dimanche 12 avril 2020

WESTERN MOTEL 1957


J’aime bien me raconter des histoires en contemplant les tableaux silencieux et pourtant si bavards de Monsieur Hopper. Alors voici comment cette femme en est arrivée là et ce qu’elle pense au moment où je la regarde, au moment où elle sait que je la regarde. En réalité, c’est elle qui me raconte.

 

« Je me nomme Cassandra. Oui, tu as bien deviné, c’est un paysage de l’Ouest américain que tu vois par la fenêtre, ce n’est pas difficile, c’est dans le titre du tableau. Arizona, je te précise. Si tu avais fait attention au tableau précédent, tu aurais compris que j’arrive de New-York. Mais tu ne l’as pas regardé et tu n’as plus que celui-ci à te mettre sous les yeux. Je peux donc te raconter ce que je veux.

 

Il avait bien fallu m’enfuir de mon appartement de New-York. Les bonnes âmes qui habitent la tour d’en face avaient fini par comprendre mon manège, avec tous ces journaux qui ne cessaient de broder sur la dame en rouge elles avaient fait le rapprochement. Mon habitude de me tenir assise près de la fenêtre m’avait trahie, mais c’est plus fort que moi je tiens à être la première avertie quand le danger pointe son nez. J’avais ainsi pu repérer à temps l’arrivée de la police en bas dans la huitième avenue. Il me restait quelques minutes pour récupérer la mallette aux deux-cent mille dollars et me glisser dans le monte-charge du fond du couloir, auquel personne ne pensait jamais.

Il m’a conduite directement au garage attenant où j’ai pu récupérer une voiture, la liasse de billets a rendu le gardien peu regardant, une grosse Buick très confortable et bien en règle qui m’a permis de rouler pratiquement sans discontinuer jusqu’ici, dans ce motel un peu au sud de Moab où personne ne semble jamais devoir passer et où jamais n’arrivent les journaux qu’on lit à New-York. Je suis capable de rester vigilante au volant trois jours et trois nuits sans discontinuer ce qui fausse les calculs des inspecteurs qui me pourchassent et qui, sans doute, à cette heure du crépuscule, me croient du côté de Miami ou de Syracuse, au Sud ou au Nord, mais certainement pas si loin à l’Ouest.

Je peux souffler un peu et réfléchir. La chambre est confortable et donne sur la route, c’est primordial. Je les verrai arriver de loin et, dans le pire des cas, je les entendrai, le silence du désert me protège mieux que toutes les murailles de Jéricho réunies. Ce n’est pas le moment de défaire la mallette. Rester prête et aux aguets. »

 

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« Je n’aime pas quand il y a du bruit derrière la porte. Je ne peux plus me concentrer sur la route et je crains que quelque chose n’arrive que je n’aie pas anticipé. Le patron aurait-il des soupçons ? C’est difficile à croire, il avait l’air tellement occupé avec sa clientèle de chinois qu’il a à peine remarqué mon arrivée et qu’il m’a poussé les clés sur le comptoir sans même me regarder. Non, ce sont les chinois à la recherche de leur chambre. Ils sont bruyants, toujours et partout, même ici à rechercher une chambre dans un couloir unique d’un hôtel de plain pied. Les chinois ne savent pas quoi faire quand c’est simple.

Bon, ma vieille, arrête de généraliser sur la Chine et passe à du concret. C’est ennuyeux cette robe rouge. Elle ma signature et ma dénonciation. C’est elle que les braves gens ont reconnue de baie vitrée à baie vitrée à travers la huitième avenue. La veuve rouge, disent les gros titres. Il doit bien exister par ici un de ces bazars où l’on trouve tout, de la brosse à dent au colt à six coups, le plein d’essence et la petite laine pour les nuits glaciales. Un bon cache-poussière fera l’affaire, on verra plus tard pour les tenues de soirée. Et je ne dois pas traîner à m’équiper si je veux éviter que la veuve rouge prenne place dans les esprits ici aussi.

Une fois habillée couleur de rochers, je pourrai enfin prendre la direction du Sud et passer au Mexique. Acapulco m’attend. Après toutes ces avanies, ce pognon, je ne l’aurai pas volé ».

 

Pardon pour cet emprunt, Claude.