du piano commencée avec Art Tatum et Bud Powell. Les successeurs n’ont pas manqué, Hank Jones, Winton Kelly, et bien d’autres, ce n’est pas ici un catalogue, René Urtreger bien de chez nous, Oscar Peterson le canadien. Personne ne nommera Ahmad Jamal, un vieil ami de Jim, il ne fait pas partie de cette tradition là. Oublions tous ces noms, ce soir.

Ils ont dit que Barron était le meilleur d’entre eux, les gens qui causent dans les journaux et dans les postes. J’ai bien voulu les croire, bien que jamais la musique du Barron ne m’ait obligé à m’arrêter sur le bord de la route quand il sortait de l’autoradio. Je voulais l’entendre en vrai, et Jim m’avait promis que j’en aurais l’oreille nette. Il a tenu sa promesse, Jim. Je m’attendais à quelque illumination, à la découverte de mon ignorance, à la succession du Moine soi-même tant qu’à faire, et j’avais attaché ma ceinture pour éviter le mal de mer. Pour une déception, le mot est mal choisi, ce fut plutôt un coup de Barron, sans que ce soit un effet de la fatigue. Il n’y a pas de successeur au Moine, pas ici du moins, et je peux continuer à m’occuper de ses fiches sans craindre une concurrence. L’Oiseau peut chanter dans le ciel, le Barron perché ne l’atteindra pas. Son déluge de notes avait un goût de peur, comme s’il fallait conjurer le silence, comme s’il fallait construire un barrage contre le Pacifique, comme s’il fallait asphyxier toute vie alentours. Contrebassiste et percussionniste, en complices avertis, ajoutaient leurs sons aux sons, aucune ombre ne pouvait se poser sur ces broussailles épineuses, aucun colibri, pas même un fantôme. Il avait peur des fantômes, voilà le secret qui se faisait jour lentement en moi.

Le contrebassiste mérite mieux que ce rôle subalterne, pourtant. Quant au batteur, il eut le succès de tout batteur après un bon et long solo, cétotomatix, je ne lui refuse pas cette gâterie.
Qu’ont-ils fait de tes inventions, Bud, continuateurs ou fossoyeurs ? Pire. J’étais malheureux du massacre de la composition du Moine, prise d’un train d’enfer, sur un parcours si ahurissant que mon idée devenait précise, mon opinion arrêtée, le doute n’était plus permis : le Barron était terrifié. Les fantômes du passé lui tournaient autour en une danse macabre, et il tentait de les ensevelir sous leurs propres œuvres, sous un immense tas de notes.

Well you need’ nt chantait la chanson démantibulée, et si vite que roulât le train on entendait malgré tout le rire moqueur du Moine. En vain tu t’évertues et tu te tues si tu te tais, Barron, quarante minutes plus tôt Monsieur McCoy avait illuminé le monde et ressuscité les morts, et dans ton équipe un certain David ouvrait le chemin de la liberté dans l’épaisseur de tes épineux.

Voilà ce que fit David Sanchez. Il a sauvé le pianiste d’une apoplexie annoncée, il a rétabli l’oxygène. Sa musique ferme, droite, claire, coupante, a écarté la végétation et m’a permis d’entendre ce que je ne parvenais pas à écouter. Ce soir là, je n’étais pas venu pour Barron mais pour Monsieur McCoy, et c’est David Sanchez dont je voulais savoir ce qu’il devenait qui a été présent au rendez-vous.

Une fois pourtant, on ne m’accusera pas d’injustice absolue, Kenny Barron est rentré chez lui et a dompté sa peur. Ce qu’il aurait dû faire tout le concert, mais le pouvait-il, il a joué une composition de lui, bien à lui, bien travaillée, bien intime, il nous a ouvert sa porte. Composition élaborée pour un film qui n’est jamais sorti, à ce que j’ai cru comprendre. On sentait bien que, dans son atelier isolé, il n’y avait plus de fantômes ni de menaces. Il était sur ses terres, dans sa baronnie si je puis dire. J’ai eu plaisir à l’y accompagner, à suivre sa route au milieu des champs et des prairies, à faire le tour du propriétaire en sa compagnie, dans la forêt débroussaillée. Ce ne sont pas les décibels qui manquèrent, mais la peur n’était plus là, et parfois un silence pouvait se poser sur une branche, soulignant l’hologramme.

Puis tout s’est défait jusqu’à la reprise finale en solo où, seul, le gros pianiste m’a paru plus désemparé que jamais face à la gueule béante du néant, face à sa mort.

vendredi 24 septembre 2010

HISTOIRE DE JIM - Septième mouvement: des bas et des hauts.

Septième mouvement : des bas et des hauts.

Le ver rongeait le fruit. Mes amours des années préhistoriques avaient pris un goût de rance, une odeur de suspicion, une ombre d’un doute. Ne venaient-elles pas de malentendus, mal entendus aussi ? Ne procédaient-elles pas de ces certitudes assénées comme celles qu’on m’a servies dès le premier jour chez Jim ? Toute musique s’inscrit dans le monde où elle apparaît, les musiciens ne sont pas de purs esprits qui oublient leurs chagrins et leurs impôts à l’entrée de la scène. Toute musique est chargée de poids social, historique, économique, et bien malin qui échapperait à ces contingences. Prétendre écouter en ignorant d’où elle vient, c’est écouter d’une seule oreille, c’est entendre d’un demi-cerveau.

Mais prétendre aimer la musique pour ces raisons politiques et culturelles en oubliant le travail du musicien et la résonance qu’il éveille en soi n’ouvre que l’autre oreille, n’éveille que l’autre hémisphère. J’étais orphelin de la musique que j’aimais ; Paco n’avait pas réussi à me consoler sur ce point. Je n’étais plus sûr de rien, et la libre jaserie toute entière s’effilochait dans le brouillard. Justement, elle se présentait à moi sous sa forme francophone avec les jumeaux qu’on disait magnifiques, ma réconciliation avec moi-même s’annonçait triomphante. On allait voir ce qu’on allait voir et entendre l’inouï, éclaircir l’horizon.

J’ai vu. Entrevu, entre les nuques. J’ai entendu. Il y eut du bruit et de la gesticulation, de la jaserie de pacotille, du grand débraillé braillé. Le seul intérêt tenait à la gémellité, apercevoir ces deux clones si semblables dans leurs gestes malgré leurs instruments si différents avait quelque chose d’exotique, d’extraterrestre. Mais chez Jim on n’est pas sur Mars, et ce qui est rigolo cinq minutes lasse en trente et exaspère en nonante. L’horizon restait bouché : une grande peur a commencé à me gagner. C’était un moment très étrange, cette fin de concert où je ressentais la venue d’une catastrophe floue, à la fois un peu ridicule et très dévastatrice, une catastrophe qui pourrait bien être la découverte de mon propre mensonge à moi-même depuis tant d’années, depuis toujours. Et sans me le formuler vraiment, ces choses là se cachent au creux de nos peurs, je commençais à me demander jusqu’où pouvait déferler le raz-de-marée, impossible à décrire, à comprendre, à partager, à endiguer ? Voici que soudain j’entendais ce que j’aurais dû entendre autrefois, et j’entendais la musique qui m’avait construit et elle n’était que bouillie pour les chats.

La libre jaserie, les hologrammes, le rythme implicite, la tonalité cachée, l’énergie brute, l’esthétique du cri, tout cela n’était que chimère, je m’étais bercé de désorganisation sonore pour de mauvaises raisons. Mon rendez-vous avec Jim sonnait le glas d’une grande part de mes joies : je n’avais pas été préparé à ce naufrage.

Il suffisait de voir le regard de ‘Aliénor à ce moment là pour comprendre qu’il ne restait plus qu’à retrouver la voiture au fond des terrains vagues où nous l’avions abandonnée, entre une tente quetchua et un WV télescopique, et rentrer chez nos hôtes anglais. Nous resterions quelques jours au bord de la piscine à boire des rafraîchissements, puis direction Billancourt, destruction de mille galettes.

J’ai découvert en Jim une qualité rare : lorsqu’on est avec lui, il faut laisser derrière soi tous les faux-semblants dont on se nourrit en temps normal, tous les simagrées toutes les poses ; costumes, discours, musiques, attitudes, sont percés à jour comme s’il déferlait sur la bastide un flot de rayons X. Je me voyais plus crûment que jamais et je voyais autour de moi dans le moindre détail tout ce qui se cache d’ordinaire sous un vernis trompeur. Mentir aux autres devenait dangereux, se mentir à soi-même impossible. Qui avait pu mettre en route cette machine infernale ? Là encore, on ne m’avait pas prévenu.

Il faut pouvoir survivre à un tel décapage, laisser tomber la fièvre, attendre cinquante minutes et une bière dans le verre à un euro, revenir s’assoir à sa place sans quitter le champ de bataille malgré l’envie. J’avais suggéré à ‘Aliénor d’aller sur la place où jouaient probablement des gens de qualité, en me laissant à cette expérience étrange où face à moi-même j’avais besoin d’être seul ; il ne s’annonçait rien de bon derrière les tambours et les trompettes de la renommée entonnées dans le programme, mais un étrange amalgame, un méli-mélo de quintette en jaserie et d’orchestre symphonique. Stoïque et attentive, ‘Aliénor ne m’a pas abandonné à mes tourments, nous sommes ici, nous irons jusqu’au bout de notre nuit.

Nous n’en avions pas fini avec les métissages : voici venir la jaserie franchouillarde aggravée de prétention orchestrale. Nous devions affronter cette vieille lune où la musique écrite allait se mélanger à la musique orale, où la baguette du chef devait laisser libre cours aux improvisations des garnements. J’avais déjà écouté le pianiste à Billancourt, il y a plusieurs années, il n’avait pas encore de nom et ne savait pas trop où il habitait. Il m’avait laissé un goût de dubitatif, mais avec comme une impatience, une curiosité insatisfaite.

Nous allions assister au combat du chef à la baguette contre le pianiste errant. Peyrebelle et Trottignon, Peyrebelle contre Trottignon, l’un malgré l’autre, quelle sauce devait tourner ce soir, du catch, du judo, ou de la danse de salon ? L’histoire nous enseigne que ces rencontres, souvent inventées pour tenter de donner de la respectabilité au monde de l’oral, comme s’il avait besoin de respectabilité et de classicisme, ont rarement donné de bons résultats. Autant dire que je n’étais pas prêt à leur donner mes bons dieux sans confession, bien délabré que j’étais dans mon humeur massacrante.

Une heure trente de concerto. Voilà ce qui se passa. Une heure trente. Et ce qui me vient sous le clavier n’est pas ce que j’avais dit que ce serait. Alors comme je déteste me contredire à deux lignes d’intervalle, je pourrais un peu chipoter maintenant. Trouver à redire. Faire la fine bouche. Jouer le blasé, le perfectionniste, le savant kicétou. Il y eut de petits défauts, personne n’est parfait, l’exercice était très périlleux et tout concourrait à son échec, y compris mon état d’esprit, surtout lui. Ce fut grandiose. Jim était sain et sauf, mes doutes envolés.

Chipotons, pour l’honneur. Quelques articulations entre le quintette et l’orchestre furent maladroites, quelques approximations orchestrales seront à retirer, quelques longueurs. Je peux faire le malin musical, je sais que nous avons assisté ce soir là à un événement musical de première grandeur, au décollage d’une fusée inter galactique qui emportait avec elle tous les extraterrestres dans l’oubli. En se présentant à la fin du concerto, le pianiste avait un tremblement dans la voix, et ce tremblement était de l’humilité devant sa propre audace, de la fierté d’être arrivé au bout, et tout au fond la certitude qu’il avait accompli une réussite qui l’obligeait désormais à réussir plus encore. Pour une première mondiale, tu n’osais presque pas dire le mot, c’était une première mondiale ; Baptiste, tu as mis tes pas dans les pas des plus grands, à toi de trouver la bonne enjambée.

Mon septième mouvement devrait s’arrêter là, sur la marche triomphale. Mais tous les compositeurs le savent, on peut aussi finir ma non troppo. Ce sera la tâche de mon trio roublard, l’accordéoniste, le violoniste et le guitariste, Galliano, Lockwood, Lagrène. Rencontre au sommet, ou plutôt addition de sommités. Il arrive en jaserie que un plus un fassent cent, les exemples abondent de cette arithmétique. Au troisième concert de ce soir là, il n’y eut pas multiplication des pains. Ils furent trois à jouer, à se jouer de nous, à jouer entre eux, matois, rigolards, heureux, et
grâce à ce que nous avions entendu auparavant, nous fumes heureux de ce qu’ils jouèrent ; après tout nous étions bien venus pour eux, alors nous fumes heureux avec eux.

Néanmoins l’heure du festin était passée. Il n’y a pas deux miracles à l’heure, même chez Jim.

C’est mieux ainsi. Il nous fallait ce petit dessert joyeux, les trilles des drilles, pour apaiser les esprits et laisser renaître l’amour au fond de nous, au fond de moi. Jim m’avait secoué du cocotier, et il m’avait rappelé que si l’on succombe souvent à ses propres mensonges, on peut aussi découvrir derrière eux la part du vrai et de l’ivresse comme derrière l’ivraie la part de bon grain.

lundi 20 septembre 2010

HISTOIRE DE JIM - Sixième mouvement : les fâcheries. 2

Sixième mouvement: les fâcheries (suite).

2 - Assis sur nos sièges, nous étions cernés par les nuques. A moins de se contorsionner pour viser entre deux épaules en jouant du quinconce, il fallait se contenter de la foi qui sauve pour imaginer que des musiciens jouaient là-bas, très loin, sur une estrade trop basse entre deux écrans mal posés. Il aurait suffi de remonter l’estrade d’un mètre. Parfois j’apercevais la tête d’un joueur. Un petit mètre d’échafaudage, Monsieur Jim, juste un petit mètre, et nous aurions vu. La grande armoire normande s’est gaussée ; mais je pouvais toujours me hausser pour voir, la géométrie est implacable. Certes, les écrans étaient utiles, surtout celui de notre côté, à droite. Mais je n’étais pas venu chez Jim pour regarder la télé, et si adroits que fussent les caméramans et le réalisateur, voir de mes yeux m’eût été plus utile pour entendre de mes oreilles.

J’ai pu voir le dos de John Zorn, encore un impoli, parce que tout le monde partait. Comme en mer, de temps à autre l’horizon s’est dégagé, révélant le paysage. La chance a voulu que j’en profite souvent. J’ai pris ce que Jim m’a donné et ce qu’il m’a refusé, j’ai fait semblant de ne pas en vouloir. Dans les va-et-vient continuels des gens, impolitesse encore, va-et-vient de gens plus pressés d’être vus que de voir, il arrivait que nous vissions.

L’ironie de ‘Aliénor n’a pas manqué ; toi qui n’aimes pas la foule ni le bruit, qu’es-tu venu faire ici, et moi qui t’accompagne en n’y voyant rien, qu’y fais-je ? Que lui répondre ? Que je n’y vois rien non plus, que je suis malade de la foule agglutinée, que la toile du chapiteau m’étrangle, que j’ai le mal de mer dans l’océan des sièges, que de m’éloigner des bords pour m’approcher de la régie me tord l’estomac, que je lutte contre la panique en embuscade, et que seule la musique quand elle commence remplace ces spectres par mes fantômes.

Impolitesse enfin, avec les maigreurs de ma rangée. Leur taille ne nous a pas gênés, ce fut pire. Mais oui, elles étaient minces ; on voyait bien que la maigreur provenait de décennies d’efforts, et on pouvait compter les décennies dans leur maigreur. Travail de longue haleine et non point maladie, rides de frustration, vieillerie galopante et prématurée sans doute, et pourtant l’air content de qui se sait svelte et se croit belle. Deux caricatures à la mode vêtues de slim blanc.

Il y a une forme d’agression dans ces minceurs artificielles, non seulement à l’encontre du corps de la femme ainsi rendue mince, mais à l’encontre de toutes les femmes transformées en porte-manteau, entre les fourches tu passes ou tu casses, à l’encontre de tous les hommes. Vous vous êtes voulue laides et je ne vous aime pas. Je préfère le monde des petits gros même s’ils ne voient rien. Elles arboraient l’air initié de celles qui font toutes les charrues de France et de Navarre, alors pour bien montrer qu’elles captaient la musique, pour bien montrer qu’elles faisaient corps avec le musicien, elles tapaient du pied.

Jim m’a raconté que naguère, il n’y avait pas de plancher dans son hangar. Il m’a expliqué qu’il marchait sur ce qui restait d’herbe du terrain de rugby, qu’il mangeait la poussière ou pataugeait selon la météo, il y a encore trois ans. Il était content de son plancher, enfin la musique pouvait se déployer. Il avait probablement fallu revoir toute l’acoustique, mais le résultat justifiait l’effort accompli. Quelle idée de taper du pied sur un parquet ?

Intolérance ? Ma chaise tressaute à chaque fois, juste un peu, un choc minuscule, à peine perceptible. Mais le moyen de ne pas l’entendre, le moyen de se laisser porter autrement ? Si encore il était synchrone ! Je ne prétends pas être dans le tempo, être exactement là où il faut être, je ne suis pas bon élève et j’entends ce que je veux, ce que je peux, je suis là où je suis et où je suis bien avec le musicien qui joue. Alors je déteste qu’on frappe à ma porte à ce moment là, à contretemps, à contre-pied, à contre-courant. Un point c’est tout. Elles n’ont qu’à taper dans leur for intérieur et me laisser à mes rengaines et à mes hologrammes. Je ne les bouscule pas, pourquoi le font-elles ? Ils sont assez difficiles à maintenir en équilibre, les hologrammes, un minuscule tapotis suffit à les faire effondrer. Alors, intolérance ou impolitesse ?

On devrait interdire les chaussures à semelles dures dans la maison de Jim.

samedi 18 septembre 2010

HISTOIRE DE JIM - Sixième mouvement : les fâcheries. 1

Sixième mouvement : les fâcheries.

1 - Tout a été dit. Il suffirait maintenant de dérouler les rencontres dans le bon ordre. Jim le sait mieux que moi, on ne construit pas sa maison en commençant par un bout et en finissant pas l’autre, tout doit se mêler en se gênant le moins possible, on ne construit pas un monde en inventant un début et en fermant une fin. Quatorze échanges nous ont permis de faire connaissance, de nous déplaire et de nous plaire, de nous bouder et de nous réconcilier.

Jim n’a pas toujours bon caractère. J’ai déjà décrit une dame de ses fréquentations et elle n’est pas seule dans ce cas. Ils sont nombreux, ceux qui sont sûrs de leur originalité ostensible, étalant leur refus des conventions si partagé qu’il en devient convention à son tour. Par exemple, la politesse, cette vertu un peu délabrée qu’il convient de reléguer au rang de vernis suspect, à mi-chemin du paraître et de l’hypocrisie, comme me disait Jim.

Se planter debout devant celui qui a difficilement pu trouver un siège sur la place est un sport très en vogue. S’installer à une table où nous sommes déjà assis sans demander ni même saluer est une pratique très courue. Il est de bon ton de s’afficher révolutionnaire dans le salon de Jim, et peut-être que la révolution de ces messieurs-dames est ainsi faite. Ou alors, on s’installe sur la table voisine pendant le concert de l’après-midi, à huit de préférence, et on se met à parler haut et fort, alors que nous tendions l’oreille pour vaincre une acoustique imparfaite. Les jeunes musiciens que nous souhaitions découvrir peuvent s’époumoner, leurs traits de génie s’évanouiront dans les voiles blanches et rouges. On n’entend plus la musique : j’aurais aimé être Prévert pour avoir un grand couteau de dessous la table.

Il ne s’agit pas de cas isolés, il ne s’agit pas de jeunes. Ils étaient plutôt attentifs, les jeunes de Jim, je l’ai remarqué, et ils étaient loin d’être majoritaires ; ici, au doigt mouillé, on donne dans le quinquagénaire moyen. Il faudra que Jim m’explique le pourquoi de ces gens qui ne lui font pas honneur. En ferais-je partie moi aussi ? Pourtant, il le semble que je rejette cette forme de contestation bas de gamme qui consiste à mépriser la bienséance la plus élémentaire, qu’elle soit voulue ou inconsciente. On est en vacances, on ne va pas se prendre la tête avec des règles surannées, voilà ce qu’ils disent, voilà ce qu’on m’a dit. Mais quand on est cinquante mille, le moyen de se supporter s’il n’y a pas un minimum de respect, pardon pour le gros mot, ne serait-ce que pour les artistes qui sont venus juste pour nous ?

Petit bourgeois. Oui madame. Oui, tiens, voilà, je le confirme tant qu’à faire : je suis un petit bourgeois et je fais la noce quand je veux.

Il aurait fallu nous prévenir. Nous ne sommes pas des habitués des lieux, c’est notre première fois. Je n’ai pas fait les vieilles charrues, comme elle a dit, ni Vienne ni Aix ni Nice, ninisse. J’ai bien roulé ma bosse quand elle avait vingt ans en Avignon chez Vilar et à Juan-les-Pins où JC, sorti de la petite case où on l’avait enfermé et lancé dans un Love Supreme devenu culte se préparait à sa proche ascension.

Il aurait fallu nous prévenir. Tout a bien changé depuis mes temps préhistoriques. Le gigantisme a planté ses chapiteaux ; les économistes patentés appellent cela la croissance, bonheur ou cataclysme ? J’ai compté : sur une rangée, il y a entre quatre-vingt et quatre-vingt-dix sièges, et de la rangée A à la rangée BZ il y a trois fois vingt-six rangées. Mettons six mille places, je ne dois pas être tombé loin.

Il aurait fallu nous prévenir. J’avais cassé ma tirelire et vendu des actions à perte, et j’avais pris deux abonnements pour six concerts en première catégorie. Nous étions à côté de la régie centrale, un peu en avant de l’écran du milieu. Nous étions cernés par des larges d’épaules, des chevelures léonines, des sumos, des catcheuses. Une ou deux maigreurs, interminables.

J’y reviendrai, aux maigreurs de ma rangée.

Il aurait fallu nous prévenir que Jim n’aimait pas les petits gros.

mercredi 15 septembre 2010

HISTOIRE DE JIM - Cinquième mouvement : un mariage officiel.

Cinquième mouvement : un mariage officiel.

Ce fut une autre paire de manches, la bière bue. J’étais venue pour elle, la paire de manches, Paco de Lucia et ses chanteurs. Il avait intérêt à rattraper le coup. ‘Aliénor ne m’aurait pas pardonné de l’avoir entraînée dans cette galère, je le voyais bien à sa tête à l’entracte. Je reconnais que mes histoires d’hologramme lui étaient plutôt obscures et que je lui avais promis du flamenco, elle n’en avait pas entendu et se demandait jusqu’où irait mon mensonge. Comme au casino, j’en étais réduit à tout miser sur un seul numéro pour rester, où à rentrer se coucher, il est déjà très tard.

Le premier rendez-vous avec Jim prenait mauvaise tournure et je sentais mal la suite, je n’oubliais pas qu’ils étaient quatorze à la suite et nous étions épuisé au premier. Je ne pensais pas que Jim serait un camarade aussi fatigant à fréquenter et je ne l’avais peut-être pas décrit tout à fait comme il fallait. Une paire de manches ? La Mancha, ce territoire qu’on traverse en allant de Catalogne en Andalousie, où seul le souvenir de Don Quichotte laisse une trace glorieuse, terre ingrate, silencieuse hormis le vent d’Almodovar, villages confinés, vignobles immenses, ciel blanc. C’est en traversant la Mancha pour aller de Catalogne en Andalousie que j’ai commencé à aimer l’Espagne.

Rien à voir avec Paco de Lucia, en apparence. Il ne chevauche aucune Rossinante, et je l’imagine plutôt installé là-bas, au bout de la plaine, vers El Rocio ou quelque village secret du voisinage, dans les marais de la Doñana. Est-ce que je sais où il habite, le Paco ? Je sais seulement que j’étais venu ici chercher une musique et qu’il me l’a offerte, et plus encore que ce que j’attendais. Je ne suis pas andalou malgré le sang maure qui sans doute m’irrigue, et je suis en sentinelle sur les hauteurs de la Sierra Morena à surveiller la vallée du fleuve et ses oliveraies à perte de vue. Le chant et la danse qui en montaient m’ont noyé de bonheur, comme montent les brouillards qui, poussés par le vent africain certains matins de printemps noient les collines en libérant la plaine.

Un petit recoin de mon esprit chagrin et la dame de tout à l’heure revue à la sortie, la grande bringue normande tout aussi encanaillée que moi bien qu’elle ait comme elle dit fait les vieilles charrues, car il paraît que l’on fait les vieilles charrues comme on fait le Vietnam ou l’Everest, histoire de se montrer initiée pour de vrai, comme si les vieilles charrues étaient une entrée chez Jim, une antichambre, comme s’il fallait toujours faire là où l’on dit de faire, me posent la question de l’authentique. Je ne me l’étais pas posée tant que naviguait là-haut, entre les écrans géants, mon hologramme de chevalier à la triste figure. Si déplaisante fût-elle au premier abord, elle me revenait pile en pleine tête, la question, elle me réclamait mon attention, il me fallait faire face. Mais quelle question ? Quelle question !

Qui est Paco de Lucia, quelle est cette musique qu’il nous offre, pourquoi tant de joie à l’entendre, tant de générosité à donner ? Est que Paco jase ? Le vieux débat usé jusqu’à la corde (de guitare), auquel je croyais avoir fait un sort surgit de plus belle dans ma fatigue, et je dois me pencher sur cette vieille rengaine pour m’en débarrasser. La fuite est faux-semblant, tourner le dos illusoire. Elle saura faire le tour et se présenter dans deux minutes ou demain matin, au petit réveil comateux, ce serait pire.

Oui, il jase, Paco. Oui, madame. Il jase tout seul comme un grand, et Paco est un grand, il jase avec ses chanteurs à la voix de bois, il jase avec son danseur aux pieds d’acier. Il invente ce qu’il connaît et chaque note est nouvelle quand elle aurait été répétée mille fois, il trouve sous ses doigts les enchaînements enchantés des chemins parcourus, des terres qu’ils défrichent depuis leur naissance, lui et ses hommes, et que parfois ils redoutent ; ils s’aventurent, ils tâtonnent, ils se soutiennent ; le vieux fond africain est là qui leur donne cet imperceptible balancement sans lequel rien ne veut rien dire. Si tout cela n’est pas jaser, qu’est-ce alors, jaser ?

Peu m’importe qu’on peine à entendre le blues rural ou le chant des esclaves et peu m’importe qu’on ait des doutes sur la vérité de son flamenco. Comme un beau bâtard, un métis, on devine les parents derrière l’enfant grandi, l’un comme l’autre, on voit comment chacun enrichit chacun, et j’oublie ce que peut signifier les idées d’authenticité, de pureté, de vérité, qui deviennent autant d’insultes nauséabondes à ce qui devant nous s’épanouit comme musique d’aujourd’hui.

A l’instar des grands inventeurs de sons du siècle dernier, Paco de Lucia est l’exemple même du mariage des mondes. Paco, et ceux qui font cette musique avec lui, leur musique, leurs musiques : les chanteurs et le danseur sont les piliers, comme on dit en ovalie, sans lesquels le talonneur de guitare ne serait rien.

dimanche 12 septembre 2010

HISTOIRE DE JIM - Quatrième mouvement : Les hologrammes

Quatrième mouvement : Les hologrammes.

Je n’ai pas aimé le saxophoniste de l’orchestre de Raynal Colom, el madrileño. Quelqu’un croisé dans la fraîcheur de l’entracte, à qui j’en faisais la confidence, m’a toisé. Sa réponse était claire, je n’étais qu’un ignorant qui devrait faire ses classes pour apprendre à écouter la jaserie dans sa liberté ; qui veux s’encanailler n’a qu’à s’en prendre qu’à lui-même et si je voulais du sirop, la pharmacie n’est pas loin bien que fermée asteure. Je n’allais pas lui raconter ma vie, à cette brave dame normande haute comme une armoire, cinquantenaire vêtue de lin. J’ai cru vaguement reconnaître en elle celui que j’étais il y a quarante ans et dont je me souviens encore, déjà décrit. Mon fantôme caché dans une armoire cinquantenaire vêtue de lin.

Elle aggravait mon cas. Elle pourrait bien avoir raison, la vache. Normande, cela va de soie, et non de lin. Justement, je cherchais réponse à mes questions, et loin de trouver, voici qu’elle m’enfonçait davantage. Non madame, vous n’y êtes pas, voilà mille ans que les saxophonistes hurleurs ne me dérangent pas, ils ne m’ont jamais dérangés, il en est que j’apprécie tout particulièrement qui sont les plus grands saxophonistes de l’histoire de la musique, et je pourrais donner des noms. C’est étrange comme on éprouve le besoin de faire des confidences à tout un chacun, chez Jim.

Premier réflexe de défense que j’écartai aussitôt : je ne les donnerai pas, ces noms, il est hors de question de me justifier, de donner des preuves, de montrer mon passé. D’ailleurs répondre à la dame n’a aucune importance et je la laisse à ses hautaines hauteurs, je m’en vais boire ma bière dans le gobelet à un euro que je garderai avec les cinq autres que je garderai aussi.


Mais les questions demeurent.


Le madrilène hirsute ne peut se comparer à ces grands noms de mon panthéon. Il ne sait pas où il habite, ni ce qu’il compte faire, ni ce qu’il me conte, il ne me conte rien en vérité. Il piétine ce que Colom tente de construire, comme un rouleau de marée montante efface sur le sable les pas des amants désunis. Jolie formule, non ? Mais pourquoi puis-je en être si sûr ? La voilà, la question insidieuse qui me tourmente. Pourquoi ces grands hommes que j’écoute sans cesse sont-ils grands, et lui si pataud ? Quelle secrète alchimie fonctionne chez ceux-là et non chez lui ? Quel critères objectifs, les mots moches que le mot critère et le mot objectif, viennent conforter une ci-devant certitude ?


Bande de questionneurs analphabètes, bachibouzouks et tonnerre de Brest, cessez vos lazzis. Je bois ma bière et c’est tout, je ré-flé-chis.


La libre jaserie est un travail extrêmement difficile. Loin des caricatures et des complaisances, elle impose à celui qui s’y aventure d’écrasantes obligations. Humilité, disponibilité, écoute, souplesse, imagination. Comme toutes les libertés, elle recèle davantage de pièges que de chemins tracés, et l’intensité de l’instant ne se mesure pas à l’énergie du couac et au décibel de plus. J’ai découvert le phénomène très tôt : une fois franchi le seuil de l’arythmie apparente et de l’atonalité massive, il s’élève peu à peu dans l’espace, enfin, une sorte de bleu d’espace, qui est peut-être l’espace mais peut-être autre chose, une forme mouvante.


Concentre-toi bien, petit, ne la laisse pas échapper. Quand tu regardes à travers une paire de jumelles, tu dois forcer un peu ta vue pour que l’image de chaque œil vienne se superposer à sa voisine et te donne la vision voulue ; de même, quand tu te penches sur un stéréoscope, un effort s’impose qui soudain fait jaillir le relief. Voilà ce qui arrive avec une libre jaserie de qualité. Di qualita di qualita, disait Figaro-ci Figaro là. Il se forme au fond de ton cerveau ou au dessus de la scène, je ne saurais dire où exactement mais ce n’est pas grave de ne pas savoir, un hologramme sonore qui va te raconter l’histoire de ces musiciens fondus les uns dans les autres, l’histoire qu’ils sont en train d’inventer pour toi, l’histoire que tu as envie à ton tour d’ajouter à la leur en les écoutant. Surtout ne pas perdre le fil, tout serait à recommencer.


Le saxophoniste madrilène a tout gâché. Hirsute tant au physique qu’au musical, brouillon, intempestif, intrusif, il a fait rempart au cheminement millimétré de Colom, il a fait faire demi-tour aux caravelles alors que la terre était peut-être en vue. Le trompettiste, grand musicien je pense, a commis l’erreur de ne pas avoir vu ce qui lui arrivait, entendu devrais-je écrire. Sans doute avait-il besoin d’un effet de contraste, d’un mur de broussailles pour tailler sa route, sans doute avait-il peur du silence. Plutôt un mur à trouer que le silence ! Alors les rythmiques auraient suffi, la magie n’était pas loin et comme la terre promise, on l’a manqué de peu.


Le pianiste seul, par son calme, sa maîtrise, sa parcimonie, a sauvé la session. J’ai beaucoup aimé le pianiste de l’orchestre de Raynal Colom.


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jeudi 9 septembre 2010

HISTOIRE DE JIM - Troisième mouvement : du flamenco sans gêne

Troisième mouvement : du flamenco sans gêne.

La vérité est que j’aimais ces musiques de joie depuis longtemps sans me l’être reconnu. Je me souviens petit, enfin, déjà grand mais petit quand même, de la fascination pour l’accordéoniste du village lorsqu’il jouait un air de tango ou de musette ou de paso-doble. J’en avais des frissons partout ; j’étais féru de Bach, Beethoven, Brahms, mais je ne savais pas ce qu’était la jaserie. Les filles pouvaient tenter de me tenter, je ne voyais que les bretelles du piano, et seul le bon vieux Sigmund pourrait me montrer pourquoi à ce point j’avais renié ces premières amours. Je pris goût à ces histoires d’adultère musical. La musique brésilienne se frayait un chemin à travers mes osselets endurcis, le sitar de Shankar, et le bandonéon, l’Oud, les bongos, le charango, la kora, le nay, la kena et le steel-drum, et tant d’autres jusqu’à, comble du puriste pris la main dans le sac, l’accordéon musette et le cymbalum tzigane, et la guitare flamenco.

L’eau a coulé sous les ponts, et j’en ai dévoré, des moules-frites à la chope des puces. Nougaro m’a présenté Galliano ; les enfants de Django, les trottoirs de Buenos Aires, les hauteurs de Tanger et d’Oran, el Cante Jondo de Ronda, m’ont décrassé les esgourdes et ont mêlé leurs voix à mes raucités saxophonistes. J’ai échappé aux années septante et leurs semelles de plomb, j’ai découvert l’immensité du monde et le fourmillement de la jaserie, cette façon d’inventer la musique devant moi, pour moi, pour moi seul, par transmission orale, ou mieux, par transmission sonore, non pas comme une improvisation surgie de nulle part mais comme la reconstruction à chaque fois d’un travail de longue date. C’est cela, la jaserie, à la fois écrite et soudaine, à la fois nouvelle et répétée.

Elle a fécondé les vieilles musiques endormies et les nouveau-nés multicolores font danser leurs berceaux.

Je m’assoie et j’écoute Raynal Colom. Il faut encore attendre un peu, un quart d’heure de retard sinon rien, Jim prend ses aises mais j’avais été prévenu, j’ai du temps pour savoir ce que flamenco veut dire. Deux ou trois chefs-d’œuvre de jaserie sont nés de cet accouplement andalou, sont nés de ces retrouvailles après tant d’errance ; des parents venus d’Afrique, l’un qui a traversé l’Océan et s’est établi dans les grandes villes après avoir échappé aux champs de coton, l’autre qui a traversé le désert puis le détroit et s’est établi dans la grande plaine du Guadalquivir, jaserie mâle et flamenco femelle. Je connais trois de leurs plus beaux enfants, les trois plus beaux ; ils se nomment Sketches of Spain et Flamenco Sketches, nés sous la houlette d’un trompettiste vêtu de cuir, et Olé de JC et Monsieur McCoy. Tout s’entremêle. JC est présent dans Flamenco, et Monsieur McCoy sera chez Jim dans deux jours.

JC, Olé. Faudrait-il un dessin ?

Olé. Avec un accent si je veux. On ne pouvait faire mieux que la sorte de bleu des deux premiers nés, et il fallut du génie pour en réussir un troisième l’année d’après. On pouvait faire confiance à JC pour qui miracle est routine, mais rien n’aurait été si parfait sans le bon Monsieur McCoy. JC tout à ses élans commençait à tourner sur lui-même, quand Monsieur McCoy a posé les mains sur l’ivoire et a joué le fameux contre-thème qui relance la machine ; puisé directement dans la besace des chants républicains espagnols, il rappelle JC à sa vie terrestre, à la souffrance de la glèbe.

Monsieur McCoy nous réserve un autre tour de sa façon.

Olé est l’enfant de JC et du Flamenco, de Harlem et de l’Espagne, de la guerre de sécession et de la guerre civile, naître à New York et mourir à Madrid.

Jim et Colom s’impatientent. Mais il faut bien que je pose mes bouées, mes balises, mon passé et mon passif avant de sauter comme les autres six mille dans le grand bain de la fosse aux lions. Ensuite, il sera trop tard. Raynal Colom est catalan. Un catalan n’est pas un castillan, encore moins un andalou. J’avais un léger doute sur le métissage annoncé, que venait faire le flamenco à Ripoll ou à Manresa ? A quoi bon chipoter sur les étiquettes géographiques, l’homme avait déjà traversé l’Atlantique et découvert la grosse pomme, il s’était entouré de complices madrilènes, et si j’étais venu au mariage officiel de la jaserie et du flamenco chez Paco de Lucia, autant être de tous les voyages et embarquer sur la caravelle de Colom.

mardi 7 septembre 2010

HISTOIRE DE JIM - Deuxième mouvement : les bâtards.

Deuxième mouvement : les bâtards.

Quatorze rencontres, et il faudrait que je les énumérasse ? Deux plus trois plus deux plus trois plus deux plus deux égalent quatorze. Il ne faut jamais découper les souvenirs en tranches comme un simple saucisson. Les échos, les couleurs, les visages se répondent d’un moment à l’autre, du grand soir au petit matin, d’une scène à un chapiteau, d’une rue à la place. Je n’écris pas un catalogue, j’écris l’histoire de Jim, et comme toutes les histoires, elle ne se déroule pas dans l’ordre chronologique.

Il y a pourtant un début et une fin, même lorsque le temps n’existe pas. Mon catalogue commence donc par la Catalogne. Tout ensuite se mélangera mais la première rencontre concentrera toutes les questions qui ne cesseront ensuite de me poursuivre, de me hanter jusqu’à la fin. Tant qu’à prendre le taureau par les cornes, la Catalogne est bien choisie, la corrida y est désormais interdite à ce qu’il paraît. Je ne donnerai pas mon avis là-dessus, trop d’imbéciles se jettent de la vaisselle à la tête pour que j’ajoute mes lieux communs aux leurs. Nous sommes dans la Catalogne de Raynal Colom, le premier que je découvre, et découvrir Colom en premier n’est pas un mince exploit, me disait un ami américain.

Jim ne vient pas de Catalogne, lui. Je sais qu’il voyage beaucoup, et comme tout marin digne de ce nom, comme tous ces marins sans nom, qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs, de la Jeanne ou de Gibraltar, il laisse derrière lui son sillage et ses amours. Il ne sait d’où il vient et ne sait où il va, et il a croisé tant de parents possibles qu’il n’a pas vraiment de famille. Les mauvaises langues le disent bâtard, métis, mulâtre. Elles ont raison, les mauvaises langues, mais elles ne savent pas que c’est justement ce qui le rend si beau.

Elles peuvent jaser tant qu’elles voudront, les mauvaises langues, elles seront toujours en retard d’une jaserie, la jaserie de Jim. Et tout ce qui va tourner autour de lui, tout ce que je trouverai chez lui, toutes les rencontres, toutes les histoires qu’on va me raconter, chez Jim, seront des rencontres et des histoires de métissages, d’accouplements féconds, d’adultères prodigieux, et de sang impur qui ont longtemps abreuvé mes microsillons avant que le numérique ne les échantillonne.

Quatorze accouplements torrides nous attendent, la chaleur se conserve bien sous le chapiteau adiabatique, quatorze enfants bâtards vont naître dans nos oreilles. Elles furent battues et rebattues par la question du vrai et du faux, de l’authentique et du frelaté, du pur et du mélangé. Autant le reconnaître, j’ai longtemps été un pur de dur de la vraie jaserie, qui maudissait tout le reste. Un peu plus éveillé qu’à l’école de Montauban, j’avais lu Boris à temps, mais tout aussi imbécile au fond, je voyais la vraie jaserie juste au bout de mon étroite lorgnette, il fallait de la pauvreté, de la souffrance, de l’esclavage, de la négritude, un soupçon de substances illicites et beaucoup de révolte. Mon entendement ne valait pas cher. Les grosses ventes étaient mauvais signe, et passer dans la lucarne était une bonne raison de se méfier. Plutôt l’Oiseau que Satchmo, et encore fallait-il qu’il trompétât, son chant n’était rien que de l’alimentaire mon cher Watson ; et forcément je jubilais avec la libre jaserie qui faisait fuir les oreilles des bourgeois.

Il y a les années avant JC et les années après JC, tout le monde le sait. Je dédaignais les années de l’avant, j’étais un pur en ce que je ressemblais chaque jour un peu plus à ma caricature. Seuls Edward Kennedy le Duc, et Monsieur le Comte son concurrent, trouvaient grâce à mes oreilles pour de mystérieuses raisons, comme quoi peut-être tout n’était pas perdu. N’empêche, pour moi l’année zéro était donnée par JC et quelques uns de ses collègues, en ce temps là s’il y avait déjà des apôtres et des disciples, il y avait aussi des collègues.

J’étais parfaitement imperméable aux premiers métissages, même lorsqu’ils se faisaient chez mes ci-devant grands jaseurs. Je me souviens de cet éclatant trompettiste et des congas qu’il affectionnait au grand dam des zazous attardés, des plaintes venues du Gange poussées par les tambours en tonnerre, et du calypso de Saint-Thomas. J’assistais désolé à ces mélanges regrettables que j’attribuais à la nécessité de trouver son dîner le soir même, et je ne pardonnais pas aux cordes, ces cordes envahissantes, qui tentaient mais en vain de couvrir le chant de l’Oiseau.

L’exotisme de pacotille des rythmes brésiliens ne trouvait pas grâce à mes yeux ni la pâlichonne beauté d’Astrud, et comble de tristesse, il y avait même un bandonéon nommé Astor qui venait faire son petit tour. Mais que faisaient-ils tous, ces grands jaseurs avec ces femmes de mauvaise vie, que faisaient-ils de la pureté nègre ? Je savais mieux qu’eux ce qu’ils devaient faire, sans aucun doute. Je les écoutais pourtant, me croyant malin, je me disais qu’ils utilisaient un système pour mieux le pervertir, que ce qu’ils jouaient allait détruire ce qui les entourait.

A malin, malin et demi. A force d’écouter, de rechercher le piège, le truc, l’explication, à force de guetter le moment où ces facilités seraient balayées dans le grand soir de la révolution sonore qui n’allait pas tarder j’en suis sûr, lentement, insidieusement, inconsciemment, je devins amoureux de cet entourage mal famé, comme peu à peu un homme se laisse apprivoiser par une belle femme venue d’ailleurs qu’il croyait ignorante et facile.

lundi 6 septembre 2010

HISTOIRE DE JIM - Premier mouvement : le rendez-vous.

Premier mouvement : Le rendez-vous.

Rendez-vous était pris. Depuis belle lurette, le mois, le jour, l’heure même étaient connus. Nous ne pouvions plus reculer. Jim était pourtant très intimidant, et la seule idée de le rencontrer, maintenant que le temps était proche, ralentissait nos mouvements comme dans un courant contraire, comme dans un rêve dont on voudrait sortir. En vérité, ce n’était pas Jim qui nous intimidait puisque nous ne le connaissions pas, mais l’idée de Jim, l’image que nous nous étions inventée de lui, puisant ici et là des pièces de puzzle pour tenter de se le représenter, pour avoir l’air intime le moment venu. Fausse manœuvre ; nous avons construit nous-mêmes notre inquiétude.

Nous connaissions certains de ses collègues, de ses relations, de ses amis, et nous savions qu’il leur ressemblait, nous savions bien à qui nous aurions affaire, ses qualités et ses défauts, les ennuis et les cadeaux qu’il nous ferait, enfin, sans le savoir exactement, nous en avions une idée plutôt plaisante. Mais voilà, nous savions qu’il faudrait faire bonne figure, être à la hauteur de ses exigences, et nous savions aussi que nous étions à son égard tout aussi exigeants, ce qui n’excluait donc pas le risque de déception.

Notre rendez-vous avec Jim ressemblait en cela aux rendez-vous amoureux de première fois, et c’était bien la première fois, justement.

Tout a été chargé dans la belle auto, les brosses à dents, les cotonnades, les cartes mémoires. Nous sommes partis délobe, avec huit jours d’avance pour prendre le temps de l’approche, n’est-ce-pas ainsi que les sondes exploratrices tournent longtemps autour de leurs astres avant de s’y perdre. Il était important de ménager une sorte de transition entre les deux planètes, et sacrifier à quelques dieux. La famille, en sentinelle sur le pas de la porte, n’allait pas nous laisser filer sans rien dire. La table était mise, le temps éclairci, la fatigue pressante, nous nous sommes arrêtés dans les blanches terres en lisière de Double et nous avons festoyé.

Puis ce fut l’amie qui nous réclama en bordure du Bassin, ses huîtres et sa Dune. Elle avait besoin de compagnie pour deux ou trois soirs de solitude. La table était mise, le temps maussade, la fatigue endormie, nous avons terminé les quatre jours de fête par un bel artifice et nous avons festoyé.

Puis le passé passa, mon passé dans la grande ville de la demi-lune. Y retrouver ma rue de naissance et le numéro de la maison, dix-neuf, drôle de boutique cette échoppe où je suis né, drôle de numéro, mais les amis étaient là, eux aussi, à nous y attendre. La table était mise, le temps lumineux, la fatigue noyée dans les bénitiers de Saint-André, à moins que ce ne fût Saint-Michel va savoir, et nous avons festoyé.

Il nous restait quelques heures pour être à l’heure au rendez-vous, il ne fallait pas se faire avoir par la tortue en gambadant juste un pas de trop. Nous avons traversé la Grande Forêt en laissant le soleil à droite, puis nous avons remonté le cours de la rivière bondissante et nous sommes entrés dans le vif du sujet.

Jim nous avait prévenus. Nous sommes quatorze à la suite, avait-il dit, armés jusqu’au bout des cordes, des cornes, des corps, des cœurs et des chœurs. Marteaux, coulisses, chevalets, pédales, touches, crins, clés et peaux frémissent et se tendent à nous attendre. Nous le savions, nous étions partis joyeux pour cette course lointaine, désormais plus de retour possible : l’horizon n’est pas morne.

Parfois dans l’aventure il sera question de musique. Je sais qu’il est impossible de décrire de la musique par des mots et je n’aurai pas cette impudence. Le musicien me raconte une histoire quand je l’écoute, ou plutôt, comment dire, j’entends une histoire dans sa musique qu’il joue pour moi, et seulement pour moi. Il peut se trouver cent mille personnes ou deux autour de nous, le musicien et moi, qu’il ne jouerait que pour moi, car je suis le seul à entendre ce que j’entends, tout comme les cent mille autres personnes sont chacune la seule à entendre ce qu’elle entend. C’est l’histoire que j’entends que j’écrirai en voulant trouver les mots sur la musique, et ce sont ces mots qui diront le mieux ce que j’ai entendu. Il n’y aura aucun discours sur le médiator, sur la sourdine, sur le trémolo et sur l’anche récalcitrante. Il n’y aura aucune thèse sur les harmonies et les passages d’accords, sur les bémols malvenus et les dièses de comptoir.

Je ne fais pas dans le traité de musicologie, je ne fais pas dans la guitare classique, je fais dans la guitare sommaire, et je voyage, je rêve, je contemple, et je me berce. Je me souviens des anciennes rencontres, je mélange les réminiscences in tempo, je crépuscule avec Nellie et je regarde lentement se faner mes deux gardénias.

Le voyage sera long. Il ne se résume pas en deux temps trois mouvements. Comme une symphonie façon Bruckner, il y en aura dix, douze ou quinze, des mouvements, au bas mot. Et chacun prendra son temps, le tempo comme ils disent, il faut respecter la cadence et ne pas aller plus vite que la musique. Alors je m’installe confortablement dans ma cave, j’allume un bon cigare, et je commence.