samedi 24 juin 2006

Les nouvelles du front.


Tout va bien. Le camp est beaucoup plus vaste que je l’imaginais. On n’èst pas entassé, et chacun vaque sans déranger. L’esplanade est entourée de bâtiments joliments construits, ocres et arrondis, beau comme là-bas dis, ainsi on ne voit pas la clôture.
Tout va bien. À mon arrivée, ils m’ont dit que je pouvais y faire ce que je voulais, alors je fais ce que je veux. Je me lève tôt ou tard, j’erre, je tourne autour du grand bassin carrelé où cuisent les naïades, mais je n’aime pas me mouiller. On me le dit souvent, tu n’aimes pas te mouiller ; c’est pourquoi peut-être ils m’ont mis ici.
Tout va bien. Je n’en demandais pas tant. Mais ils sont tous gentils avec moi, les gens habillés de blanc. Tant que je prends les gélules colorées qu’ils veulent, ils sont gentils. Je respecte la règle du jeu et ils me laissent tranquille.
Tout va bien. Je vais où je veux ; si je ne m’approche pas de la ligne verte, il ne se passe rien. Parfois un petit malin la passe, ô le gros nul, comme s’il ne savait pas que son bracelet allait sonner ! Le bracelet a sonné, je n’ai pas eu besoin de cafter, les hommes tachetés l’ont aussitôt emmené dans la petite chambre. Moi je suis rusé, je reste loin, mon bracelet reste coi, ils en sont pour leurs frais et ne savent jamais où je suis.
Tout va bien. Je sais comment leur échapper. Ils ne connaisent que mon pseudo de la vraie vie, alors dès que je reprendrai mon nom d’ici, hop je me tire par les fils de cuivre et les fibres optiques, ni vu ni connu.
Tout va bien. Les hommes tachetés ne nous parlent jamais. Ils tournent, en petits groupes de trois, je me demande comment ils supportent leur lourd costume à grosses chaussures par ce temps imbécile où jamais il ne pleut. Ne fois j’ai posé la question : kamoufflache, m’a-t’il aboyé. Les deux autres m’ont chassé, et j’ai vu en m’éloignant qu’ils étaient en colère contre l’aboyeur.
Tout va bien. D’habitude, ils me laissent en paix. Leurs petits groupes semblent plus nombreux dans les parages depuis que j’écris. Je ne vois plus de blouses blanches. On ne peut plus parler de petits groupes, ils sont tous réunis en cercle, et moi au centre. On dirait bien que le cercle rétrécit. Je vais bientôt comprendre : en voici un qui s’avance, je ne peux me lever pour saluer, des anneaux me tiennent les bras. Il a une grande seringue à la main.
Tout va bien mais j’ai peur, vas savoir pourquoi. Je veux appeler les blouses, les chanter même, chanter les blouses, rien ne sort. Allez, un effort, crie, vas-y crie, il est tout près maintenant, tout prêt. Voilà je crie.
Au secours.
Tout va bien.

vendredi 2 juin 2006

Les deux réponses.

1. La première réponse : à Karine F.

Alors d'abord Karine. Règle d’or : Faire toujours le plus facile en premier, ce qui me permets de détourner l'attention et de ne pas répondre au second. Plume salée pour commencer.

Le nom de celui qui poste est inscrit au dessous du commentaire. C’est bien Clopine qui vous a interpellée et non moi, quoique je l'eusses fait chez vous si Clopine ne l'avait fait chez elle.

Et même que j'ai déjà lu le billet posté, dont auquel il est d'étonnantes voyageuses.

Voilà, c'était le plus facile, à très bientôt Karine chez vous, mais je n'irai pas à Saint-Malo, j'ai un billet d'essscuzes. Ah non ! J’ai autre chose à vous dire. En lisant votre liste des peuplades de votre monde, je n'ai vu ni frangins ni copains. Où sont-ils passés ?

2. La seconde réponse : à Marie de B.

Ma chère Clopine, j'espérais que vous soyûtes partite, pour ne pas répondre. Mais vous attendez, appuyée sur votre fourche menaçante. Les déchets, justement. Je vois bien le piège que vous me tendez. Ah ! Ah ! Ah ! Je vais me précipiter à vous faire une démonstration savante pour vous expliquer avec mon arrogance habituelle que :

a) les déchets quels déchets ?

b) mais voyons c'est pas dangereux !

c) vous inquiétez pas on maîtrise.

Au choix, n'importe laquelle des réponses convient pour que le piège se referme, dans lequel tous les arrogants qui nous gouvernent tombent chaque fois.

Derrière ce qui vous apparaît comme une esquive, vous le pensez si fort que je l'entends alors que vous ne me lisez même pas encore, les amateurs de corrida ont pour cela un mot technique que je ne connais pas, il y a tout le débat préliminaire dont j'ai tenté de donner les termes dans mon blogue. Certes en suggérant une morale simpliste histoire de provoquer des réactions qui ne sont jamais venues, mais surtout en tentant de poser les termes permettant d'alimenter la réflexion, je préfère ce mot à celui de débat, l’important est de réfléchir sur les mêmes miroirs, quel que soit le côté qu’on utilise.

J'ai bien noté que les écolos vous laissaient parfois un peu réticente malgré vos sympathies, et nous nous ressemblons en cela que les technocrates me laissent particulièrement énervés, quand bien même je ne serais pas un ennemi du nucléaire.

Vous notez les doubles négations. En réalité, je ne réponds pas vraiment à votre amorce. Je le sais farpaitement (c'est le rhum d'Yvonne qui commence à agir). Mais on ne condamne pas le nucléaire au seul motif de l'inconnu des déchets. On travaille à comprendre le moins mal possible, on ne jure pas que tout va bien, on ne lance pas des programmes pharaoniques de but en blanc, mais on apprivoise doucement la bête en commençant petit et en grandissant doucement.

Ceux qui se demandent d’où sort cette Yvonne ont raison de se le demander, je ne la connais pas. Sachez seulement que ceux qui la connaissent s’en réjouissent et me l’ont fait savoir, alors je leur réponds ainsi, en secret.

Les recherches menées, sous le contrôle (plus ou moins) attentif du parlement, afin de trouver différentes solutions de neutralisation des déchets et de leur stockage, sont loin d'être abouties ; elles me semblent pourtant l’exemple d’une démarche convenable, tant technique que politique, et elle propose déjà des pistes intéressantes. Aucune d'entre elle ne donnera de bons résultats à elle seule et toutes comporteront leur part de risque, y compris des risques non descriptibles aujourd'hui.

Ce n'est pas une raison pour renoncer, mais c'est encore moins une raison pour tenter de cacher la vérité aux citoyens. Bien au contraire. Les secrets d'état d'un côté et les anathèmes de l'autre n'apporteront jamais la moindre chance d'amélioration à nos vies.

Je ne tiens pas ici des propos évanescents et consensuels pour plaire à tous. Je me compromets aussi: je considère en effet que nous ne pouvons nous priver d'une énergie abondante et durable, qu'il faut progresser dans la connaissance de ce monde mystérieux et dangereux, et qu'il faut savoir que cette énergie coûte beaucoup plus cher que ce qu'on prétend nous faire croire aujourd'hui, une fois alignés les vrais coûts de neutralisation à très long terme des déchets, les vrais coûts de démantèlement des centrales vieilles, les vrais coûts de recherche fondamentale et de recherche industrielle. Puis il faut y aller, en regardant devant soi.

Je n'ai jamais été partisan de l'énergie à bon marché, qui n'est qu'un miroir aux alouettes qui nous a permis de vivre à crédit sur le dos de nos enfants.

Sachons accepter ce qui est difficile mais nécessaire (voilà aussi un pavé que j'assume), et connaissons en le coût. Qu'on ne me parle plus de Tchernobyl ni d'Hiroshima, ce n'est pas la faute de l'atome si c’est arrivé. L’homme est ce qu’il est, seules la conscience démocratique et la connaissance technique viendront à bout des obstacles et limiteront les dommages : car sûr et certain, il y aura des dommages, ne comptez pas sur moi pour dorer la pilule histoire d'obtenir lâchement un consentement paresseux.

Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir, raison de plus pour ne pas attendre.

Voilà. C'est juste un début, et je sais ce qui m’attend. Allez voir mon blogue, euh vous y êtes déjà d’ailleurs, pour d'autres éléments à mettre sur la table en vue de notre prochain festin de guerre.

Je l'ai dit, je suis plutôt en panne ces jours-ci, et pour quelques temps, ce serait trop long à expliquer, le silence est parfois d'or à qui dort.

Ce n'est pas d'arrêter d'écrire que je vous soupçonne, je me suis mal exprimé, c'est bien d'arrêter votre blogue. Comment vais-je venir chez vous si vous fermez la porte ? Si je sors de ma torpeur, et que mes liens vers vous se découvrent rompus, il ne me restera que de m'enfouir avec mes déchets préférés. Un bref instant, j'illuminerai le monde.

FIN.


jeudi 1 juin 2006

Histoire de Théodore - 4. SEXTET

SEXTET.

A l’heure parisienne exacte, c’est-à-dire avec un quart d’heure de retard, il fallait bien calmer le vent et le pollen, les lumières se sont éteintes avec les téléphones portables. Des silhouettes hésitantes dans l’obscure clarté des salles en apnée ont doucement trébuché sur les fils, les retours, les trépieds, et les escabeaux éparpillés sur scène et ont pris place derrière leurs postes de travail.

On devine une guitare, une basse électrique, une batterie, une série de congas et de casseroles bavardes, et un escogriffe entrombonné. Ils se taisent tous les cinq, et règlent leur outil sans bruit, paradoxe du musicien.

Sorti tout droit d’un bas relief de Persépolis, Goliath jouait déjà sur le devant de la scène. Tu ne l’as pas vu arriver, ni entendu. Les cris d’accueil ont couvert son souffle mais qu’importe, toi tu le sais avant tout le monde qu’il n’a jamais cessé de jouer depuis sa naissance il y a soixante seize ans. Tu l’entendais bien avant la salle ; tu es toujours méfiant avant ces rendez-vous : l’entendrai-je, et saurai-je le mériter? Serai-je à la hauteur? Ou, pire que tout, n’allons nous pas nous fâcher pour toujours et détruire cette longue lune de miel?

Voilà les questions que tu te poses chaque fois et qui te font craindre ce premier souffle que la salle t’a épargné. Il est ainsi le public parisien, il se croit conquis d’avance et il rate son entrée, tout juste s’il remarque l’homme qu’il fête bruyamment. Il applaudit avant la fin, il se lève pour un oui pour un non, toi tu dis qu’il se lève pour un nom, et le frisson qui te gagnait devient tremblote.

La salle s’est tue et maintenant tu entends ; tes craintes ne sont plus de saison. Ton rendez-vous n’est pas un lapin et tu te cales dans le fauteuil, le voyage peut reprendre. Il en faudrait davantage à Goliath pour lui clouer le bec. Parisien ou non, le public finit noyé dans le flot. Le carnaval ne s’est pas arrêté, et tu ne pouvais plus partir à supposer que tu l’aies voulu ce dont tu étais loin.

Tu as vite oublié le lieu la date, le bas-relief de Persépolis t’a raconté ta vie à toi comme si tu y étais, comme si tu étais seul assis dans l’Olympia. Tu sentais bien que soixante-seize ans sont plus vieux que trente-six, de petits détails qui ne trompent pas sur la courbure du dos, la longueur des notes, l’économie des suraigus et les graves en pente douce, enfin si les mots d’économie et de pente douce sont applicables ici, nombreux sont les fous furieux qui ne tiendraient pas le quart d’un grave et le début d’un aigu du vieux Goliath ; le chef apache avait plus d’un tour dans son sac pour brouiller ta vue et tes souvenirs, c’est lui qui connaissait ta musique. Le vieux noir valait toutes tes nuits blanches.

Tu te souvenais maintenant de la neige à Lyon, et bien avant cette neige de ton premier disque acheté avec tes économies de six mois, centime après centime, rognant sur la monnaie des courses, juste le compte pour acheter le grand carré de carton avec une galette noire à l’intérieur qui trônait dans la vitrine du magasin près de la mairie au milieu de l’école est finie et j’entends siffler le train. Les coins brillants de Goliath et du Moine together. Ton premier disque sous le regard effaré du disquaire. Tu n’as jamais su pourquoi ce disquaire-ci avait ce disque-là, ni pourquoi il l’avait gardé si longtemps en devanture, six mois d’économies. Tu en as acheté des disques ensuite, jamais chez lui, il en était resté à la fin de l’école et des trains qui sifflent : à la Feunaque du boulevard de Sébastopol, l’historique aujourd’hui disparue, au marché Malik à Saint-Ouen, et partout où des pochettes rafistolées annonçaient le vécu et l’abandonné, où tu trouvais des trésors au risque de quelques bouses rares.

Tu appris plus tard que tes maigres économies avalées par le monsieur en échange de la galette t’avaient permis d’acquérir un chef d’œuvre de l’histoire du jazz que tu ne le savais même pas, et de surcroît introuvable au dire des experts qui causent dans les journaux spécialisés, le Chaud et le Mag. Il a cessé d’être introuvable, il existe en petite galette brillante comme le corner du titre, mais la grande galette noire est celle que tu écoutes encore sur ta Dual à entraînement direct avec craquements d’usure et rayure prévisible à la reprise du thème de balues bolivar balues are juste après les timbales du Matheux. Bolivar Blues façon Brillant Corners.

C’est lui, Goliath, qui te raconte ta vie, ce n’est pas toi qui te souviens. Sa trompe mugissante te dit tes vagabondages autour de Persépolis, au milieu de ces montagnes où la mort est si belle, où tu rencontres Zoroastre au détour d’un mausolée perdu, où un sourire nomade d’une Ghashghaï derrière ses voiles valent toutes les soifs d’été, tu ne dis pas le voile mais bien les voiles, légèreté multicolore qui flotte autour d’elle laissant libre et nu le visage inoubliable. Ce pays éternel, où pour se trouver il faut se perdre, que tu as fui il y a si longtemps, te retrouve enfin par la grâce du chant de Goliath l’américain.

Il n’a pas fini de te raconter : toutes ces années où tu as tenté de conquérir un titre que tu n’atteindras jamais, combat où les échecs suivant les échecs n’ont jamais entamé ton désir, poussé par les musiques prodigieuses : God Bless The Child. L’enfant qui ne te regarde pas, titre inaccessible devenu ru amer, mais fleuve de musique qui un jour t’aidera à ceci : renoncer.

Voilà ce que te raconte Goliath, et bien d’autres choses encore, fulgurantes à ne pas t’en souvenir ici. Il est planté sur le haut plateau qui te domine, autour de lui ses compagnons canalisent ses tempêtes, il en faut bien quatre pour remplacer le Matheux.

N’avais tu pas dit qu’ils étaient cinq ? Ils sont cinq en effet mais quatre à canaliser. Le cinquième est David le fidèle entre tous. Sa basse électrique sature un peu trop, quelle idée de refaire à l’identique cette salle malcommode, mais il est toujours là, indestructible, le David décrié par les écriveurs cul-de-poulés. Tu l’avais dit, jamais David sans son Goliath, jamais Goliath sans son David. Ce n’est pas diminuer Goliath de le comprendre, car seule la volonté du colosse a fait que David est resté. Goliath meurt s’il tue David, ou simplement essaie.

Tu es rentré en métro, main dans la main avec ta femme. Il faisait doux, c’était le printemps et on devinait que les jours allaient se refroidir. Ce soir là, la météo est restée polie, quelque chose était suspendu, entre deux airs, entre deux eaux, entre deux chansons, ta vie peut-être.

Si Goliath revient, tu n’iras pas l’écouter, ni dans deux ans ni dans cinq ans ni dans cinquante ans. Il ne faut pas abuser des rendez-vous. Le dernier est toujours le rendez-vous de trop qui détruit tous les autres.

Galettes ou pas galettes, Il est maintenant installé chez toi pour toujours,
Théodore Walter Sonny Rollins.

FIN – Ecrit le 19 mai 2006.