dimanche 28 février 2010

IMMIGRATION #2 : La lave.

Tous les vulcanologues te le diront, et ils seront confirmés par les spécialistes des discussions entre amis. Les vulcanologues devraient, dans leurs savantes et périlleuses études, s’inspirer des tables bourgeoises au moment du fromage pour établir leurs modèles. Personne ne sait jamais à quel moment le tréfonds s’éveille et s’ouvre. Moi-même, fin sismologue du dessert, j’ai laissé échapper les avant-coureurs ; je devais être en train de programmer le four pour le dernier petit coup de chaud, tu ne fais jamais rien tu pourrais au moins t’occuper de réchauffer les moelleux, avait dit ‘Aliénor.

Attention, n’attendez pas la geste pâtissière, l’acrobatie sucrée, le survol exquis. Non, juste régler la température, attendre la sonnette, placer les surgelés, relancer dix minutes, ressortir et démouler après léger refroidissement. Puis crème anglaise en flacon de supérette, et hop. Pas de quoi convoquer Bocuse. Quand je m’étais absenté vers la cuisine, on parlait industrie, développement, taxe carbone, grandes écoles, Carla. Il faut toujours une pincée de Carla dans les tablées.

A mon retour, on parlait population française et là, mon sismographe a frémit. Rien de très alarmant, mais ces petites oscillations qu’ils savent voir, mes savants, quand tout semble calme, quand rien de fâcheux ne sort, quand la caldera est encore endormie. Mais tu n’es pas venu ici pour t’occuper de la Fournaise et je te passerai le détail du réveil de la bête ; j’en viendrai au discours tel qu’il s’est répandu devant moi, comme la coulée de lave une fois enclenché le processus. A l’abri depuis mon observatoire à chocolat, j’ai pu tout voir passer, et comme rien n’arrête ce flux autant garder ses distances et attendre.

Comme tout bon vulcanologue en situation, j’avais mis en place toutes les balises indispensables sur mon piton protecteur : j’avais dit que j’étais de gauche, oui toi qui ne me crois pas tu te tais s’il te plaît et tu gardes ton caviar pour tes amis en mal de pensée facile, que j’étais plutôt sympathisant socialiste quoique très désolé et c’est peu de le dire, que j’étais représentant du syndicat de Monsieur Thibault au sein de la Fondation bien que sa centrale ait soutenu un certain non de mauvais aloi et s'il n’y était pour rien cela me valut quatre ans plus tard de la quitter sans regret, mais j’avais d’autres chats à fouetter il faut le dire aussi.

Entre nous soit dit, l’imprécateur de service d’où sortait la lave était furieusement noniste ce qui redoublait notre désaccord et ce qui en dit long sur le nonisme mais c’est une autre affaire. Son non à lui avait au moins le mérite de la cohérence.

Repères et garde-fous étaient ainsi en place. Place au discours adverse.

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vendredi 26 février 2010

IMMIGRATION #1 : Il faut s’y mettre.

Il est bien entendu que la participation à un débat odieux ne me tente pas du tout. Cependant, les laves nauséabondes complaisamment libérées par nos gouvernants se répandent et relâchent une parole longtemps tue. Le silence masque parfois le cheminement des poisons et le bruit le révèle, alors faisons mentir le sage et proclamons d’or la parole et le silence de plomb. On voit surgir des peurs qu’on croyait mortes ; on voit naître de bien étranges monstres, ulcères, furoncles, bubons, et la peste va bientôt envahir le monde qu’on imaginait vaincue.

La peste. Le résistible déchaînement de haine, nourri d’approximations, de généralisations, d’amalgames et de bons mots, sous le tisonnier de maître-feu du pouvoir en place. Ne sait-il pas, le ministre et le préfet, le sous-secrétaire et le porte-parole, que l’habileté apparente est ruse de diable, et que si le déferlement nous emportera dans la tempête, il les emportera aussi dans la même tempête additionnée d’opprobre. Innocents, les bons mots ? Mais qui est dupe ?

L’autre soir à dîner, six amis ne s’étaient pas revus depuis longtemps et profitaient de la Saint-Marcel et du nouvel an proche pour faire quelques retrouvailles. Trois couples comme il en est des millions dans notre pays, sans souci grave d’argent, mais avec les inévitables soucis de santé que l’âge fait naître, petite douleur ici ou là, grave anomalie tenue en laisse là ou ici. Entre eux, une vieille amitié vite retrouvée, chacun se doutant peu ou prou de l’évolution des autres, et acceptant par avance les divergences sinon que serait l’amitié ?

D’écarts de jugement en énumération de bobos, graves ou bénins, des petits enfants tout neufs ou déjà débarbouillés, de gendres et de brus divers mariés à ceux que nous avions connus petits, la conversation a roulé jusqu’au fromage. Le fromage ; tout le monde le sait, le fromage est le moment où il faut refaire le monde, un repas sans fromage est un monde qui se défait, le sapeur Camembert l’avait dit avant moi. On n’a jamais rien fait de mieux entre amis, et la suite va montrer qu’il en fut de même ce soir là contrairement aux apparences de mes prémisses. Sinon, que serait l’amitié ?

samedi 20 février 2010

Maternitude #2/2. A Théâtriciole, sur le même sujet.

Je reviens dinde. Tu m'avais posé la question, voilà ma réponse, complètement dinde. Je tombe en plein débat, en pleine mère et sans bouée.

Un débat d'inter avec Badinter.

Je ne crois pas qu'elle ait approché la question sous l'angle que tu examines, l’angle individuel. Nous ne sommes pas dans la psychologie de la mère, avec ses doutes et ses peurs, ses révoltes et ses replis, sa culpabilité et sa fierté. Tu les décris très bien et tes textes sont éclairants, pour l'homme que je suis. Mais ce n'est pas le débat initial.

Julio, espagnol de bonne et grande volonté, a raison de revenir sur le terrain social. Je pense que la démarche de madame Badinter se place sur ce terrain là et seulement sur ce terrain là, à travers ce que j'en ai entendu, je n'ai pas lu le livre.

C'est de toute façon le terrain qui est important à mes yeux. La question du face à face mère enfant, du trio mère enfant père, et des relations d'entourage, surtout l'entourage affectif, est d'ordre individuel, privé, personnel, et ne débouche sur des questions philosophiques ou métaphysiques que par le truchement de la question sociale de la maternité.

Bourgeoises ou pauvres, les femmes (et les hommes aussi, hein) agissent ou s'interrogent en fonction du contexte qui est le leur, et les questions comme les réponses peuvent ne pas se ressembler parce que le contexte n'est pas toujours très ressemblant. Pour autant, les questions "bourgeoises" ne sont pas moins recevables que les questions "pauvres", et négliger les unes au profit des autres sous prétexte de penser à gauche serait une faute d'humanité.

Mais le philosophe, et le sociologue, et le médecin, et le politique, doivent absolument être clairs en eux-mêmes sur ce qu'ils comprennent du fonctionnement de la Société à ce sujet, et de ce qu'il souhaitent pour une Société meilleure. C'est ce qu'on leur demande un peu, non?

Ce qui ne nous empêche pas d'avoir nous-mêmes sur ces mêmes question un avis, qui sera d'autant plus universel qu'il oubliera notre propre vécu infantile, maternel, paternel, et pour toutes les générations que nous connaîtrons encore. Ou, plutôt que l'oublier, qu'il aura su en faire son miel avant de s'en affranchir.

PS à l'intention de Julio. A partir de quel revenu se pose-t-on des questions bourgeoises, et en dessous de quel seuil ces questions deviennent-elles des questions de pauvre?


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Maternitude #1/2.

Toute honte bue, je vole le titre à Chiboum. Elle a si bien écrit sur le sujet que je m’en voudrais de ne pas récupérer ici quelques poussières de ses étoiles. L’heure est grave, il s’agit de savoir s’il faut lyncher la dame, celle qui se penche sur la question féminine et les menaces sournoises qui rôdent.

Je me suis longuement interrogé sur le rôle du père, bien placé que je suis pour m’interroger. Mais je vous l’avoue, le rôle de la mère m’est resté un peu de côté, comme s’il ne donnait pas lieu à questions, à doutes, comme si l’évidence de la grossesse et de la naissance s’imposait par son animalité immédiate comme axiomatique, automatique, imparable, irréparable. En cela, je tombe dans le panneau de tous ceux que la cause des femmes encombre, je parle ici de l’égalité avec les hommes, en droit comme en fait, en quotidien comme en vie entière. Je ne vais pas tenter de refaire mon retard, je suis mal placé, et si je peux être un accompagnateur je ne serai jamais un porte-drapeau : d’une façon ou d’une autre ma mâle condition me fera passer à côté des bonnes questions et des vérités intimes. Rien de plus logique pour l’homme que je suis, et mon chemin est d’ouvrir mes oreilles et ma comprenette.

D’ailleurs je l’ai déjà écrit il y a longtemps : en matière de maternité, l’homme n’a pas grand-chose à dire ni à revendiquer pendant neuf mois et quelques semaines, sinon d’être celui qui accompagne, et d’être celui qui, tôt ou tard, devra chasser le naturel, pour que l’enfant grandisse.

Alors j’aime bien, à ces moments là, qu’une voix de femme se lève et prenne elle aussi le parti de chasser le naturel. Nous voici à égalité de pensée. Ma bonne vieille humanité ouvre un œil et soupire d’aise. Elle se met à savourer les mots, les phrases, les raisonnements, et si parfois un peu de mauvaise foi vient chagriner le paysage, elle ne lui fait qu’y ajouter du relief, de l’abrupt, du rocailleux, qu’on ne s’endorme pas sur nos lauriers.

La seule chose qui mérite examen dans cette affaire, en ce qui me concerne et pour ce que j’ai à en dire, est que le libre choix s'impose à tous. Si j'ose un tel oxymore.

Les soins au nourrisson échoient le plus souvent à la mère, pour une foule de raisons qui sont aussi bonnes que mauvaises et dont je ne ferai pas le procès ici. Il en faudra, du temps, pour que ces raisons se diluent et que le père se trouve à son tour en première ligne, égal de la mère. Alors que fait-on en attendant?

D'abord, on s'efforce de repérer ce qui, dans ces raisons, sont des pièges destinés à enfermer la mère dans un rôle exclusif, en ce sens qu'il exclut toute autre activité que celle de nourrir, torcher, bercer, soigner, l'enfant. En bref, je le redis, l'enfermer. C'est le travail fait par Madame Badinter de dénoncer ce piège. Alors, naturellement, les discours naturalistes, qui sont aussi ceux par lesquels on a enfermé la femme depuis des générations, sont mis en cause.

Difficile de faire autrement, même si parfois le naturel a du bon.

Mais il m'énerve, le naturel, ne serait-ce que par sa fâcheuse tendance à revenir au galop. L'homme ne se porte jamais si bien que lorsqu'il chasse le naturel, c'est un de mes vieux serpents de mer, l'homme s'est fait contre le naturel, depuis Lucy, et s'y laisser prendre est se perdre.

Plutôt que de monter sur leurs grands chevaux, les effarouchées du sein et autres lavages feraient mieux, pour rester crédibles, de faire la différence entre une injonction moralisatrice planquée derrière un écologiquement correct, et un désir légitime de proximité physique, d'amour charnel, et autres pulsions maternelles tout aussi joyeuses, dont l'homme est à jamais privé ce qui n'est pas grave pour lui. J'ai bien dit légitimes, dès lors qu'elles ne sont pas suggérées, instillées, prescrites, imposées.

Je crains qu'on ne fasse pas cette différence, ce qui explique la tournure polémique des propos. La seule chose qui compte est bien que la mère ait le choix totalement libre, sans les morales à deux sous, les sourcils courroucés des bonnes sœurs et des sages-femmes, les fadaises des médecins (souvent) mâles, et la valse tournoyante de la bien pensance omniprésente.

Tu fais comme tu sens, ma vieille, et tu seras libre quand la société aura fait en sorte que ton choix sera reconnu et accepté sans férir: congés, aides, complément salarial, congé parental du père, prise en compte des carrières et des retraites, destruction du plafond de verre, et toutes ces choses qui, oubliées aujourd'hui, oubliées du débat suscité par le livre qui pourtant cherchait à le réveiller, donneraient le champ au choix. Battons nous pour ces réformes, pour cette société là, il y a du pain sur la planche, et cessons de bavarder sur le bien fondé du sein, de la lessiveuse, du lait en poudre et de la métempsychose (oui, porte-nawaq, et alors?)

Avis mâle. Ugh. Petit complément sans aucun rapport : préparer et donner le biberon à un enfant m’est une joie masculine incommensurable que les femmes ne peuvent même pas imaginer. Et quand je le fais, je veux que personne ne bouge.

Ecrit le 18 février 2010.