jeudi 22 décembre 2005

Europe. Introduction.

1. Intro.

C’est drôle. La Pologne s’est offert un président populiste, issu du glorieux syndicat Solidarnosc qui fit l’admiration des foules, et l’on sait aujourd’hui les remugles qu’il cachait, ce syndicat glorieux. Attribut principal du populiste de base, la détestation de l’Europe, celle que nous aurions pu construire. Voilà les polonais qui viennent au secours des pourfendeurs d’Europe sous prétexte d’invasion par les polonais.

L’emmêlement des pinceaux atteindrait ici son comble, n’était l’étrange ressemblance des arguments populistes à travers le continent, n’était cette nouvelle forme d’internationalisme qu’est la réciproque xénophobie. Je te hais, tu me hais, nous sommes bien d’accord haïssons nous les uns les autres. Ne venez pas prétendre que vous n’êtes pas xénophobe et allier le mensonge au rejet. Vous le savez très bien, bande de nons, que la xénophobie vous emboîte le pas et que votre vague est celle qui la porte le mieux.

Ne me prétendez pas pour faire diversion chantre béat de l’aimons nous les uns les autres, ni béat ni pas béat je ne crois plus depuis longtemps à cette sornette.

Je suis parti fouiller dans mes armoires poussiéreuses et j’y ai retrouvé des textes que j’avais cru devoir écrire à l’occasion de la préparation au référendoume. J’y ai apporté quelques retouches, il faut bien se mettre au goût du jour si tant est que le jour ait un goût, que le jour ait du goût. Je les renvoie, ils sont ma bloghumeur de maintenant comme ils étaient ma forumeur d’alors. A peu de choses près. Voici.

Enfin, je dirais plutôt voilà, parce que ce sera pour l’année prochaine, bande d’impatients, la suite.

jeudi 8 décembre 2005

Lettre à une jeune suicidée #5/5.


21/07/2004 à 14h29.

Pendant six heures, six jours, six mois, six ans, tu as vécu une folle passion. C’est ce que disent les gens, c’est ce qu’ils disent que tu leur disais ; une folle passion, cet écran de fumée qui cachait ton délabrement intérieur. Un midi ensoleillé, l’écran s’est dissipé et le délabrement est apparu. L’amour n’a rien à voir dans cette histoire ; il faudrait savoir pourquoi ce délabrement, d’où il vient. On n’avancera pas d’un centimètre, parce qu’on est proche d’un de ces mystères vertigineux dont la seule pensée donne le frisson, quand bien même on pourrait le percer. Ne crains rien, personne ne peut le percer, puisque tu ne l’as pu. Encore ce monstre secret, n’est-ce pas, le monstre sacré.

Je n’avais pas fini ma liste à rebours. Sur cette liste il reste tes parents. Tes parents, hébétés. Ils sont bien incapables de comprendre quoi que ce soit, maintenant. Ils sont là, deux vieux cons qui se tiennent la main au milieu du carrefour, et la circulation hurlante qui tournoie. Parfois ils croisent le regard d’un conducteur, plus tranchant qu’une guillotine. Tu les as laissés là, sur le rond-point, ils y sont pour le restant de leurs jours.

A l’instant même où d’une pichenette tu as fait basculer le tabouret, tes yeux ont eu ce petit pli que je connais bien : tu as pensé à eux et à ce qui leur resterait à vivre, à cet instant même. Je ne sais pas ce que tu as fait de cette pensée ; est-ce qu’elle t’a poussée, est-ce qu’elle t’a retenue mais trop tard ? Une seule chose est sûre, tu ne souffres plus maintenant, et ce qu’on peut en dire ou ne pas en dire t’indiffère totalement. Te plaindre n’a plus de sens, percer ton secret n’a plus de sens, comprendre n’a plus de sens ; tu es sortie du champ des tords et des raisons.

Il y a une urgence autrement plus violente. Peut-être bien que tes chefs vont trouver une secrète jouissance à ce qui est arrivé, comme une justification à leur existence insensée, peut-être, il faut bien dire du mal de quelqu’un, au risque pourtant de commettre une erreur judiciaire, que savons nous des secrets des petits chefs odieux ; mais les chefs ne m’intéressent pas. Ils sont là, tous les autres qui m’intéressent, ils m’entourent, et personne ne vient m’aider : que dois-je faire, et que vais-je bien pouvoir leur dire du poids à porter, du boulet à traîner, que tu leur as légués, à toutes ces ombres errantes, à tes amis, amants, maris, frères, sœurs ? Et que dire de ce que portent et traînent tes parents maintenant, pour le restant de leurs jours ? Alors que toi, c’est fini.

Je t’aime, ma belle inconnue, ma belle perdue. Je te berce doucement en te chantant cette chanson que tu aimais quand tu étais petite. Tu le sais bien, tu me connais, il n’est pas question que je te juge, et j’interdis à qui que ce soit de te juger. Il n’y a pas de place ici pour la double peine, faut-il qu’on soit sourd pour le répéter ! Mais je t’en veux, ma vieille, désolé, je t’en veux, tu ne peux savoir à quel point je t’en veux. Tu permets que je t’appelle ma vieille, toi qui ne le seras jamais.

Désolé de te le dire, moi, il y a bien longtemps, cette pensée là qui t’a traversée trop tard au moment de l’instant même, cette pensée là trop tard de ceux qui restent dans le carrefour, est celle-là même qui m’avait arrêté. A temps.

C’est fini.

mercredi 7 décembre 2005

Lettre à une jeune suicidée #4/5.

4. 20/07/2004 à 11h30.

Tes parents. Tes maris. Tes amants. Tes frères et tes sœurs. Tes amis. Tes patrons. Moi.

Moi. Je ne te connais pas. C’est réciproque. Je n’arrive pas à me faire au passé imparfait ; c’était réciproque. Mais qui te dit que je n’avais pas besoin de toi, moi aussi, de ton battement de cil qui m’aurait évité l’accident de voiture qui va peut-être me foudroyer demain ?

Tes patrons. Tu étais peut-être au chômage, reléguée de stages bidons en entretiens absurdes, 30 ans d’expérience requise pour 25 ans d’âge, pour décrocher ce foutu poste mal payé. Alors tu avais au moins du temps à partager. Mais il te fallait tout garder pour toi toute seule, pour ta copine solitude, y compris ta souffrance. Tu n’étais peut-être pas au chômage, avec un patron peut-être épouvantable, ils existent ces patrons là ; mais alors tu savais bien quels collègues se seraient démenés pour te protéger, et tu savais que parfois il existe ces choses nommées syndicats. Il est de bon ton de les dénigrer, les syndicats, ce collectivisme rampant, mais voilà, parfois ils servent. Là aussi, il t’aurait fallu partager.

Tes amis. Ils ne demandaient qu’à t’entraîner dans leur fête, l’autre vendredi, mais ils n’étaient pas digne de toi, n’est-ce pas, de ton orgueil démesuré.

Tes frères et sœurs. Il faut se les farcir, les frères et les sœurs, parfois. Mais peut-être que fille unique, tu ne connais même pas ces mots, frère et sœur. Alors tu avais six milliards de frères et de sœurs qui n’attendaient que toi. La formule est facile, pardonne moi, je ne recommencerai plus, à quoi bon. Tu as simplement détruit l’humanité entière, le sais-tu ? Tu le sais. L’humanité haïssable dont nous sommes, pourtant.

Tes maris, tes amants. Je ne vais pas entrer dans ton lit, un petit 90 tout glacé. Le chagrin d’amour, la solitude du corps, la peur du plaisir, de l’abandon. Alors les hommes se sauvent en courant, avant, pendant, après, match de foot ou cigarettes. Les hommes sont veules, inconstants, égoïstes, impatients, toutes les femmes te le diront. Toutes les femmes ne se suicident pas. Pire, il leur arrive de s’abandonner, et les hommes les trouvent belles à ce moment-là. Pire encore, parfois elles ne le regrettent pas. S’abandonner, quelle horreur, pour toi si digne devant ta glace, tu ne t’aimes pas, mais tu t’admires. Ou plutôt, tu admires l’image à laquelle obstinée tu t’accroches. Juste une image dans un miroir.

Ce n’est pas une affaire de sévérité ni de jugement, il n’y a pas de place ici pour la double peine. De quel droit te jugerait-on ? Je pense seulement, et très fort, aux survivants, voilà tout. La seule chose que j'aurais aimé t'avoir dite quand il en était temps, est que le monde extérieur n'est pour rien dans ce qui t'est arrivé, que ce fut l'aboutissement d'un long processus en toi, souterrain, silencieux, terrifiant, que nul n'est fautif dans l'histoire. Ni toi ni les autres. Mais le résultat est là : ce sont les autres qui payent comptant, et tout de suite, puis qui vont payer à crédit trois cent soixante-cinq jours par an des cent années qui viennent.

Je ne peux plus te le dire, alors je le dis aux autres ; je veux qu'ils sachent que si rien ne pourra les consoler, personne ne peut leur reprocher quoi que ce soit, et surtout pas eux-mêmes.

Il va falloir conclure.

A suivre

mardi 6 décembre 2005

Lettre à une jeune suicidée #3/5.


3. 19/07/2004 à 19h26.

Tous ces gens là t’aimaient. L’affaire est entendue, ils t’aimaient mal, ils t’aimaient à côté de la plaque, ils ne l’avaient même pas dit, pas su te le dire. Tu parles ! Tu savais parfaitement qu’ils t’aimaient, ne viens pas me raconter autre chose. Dis-moi plutôt que leur amour n’atténuait pas ta souffrance, dis-moi mieux encore, si tu permets cette nuance de taille, que leur amour n’empêchait pas que tu souffres, que tu souffrisses si tu préfères. Que serait ta souffrance s’ils ne t’avaient pas aimée, la question n’a aucun sens, ni hier puisqu’ils t’aimaient, ni aujourd’hui évidemment.

Et puis tu l’aimais bien, ta souffrance.

Tu vas te retourner vers les bonnes âmes qui affirment que personne ne t’aimait. Allons donc. Il y a au moins celui par qui nous savons ce qui est arrivé, et un seul suffit, lui seul suffirait. Un seul regard croisé, et je sais bien que tu as vu qu’il te voyait. Tu n’as aucun échappatoire : personne ne peut prétendre n’être aimé de personne.

Nous sommes ainsi, tous petits humains minables, incapables de vivre autrement qu’à plus d’un. Libres parce que seuls, disent certains, la belle escroquerie. Ce disant, ils t’ont plus sûrement aidée à attacher le nylon à la poutre ou au crochet qu’en venant te donner la main, comme on dit.

Parmi tous les liens que nous devons tisser entre nous pour survivre, il en est un nommé amour. Avec un tout petit a. L’interaction faible. Il en est d’autres. Il y a quelqu’un, au moins une personne, quelque part par ici, qui avait besoin de toi, et tu l’as trahi. Et je m’en tiens là au minimum syndical, il y avait probablement beaucoup de monde, et tu les as tous trahis.

Seulement voilà, tu l’aimais trop, ta souffrance.

jeudi 1 décembre 2005

Lettre à une jeune suicidée #2/5.

2. 19/07/2005 à 12h31.

Ils ont la plus ancienne clé, les parents, celle des limbes et du tréfonds. Ils t’ont donné naissance, bercée, portée, choyée, ils t’ont aimée, ils t’aiment ; il faut employer l’imparfait désormais, ils t’aimaient. Ils t’aimaient mal ; la clé des limbes et du tréfonds, comme tous les parents, ils ne savaient pas s’en servir. Trop présents tu étouffes, trop absents tu erres.

C’est toujours la faute des parents. Sus aux parents.

C’est la faute du mari, de l’amant, du copain, qu’importe le nom de l’homme qui traversait ta vie. Il aime mal, il n’aime pas, mais tu fais semblant de comme si. Il va il vient, éros compris, il pense à autre chose, il va et vient ailleurs, il oublie l’anniversaire ou il se trompe de cadeau ; il boit sa bière devant son foot, il va chercher des cigarettes et ne revient pas. Il avait peut-être aussi peur de ton silence buté, las de se faire rabrouer à chaque approche.

C’est la faute du mari. Sus au mari.

C’est la faute du chef. Il donne des ordres, le chef. Il demande qu’on arrive à l’heure, le chef. Il fait des plaisanteries graveleuses, le chef. Parfois il fait pire. Il faut bien un peu caricaturer le chef sinon je n’y arriverai pas. Certains chefs ressemblent à leur caricature ; d’autres peuvent être indulgents, qui savent faire tourner l’équipe sans mains aux fesses ni menaces. Il avait peut-être même remarqué que tu ne tournais pas rond ces derniers temps et avait réparti la charge ailleurs.
Peu importe, sus au chef.

Et sus aux amis, qui ont croisé ton regard triste derrière tes lunettes sans rien dire ; l’auraient-ils pu ? Ils connaissent d’avance ton haussement d’épaule s’ils te regardent plus de trois dixièmes de secondes : tu veux ma photo ?

Et sus aux frères et sœurs, qui sont les préférés de papa maman, qui font fortune en Amérique, qui font du cinéma, qui ont le prix Nobel de tout, et toi rien.