dimanche 12 octobre 2014

Mes climats #2


2 - Un temps de chien
L’homme à la redingote frissonnait. La pluie redoublait, quelle ânerie d’avoir oublié son chapeau. Rien pour se mettre à l’abri dans le quartier, les frondaisons des jardins ne sont que pièges à eau et gouttières sournoises, et les bâtiments aveugles sont cernés de grilles. L’architecture pompeuse de l’Exposition Universelle n’a que faire des distraits. Voilà longtemps qu’il ne s’était trouvé dans cet état et les intempéries lui faisait remonter tous les mauvais souvenirs qu’il avait eu tant de mal à oublier.
Mais on n’oublie jamais. On recouvre, on enveloppe, on déguise, mais l’hydre ne dort que d’un œil et un jour ou un soir, sous l’averse, parce qu’on a bêtement oublié son chapeau, le chemin de quelques gouttes glacées sous le plastron la réveille. Et l’homme arrivé, avec pignon sur rue et tapis rouge assuré, se recroqueville dans son passé de misère comme alors sous son carton dans un porche, agrippé des nuits entières à la pièce mendiée qui ne pourra le rassasier.
Voilà que les vieilles images le cernent, formant comme une ronde maléfique, et le silence des Palais alentour, Grand et Petit, ne parvient pas à couvrir le vacarme. Il titube sur les allées détrempées et la boue monte le long de ses bottes naguère vernies. Il voudrait courir mais ne sait où se diriger, tout est brouillé de vapeurs et de gouttes, tout est transi. Il ne sait même plus comment rejoindre la place de la Concorde où on l’attend, d’ailleurs il ne doit plus y avoir personne, il est trop en retard maintenant et la pluie a dû chasser la belle inconnue de l’Obélisque.
C’est beaucoup mieux ainsi, son arrivée triomphale avait pris l’eau et, poursuivi par un essaim de misère, tous ces compagnons d’autrefois qu’il avait cru anéantir, il n’était plus en état de la moindre saillie. Il aperçut dans sa détresse des lumières dans le bâtiment, juste là, à côté. Le restaurant venait d’ouvrir. Alors monta en lui cette douleur qu’il croyait perdue, irrésistible, dévastatrice, comme une vague venue de l’estomac creux depuis trois jours, mais cette fois-ci il sut qu’il y ferait face.
La faim justifie Ledoyen.

samedi 11 octobre 2014

Mes climats #1

http://andremriviere.blogspot.fr/2014/10/mes-climats.html

  1. Ma saison préférée.

Sous le soleil exactement disait la chanson ; toute la ville s’est arrêtée, toute la vie s’est arrêtée. Seuls s’époumonent les climatiseurs des bureaux alentour, déversant sur l’esplanade un supplément de chaleur sous prétexte de rafraîchir ces messieurs-dames qui travaillent. Tout est construit en béton blanc et en arrondi, aucune ombre à perte de vue, une lumière à dissoudre toute silhouette égarée.

Pas un insecte ne pourrait survivre ici, que suis-je venu y faire ?

C’est pourtant bien ce que je voulais. Fuir la pluie glacée qui n’en finit pas de tout pénétrer nuit et jour, le sol spongieux, l’horizon bouché, d’ailleurs il n’y a pas d’horizon là-bas, fuir le moisi qui envahit les poumons. D’où je viens, il n’y a pas de saison, juste une langueur mouillée.

Il paraît que l’on croit toujours que l’herbe est plus verte ailleurs. Moi, il me fallait un pays à l’herbe roussie, un pays sans herbe, un pays minéral, et m’y voici. Ma petite serviette et ses secrets commerciaux à bout de bras, je cligne devant l’éblouissement à traverser, cette immense esplanade de goudron fumant, combien me reste-t-il, trois-cents mètres, cinq-cents mètres, la porte vitrée si loin là-bas où patientent les sbires de la sécurité qu’il faudra amadouer, un univers entier à parcourir.

On m’attend, il faudra bien que j’y arrive, à mon rendez-vous.