jeudi 29 septembre 2011

La symphonie du nouveau monde - 3. Largo.

3. Largo

Neuf mois, ils lui avaient promis neuf mois de paradis, à lui dont l’existence annoncée était de quelques secondes. Tout juste avait-il surpris un air gêné quand il avait demandé comment se terminaient ces neufs mois mais ce fut si furtif qu’il n’y pensa plus.

Vivre et couvert en permanence, température constante, trente-sept deux le matin, rien à prévoir, rien à penser, rien à organiser, tout à domicile, tes désirs sont des ordres, tu n’auras même pas le temps de désirer. Il ne comprenait pas tout ce qu’on lui racontait mais il souriait aux anges, une aventure délicieuse s’ouvrait à lui.

Ils sont venus ils sont tous là, les visages avenants de la famille ; une longue cohorte de lignée, tous ceux qui se sont succédés depuis dix mille ans, trois cents hommes pour la droite ligne des hommes et trois cents femmes pour la droite ligne des femmes ; tous ceux qui viendront ensuite pour les dix mille ans qui s’annoncent. A condition qu’il franchisse le dernier pas, lui et sa suite, pour que les descendants descendent, pour que le fleuve ne tarisse point.

Ils forment une haie d’honneur, les six cents vieux et les six cents virtuels, grains de riz et pétales de roses, X et Y à foison, à l’entrée de l’origine du monde. Mille deux cent spectateurs, de quoi remplir un théâtre prestigieux rien que pour lui. Quel panache mais quel trac !

Il sentait bien qu’il perdait pied et que bientôt il ne saurait plus quelle contenance prendre ; il lui fallait avancer tant qu’il le pouvait encore, avec la foule concurrente maintenant bien en vue au bout de l’allée cavalière. Etrange et mystérieux malaise. Tout est pourtant si simple d’apparence : l’éternité ou la mort, le paradis ou la disparition, l’être ou le néant, naître ou ne pas naître ! Rien n’y fait, il est là sur sa troisième marche à s’embrumer d’états d’âme.

dimanche 11 septembre 2011

La symphonie du nouveau monde - 2. Allegro molto.

2. Allegro molto.

Voici que la rencontre impossible va se produire, toute proche désormais de la probabilité de UN : il monte les marches du seuil vers la porte déjà entrouverte.

C’est à ce moment précis, après toute la succession de hasards et de rencontres qui l’avait conduit ici, qu’il fut saisi d’une peur, d’un regret, d’un doute. Il avait semé la foule de ceux qui convoitaient la place, il avait du temps devant lui, un peu mais pas trop, juste celui de retirer doucement ses chaussures et arranger sa coiffure, cheveu unique mais rebelle, comme les vieux sages le lui avaient recommandé naguère : tu dois respecter les usages et entrer d’un pas ferme et lent, lui dirent les vieux sages.

Mais non. Le piétinement de ses poursuivants se rapprochait, aucun n’avait renoncé sauf les morts, et au lieu de soigner son image et de réussir son entrée, il restait figé sur la troisième marche juste avant le palier de la victoire. Paris valait bien une messe disait le vert-galant qu’il ne pouvait encore connaître n’étant point ; une vie vaut bien une marche.

Encore essoufflé de la cavalcade, il avait du mal à rassembler ses esprits. Il se souvenait de ce qu’on lui avait dit au départ du rallye, des bribe
Liens de souvenirs qu’il oublierait peu à peu, qu’il oubliait déjà, il se souvenait qu’il allait tout oublier et qu’en entrant il ne saurait plus rien de l’origine, pas même le souvenir qu’il y avait quelque chose dont il aurait pu se souvenir. Il savait encore que tout était merveilleux à l’intérieur, il suffisait d’entrer, presque trop avait-il pensé à la description qu’on lui en avait faite, trop facile et trop merveilleux, oui, de cette méfiance là il se souvenait encore.

Il faut toujours se méfier des vieux sages et de l’oubli.

samedi 10 septembre 2011

La symphonie du nouveau monde - 1. Adagio.


1. Adagio.

Il hésitait sur le seuil : allait-il entrer, ou bien tourner les talons et s’en aller très vite ? Il n’avait pas fait tout ce chemin pour renoncer au dernier moment. C’est qu’il venait de loin, le bougre, tu ne peux même pas imaginer. Remonter l’échelle de temps dans les confins où le temps ne sait plus ce qu’il est ne suffit pas : rien ni personne ne peut comprendre comment, parti de si loin, il a pu arriver ici. Les statisticiens les plus érudits ont calculé ; ils sont arrivés à un résultat si faible qu’ils ne savaient pas comment l’inscrire sur leurs tablettes.

Autant dire que ce spermatozoïde-ci n’avait aucune chance de rencontrer cet ovule-là.

L’art de la prévision est un mystère, et la prétention à mettre le futur en équation une illusion mortelle. Le calculateur qui déclare impossible la catastrophe infiniment peu probable, et qui tout fier de ta logique la raye de ton avenir, n’entend-il pas dans nos campagnes mugir les féroces raz-de-marée qui avaient si peu de chance de se produire avant dix mille ans et qui l’emportent à cent à l’heure, à cent pour cent. Combien valait ta probabilité de vie il y a dix mille ans ? Si peu qu’un calculateur dans ton genre à cette lointaine époque n’aurait pas donné cher de ta peau, et pourtant dix mille ans plus tard tu étais bien vivant, là, à cent à l’heure à cent pour cent, juste avant que la vague ne t’emporte.
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