jeudi 24 août 2006

Chère Madame Ségolène Royal.

Je vous fais une lettre.



Chère Madame Ségolène Royal,



Depuis le temps que j'hésite à venir sur vos blogues, il faut bien que je me décide. Voilà, je me suis décidé. J'ai peu de temps là maintenant, mais, comme au bord de la mer, je vérifie que l'eau n'est pas trop froide avant d'aller me jeter dans le tourbillon. Cet imêle est juste un avant-poste, une modeste intervention d'un citoyen comme un autre, d'un soixante-millonième de la France. Pour faire court.

J'aime bien votre discours de Frangy. Il est d'ailleurs construit dans ce but; ce n'est pas un reproche, votre rôle est pour le moment de prononcer des discours qu'on aime bien, sinon, à quoi bon se décarcasser.

J'aime bien votre parcours depuis bientôt un an, depuis qu'on a commencé à parler de vous partout. Vos positions antérieures me convenaient parfois et parfois m'irritaient, comme il arrive avec des acteurs politiques majeurs dont on suit la carrière avec intérêt, et vous en étiez pour moi, parmi d'autres.

Vous n'avez pas commis d'erreurs depuis un an. On le dit souvent, on dit vrai. Votre savoir faire, je suppose, autant que celui de vos conseillers sinon davantage, il ne faut jamais trop faire confiance à ses conseillers mais quand même un peu, votre charisme, appelons le ainsi, le mot veut tout dire et son contraire, mais c'est le seul qui me vient. Mais attention au dérapage, au faux pas, ce sera la curée. Attention au vernis trop lisse, il finit par craqueler.

Je dois être franc avec vous si je veux continuer à venir commenter sur vos blogues et chez vos soutiens. Il y a un an, je ne donnais pas cher de vos ambitions, et j'attendais avec curiosité le moment où vous alliez chuter dans un grandiose saut de l'ange. Rien n'est arrivé, et vous êtes toujours là, à dire et écrire des choses que j'aime bien. Je vais finir pas me demander si je ne devrais pas vous choisir comme candidate favorite à l'élection présidentielle, disons les mots sans détour, il s'agit bien de cette question.

Pendant longtemps, et peut-être encore maintenant, vous allez vous fâcher je le devine, Monsieur Dominique Strauss-Kahn avait ma préférence, d'une part pour des raisons objectives - ses performances passées, son sens de la politique, sa présence rude et impassible, enfin ce qu'on en voit à travers les miroirs que les médias nous tendent à nous autres simples citoyens, et il en est de même pour vous d'ailleurs car ce sont ces miroirs qui nous bercent -, d'autre part pour d'obscures raisons probablement inavouables parmi lesquelles un relent de machisme n'est pas à exclure.

Il a eu beau se démener, il n'a pas réussi à émerger, le Doumé. Une sorte de boulet reste obstinément accroché à sa cheville, boulet médiatique avant tout, boulet injuste et insupportable, mais la plupart de vos concurrents au sein de la famille socialiste font mieux que lui. Je sais que les sondages ne sont que des sondages, et bien imprudent celui qui y croit, qui s'y croit, il n'empêche. Il est inaudible, sourd et muet, et si ses apparitions dans le journal, dans le poste ou dans les lucarnes me réjouissent, je vois bien qu'elles sont oubliées le lendemain même et que nul ne vient commenter dans le journal, dans le poste, dans les lucarnes. Comme s'il avait utilisé un violon à des fins non musicales. Je m'en désole, je m'en indigne, mais un soixante-millionième de la France jamais n'abolira le hasard.

Je voulais être franc. Je vous sais maintenant fâchée de m'avoir vu avec un nom concurrent. Avec un peu de chance, mon imêle déjà trop long aura été effacé par vos gardes du blogue. Mais je vous devais cette franchise pour continuer, je ne suis pas un politique je suis un citoyen.

Vous comprendrez ainsi pourquoi j'hésite encore. Je n'ai pas envie de vous soutenir pour la simple raison d'un soutien utile, parce que les sondages frénétiques vous font déjà présidente avant la peau de l'ours, ou pour le simple plaisir de voler au secours de la victoire. Celle-ci n'est jamais acquise, ni devant les militants (je ne suis pas un militant), ni devant les vrais ennemis. Et j'aimerai vous soutenir pour de solides raisons.

Le combat sera féroce et cruel. Victorieuse ou perdante, vous n'en sortirez pas indemne et votre entourage non plus, vous le savez mieux que moi. Je crains les débats en direct, je crains les coups fourrés, je crains la haine de la droite, qui ressemblera à celle qu'elle avait pour François Mitterrand, qui y ressemble déjà, la haine pour celle qui aurait dû être de ce camp-là, et qui a fait le pas de côté pour ne pas la suivre dans son bruit de bottes.

La droite n'a jamais haï Guy Mollet, Maurice Thorez ou Jean Jaurès, pour prendre des exemple anciens de tous bords, elle n'a jamais vraiment haï Lionel Jospin ni Michel Rocard pour lesquels j'ai la plus haute estime, mais je me trompe peut-être je ne suis pas historien, comme elle a haï Léon Blum, Pierre Mendès-France, ou François Mitterrand. Juifs pour certains, grands bourgeois pour d'autres, et parfois les deux, la droite pour ces personnages n'était plus que haine exacerbée, et j'ai peur que vous n'ouvriez une nouvelle catégorie en la matière, la catégorie femme aggravée de la catégorie fille de militaire. La droite a la haine sélective, elle vous a sélectionnée.

J'ai surtout peur que vous ne trébuchiez dans ce marécage là. Il vous appartiendra de dissiper cette peur, et vite, dès les premières escarmouches sérieuses, dès les premiers coups bas.

La formule n'est pas très heureuse, on ne trébuche pas dans un marécage, on s'y enlise, on s'y noie.

Voilà pourquoi je pense que les quelques mois qui viennent vont être difficiles, et pas seulement dans le combat politique, avec discours polémiques et échanges forcené d'arguments qui tuent qui font partie de la règle démocratique. Mais nous allons vite sortir du débat d'idées (à supposer d'ailleurs que nous y soyons entrés) et vous devrez vous confronter à des forces sournoises, à des sous-entendus détestables, et aux tentatives calomnieuses dont la droite est si friande, toutes choses qui avaient été épargnées par exemple à Monsieur Jospin du moins dans la limite des pratiques ordinaires.

Les bassesses machistes ont même commencées, mais ce sont certains de vos amis qui s'y brûlent pour l'instant. Vos amis? Pas les miens en tout cas.

Ma chère Madame Ségolène Royal, êtes-vous sûre de pouvoir affronter ces corbeaux là, qui volent bas sous l'orage?

Personnellement, je suis encore dans le doute, je vous l'ai dit. J'attendrai un peu que ma peur s'estompe. J'ai tant le désir de voir la gauche revenir, surtout avec ce qui nous attend sinon.

L'élection présidentielle, par nature, par essence, qu'on accepte ou non l'idée de ce type d'élection décidée depuis 1962, bien plus qu'un débat d'idées et de programmes, est un vote pour une personne, ou plutôt pour un personnage construit sur un long parcours passé et par un discours présent cohérent et lisible, lorsque du moins cette construction survit au déchaînement de la campagne, aux dernières semaines et avant, au premier tour, et avant encore au tour primaire. Les haillons qui restent après ces premiers combats révèlent la vraie nature de la combattante, bien plus que les beaux discours de la rentrée après les vacances.

Tiens. J'ai dit la combattante, j'ai oublié d'utiliser un neutre prudent.

Montrez-nous, à nous tous citoyens impatients, que vous êtes plus belle que l'image que vous avez su donner jusqu'aujourd'hui, beauté métaphorique, et plus forte, et plus rusée.

Non. Il ne faut pas montrer que vous êtes rusée. Ce serait montrer que vous ne l'êtes point.

Andrem.

vendredi 11 août 2006

Le destin de la calandre.‎


Je suis squatté par un moine de passage, qui s’est mis à causer dans le poste. Je ne sais pas comment il devrait écrire poste, c’est vous qui voyez. Mais comme il cause, je me tais.

1 –

« Je fais un aveu qui me coûte. Cherchant à la lettre Cé un mot dans un dictionnaire volé à mon cafetier d’en bas, dictionnaire tout éparpillé de reliure relâchée, l’envie soudain me prit d’aller jeter un œil sur le mot calandre. L’irruption dans des lieux où je ne l’imaginais pas irruptir m’avait étonné, réveillant le lointain souvenir d’anciens étonnements évanouis, lointain souvenir que quelque chose fut dont je ne me souviens pas. En un tournepage je résolus une vieille énigme, si ancienne que j’en avais oublié l’existence, l’énigme de la calandre ailée.

« Il s’agissait bien d’ailes, de miroirs, d’Europe du Sud et de rivages rocheux, un peu de chez moi en quelque sorte. Evidemment, j’en ai oublié le mot que je cherchais à Cé. Vous pensez bien que je ne vais pas m’en vanter dans mes discours officiels tenus d’un air martial sur un tabouret verglacé. Alors je squatte ici, incognito mais quand même un peu ».

2 –

« Je suis un père unique, comme on dit une fille unique. Personne ne peut m’appeler ainsi sauf elle, qui ne le fait pas. On ne doit pas me nommer père. La décision de me nommer n’appartient qu’à elle. Il faut m’appeler de mon nom. Un nom à touches noires et blanches, un nom à silences, un nom sphérique. C’est un ordre, et ceci est un conseil : on ne doit pas me faire confiance, il ne faut jamais faire confiance à personne et surtout pas à moi. Fallacieux, arbitraire, la mauvaise foi en totem et le calembour en bandouillère, j’exige je commande et je punis qui me trompe.

« Et même ceux qui ne me trompent pas pour faire bonne mesure. Celui qui aime ce que j’écris ne s’en prendra qu’à lui-même, mais malheur à ceux qui n’aiment pas ».

3 –

« La bonne conscience. Il faut écrire sur la bonne conscience. Il faudrait en dire tout le mal que j’en pense. Il faudrait répéter que ce n’est que fuite aveugle devant la vérité, paix mentale et mortelle, pente inexorable de la satisfaction momentanée au compromis inutile, à la renonciation à la vie. J’y cède aussi, à la bonne conscience, ne serait-ce qu’en en disant du mal loin de tout choix douloureux, et debout sur mon tabouret j’ai mauvaise conscience de me donner bonne conscience.

« Parfois, le tourbillon est trop fort pour pouvoir choisir d’y rester ou d’en sortir ; on y reste, piégé peut-être, mais le seul fait de vivre n’est-il pas en soi un piège, tourbillon ou calme plat ? »

4 –

« Séraphine a-t’elle choisi de naître à Carrefour-sur-Gambette ? Amusons-nous à calculer la probabilité qu’elle y naisse, justement, et que ce soit cette Séraphine là qui soit et pas une autre. La probabilité pour que ce soit ce spermatozoïde-ci, et pas celui juste à côté ni celui du lendemain, et que ce soit l’ovule de ce mois-ci et pas du mois d’avant, sans parler de la probabilité d’existence d’Augustin et de Bonemine les zeureux parents, sans parler de la probabilité qu’ils se soient rencontrés et aimés, et que ce jour là ils ont fait l’amour tout comme la veille et le lendemain et que seul ce jour là ce spermatozoïde ci a franchi la membrane de cet ovule-là, la probabilité de toutes ces survenance successives est si faible que j’aurais bien mis ma main à couper que Séraphine n’existera jamais.

« On devient manchot à écrire des phrases trop longues. Séraphine existe bel et bien, on m’a coupé la main. Vous aussi vous existez, moi aussi, malgré toutes les bonnes raisons qu’il y avait pour qu’on n’existât point. Nous existons donc, à parler, à écrire, à lire, à commenter, à aimer, à nous marier, et à ramer. Alors, quel est le piège, mon moine ? »

5 –

« On a longtemps ergoté sur le libre arbitre, sur la question du choix, depuis le choix impossible parce que prédéterminé, veux-tu être riche et bien portant ou pauvre et malade, jusqu’au choix impossible parce que indéterminé, tel l’âne qui meurt de faim devant deux chardons tellement identiques que rien ne permet de commencer par l’un plutôt que par l’autre.

On a si longtemps ergoté qu’on a oublié que la question du choix n’existe pas. Seule subsiste la question de la décision : décider que le tourbillon qui nous entraîne est à nous et qu’il faut s’y donner body and soul. A moins qu’on ne décide le contraire et qu’on lâche prise ; s’engloutir, silencieux, morne et passif. Dans les deux cas, on se noie ou on surnage, et bien malin qui saura le prédire. »

6 –

« Je ne sais pas s’il faut aimer ou non ses enfants, où est le devoir d’amour, peut-il seulement être un devoir sans devenir un oxymore, aimer ou non son mari, sa femme, ses parents ? Pourquoi pas la terre entière tant qu’on y est ? Il m’importe peu qu’on aime ou non. Il y a des pactes, dont certains sont absolus et d’autres révocables. On s’y tient, c’est déjà assez difficile ainsi. Et si un peu d’amour survient, le joli cadeau devra être soigneusement entretenu.

« Le pacte avec l’enfant est total, irrévocable, absolu. Tant pis si elle hait le père pour des raisons que nul ne sait pas même elle, tant pis si aucun spermatozoïde ne fut à l’origine de cette paternité là, tant pis si l’attente est lourde comme une cuirasse de plomb. La paternité se gagne à ce prix puisqu’il faut le payer, et l’enfant qui s’est ainsi construit en vit aujourd’hui ; ainsi s’allège un peu le poids ».

7 –

« Voilà. J’ai répandu mes métaphores, et en les répandant j’ai répondu. Il n’y a pardon qui tienne, jugement qui vaille, humeur qui brouillasse ; il y a vie qui va et calandre qui bat de l’aile. Le jour où la vie s’en va, la vie va ».

Appelez-le Moine. Il comprendra.