jeudi 22 décembre 2005

Europe. Introduction.

1. Intro.

C’est drôle. La Pologne s’est offert un président populiste, issu du glorieux syndicat Solidarnosc qui fit l’admiration des foules, et l’on sait aujourd’hui les remugles qu’il cachait, ce syndicat glorieux. Attribut principal du populiste de base, la détestation de l’Europe, celle que nous aurions pu construire. Voilà les polonais qui viennent au secours des pourfendeurs d’Europe sous prétexte d’invasion par les polonais.

L’emmêlement des pinceaux atteindrait ici son comble, n’était l’étrange ressemblance des arguments populistes à travers le continent, n’était cette nouvelle forme d’internationalisme qu’est la réciproque xénophobie. Je te hais, tu me hais, nous sommes bien d’accord haïssons nous les uns les autres. Ne venez pas prétendre que vous n’êtes pas xénophobe et allier le mensonge au rejet. Vous le savez très bien, bande de nons, que la xénophobie vous emboîte le pas et que votre vague est celle qui la porte le mieux.

Ne me prétendez pas pour faire diversion chantre béat de l’aimons nous les uns les autres, ni béat ni pas béat je ne crois plus depuis longtemps à cette sornette.

Je suis parti fouiller dans mes armoires poussiéreuses et j’y ai retrouvé des textes que j’avais cru devoir écrire à l’occasion de la préparation au référendoume. J’y ai apporté quelques retouches, il faut bien se mettre au goût du jour si tant est que le jour ait un goût, que le jour ait du goût. Je les renvoie, ils sont ma bloghumeur de maintenant comme ils étaient ma forumeur d’alors. A peu de choses près. Voici.

Enfin, je dirais plutôt voilà, parce que ce sera pour l’année prochaine, bande d’impatients, la suite.

jeudi 8 décembre 2005

Lettre à une jeune suicidée #5/5.


21/07/2004 à 14h29.

Pendant six heures, six jours, six mois, six ans, tu as vécu une folle passion. C’est ce que disent les gens, c’est ce qu’ils disent que tu leur disais ; une folle passion, cet écran de fumée qui cachait ton délabrement intérieur. Un midi ensoleillé, l’écran s’est dissipé et le délabrement est apparu. L’amour n’a rien à voir dans cette histoire ; il faudrait savoir pourquoi ce délabrement, d’où il vient. On n’avancera pas d’un centimètre, parce qu’on est proche d’un de ces mystères vertigineux dont la seule pensée donne le frisson, quand bien même on pourrait le percer. Ne crains rien, personne ne peut le percer, puisque tu ne l’as pu. Encore ce monstre secret, n’est-ce pas, le monstre sacré.

Je n’avais pas fini ma liste à rebours. Sur cette liste il reste tes parents. Tes parents, hébétés. Ils sont bien incapables de comprendre quoi que ce soit, maintenant. Ils sont là, deux vieux cons qui se tiennent la main au milieu du carrefour, et la circulation hurlante qui tournoie. Parfois ils croisent le regard d’un conducteur, plus tranchant qu’une guillotine. Tu les as laissés là, sur le rond-point, ils y sont pour le restant de leurs jours.

A l’instant même où d’une pichenette tu as fait basculer le tabouret, tes yeux ont eu ce petit pli que je connais bien : tu as pensé à eux et à ce qui leur resterait à vivre, à cet instant même. Je ne sais pas ce que tu as fait de cette pensée ; est-ce qu’elle t’a poussée, est-ce qu’elle t’a retenue mais trop tard ? Une seule chose est sûre, tu ne souffres plus maintenant, et ce qu’on peut en dire ou ne pas en dire t’indiffère totalement. Te plaindre n’a plus de sens, percer ton secret n’a plus de sens, comprendre n’a plus de sens ; tu es sortie du champ des tords et des raisons.

Il y a une urgence autrement plus violente. Peut-être bien que tes chefs vont trouver une secrète jouissance à ce qui est arrivé, comme une justification à leur existence insensée, peut-être, il faut bien dire du mal de quelqu’un, au risque pourtant de commettre une erreur judiciaire, que savons nous des secrets des petits chefs odieux ; mais les chefs ne m’intéressent pas. Ils sont là, tous les autres qui m’intéressent, ils m’entourent, et personne ne vient m’aider : que dois-je faire, et que vais-je bien pouvoir leur dire du poids à porter, du boulet à traîner, que tu leur as légués, à toutes ces ombres errantes, à tes amis, amants, maris, frères, sœurs ? Et que dire de ce que portent et traînent tes parents maintenant, pour le restant de leurs jours ? Alors que toi, c’est fini.

Je t’aime, ma belle inconnue, ma belle perdue. Je te berce doucement en te chantant cette chanson que tu aimais quand tu étais petite. Tu le sais bien, tu me connais, il n’est pas question que je te juge, et j’interdis à qui que ce soit de te juger. Il n’y a pas de place ici pour la double peine, faut-il qu’on soit sourd pour le répéter ! Mais je t’en veux, ma vieille, désolé, je t’en veux, tu ne peux savoir à quel point je t’en veux. Tu permets que je t’appelle ma vieille, toi qui ne le seras jamais.

Désolé de te le dire, moi, il y a bien longtemps, cette pensée là qui t’a traversée trop tard au moment de l’instant même, cette pensée là trop tard de ceux qui restent dans le carrefour, est celle-là même qui m’avait arrêté. A temps.

C’est fini.

mercredi 7 décembre 2005

Lettre à une jeune suicidée #4/5.

4. 20/07/2004 à 11h30.

Tes parents. Tes maris. Tes amants. Tes frères et tes sœurs. Tes amis. Tes patrons. Moi.

Moi. Je ne te connais pas. C’est réciproque. Je n’arrive pas à me faire au passé imparfait ; c’était réciproque. Mais qui te dit que je n’avais pas besoin de toi, moi aussi, de ton battement de cil qui m’aurait évité l’accident de voiture qui va peut-être me foudroyer demain ?

Tes patrons. Tu étais peut-être au chômage, reléguée de stages bidons en entretiens absurdes, 30 ans d’expérience requise pour 25 ans d’âge, pour décrocher ce foutu poste mal payé. Alors tu avais au moins du temps à partager. Mais il te fallait tout garder pour toi toute seule, pour ta copine solitude, y compris ta souffrance. Tu n’étais peut-être pas au chômage, avec un patron peut-être épouvantable, ils existent ces patrons là ; mais alors tu savais bien quels collègues se seraient démenés pour te protéger, et tu savais que parfois il existe ces choses nommées syndicats. Il est de bon ton de les dénigrer, les syndicats, ce collectivisme rampant, mais voilà, parfois ils servent. Là aussi, il t’aurait fallu partager.

Tes amis. Ils ne demandaient qu’à t’entraîner dans leur fête, l’autre vendredi, mais ils n’étaient pas digne de toi, n’est-ce pas, de ton orgueil démesuré.

Tes frères et sœurs. Il faut se les farcir, les frères et les sœurs, parfois. Mais peut-être que fille unique, tu ne connais même pas ces mots, frère et sœur. Alors tu avais six milliards de frères et de sœurs qui n’attendaient que toi. La formule est facile, pardonne moi, je ne recommencerai plus, à quoi bon. Tu as simplement détruit l’humanité entière, le sais-tu ? Tu le sais. L’humanité haïssable dont nous sommes, pourtant.

Tes maris, tes amants. Je ne vais pas entrer dans ton lit, un petit 90 tout glacé. Le chagrin d’amour, la solitude du corps, la peur du plaisir, de l’abandon. Alors les hommes se sauvent en courant, avant, pendant, après, match de foot ou cigarettes. Les hommes sont veules, inconstants, égoïstes, impatients, toutes les femmes te le diront. Toutes les femmes ne se suicident pas. Pire, il leur arrive de s’abandonner, et les hommes les trouvent belles à ce moment-là. Pire encore, parfois elles ne le regrettent pas. S’abandonner, quelle horreur, pour toi si digne devant ta glace, tu ne t’aimes pas, mais tu t’admires. Ou plutôt, tu admires l’image à laquelle obstinée tu t’accroches. Juste une image dans un miroir.

Ce n’est pas une affaire de sévérité ni de jugement, il n’y a pas de place ici pour la double peine. De quel droit te jugerait-on ? Je pense seulement, et très fort, aux survivants, voilà tout. La seule chose que j'aurais aimé t'avoir dite quand il en était temps, est que le monde extérieur n'est pour rien dans ce qui t'est arrivé, que ce fut l'aboutissement d'un long processus en toi, souterrain, silencieux, terrifiant, que nul n'est fautif dans l'histoire. Ni toi ni les autres. Mais le résultat est là : ce sont les autres qui payent comptant, et tout de suite, puis qui vont payer à crédit trois cent soixante-cinq jours par an des cent années qui viennent.

Je ne peux plus te le dire, alors je le dis aux autres ; je veux qu'ils sachent que si rien ne pourra les consoler, personne ne peut leur reprocher quoi que ce soit, et surtout pas eux-mêmes.

Il va falloir conclure.

A suivre

mardi 6 décembre 2005

Lettre à une jeune suicidée #3/5.


3. 19/07/2004 à 19h26.

Tous ces gens là t’aimaient. L’affaire est entendue, ils t’aimaient mal, ils t’aimaient à côté de la plaque, ils ne l’avaient même pas dit, pas su te le dire. Tu parles ! Tu savais parfaitement qu’ils t’aimaient, ne viens pas me raconter autre chose. Dis-moi plutôt que leur amour n’atténuait pas ta souffrance, dis-moi mieux encore, si tu permets cette nuance de taille, que leur amour n’empêchait pas que tu souffres, que tu souffrisses si tu préfères. Que serait ta souffrance s’ils ne t’avaient pas aimée, la question n’a aucun sens, ni hier puisqu’ils t’aimaient, ni aujourd’hui évidemment.

Et puis tu l’aimais bien, ta souffrance.

Tu vas te retourner vers les bonnes âmes qui affirment que personne ne t’aimait. Allons donc. Il y a au moins celui par qui nous savons ce qui est arrivé, et un seul suffit, lui seul suffirait. Un seul regard croisé, et je sais bien que tu as vu qu’il te voyait. Tu n’as aucun échappatoire : personne ne peut prétendre n’être aimé de personne.

Nous sommes ainsi, tous petits humains minables, incapables de vivre autrement qu’à plus d’un. Libres parce que seuls, disent certains, la belle escroquerie. Ce disant, ils t’ont plus sûrement aidée à attacher le nylon à la poutre ou au crochet qu’en venant te donner la main, comme on dit.

Parmi tous les liens que nous devons tisser entre nous pour survivre, il en est un nommé amour. Avec un tout petit a. L’interaction faible. Il en est d’autres. Il y a quelqu’un, au moins une personne, quelque part par ici, qui avait besoin de toi, et tu l’as trahi. Et je m’en tiens là au minimum syndical, il y avait probablement beaucoup de monde, et tu les as tous trahis.

Seulement voilà, tu l’aimais trop, ta souffrance.

jeudi 1 décembre 2005

Lettre à une jeune suicidée #2/5.

2. 19/07/2005 à 12h31.

Ils ont la plus ancienne clé, les parents, celle des limbes et du tréfonds. Ils t’ont donné naissance, bercée, portée, choyée, ils t’ont aimée, ils t’aiment ; il faut employer l’imparfait désormais, ils t’aimaient. Ils t’aimaient mal ; la clé des limbes et du tréfonds, comme tous les parents, ils ne savaient pas s’en servir. Trop présents tu étouffes, trop absents tu erres.

C’est toujours la faute des parents. Sus aux parents.

C’est la faute du mari, de l’amant, du copain, qu’importe le nom de l’homme qui traversait ta vie. Il aime mal, il n’aime pas, mais tu fais semblant de comme si. Il va il vient, éros compris, il pense à autre chose, il va et vient ailleurs, il oublie l’anniversaire ou il se trompe de cadeau ; il boit sa bière devant son foot, il va chercher des cigarettes et ne revient pas. Il avait peut-être aussi peur de ton silence buté, las de se faire rabrouer à chaque approche.

C’est la faute du mari. Sus au mari.

C’est la faute du chef. Il donne des ordres, le chef. Il demande qu’on arrive à l’heure, le chef. Il fait des plaisanteries graveleuses, le chef. Parfois il fait pire. Il faut bien un peu caricaturer le chef sinon je n’y arriverai pas. Certains chefs ressemblent à leur caricature ; d’autres peuvent être indulgents, qui savent faire tourner l’équipe sans mains aux fesses ni menaces. Il avait peut-être même remarqué que tu ne tournais pas rond ces derniers temps et avait réparti la charge ailleurs.
Peu importe, sus au chef.

Et sus aux amis, qui ont croisé ton regard triste derrière tes lunettes sans rien dire ; l’auraient-ils pu ? Ils connaissent d’avance ton haussement d’épaule s’ils te regardent plus de trois dixièmes de secondes : tu veux ma photo ?

Et sus aux frères et sœurs, qui sont les préférés de papa maman, qui font fortune en Amérique, qui font du cinéma, qui ont le prix Nobel de tout, et toi rien.

mardi 29 novembre 2005

Lettre à une jeune suicidée #1/5.


1. 19/07/2004 à 9h39.

Tu es montée sur le tabouret. Tu as glissé le nylon avec ce joli hochement de tête familier comme pour un de tes colliers. Dehors, le temps était couvert, un peu lourd, mais on n’annonçait pas de pluie. Tes yeux ont pris un petit pli amer, tu as donné une pichenette au tabouret, et ta vie est allée voir ailleurs si tu y étais.

Tu souffrais. Bien malin qui sait de quoi, mais le savais-tu vraiment ? Nous connaissons tous une litanie de causes, ce que les braves gens appellent des causes. Tu sais bien que ce ne sont qu’écrans de fumée, tu peux me la réciter par cœur, ta litanie d’écrans de fumée. Chagrin d’amour. Licenciement. Humiliations. Elles commencent toujours ainsi, les litanies. Elles ne sont pas pires que celles vécues par d’autres, et les autres pourtant ne se suicident pas. Pas tous.

C’est bien qu’il y a autre chose, plus caché, plus secret, plus monstrueux. Le chagrin, l’échec, la rudesse de la vie qui râpe, ne sont que les apparences ; on a tellement peur des monstres qu’on traîne tous, qu’on va en faire tout un plat, des apparences. Ce sera plus confortable. On va montrer du doigt le mari volage, l’amant désinvolte, le patron-canapé, les parents.

Tiens, les parents, justement. On va commencer par les parents.

lundi 28 novembre 2005

La boulangerie des grands boulevards.

La boulangerie des Grands Boulevards

Je vais la continuer, ma lettre. Mais par moment j’y étouffe et j’ai besoin d’air frais. Alors je joue avec Racontars, je la rejoins dans le bac à sable du diptyque. On y rigole bien. Tant pis pour le temps qui reste et pour les urgences, il y a des urgences qui deviennent des trop tard et qui de toutes façons l’auraient été, des urgences de carnaval. Quant au temps qui reste, il se perd mieux dans un bac à sable qu’à tirer plus vite que son ombre sur des moulins à vent. Alors, place au jeu.

J’étais assis à la terrasse d’une brasserie des Grands Boulevards. Il y a tant de choses à voir. Ainsi, ces deux messieurs très animés qui parlaient fort surtout le plus gros, à la table voisine. Ne croyez pas que je les écoutais, je ne me serais jamais permis, mais je les ai entendus, l’un devant son mandarin citron et l’autre devant un Perrier rondelle. Le stentor était imposant, grave et accentué. Le Perrier était fluet et basané. Pour la commodité, on appellera le basané Monsieur Brun, ou B comme Brun, droit comme un I, et le stentor Monsieur Jules, ou G comme Jules, l’air penché.

G – « Une boulangerie, quelle idée de nous fourguer une boulangerie ! Moi je n’ai rien à raconter sur une boulangerie.

B – « Ca ne mange pas de pain, une boulangerie, monsieur Jules. Vous devriez nous trouver quelque chose, vous et votre imaginaire, comme vous dites. Sinon, Akynou va ricaner.

G – « Mais qu’est-ce que tu veux que j’y mette, dans ta boulangerie ? Déjà qu’elle a un petit côté 1900 avec ses carreaux, je ne vais quand même pas y placer Anatole France ! C’aurait l’air de quoi, un barbichu à lorgnon dans la boulangerie ?

B – « Vous avez tord, Monsieur Jules. Anatole France que plus personne ne lit n’avait pas son pareil pour décrire son monde et, tous comptes faits, pour décrire le nôtre. On devrait relire Anatole France.

G – « J’en veux pas de ton Anatole. Je n’ai aucune idée, d’ailleurs je n’ai jamais eu d’imagination. Tout au plus je vais pouvoir te caser un boulanger dans ta boulangerie. Voilà. Je case. On dirait qu’il ferait du pain, qu’il serait dans le pétrin celle là elle est drôle,
** (il rit) **,
sa femme les vendrait aux gens de 4 heures du mat à 10 heures du soir. Voilà c’est tout.

B – « C’est mieux que rien.

G – « Quand on bosse de 4 heures du mat à 10 heures du soir on n’a pas le temps de vivre des monts et des merveilles, alors maintenant je sèche. Je sais pas, moi, si la femme se tire, il va faire quoi, le boulanger ?

B – « Des brioches ?

G – « C’est un coup à se faire couper le cou. Non non. Il va arrêter de travailler parce qu’on ne peut pas être à la fois au four et au moulin. Voilà, il arrête de travailler.

B – « Je ne vous suis pas, Monsieur Jules. Si le boulanger arrête de travailler, il ne se passe plus rien et votre histoire est morte.

G – « Pas du tout. Elle devient longue, au contraire, longue comme un jour sans pain.

B – « Les villageois vont s’émouvoir, de ne plus avoir de pain.

G – « Voilà une idée qu’elle est bonne ! Il y aura des manifs, des banderoles, des slogans, Villepin du pain, Villepin du pain, on va dire que le boulanger s’appelle Villepin pour la rime. Puis on va faire intervenir les pouvoirs publics. Le maire avec son écharpe tricolore va faire un discours sur la place avec les platanes et la fontaine au milieu. Le sous-préfet va chanter...

B – « Chanter ?

G ** (il commence à s’agiter et à transpirer) **
– « Ben oui, le sous-préfet au chant. Et le préfet va décréter l’état d’urgence, et les jeunes vont brûler des voitures et un ministre enverra ses polices.

B – « Oh, monsieur Jules, pas le ministre, pas la police. Il ne va pas déranger ses sbires chaque fois qu’il a un cocu dans les parages. C’est une histoire convenable ici.

G – « Bon d’accord. Je raye le nain. Mais alors il faut que je case la commission européenne aussi.

B – « Non plus, monsieur Jules. Les nons ont dit non à l’Europe, il n’y a plus d’Europe, elle ne va pas se mêler de nos histoires de boulangers. Il n’y a plus qu’un ventre mou où l’on peut s’affairer sans entraves.

G – « Pas du tout. Non à l’Europe signifiait, si j’ai bien écouté, qu’on ne voulait plus de ce monde d’affairistes.

B – « Vous avez peut-être bien écouté mais vous avez mal entendu. Je ne sais pas ce que voulaient ou ne voulaient pas les nons, mais je vois parfaitement ce qu’ils ont obtenus : la disparition pour longtemps des entraves aux affairistes. Longue vie au ventre mou, et notre pays sur un strapontin de plus en plus étroit. Et puisque votre boulanger a fermé boutique, vos villageois n’auront qu’à faire les quarante kilomètres qui les séparent de la ville la plus proche pour y acheter leur pain au supermarché. Personne ne les oblige, personne ne l’interdit, c’est la liberté selon ces messieurs.

G – « Allons allons, je vois que tu t’énerves, et on s’écarte du sujet, là. Donc pas d’Europe dans ma boulangerie. Un plombier polonais, peut-être, ou un gnome du Poitou ?

B – « Qu’allez-vous chercher là, Monsieur Jules. Non, c’est très bien ainsi, le maire, le sous-préfet, le préfet.

G – « Et c’est tout ? Je fais quoi maintenant ? Je la finis comment ton histoire ? Le boulanger retrouve sa femme et la tue, mais le ministre lui pardonne parce qu’il sait. Et voilà le travail.

B – D’abord ce n’est pas Mon histoire. Ensuite on a dit pas de ministre. Enfin, on ne tue personne dans les bacs à sable. Vous devez trouver mieux. Par exemple, la dame revient et il pardonne.

G – « Bof ! On va sentir l’artifice, le happiande hollivodien. Et comment je fais pour qu’il se libère de sa colère, le boulanger ? Elle est trop jolie, sa femme, rondelette et frisée, on dirait Valérie Mairesse, impossible de l’engueuler.

B – « Je ne sais pas, moi, c’est vous l’inventeur et moi le liseur. Il n’avait pas un petit chat, le boulanger ?

G – « C’était une chatte. On dirait qu’elle aurait disparu depuis trois jours comme font tous les chats et toutes les chattes depuis l’invention des chats, par les chemins du bois mouillé, et qu’elle pourrait reviendre au même moment. Alors le boulanger l’engueulerait comme du poisson pourri avec un long discours très émouvant, même que ce serait une des plus belles déclarations d’amour jamais écrites dans l’histoire de la littérature et du théâtre.

B ** (ému, une larme à l’œil) **
– « Il ne vous reste plus qu’à l’écrire, et je sais que ce sera une formalité.

G – « Une chose me tracasse encore. Akynou va dire qu’on a mélangé sa photo pour histoire avec son histoire pour photo, et qu’on a triché.
** (Après un instant de réflexion) ** :
– « Elle peut toujours causer, elle saura comment j’m’appelle !
** (Et l’on sentait le nuage noir de menaces planer au dessus de l’ordinateur d’Akynou) **.

B – « Que voulez-vous dire, Monsieur Jules ? Elle le sait bien, comment vous vous appelez.

G – « Tu parles ! Je vais te poser une devinette. Connais-tu la différence entre les portugais et les espagnols ?

B – « J’en connais beaucoup, des différences, et des ressemblances aussi, mais ce n’est pas la bonne réponse, hein ?

G – « Les portugais sont gais et les espagnols sont gnols.

B ** (Il a l’air catastrophé, il se tait un instant) **
– « Vous me fendez le cœur, Monsieur Jules, et je déteste les devinettes et leurs calembours miteux. Votre devinette est nulle et n’a aucun rapport avec notre affaire. J’espère que vous n’oserez pas la colporter chez Akynou.

G – « Si, justement, pour la signature. Parce que vois-tu, moi c’est exactement le contraire.

B – « Le contraire de quoi ?

G – « Moi je ne suis pagaie et je ne suis Pagnol. »

Que voulez-vous, ce n’est pas tous les jours qu’on est assis à la terrasse d’une brasserie des Grands Boulevards avec tant de choses à voir, et d’entendre à la table à côté discuter Marcel Brun et Jules César.


mardi 22 novembre 2005

Histoire de Michel de Montaigne.


Il en est qui se prennent pour Michel Sardou. Tout arrive, même qu’on se prenne pour Michel Sardou. Ce n’est du ressort ni de l’Hôpital ni de la Charité ni de la Prison, et la société n’est pas en danger. Michel Sardou lui-même est plutôt inoffensif. A fortiori les clones.

D’autres se prennent pour Michel Houellebecq. C’est déjà plus grave, mais bon, on ne va pas brûler des voitures pour autant. D’autres encore pour Michel Drucker, Michel Debré, Michel Gorbatchev, Michel Piccoli. N’y voyez aucune progression, les mots viennent comme ils viennent, et Piccoli a débarqué comme je ne m’y attendais plus. Chacun jugera comme il l’entend de la gravité du cas. Mais ni l’Hôpital ni la Charité ne devront se mobiliser, et encore moins la Prison ni la case départ. Le monde pourrait tourner en paix s’il n’y avait que cette douce folie pour nous faire l’article.

J’avoue que j’ai moi-même un faible pour Michel Rocard et pour Michel del Castillo. A chacun sa tentation, et la pente savonneuse nous guette tous qui va nous précipiter dans l’abîme.

C’est exactement ce qu’ils m’ont dit, à la Mairie. Ils m’ont dit, l’air navré, monsieur nous ne pouvons rien pour vous les trottoirs de Buenos-Aires sont déjà pris ; nous pouvons seulement vous proposer l’avenue Montaigne. Il faut vous dire que j’étais déçu. Pour être déçu j’étais déçu. Mais alors vraiment très déçu. Ce qui s’appelle, mais bon je ne vais pas en rajouter. J’avais révisé mes pas de tango d’arrache-pied au sens propre de terme, et c’est avec les deux genoux et les deux chevilles foulés que je m’étais présenté, arborant ma plus belle cravate, vous la connaissez, la rouge à pois rose et orange.

A-t’on idée de danser le tango avenue Montaigne ?

Mais voilà, j’ai trois femmes et quinze enfants à nourrir, sauf quand ils vont s’occuper de la voiture du petit Nicolas et qu’ils sont alors nourris par le grand chef. Le grand chef, ils l’appellent la princesse, je ne comprend pas pourquoi. On va manger aux frais de la princesse, qu’ils disent. C’est leur affaire, du moment que j’économise quelques repas. Alors, l’avenue Montaigne, il a bien fallu que je l’accepte.

Ne croyez pas que j’y suis allé à reculons, en rechignant, en tempêtant : je n’ai pas vraiment dû me forcer et je l’ai pris avec philosophie, bien que ce ne soit pas mon genre de graver sur le bâti aphorismes et maximes, exhortations et sentences, platonismes et aristotécies. Mon job consistait même plutôt à les effacer. Pas question de tanguer ni de valser. Agent temporaire de nettoyage et d’entretien de la voirie et de ses avoisinants, qu’ils m’ont dit que j’étais.
Temporaire. Ils doivent avoir du temps une notion qui m’échappe, voilà quarante-cinq ans que je suis temporaire, et encore je suis né un vingt-neuf septembre. Mon petit pois mental me souffle qu’en attendant encore un peu on verra bien que c’était temporaire.

Puisque mon petit pois l’a dit.

Si vous voulez me trouver c’est très simple : j’ai installé mes quartiers d’été devant le grand théâtre. N’y voyez aucune prétention à je ne sais quoi d’impossible. C’est juste que le bar est en face et que j’y tiens mes quartiers d’hiver. Le matin j’y bois mon dix-huitième pastis avant de prendre le poste. Je commence toujours par le dix-huitième ; ainsi, je ne dépasse jamais la dose, bien obligé d’arrêter un fois avalé le premier, et de me mettre au travail. Mon chef, qui me connaît, arrive juste à ce moment là pour me donner la liste des graffitis de la nuit à effacer.

Ce matin tu as trois platon, cinq aristote, deux plutarque, un averroès un petit nouveau paraît-il je ne sais pas qui c’est, une dizaine de cicéron et quatre Héraklite. Il me tutoie, le chef ; c’est un petit jeune bien blanc et bien bec, alors il me tutoie avec mes mains plus sombres au dessus qu’en dessous mais n’allez pas croire, il est gentil mon chef, et il me fait confiance. Je sais que deux choses l’agacent mais il n’a jamais osé m’en parler : ma manie d’écrire Héraklite avec un cas, et mon refus maladif d’effacer ses graffitis à lui. Pas les graffitis du chef, ceux d’Héraklite, vous bien comprendre, hein ?

Justement, c’est un cas l’Héraklite. D’où mon orthographe. Cette idée de philosophe au rabais de se guérir en se trempant dans de la bouse de vache turque ! Il ne s’appelait pourtant pas Alain F., et c’était pour le reste un vrai philosophe de vrai, si j’en crois ce qu’on dit qu’il a écrit. Parce qu’on n’est même pas sûr qu’il ait écrit ce qu’on dit qu’il a écrit, puisqu’on ne sait de ce qu’il a écrit que ce qu’on a dit qu’il avait écrit. Mon petit pois a du mal à suivre, mais du coup je n’arrive pas à effacer des murs de mon avenue ce qui est écrit dont on dit que c’est lui qui l’a écrit. Surtout que, je vous dit tout ici, je suis plutôt très d’accord avec lui sur bien des choses et nous ferions mieux d’y repenser et d’y revenir.

C’est un cas majuscule, mon Héraklite et je le garde ainsi. Mais j’efface aristote et platon et les autres, je gratte et j’efface. Christian Dior, Valentino et le Plaza-Athénée ne balayent jamais devant leur porte, c’est moi qui les balaie.

Et sous la paille de riz vole un nuage de poussière de diamant.
Ecrit le 22 novembre 2005.

lundi 21 novembre 2005

Une suite improbable

Une suite improbable

Finalement, je me suis rabiboché avec la vieille. Ne croyez surtout pas que je me suis mis à l’aimer. Les miracles n’existent que dans les histoires inventées. Seulement il fallait bien trouver la faille.

Un jour, en désespoir de cause, elle a été obligée de m’appeler au secours. Dimanche soir à 20heures, je ne sais pas pour vous, mais moi, et dans tout mon quartier, c’est très difficile de trouver un dépanneur électronicien. Et quand je dis très difficile, c’est parce que je fais volontiers dans l’euphémisme béat.

Pour que vous compreniez bien, je dois vous dire que je suis dans l’électronique. Le Hard. Evidemment, les imbéciles rigolent à chaque fois, avec ma petite gueule de pédé comme ils disent, m’entendre parler de hard les fait rigoler. N’importe quel humain digne de ce nom sait bien que c’est par opposition au Soft, mais les imbéciles n’ont pas besoin d’être humains pour pouffer.

Mes collègues m’appellent doigts de fée. Là aussi ils rigolent, mais ils sont braves mes collègues, et derrière la plaisanterie douteuse je sais qu’il y a la reconnaissance de mon talent. Personne ne sait mieux que moi repérer la soudure défaillante dans l’ordinateur qu’on m’apporte en catastrophe, d’ailleurs rien qu’à le regarder de loin, je sais ce qu’il a, une sorte de don, de magie. J’entre en symbiose avec la souffrance de la machine, et je vais direct au circuit défaillant, parmi les trois millions de circuits de l’appareil. On dit que je serais capable de réparer un transistor dans une puce d’un demi millimètre carré avec un chalumeau de chantier naval.

Alors, la vieille et sa télé en panne, il fallait bien qu’elle en passe par moi. Elle devait ronchonner depuis un long moment quand elle s’est enfin décidée à monter me voir, vous vous rendez compte, l’humiliation grave. Mais De Villiers devait passer à 20 heures, elle ne pouvait pas le rater. Il me restait cinq minutes pour remettre la vieille carne en route, parce que la télé était à l’image de sa propriétaire. Pleine de boutons, aucun programme. J’ai fait la réparation.

Alors depuis, on est copains. Elle le croit, du moins. Elle me fait des sourires quand je la croise, et elle n’hésite pas à me faire descendre chaque fois que l’image se brouille. A chaque intervention, mon Dieu que je suis délicat, je lui mets un petit plus. Une chaîne supplémentaire qu’elle ne pouvait régler, un signal plus fort, une netteté mieux réglée. Un jour, je lui ai suggéré d’acheter un magnétoscope, je lui promettais de l’installer et de le régler. Ce quelle fit, afin de pouvoir enregistrer et se passer en boucle les discours de Villiers et ceux qu petit Nicolas qu’elle venait de découvrir. Il ira loin, celui-là, qu’elle me disait la larme à l’œil.

Pendant ce temps, je continuais patiemment à explorer le trésor de ma cheminée. Ce que je dois vous dire ici de mes découvertes ne pourront être répétées par personne. Les historiens eux-mêmes seraient obligés de revoir leur copie de tous les événements marquants du XXème siècle. Ma grand-mère avait soigneusement filmé tous les passages dans son immeuble du temps de sa splendeur, et sans rien vous dire de plus, je peux vous dire que du beau monde il y en avait, et que tout ce beau monde s’y croisait, s’y saluait, et quel meilleur endroit qu’ici pour manigancer l’Histoire.

Ma grand-mère avait un associé très performant dans les techniques de l’époque, celui qui devint son mari, comme quoi les talents ne viennent pas de nulle part, et sous sa couverture de menuisier savait très bien installer les caméras et les microphones discrets au quatrième étage, justement dans mon appart. J’ai retrouvé des traces des anciens circuits, et je dois dire que mon grand-père, c’était un fortiche.

Vous avez compris que la fortune de ma grand-mère ne venait pas tant des activités de va-et-vient de l’immeuble que des activités postérieures. Elle a toujours promis de ne jamais rien divulguer et elle a toujours tenu parole. Mais, pas folle, tous les films ont été soigneusement encastrés dans le mur de mon trésor. Nul ne saura jamais la vraie histoire du XXème siècle, sauf si…

Je me suis amusé à faire un petit montage des séquences les plus affriolantes. Le transfert d’un 8mm hors d’âge mais en bon état sur une cassette vidéo ne présente aucune difficulté pour moi, même sans lecteur de 8mm. Je ne vous donnerai pas la recette, c’est mon gagne-pain. Comme tout bon monteur, entre chaque séquence j’ai placé une jolie transition : un gros plan da la page du livre de compte où sont répertoriés tous les versements effectués par l’acteur de la séquence précédente, avec l’enregistrement sonore de la négociation. Ma grand-mère est d’une méticulosité extraordinaire, tout y est, surtout les liens de cause à effet.

Alors, le jour où madame Arthur, ma grand-mère, m’a demandé de lui montrer comment marchait son magnétoscope tout neuf, je ne me suis pas fait prier et nous avons visionné ensemble la cassette. J’avais précisé juste avant que si le magnétoscope marchait mal et devait détruire la cassette, ce n’était pas grave, j’en avais une autre en lieu sûr, et ma grand-mère m’avait même félicité pour mon professionnalisme.

Depuis cette soirée, tout va bien. L’appartement du quatrième situé sur le même palier s’étant libéré, un petit vieux qui ne payait plus et qu’elle avait fait expulser en février, elle m’a spontanément proposé de le raccorder au mien, sans augmenter mon loyer.

Le plus grandiose est qu’elle me laisse garer ma voiture devant la porte, et que quiconque prendrait la place serait gratifié de la rayure du siècle, on le sait dans le quartier et on se demande pourquoi une Ferrari seule à le droit de rester stationnée là sans encombre.

Je n’ai plus trop le temps de vous parler de ma mère, et de comment tout s’est su à la fin. La jolie fille qui tient la réception de l’Hôtel juste derrière chez moi, Cité Bergère, à qui je n’ai pas tout raconté mais un peu quand même, nous sommes copines et quand elle me regarde avec gourmandise elle se reprend en me traitant de confiture aux cochons, a eu récemment l’occasion de parler longtemps avec elle, juste avant le drame.

Elle saura vous en parler bien mieux que moi.

jeudi 17 novembre 2005

De la beauté des femmes #9/9.

Avant de finir, je rattrappe un oubli inadmissible: insérer le lien vers l'article dont auquel je cause, et dont la lecture est recommandée, non seulement pour comprendre ce que j'cris à son sujet, mais aussi par ce qu'il contient d'intressant et de stimulant. Parce que tel est le cas, même si je fais la fine bouche. Voici le lien:
Si monsieur Blogue est gentil avec moi, et avec un peu de chance, il fonctionnera.
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Je reviens à mes moutons, billet #9/9, de la beauté des femmes.
Je n’ai toujours rien dit de la séduction. En passant, je laisse un petit mot à propos d’Ingres et de Delacroix que j’estime : ils ne sont pas mes peintres favoris.

Ah oui, j’ai aussi oublié de vous signaler que la soumission volontaire des femmes, dont l’Occident se serait fait une spécialité, est répandue en Orient à des degrés que l’Occident n’imaginerait même pas. Je n’aime pas les faux procès, et cet article m’a semblé en être un. De mauvaises raisons pour une juste cause.

Je vais finir avec une anecdote, qui peut-être n’a rien à voir. Une musulmane de ma connaissance voilée de pied en cap, entrant chez moi et s’étant alors découverte, à ma question sur le bien fondé de ses voiles, c’était plus fort que moi de la lui poser, m’a d’abord répondu que c’était la volonté de Dieu. Elle a senti le côté parfaitement inutile de sa réponse alors que je n’avais rien dit ; je le pensais si fort qu’elle avait dû entendre. Elle a donc ajouté qu’elle mettait les voiles pour cacher ses cheveux sinon les hommes devenaient fous. Ai-je dit qu’elle est plutôt jolie ?

Incorrigible, j’ai poursuivi en lui faisant remarquer que sa réponse signifiait qu’elle me tenait en bien petite estime, soit en tant qu’homme puisqu’elle me pensait capable de folie à la seule vue de ses cheveux, soit en tant que non homme puisqu’elle se dévoilait ainsi devant moi chez moi là tout de suite.

Ce n’est pas pareil, vous êtes chez vous, dit-elle.

J’ai fait semblant de comprendre et nous avons parlé d’autres choses. J’écrirais mille pages que je serais bien incapable de comprendre, en réalité, le sens de cette phrase. Et là réside peut-être le mystère que je voulais débusquer en écrivant sur cet article, et qui garde son opacité toute orientale.


Mille pages ne suffiraient pas à traiter de la beauté des femmes.

(FIN)

mardi 15 novembre 2005

De la beauté des femmes #8/9.


Ainsi, nous autres, hommes occidentaux parfois buveurs de bière pour les besoins de la cause, nous n’avons plus besoin d’ourdir des complots, ils s’ourdissent tout seuls. J’ai bien compris ce que l’article dénonce, n’est-ce pas ? Ce que cet article avance un peu étourdiment ma foi est-il certain, et ne pourrait-on pas retourner la veste pour remarquer que le futile et la fanfreluche sont aussi qualités masculines dont nous nous délectons, y compris avec une agrégée de philosophie comparée et de mathématique aléatoire réunies ?
Je ne sais si finalement je suis normal ou monstrueux. Je vais vous décevoir : un harem peuplé de femmes lascives et nues façon Ingres révisé Delacroix ne m’a jamais fait fantasmer. J’aurais plutôt tendance à me tirer vite fait si le hasard m’y égarait. Il se peut que quelque journaliste hébété de l’entourage de nos dames prenne l’œil égrillard à cette évocation et parte aux putes derechef.
Vous voyez, je sais faire la provoc moi aussi, me vautrer dans le limite, bien que je me force un peu j’avoue. Mais l’attitude de quelques journalistes rencontrés dans les couloirs des lieux où l’on rencontre des journalistes ne suffit pas à juger l’occident. C’est en réalité beaucoup plus compliqué. Je n'aime pas les déductions hâtives quand devant moi se pressent les exemples contraires. On va me faire le coup de la règle et de l'exception, le coup de la règle sur les doigts.
A l’inverse, un longue joute verbale dans un cénacle hostile face à une adversaire déterminée, qu’elle s’achève par une victoire, une défaite ou un compromis, m’entraîne dans les jours qui suivent dans une phase agitée où l’adversaire en question tient une place considérable, et je ne saurais même pas vous dire si elle est blonde ou brune. Ne dites rien à ‘Aliénor, c’est la championne du monde des joutes verbales, elle y a le dernier mot, ceux du genre missiles de missive.
(#9 à suivre, pour en finir)

mardi 8 novembre 2005

De la beauté des femmes #7/9.

Où en étais-je ? Ah oui, la séduction, la beauté des femmes. Il serait temps que je m’en occupe, après ces détournements, ces digressions, ces diverticules. Divertissons-nous. Il est reproché à l’Occident, eaux majuscules, d’avoir institué un régime minceur grâce auquel la femme est plus opprimée et anéantie que dans tout l’Orient réuni, eau majuscule. On va bientôt nous expliquer que le voile est un instrument de libération. J’extrapole, là, et je suis injuste je le sais, pourtant c’est ainsi que je ressens le bout de cette piste, là-bas juste derrière les collines de l’horizon qui poudroie.

Je vais me permettre une observation. Ce n’est probablement pas un argument, tout au plus un petit caillou dans le jardin de mosaïques, de fontaines et de jets d’eaux comme on en voit là-bas.

Certains journaux féminins, et le premier d’entre eux j’en ai oublié le titre mais vous le trouverez peut-être, on été créés, écrits, portés, et sont encore dirigés par d’éminentes féministes. La parole y est donnée à tous les combats que mènent les femmes et quelques hommes beaucoup plus nombreux qu’on croit, vers un monde d’égalité. D’accord, je dis égalité, peut-être ce mot n’est-il pas le mot juste.

On pourrait s’interroger sur le choix de ce mot, en proposer mille autres qui n’iront pas non plus pour finalement y revenir bien que ce ne soit pas le mot juste. Gardons le. Il y a des gens qui mènent des combats en des lieux où il est très difficile et très dangereux de les mener, surtout très dangereux ; je ne sais pas si ces gens fayotent les médias occidentaux mais bien souvent ils me semblent admirables, et derrière mon écran je sais fort bien ne pas être capable du quart du commencement de ce qu’ils sont, de ce qu’elles font, de ce qu’elles risquent.

Pour autant, de ne pas être persécutée ni musulmane ne rend pas le combat vain. Ne me faites pas dire ce que je sais qu’on me fera dire.

Ces mêmes magazines sont recouverts de ces fils de fer à gros seins, ces mêmes magazines sont remplis de régimes de vide, ces mêmes magazines se complaisent dans le futile et la fanfreluche, dont l’occident prétend du moins on prétend qu’il le prétend, que ce sont des qualités féminines, ben voyons. Alors, bébé et eau du bain ?
(#8 à suivre)

lundi 7 novembre 2005

De la beauté des femmes #6/9.


Il me semble que j’étais parti pour écrire sur la séduction des femmes. Il serait temps que j’y songe au lieu d’errer. Avant cela, il faut se poser deux questions et tenter d’y répondre, et si l’on n’y trouve pas de réponses au moins s’efforcer de bien comprendre les questions.

La première est de se demander si la forme et le fond sont, comment dire, indissociables ou séparables. La forme et le fond. La forme ou le fond. La forme contre le fond. La forme avec le fond. J’ai ma réponse à moi tout seul et comme je ne suis pas un directeur de thèse je ne vous la donnerai pas. Comme je ne suis pas chien je vous la donnerai. Alors je vous la donne.

Si les habits ne font pas les moines, ils peuvent les défaire. Je ne répèterai pas, c’est tout pour ma réponse. Je vous sens déçus ; en pareille circonstance, Kant aurait dit : demerden sie sich, ce qui est très philosophique et très allemand. On peut aussi ajouter, je peux aussi ajouter du haut de mes petits talons, que l’âme et le corps sont une seule et même chose et que la mort de celui-ci est celle de celle-là. Ce n’est pas Spinoza qui me contredira, qui d’ailleurs lui aussi est mort. Vous voyez, les philosophes peuvent débarquer à l’improviste aussi chez moi.
La seconde question est de se demander si la séduction est vraiment nécessaire entre hommes et femmes et si nous ne pourrions pas parler entre nous comme tout le monde et comme si de rien n’était, avec des paroles rationnelles, raisonnables, raisonnées, raisonneuses, résonnantes. De vraies cloches.
Vous devinez ma réponse à cette question. Inutile d’en rajouter, j’en rajoute donc. Même entre hommes la séduction est nécessaire, alors pensez entre hommes et femmes, et que l’on soit d’orient ou d’occident. La séduction, l’apparence, l’habit, la forme, le style, l’élégance, l’affect, le verbeux, l’inutile, le décorum, la pompe et ses œuvres, sans ce fatras nous n’existerions même pas. Profumo di donna.
Alors, heureux ?

(#7 à suivre)

dimanche 6 novembre 2005

De la beauté des femmes #5/9.

Avant même de convoquer Molière, c’est Kant qui est venu sur le devant de la scène. Alors là je dis bravo. Il paraîtrait qu’il a proféré des horreurs sur la femme, en gros que plus la femme est cerveau moins elle est sexe. Bien que ce ne soit pas dit, je suppose que l’inverse s’applique de la même façon. Je vous fais encore une petite confidence, ce n’est pas la première ce ne sera pas la dernière. Quand je vous dis qu’il ne faut rien répéter.

La ci-devant confidence : Marx a dit des horreurs sur la femme lui aussi, il en a même fait sur la sienne, sans parler des enfants. Tant qu’à convoquer les philosophes, il faut bien que j’exerce mon droit d’alerte : Marx est dans le coup.

Revenons à Kant.
Je dois vous dire que le très peu que j’ai lu de Kant m’est resté totalement incompréhensible et pourtant en traduction française, et que les très rares fois où j’ai cru comprendre je me suis collé au plafond comme la mouche du coche tellement je n’étais pas d’accord. Alors tenter de me balancer Kant comme la preuve de l’universalité de ma malfaisance masculine occidentale n’a aucun effet sur moi.
Même pas mal.

Voilà pour Kant.

(#6 à suivre)

samedi 5 novembre 2005

De la beauté des femmes #4/9.

J’ai encore lu l’article. Rien à faire, rien n’adhère.



Revenons à z’aujourd’hui. On reproche donc à l’occident d’enfermer les femmes dans un idéal de beauté où l’apparence va l’emporter sur la vérité, où la forme va dominer le fond. La forme, les formes bien sûr, trop facile.

Les canons de beauté vont obliger les femmes à un jeûne permanent, un ramadan perpétuel, une ascèse dévorante, dévorante est le mot, qui vont la transformer en brindille impensable et impensante. Victoire absolue de l’homme qui économise polices, tissus, grilles et moucharabieh. La perfection universelle de Claudia Schiffer va réduire en esclavage la moitié de l’humanité à l’insu de son plein gré, et, tiens c’est curieux mais c’est l’article qui le dit, les orientales ne sont pas les dernières à se ruer dans cet esclavage. Entre nous puisqu’on en est aux confidences mais surtout ne dites rien à personne, je préfère les hanches de Laetitia à la perfection de Claudia, et les défauts de l’une me la rendent beaucoup plus aimable que la perfection de l’autre. Chut.



Je l’ai déjà dit, j’aime me répéter ; un autre l’a tellement mieux exprimé que moi que je vais lui voler son idée sans la moindre vergogne : je n’aime pas les fils de fer à gros seins. Bien peu d’hommes autour de moi aiment les fils de fer à gros seins ; je dis bien peu, vérification faite, aucun ; que les fils de fer soient des automates aux yeux vides ou des agrégées de philosophie comparée et de mathématique aléatoire réunies. Et toutes celles qui se sont fabriquées ainsi vous le diront, elles rament pour trouver l’âme sœur.

A moi elles le disent, du moins. C’est fou ce qu’on peut me dire, à moi. Je n’ai pas fait d’études mondiales sur le sujet, je ne suis pas Bourdieu ni Diable, et je vous écris du haut du mauvais côté de ma lorgnette. Le petit îlot où je vis fait que l’article de Madame Chollet est totalement à côté de ma vérité. Je dois tenter de débroussailler le mystère, mais avant de continuer mon exploration, j’ai encore un compte à régler.
(#5 à suivre)

vendredi 4 novembre 2005

De la beauté des femmes #3/9.

La thèse est séduisante. On s’y laisse prendre, on suit la pensée avec aisance, tout vient à point. L’homme occidental inculque aux femmes, par une subtile propagande, le goût du jeûne permanent ou plutôt le devoir du jeûne permanent, et lui invente le besoin du voile mental, pour mieux ainsi profiter de son dévoilement soumis ; il rejoint et même dépasse l’homme oriental qui en est encore à la soumission policière de la femme. Il paraît que cet oriental raffiné en souhaite l’érudition alors que l’homme occidental ne rêve que de connes dans son lit. Puisqu’on vous le dit.

La démarche est habile qui va nous ensevelir dans nos contradictions. C’est du moins ce que j’en comprends et que je refuse, vous avez dû le deviner. Je ne crois pas avoir caricaturé ce qui nous est expliqué. Bon, le mot conne est peut-être un peu forcé et pour rien au monde la dame n’aurait osé utiliser ce mot. Moi, vieil hétéro bougon, c’est ce mot que j'entends en lisant les euphémismes utilisés dans l’article sur la passivité attendue de la femme, la passivité tentante dont on écrit que je l’attends tant.

A l’appui de la thèse, Molière est convoqué ; accusé Molière levez-vous. Les choses sont claires : ici l’on n’est pas dans l’étude de fonctionnement d’une société mais dans la stigmatisation individuelle. On puise dans l'entourage. Des journalistes disent et font ceci, des peintres du Louvre peignent cela, et Molière, lui-même en personne, y va de son complot contre les femmes. Le pire est que ce langage sur Molière ne m’est pas inconnu ; d’obscures féministes sommaires s’y sont déjà risquées.

Les bras m’en tombent. Méconnaître à ce point le mécanisme sur lequel fonctionnent les deux pièces mises en cause, Les femmes savantes et Les précieuses ridicules, me conduit à soupçonner que l’on est en train d’accuser le chien d’avoir la rage pour mieux le noyer. Je croyais naïvement que, si ridicules que semble l’apparence des précieuses ridicules, ce sont les messieurs qui les fréquentent qui en réalité le sont, et que la défaite finale qui emporte les demoiselles n’est que l’écran de fumée derrière lequel se cache Jean-Baptiste et se protège, pour être théâtreux il n’en est pas moins homme ; que les femmes savantes sont infiniment plus savantes et plus dignes que les hommes qui les entourent, elles veulent la connaissance pour avoir la connaissance quand ils la veulent pour avoir le pouvoir.

Oublier ce fondement du théâtre de Molière sous prétexte de lui faire un procès est détruire l’idée féministe qu’on aimerait défendre. Pour finir, cette pointe : on ne connaissait pas la taille 38 alors et les belles femmes étaient rondes.
(#4 à suivre)

jeudi 3 novembre 2005

De la beauté des femmes #2/9.

On peut commencer par cette affaire de l’intelligence et de l’érudition.

Je vais me laisser aller à quelques confidences. Je suis un occidental hétéro, autant vous dire que j’aime croiser des femmes dévoilées. Je n’ai pas bien compris en quoi j’avais du pouvoir sur elles de ce fait, mais puisqu’on me le dit, mettons. Pour autant, dévoilées ou non, la fréquentation des connes m’insupporte exactement comme m’insupporte la fréquentation des cons. Ni plus ni moins, mais chaque fois beaucoup.

Soyons clairs entre nous : à moins d’interrompre ici même la lecture, vous devrez accepter cette idée étrange que je suis censé ne pas faire partie de ce groupe de l’espèce humaine que j’ai nommé ci-avant, et vous non plus. Il paraît qu’on est toujours le con de quelqu’un mais peu me chaud, c’est celui qui le dit qui y est et réciproquement.
Cette dame Mona qui écrit sur mes goûts supposés d’occidental ferait bien de vérifier qu’elle ne verse pas dans la généralisation abusive ; l’article a ceci de désagréable que, loin de tenter d’analyser des comportements collectifs à partir d’enquêtes, ce que peut-être font les livres, il se borne à juxtaposer des comportements individuels concordants pour aboutir à la conclusion de ce que moi, homme occidental et à ce titre, je suis supposé aimer chez la femme.
Qu’autour de moi je multiplie les comportements inverses, ne sera pas pris comme un contre-exemple venant infirmer la démarche, mais comme une anomalie, une île flottante, un microcosme. Je ne le vois pas de cet œil là, et concordance pour concordance, mes généralisations seraient tout aussi abusives que celles que je lis de Mona. Je n’y peux rien si les amis journalistes de Fatema Mernissi sont comme ils sont, ils ne suffisent pas à conclure une étude, à la rigueur un pamphlet.

Mais j’ai dit que je ne parlerai pas des livres mais seulement de l’article, alors pan sur le bec.
(#3 à suivre)

vendredi 28 octobre 2005

De la beauté des femmes #1/9.




2ème avertissement: C'est là-bas que j'ai annoncé ce que maintenant je vais écrire en 9 épisodes, et qui va me valoir j'en ai peur (mais peut-être je le souhaite, vas savoir) un amoncellement de pavés de lapidation.



3ème avertissement: ceci n'est pas le jeu de racontars. Le jeu de Racontars est ICI .

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De la beauté des femmes.

#1/9.




La Dame du Droit est partie sous des cieux cléments. Elle a emporté son secret avec elle et me voici tout penaud devant sa porte fermée, avec mes commentaires tout froissés qui n’entrent pas dans la boîte. Je ne lui dis pas merci, à la dame, qui allume toutes ces mèches et disparaît aussitôt en nous interdisant de poser le pied dessus histoire de les éteindre. Elle m’a placé une bombe sous ma chaise, que puis-je faire maintenant ?


Il est question de Harem et de taille 38. Il est question d’un livre qui traite des femmes, traite des femmes, harem réel d’orient et harems virtuels d’occident. Il est question de ramadan perpétuel. L’article qui parle du livre qui parle de tout cela est déjà lui-même séduisant à première lecture. Puis, du fond de sa séduction, soudain commence à planer un doute ; je peux toujours lire le livre dont s’agit, direz-vous. Oui mais voilà, d’abord il y a deux livres à lire en l’espèce, et puis j’ai d’autres livres à lire où j’erre depuis des mois avec délectation, et je ne vais pas quitter ces planètes là sous prétexte d’éteindre la mèche.





Je préfère sauter. Sautons.


Ne nous trompons pas de sujet : il est question ici de l’article qui traite des livres et non des livres eux-mêmes. J’espère que la dame qui a écrit cet article a mal compris les livres dont elle rend compte, ou qu’elle a délibérément ajouté sa musique à leur partition, ce qui d'ailleurs est son droit comme est le mien de froncer les sourcils, mais peu importe. J’ai lu et relu l’article, et un malaise vient effacer la séduction du premier abord, un doute vient aggraver le malaise, et finalement l’envie de dire mon désaccord me submerge.





Pourtant je suis très ennuyé. Les formules sont percutantes, les remarques étayées, les exemples frappants, les conclusions logiques. Je vais avoir du mal à me lancer dans un corps à corps de pied à pied, et répondre point par point aux assertions, aux faits sur faits. Madame Mona est très habile et sait de quoi elle parle, je ne suis pas sûr que ce soit mon cas. Je suis l’amateur face au professionnel, le débutant face au briscard, le bègue face à l’orateur. Je ne peux que répéter ce que j’ai écrit : l’article est séducteur, séduisant, bien construit et bien fondé, et me plaindre de cette forteresse imprenable est présomptueux tout simplement.





Je dois sauter cependant. Même si la bombe fait long feu, ce sera un saut dans le vide, un saut de carpe, un saut de l’ange, un saut de la mort. Le grand saut du sot. Le malaise ne passera que si je saute. Allons y tous ensemble. Non ?

Non ?
Alors j’y vais tout seul, par les chemins du bois mouillé.

(à suivre, au dessus, pour le n°2)

jeudi 27 octobre 2005

Les deux mariages

Le texte qui suit participe à un jeu. Il n'y a rien à gagner à ce jeu sinon celui de lire et de voir tout ce que font les autres participants à ce jeu, et c'est le plus joli prix qu'on puisse imaginer. Pour jouer, il faut aller chez "RACONTARS" dont auquel le blogue est joignable par le lien là, sur la droite, même que c'est écrit "racontars". Vous pouvez aussi cliquer sur le titre de ce texte, "les deux mariages" et hop, vous voilà chez "racontars".



(A.I - 1) Nous nous sommes donc tenus à l’écart de Naples et de la courbe Nord de la baie. Nous nous sommes privés de solfatares, de Pozzuoli, d’Ischia et de Champs Phélégréens. Sagement, nous avons pris le bateau pour Capri, histoire de croiser les millions de japonais qui y défilent en rangs serrés, caméra au poing, puis nous avons fait le tour de notre petit bout de terre, notre presqu’île sorrentine, Positano, Amalfi.


(A.I - 2) Le cœur n’y était plus. Tu apprendras peut-être comme je perds facilement le fil de mes contemplations dans la foule, au milieu des boutiques et des restaurants, et quand soudain je sens l’hémorragie du temps qui s’écoule. Comment savourer l’air, entendre les odeurs, respirer la lumière, s’il faut courir après la pendule et lécher les vitrines à colifichets, dernier jour avant fermeture ! Tu peux aller à Amalfi et à Positano, tu ne le regretteras pas, c’est joli et tout et tout. Beaucoup plus joli que Gallipoli, Otranto, et Vieste réunis. Mais moi, c’est la Pouille que je préfère.


(A.I - 3) Heureusement, nous avons encore vu deux mariages. Il faut que je te parle des deux mariages que nous avons vus. Le premier avait lieu à Positano. Tout en bas de la ville, le cortège s’est faufilé au milieu des enchevêtrements d’escaliers et de ruelles pour arriver à l’église non loin du port minuscule. J’ai vu la mariée, flamboyante, italienne du petit orteil droit au lobe de l’oreille gauche, sans parler des cheveux hauts perchés et des talons assortis, grande brune exubérante et maquillée, entourée, protégée, gardée, par des mines patibulaires en costumes sombres, lunettes noires, et ports dédaigneux. J’ai vu le père de la mariée, gauche et fier, prendre sa fille par le bras et, sous les vivats de la famille, entrer dans l’église le plus dignement possible ; et je sentis dans ma chair le tremblement qui devait l’agiter.


(A.I - 4) La cathédrale Saint-André d’Amalfi se dresse en haut d’une volée d’escaliers comme on n’en fait plus. C’est là que nous avons croisé l’autre mariage. Nous avions visité cette cathédrale à la beauté intérieure indicible. J’ai pensé à papa. Il s’appelle André, je pouvais donc bien penser à lui dans cette cathédrale à son nom. Il m’accompagne partout, il m’observe, il m’apaise. Alors, près de l’autel, moi le mécréant j’ai pensé à lui plus mécréant encore et un instant j’ai cru à la vie éternelle. Nous en reparlerons et je ne suis peut-être pas si mécréant que je le dis. J’ai laissé le saint dans sa relique, et mon père et moi sommes sortis rejoindre ‘Aliénor qui descendait déjà le grand escalier.


(A.I - 5) En bas attendaient les grosses limousines noires : les frères, les cousins, toute la famille italienne était là à faire le cercle, à monter la garde, il ne manquaient à leurs mines que les armes à feu. Voici la mariée, elle sort de la Mercedes, et soudain le grand escalier se vide. Le groupe des hommes est en bas, le groupe des femmes est en haut. Les orgues jouent à pleins poumons.


(A.I - 6) Le père, cheveux blancs et costume gris, et la jeune femme, traîne interminable cascadant les marches, montent lentement, tandis que virevoltent un photographe, un vidéaste et la malheureuse demoiselle d’honneur qui s’efforce de maîtriser tous ces tissus légers dans le vent qui se lève. Depuis la place en contrebas, j’ai le temps moi aussi de faire quelques photos. Tu les verras peut-être un jour, diapos oubliées au fond d’un tiroir.


(A.I - 7) L’heure tourne, impossible de continuer plus loin sur la route, nous n’irons pas au delà d’Amalfi, tous ces mariages nous ont retardé, il faut rentrer, ne pas s’arrêter à Ravello sur sa crête, ne pas regarder la mer. Nous avons perdu trop de temps. Je vois bien que tu ne me crois pas et que le temps perdu n’en était pas, à voir marcher les mariées et leurs pères, à entendre les orgues et les rires.


(A.I - 8) Demain, nous visiterons Pompéi : deux mille ans de mariées anéanties, de musique oubliée, de rires brisés, par la seule colère d’une montagne en feu. Nous pouvions bien sauver quelques heures de ces deux mille années là.

lundi 24 octobre 2005

Les semelles de plomb.

En ce moment, je butine. Gros bourdon sans lendemain, je hume les fleurs de la toile, les fleurs d’étoiles, les parfums du net, les douceurs et les aigreurs, les épines et les épices. Et je me tais. J’aime ces promenades chez autrui, la menthe de celle-ci, le poivre de celui-là, le vin double de cet autre, la Vichy pétillante, les chiens de Bruxelles ou de Liège, le chou à la folie, hibou chou genou fou, non pas pou, fou. Ne cherchez pas, il n’y a pas de clés partout.

Parfois, sur les fleurs que j’ai visitées, sur les feuilles que j’ai ruminées, je laisse une trace, un peu de bave d’escargot ce qui est rare chez les bourdons. Je sais pourtant qu’on ne peut pas vivre en simple parasite à moins de vivre au jour la journée, comment s’imaginer ainsi construire des cathédrales, une seule cathédrale me suffirait tant qu’à construire ? Mais à peine posée la première pierre, mon ciment se fige et mes briques s’effritent, elles sont de broc elles sont de sable, mes briques.

Je vous ai donné mon programme, pourtant, mon nom de Dieudonné de programme, et plus tard ou plus tôt un autre monde au nom du père du fils et du mauvais esprit.
Au nom de Dieu, il y aura le clown attristant, le clown désolant, son combat boomerang, ses erreurs de cible, ses retombées nauséeuses, ses provocations désertiques. Plus personne ne rit et Dieu n'existe pas, même le Dieu donné sans confession. Vous m’avez mis cette piste sous les pieds et je n’ai plus qu’à avancer mais comme dans certains rêves mes pieds sont de plomb sans raison, mes plompieds ne riment à rien. Je vous le promets, dès que je me réveille, je me lève et je marche.

Au nom du père, père et fils, père et fille, il y aura toutes ces flèches qui me transpercent du matin au soir et retour, j’ai déjà tant de pages écrites, il suffirait de relire et de servir, un clic de souris, un claque sans chapeau ni lanterne rouge, les bonnes sauces sont meilleures réchauffées. Mais la cocotte attache, attachante est la souris du claque, elle a mis son parfum de brûlé, un goût de brûlu qui monte à la couche d’ozone et me me troue mon écrit.

Je vous le promets aussi, vous n’y échapperez pas, au goût de brûlu.

lundi 17 octobre 2005

Le Jeu laid, je l'ai gelé.

C'est pas du jeu pleurait le garçon
Elle m'a pris mon sac rouge,
Elle s'est enfuie avec mes jouets.
Mon garçon il faut t'y faire
Cours-zy vite cours-zy vite,
Il n'y a pas plus mauvais jeu
Ni mot plus laid,
Que les jeux de mollets.

mardi 11 octobre 2005

Le Parasite.

C’était il y a longtemps. Trois cent millions d’années, trente millions d’années, trois millions d’années, je ne sais plus trop, ma montre s’est arrêtée. La petite équipe avait trouvé refuge dans une bonne grotte comme on en trouve dans les livres de paléontologie, et le chef avait ordonné qu’on y resterait quelque temps.

Vous la connaissez bien, l’équipe, la fine équipe. Il y avait le chef, sorti des grandes écoles et qui pensait pour tout le monde. Il y avait le pêcheur, qui n’avait pas son pareil pour trouver une baleine dans un ruisseau, un requin dans une flaque, une ablette dans l’océan. Il savait même pêcher les poissons volants. Et quand il cassait sa canne en bambou, il y avait le réparateur de canne, le virtuose du rafistolage, en plein Sahara il te dénichait un bambou tout frais pour remplacer l’autre. Il y avait le canut, pourtant habillé, qui gardait précieusement le secret du fil, et qui venait à la rescousse quand le pêcheur s’emberlificotait les pinceaux.
Naturellement il y avait la femme. Je ne sais combien elles étaient, mais elles étaient la femme. N’oublions pas qu’on est dans une tribu très primitive et que l’état d’arriération justifie ce collectif indigne d’un humain civilisé. Et j’aggrave le cas de la tribu en vous révélant que la femme était tenue de rester à la grotte, à chasser la poussière et à cuisiner le poisson rapporté la veille.
Ensuite, en signe de gratitude, les vrais hommes lui permettaient de se tenir au fond, et de manger les restes.
N’est-elle pas belle, la vie ? Rassurez-vous, je ne perds pas le fil, j’en tiens même le bon bout. Je dois en effet maintenant vous parler du parasite. C’est le nom que nos ancêtres lui avaient donné. Nos ancêtres très arriérés et très primitifs, j’ai dit. Personne ne l’a vu arriver, et personne ne sait quand il partira. Il est là, c’est tout.
Chaque fois que flambe le feu et que grésillent suavement les chairs délicates du brochet lustré, de la carpe bavarde ou du saumon fermier, il s’approche et géante est son ombre sur la paroi d’en face. Il se sert le premier, avant même le chef, il prend les meilleurs morceaux, l’intérieur de la joue ou la laitance dorée.
Le voici rassasié. Le chef, le pêcheur, le bâtonnier et le canut mangent à leur tour, et la dame au fond du réduit. Eux ont travaillé, parcouru les steppes, les marais, les rocailles, et ont rapporté la pêche pour demain. Elle a posé les rideaux, nettoyé la théière anglaise, et profitant d’un moment de calme, elle a en secret résolu la compatibilité de la mécanique quantique et de la relativité générale, mais elle ne le dira pas, ils ne la croiraient pas. Ils sont fatigués, ils ont faim, ils mangent en silence.
Voici que s’élève alors dans le silence la voix du parasite. Comme chaque soir. Comme chaque soir, les hommes en arrivant, par quelques grognements obscurs et borborygmes insondables, avaient rendu compte de leur journée. Et toute cette journée, le parasite avait tourné en rond dans sa grotte et devant, il était même descendu jusqu’au rivage. Maintenant il parle, et les borborygmes de naguère deviennent paroles, rimes, musique, chant. Les hommes écoutent, ils se revoient la veille, parcourant les montagnes, combattant les géants, écrasant l’hydre.
Le gardon est devenu dauphin, le poisson-chat poisson-tigre, le poisson volant aigle impérial, la sardine a bouché le port, l’ablette a avalé l’océan. Les voici héros, demi-dieux, Dieu. La nuit est tombée, le poète parle encore. Il raconte l’avant-veille, et le jour d’avant, et encore plus avant, depuis la création, je veux dire la création de l’équipe.
Les hommes se sont endormis, leurs rêves accompagnent l’aigle impérial et la baleine bleue. Le poète s’est tu, le feu rougeoie, il rougeoiera jusqu’à l’aube. Ils repartiront alors, les hommes, pour de nouvelles aventures. Mais leurs pieds seront plus légers, leur humeur plus égale, et ils oublieront la fatigue.
Le poète les aura plus sûrement nourris que tous les poissons du monde, il a donné un sens à leur vie.
Texte écrit le 05 mars 2004.

jeudi 6 octobre 2005

Le Nitchétron

Ou la philosophie comme elle se prononce.

Le Nitchétron – Mode d’emploi (traduit tant bien que mal d’un mode d’emploi en japonaise language rédigé).

1°) Acheter l’intégrale des œuvres complète du Philosophe Référent.
2°) Tout lire.
-Conseil du traducteur : se munir d’AlkaSeltzer et de Stomédine.
3°) Option seulement sur le modèle Sport, plus cher : Tout relire en allemand.
4°) Apprendre par cœur de longs passages.

-Note du fabricant : le choix des passages est libre.
-Conseil du traducteur : il vaut mieux répartir les passages choisis sur l’ensemble de l’œuvre. On dispose ainsi du texte adéquat quelle que soit la situation.
-Remarque de l’importateur : il n’est pas nécessaire d’avoir compris ce qu’on a appris.
5°) En cas de rencontre sur l’agora avec un contradicteur, lui balancer un passage le plus lourd possible entre les deux oreilles.
-Note du fabricant : c’est plus efficace quand le passage est approprié, mais ce n’est pas indispensable.
6°) Y ajouter une phrase de son cru traduisant le mépris justifié qu’on ressent pour l’insecte contradicteur.
-Conseil du fabricant : l’usage du préfixe « MOI-JE » est conseillé. Comme il n’est pas toujours facile à placer, faire en sorte qu’on l’entende, même caché. C’est la technique dite du « MOI-JE Ostensoir ».
7°) Changer de baskets (à cause des chevilles).
8°) Refermer la porte, en vérifiant qu’on a laissé le lieu comme on aime le trouver.

jeudi 29 septembre 2005

Charter.

L’homme venu d’occident a reçu le nom de touriste ; l’homme qui tourne, l’homme qui peut-être tourne en rond. Pourquoi est-il venu, l’homme d’occident ? On lui avait dit qu’il était un pays ocre et vert, là-bas au bout de la mer primordiale, on lui avait dit que les habitants y ont construit des bâtisses gigantesques, tellement gigantesques qu’il avait fallu inventer le mot pharaonique.
Alors, l’homme d’Occident a pris son bâton de pèlerin et sa carte d’embarquement et il est venu « faire » l’Egypte.
Il ne savait pas que c’est l’Egypte qui le déferait, il ne savait pas qu’il serait saisi par les rêves des bâtisseurs de ce pays.
Lui, le croisé, croisera les rayons d’Amon Râ, le regard de l’œil d’Horus, la flèche de Ramsès, et il cessera ses ronds dans l’eau, fût-ce le lac Nasser.
Lui, le mécréant, devra compter avec les dieux qu’il croyait morts, il oubliera le culte de l’instant présent et il apprendra l’immortalité.
Cinq mille ans, ce n’est pas si mal.
Ainsi perdurent les sourires d’Isis, d’Hathor, de Néfertiti, de Néfertari, indéfiniment, derrière le sourire de Nagla.